Gaston Salandri
La Revue blancheTome II (Paris) (p. 41-43).
PENSÉES MOROSES

Il y a une vertu qui tient du moisissement.

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Beaucoup d’hommes, dans des circonstances difficiles, cherchent leurs amis comme on cherche son jugement,

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La vertu, c’est une impuissance pour faire le mal dont on se rend compte. Et on n’essaie pas les mauvaises actions de peur de n’y point réussir.

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Un homme qui prend la résolution d’être fort, c’est un homme qui prend la résolution de marcher sur des faibles.

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Rien ne ressemble parfois à un homme généreux comme un jobard. Et c’est la qualité du bénéficiaire qui fait celle du donateur.

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Si l’on n’a pas quelque grande et exceptionnelle passion qui absorbe, c’est un malheur d’être différent des autres hommes, car cela rend toute société impossible. Et la solitude sans idée doit être le pire des maux.

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Le mariage donne une multitude de petits soucis qui distraient des grands. On ne peut pas vivre avec une femme et une idée, ou alors il faut que cette femme soit une esclave.

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L’amour est une course d’obstacles ; au dernier, il tombe de lui-même.

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Beaucoup de gens aiment par désœuvrement, parce qu’il est ridicule de se coucher à neuf heures. Ils boiraient aussi bien, mais ils n’ont pas d’estomac et ça leur fait mal.

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On change souvent d’amour comme un malade change de position ; pour être mieux. Et ce qu’il faudrait : c’est se guérir de l’amour.

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Les femmes froides ont cet agrément qu’elle sont toujours satisfaites, et cet inconvénient qu’elles ne satisfont jamais.

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Les milliardaires n’ont pas su inventer un plaisir nouveau. La table, le lit, la chope, le jeu, ils n’ont que cela, comme les nègres et les Samoyèdes.

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Un des inconvénients des écoles littéraires, c’est qu’on y entre tout jeune sans consulter son tempérament d’artiste, et qu’on en sort avec un tempérament détruit.

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Les gens que vous avez coudoyés ne peuvent jamais croire à votre talent ; et en même temps ils se font une réputation de votre amitié.

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Les bourgeois aiment assez qu’il y ait des malheurs dans le monde pour en pouvoir lire le récit dans leurs journaux. Les catastrophes, qui ne les touchent point donnent un intérêt à leur vie parfois trop plate. Ils frissonnent agréablement au coin de leur feu, et ce leur est comme une petite débauche de vie sensationnelle qui a son utilité et son charme.

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On naît conservateur. Les conservateurs ont le nez long, le teint jaune et les cheveux plaqués.

On naît aussi libéral ou révolutionnaire. Les révolutionnaires ont le nez retroussé, des cheveux rebelles et des couleurs violentes.

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Dire la vérité au peuple, c’est apprendre les mystères de l’amour à un enfant de dix ans.

Gaston Salandri.