Petit Traité de versification française (Grammont)/Introduction

INTRODUCTION


Origine et définition du vers français. — La versification française est sortie de la versification latine populaire, tout comme la langue française est issue de la langue latine vulgaire.

Dans nos plus anciens poèmes français le vers peut se définir : un membre du développement poétique comptant un nombre déterminé de syllabes, dont certaines sont obligatoirement accentuées et dont la dernière assone avec la syllabe correspondante d’un ou de plusieurs autres membres. Si l’on remplaçait éventuellement dans cette définition le mot « assone » par le mot « rime », elle resterait une description extérieure assez exacte du vers français de toutes les époques, mais sans rendre compte de sa nature intime, qui s’est profondément modifiée au cours des siècles.

Les plus anciens vers français. — Les premiers qui figurent dans nos plus anciens monuments littéraires sont le vers de 8 syllabes et celui de 10, puis celui de 12. Les autres formes de vers ne sont apparues que plus tard.

Dans tous les vers français la dernière syllabe qui compte est obligatoirement une syllabe accentuée ou tonique. Le vers de 10 syllabes avait une autre syllabe obligatoirement accentuée ; c’était ordinairement le quatrième et quelquefois la sixième ; elle était suivie de la césure. Le vers de 12 syllabes avait aussi une autre syllabe tonique à place fixe et suivie d’une césure, la sixième.

À aucune époque une syllabe atone à la fin d’un vers n’a trouvé place dans le compte des syllabes ; à l’époque ancienne une syllabe atone à la césure ne comptait pas davantage. Ainsi les deux vers suivants, que nous empruntons à la Vie de Saint Alexis (xie siècle), ont le même nombre de syllabes :

A halte voiz | prist li pedre a crider[1].
Quant ot li pe|dre | ço que dit at la chartre[2].

De même ceux-ci qui appartiennent au Voyage de Charlemagne en Orient (xiie siècle) :

L’emperere le vit, | hastivement li dist[3].
Et prenget une cu|ve | que seit grande et parfonde[4].

Le vers de 8 syllabes n’a pas de césure, car il n’y a aucune place à l’intérieur de ce vers où une syllabe atone ne compte pas. Il n’a pas non plus à l’intérieur de syllabe tonique à place fixe ; la quatrième est généralement accentuée :

Fist lo por Dieu, nel fist por lui[5].

Mais ce n’est nullement nécessaire ; elle peut être atone à l’intérieur ou à la fin du mot :

Qui tel exercite vedist[6].
Li perfides tant fut crudels[7].

Enfin, si elle est suivie d’une finale atone, cette dernière compte dans le nombre des syllabes :

Por cui tels cose vient de ciel[8].

Ces quatre derniers exemples sont du xe siècle (Vie de Saint Léger).


  1. « Le père se mit à crier à haute voix. »
  2. « Quand le père entend ce qu’a dit la lettre. »
  3. « L’empereur le vit, il lui dit aussitôt. »
  4. « Et qu’il prenne une cuve qui soit grande et profonde. »
  5. « Il le fit pour Dieu, il ne le fit pas pour lui. »
  6. « (Il n’y eut jamais personne) qui vit une pareille armée. »
  7. « Le perfide fut si cruel. »
  8. « (Celui) pour qui pareille chose vient du ciel. »