Pensées de Jean-Paul (1829)

Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Pensées de Jean-Paul.

CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE, tM)’atttMR Du tLOt IT BB t.’tNMnntT, Mt MM*, f’* ! M.

eeeeooes

M. ttCCCXXiX.

tAtt M TaABBCTKOtt

CES SCÉnOtS A PttAC~E.

L<Mtdfht<atMtM<’M « tr :)eNotd<)*ft.<on

tnorttt ; r<ihtmte tmttM, m M ; h ftrmm M <tn !. « mMj)Xt, t’At<~<tm « etbo)taM.MM)<trM ;

tXMM troMtom tout t&tn) txmtMa’Fmt. cMMtr,

tm-r~. M. Mpttt et H)M « <t< p<mtr : M)M !

NQM M t’MMM ptM..

BoMN~

MB’~Th.~ « H.OQOO ! M !

~~PAHÏS.

PENSÉES

DB

MAN-M~ RXTttAtTBt

BE TOUS SES OUVRAGES ;

PRÉFACE
DU TRADUCTEUR.


Il y a quelques années que je fis un voyage en Allemagne. Je ne connaissais encore Jean-Paul que par les éloges passionnés et par les critiques amères dont il a été l’objet : décidé à juger entre ses enthousiastes et ses détracteurs, j’ouvris un volume de ses œuvres. Les beautés que l’on y rencontre me frappèrent vivement ; mais l’obscurité qui y règne me repoussait c’était comme des éclairs au milieu d’une nuit orageuse ; la lecture en est fatigante même pour un Allemand on reconnaît alors toute la profondeur du jugement qu’en a porté madame de Staël dans son livre de l’Allemagne. La poésie du style de Jean-Paul, dit-elle, ressemble aux sons de l’harmonica, qui ravissent d’abord et nous font mal au bout de quelques instants.

Je compris que pour faire passer dans notre langue le génie de cet écrivain, on devait se borner à choisir les passages susceptibles d’être transplantés et de s’acclimater sur le sol français, et laisser de côté ces longues digressions philosophiques que la sécheresse y ferait bientôt périr. Pour tenter de reproduire un de ses ouvrages dans son ensemble, il aurait fallu plus que de la témérité. Nous nous soumettons donc entièrement, à cet égard, aux décisions de M. Loève-Veimars, qui, dans son excellent Résumé de la littérature allemande, affirme qu’il est aussi impossible de qualifier le génie de Jean-Paul que de traduire ses œuvres.

Le Globe a émis une opinion à peu près semblable dans un article biographique sur notre auteur, qu’il a emprunté à la Revue d’Edimbourg, et que nous le prions de vouloir bien nous permettre d’insérer à la suite de cette préface, comme le morceau le plus propre à faire connaître Jean-Paul à nos lecteurs. Mais les arrêts, d’ailleurs si respectables que nous venons de citer, ne peuvent s’appliquer à des fragments isolés, dont le traducteur écarte tout ce qui lui semble obscur ; et Jean-Paul, considéré par parties détachées, et plus particulièrement comme penseur, ne nous a pas semblé présenter des obstacles insurmontables. Cette manière de l’envisager a même été généralement adoptée en Allemagne, où l’ouvrage de cet écrivain qui a eu le plus grand nombre d’éditions et obtenu le succès le plus populaire, est celui que l’on a extrait de tous les autres. Ils embrassent un cercle de quarante-trois ans, et forment à peu près soixante volumes on les a réduits à six sous le titre de Chrestomatie de Jean-Paul, et ce livre est regardé comme le vade-mecum de tous les philosophes de la Germanie.

C’est donc sous cette forme que j’ai appris a apprécier les beautés de Jean-Paul, et que je cherche à les faire comprendre au public par les faibles essais que je lui offre aujourd’hui. Puissent-ils lui en inspirer le goût, et engager quelque écrivain plus habile à terminer ces ébauches ou à leur substituer des tableaux plus complets. Combien alors me saurais-je gré de cette entreprise, qu’on jugera peut-être trop hardie ! mais je me consolerais bien facilement du blâme avec lequel Messieurs les classiques né manqueront pas d’accueillir cette traduction, si je pouvais faire éprouver à quelques-uns de mes lecteurs une partie du plaisir que j’ai trouvé dans les productions de Jean-Paul.

En effet, après avoir surmonté les premières difficultés qu’il présente, je ne pouvais plus m’en séparer. Ses pensées devinrent les compagnes de mes promenades solitaires ; je rencontrais en elles de ces affinités électives qui me captivaient entièrement. Ses images toujours ingénieuses, souvent bizarres, avaient pour moi un charme indéfinissable : quelquefois j’étais tenté de comparer ses ouvrages aux poésies d’Ossian. De même que le barde de la Calédonie évoque au son de sa harpe les ombres des héros des anciens temps, et les fait apparaître devant lui, enveloppées de leurs manteaux de brouillard ; ainsi Jean-Paul interroge à-la-fois le monde moral et le monde physique, il remue le cœur de l’homme et réveille en lui les sentiments les plus généreux si les visions qu’il nous présente se montrent quelquefois environnées de nuages, c’est qu’il les élève à la sublimité des cieux après les avoir fait sortir des abîmes de la terre. Poète, il donne un corps aux idées et une âme à la nature il chante la Divinité, la résurrection, et tes mystères d’une autre vie. Philosophe, naturaliste, peintre de mœurs, aucune merveille de la création ne lui échappe, et il sait saisir les ridicules de la vanité humaine jusque dans les replis les plus cachés. Comment le définir ? il offre à-la-fois tous les contrastes, et réunit les genres les plus opposés ce qu’on lui reproche quelquefois comme un manque de goût est souvent la source de ses beautés les plus saillantes.

Toutes les couleurs se mêlent sous son pinceau, et ses tableaux hardis nous ravissent toujours par leur éclat, malgré le désordre qui règne souvent dans leur disposition. Le naïf, le burlesque, le sublime et le trivial se heurtent dans ses ouvrages, que dis-je ? dans l’espace de quelques lignes. On y aperçoit des figures dans le style de Raphaël et de Michel-Ange, placées au milieu de groupes à la manière de Callot. Plus sensible que le sentimental Sterne, moins sceptique que Montaigne, Jean-Paul mêle l’originalité de Swift au comique d’Érasme ; à la profondeur de Descartes, et, quelquefois même, au cynisme de Rabelais.


  • « <Mt « M « H «  « M

BIOGRAPHIE

DE JEAN-PAUL.

(Tiré de la J ! <m<.fAi&thmy, troisième trimmtre 1827, et inséré dans te G/oh du < « ptembre de la m&M année.)

HoM de t’AHemagne, J~AN-Pt~t. Fatn~Mc RtoaTt~ n’est guère connu que de nom. Chose singulière ! d’un écrira si cetèbM et <i fécond, il n’est venu jusqu’à nous que ce mot, importé par madame de Staët, et souvent irépété depuM La Providence a donné aux Français rempire de la terre, aux Anghis celui de la mer, axx Allemands celui de t’air. Quant à M, en eBet, on pourrait dire que · son génie était comme Mtum)Mé daM ce dernier étément ton styte est si fantastique, si subtil, et en même temps si profond et si compréheMif, toujuuM si extraordinaire, que le traduire est à peu pre< "npoisiMe ; c’est à tel point que même en Allemagne on a senti le besoin d’an guide pour t’intetiigence de ses ouvrages, et qu’un Dictionnaire particulier à t’ua

t4

Mge de ses lecteurs se publie en ce moment. Tout cela !) d& restreindre et restreindra longtemps encore sa sphère d’action à son seul pays. Mais, en retour, là it est adoré ; il est le favori de la classe supérieure ; on le suit dam le labyrinthe de ses pensées avec une ttdète admiration, et avec cet amour qui pardonne heaMoup. Durant les quarante dernierM années, il a attifé continuellement les regards, placé à des degrés divers d’estime, mais ; randmant4 à chaque bordée de critiques qu’il recevait, }MqN’A ce qu’enfin ses adversaires ont été ou ramenét à lui ou réduits au silence ; et Jean-Paul, réputé d’abord moitié fou, a vu sou originalité accueillie et vengée par des acclamations universelles aujourd’hui il réunit la poputarité au fond de gtoirete plus solide.

La biographie d’an homme aussi éminent ne saurait manquer~tre intéressante, surtout si l’on s’attachait à suivre le développement de ses ~cuttés, à fairel’histoiredeson esprit car pour les événements de sa vie, ib sont tre~simptes et peuvent se raconter en peu de mots.

Il naquit à WaMiedet dans le Bayreuth, au mois de mars t~3. Son péreétait un professeur subalterne du gymnase de cette ville, qui exerça ensuite la profession de ministre de l’Évangile. SchwaKbachsnr-ta-Saate. L’éducation de Richter fut tout-à.~it Bfgtigée ; mais son intelligence et son infatigable

–ta–

application SMpptéèrent à ce malheur. Ne pouvant acheter des livres, il empruntait tous ceux au’it trouvait, et en transcrivait souvent une grande partie. Il conserva toute sa vie cette habitude d’extraire, qui innua beaucoup sur sa manière d’écrire et sur la direction de tes travaux. En t-~So, il se ren. dit à t’anMenité de Leipack où, en dépit de tous les obstacles qui ~’étaient opposét à ses progrè !, il arriva avec la réputation d’un jetme homme déjà fort eapable. Comme son père, il était destiné à la théologie ; n)aM Mn goùtpour)a poésie)e détourna det’étade decetteMaence, qn’itnni[mén)epar abandonner toutà-fait après avoir reçu têt ordres. Alors, ne sachant trop que faire, il accepta d’abord une place de précepteur dans une famille riche ; il prit ensuite chez lui des étèves, et il en changeait à peu près amsi couvent que de façon de nwe. Sur ces entrefaites, il était devenu auteur ; et, dam ses courses en Allemagne, il avait poMié, tmtotdans un pays, tantôt dans un antre, les plus étranges livres sous tes titres les plus étranges par exemple Les Procès du CMex&M~ Aee~~tXM <M~’<p~ae< MtM & cn&:e ’f<o ! e géante ; CAo~ </< papiers ~<t diable, etc.* Matgré leur extravagance apparente, ces productions, qa’on neMomit analyser ni décriff, annonçaient de brillantes <acnM< dans leur auteur ; e)hM étaient empreintes d’une vigueur pt’n commune, et

î< !

M même tempsd’une pureté et d’ttnebontéde cœur singulières. Peu à peu, Jean-Paul commença à être Mgardé, non plus comme un cerveau hralé, à-la-fois enthousiaste et bouffon, mais comme un homme d’Mne ga ! té, d’une énergie, d’une sensibilité et d’une pénétration Maie !. Ses écrit.) lui procurèrent des amis et de la renommée, et en&n une femme et une existence usurée. Avec Caroline Mayer, sa bonne épouse, et une pension qui ini fut donnée en 1~ par le roideBa~ère. il se fixa &Bayre.th, camtate dehp~ceo&He)ait.é ; Hy~t~tourèd’hom. mages, et devint chaqaejom-ptMcétebre. Il estmort te 14 novembre iM, aimé et admiré par tous se Mmpatn.t<s, etsurtoutparceuxqui~aie.tcon.u intimement.

Co ! oNat, irrégulier au moral comme an physique (car son portrait est M-méme une— étude curieuse de physioeno~ plein de feu, de <=~ pétuosi.é.Richter parait avoir été en même temps donx.simpteethnmain..p ! Mha.tdegré.Ma.mait beaucoup la conversation, et était très-capable dy briller; il parlait comme il écrivait, dans un style qui tui était propre, et qm se faisait remarquer par une vigueur et des charmes agrestes auxquels son accent de Bayreuth ajoutait encore. Mais pardessus tout il aimait la solitude, la campagne, tout ce qui était simple et naturel. Ainsi qu’il le dit tui.mem., 1

–t7–

depuis sa jeunesse il a en quelque sorte vécu en plein air c’était au milieu des <erets et des prairies qu’il étudiait, souvent même qn’it écrivait. Rarement on le voyait dans les rues de Bayreuth sans une Beur sur sa poitrine. Avec des goutt si paisibles, un Meaf si aimant, on conçoit qu’il dut adorer M famille et ses amis. U parte souvent par allusion de sa pauvre et humble mère, mais jamais <aM respect et sans le plus vif sentiment de tendresse. Voici ce que raconte H. Doering, qui vient de publier une vie de Richter (Gotha, t8:6); malheureusement ce sont presque les seuls détails remarquables que MM ayons trouvés dans ce livre :

« L’appartement où Richter étadiait à cette époque oCrait pour ainsi dire un emblème de cette pensée qui embrassait à-la-fois les choses tes plus etevée* et les plus simples. Tandis que sa mèfe, qui vivait alors avec lui, se Kvrait activement aux travaux du ménage, soignant le feu de son poète, et faisant sa cuisine, Jean-Paul était assis dam un coin de la même chambre, devant un pupitre, avec peu ou point de livres, mais deux tirMM qui renfermaient des extraits ou des manuscrits. Le bruit produit par les occupations domestique ! ne sembtait nullement le troHMe), pas plus que le roucoulement dM pigeons qui voltigeaient dans cette chambre. Richter vécut ensuite dans de plus riches habi

t8

tations, il eut des grands seigneMS et des MMBts ttom— amis ; mais le doux souvenir de cette époque ne l’abandonna jamais. Il fut tonte sa vie le même homme solide, déterminé, et pourtant débonnaire et tolérant. M est bien rare qu’âne ai &pre eno-gte soit ainsi tempérée, que tant de Tfhémence s’allie A tant de douceur.

L’édition annoneée des’Bnwes de Richter doit former M : Mnte volumes. Ces muwes ne sont pas moins variées qu’étendae ! eUe ! embMMMt toutes sortes de sujeM, depui ! les plus hautes questions de phitoMphie et les descriptions poétiques tes plus p.M, oBnée~j))squ’attï ~~<<MW~’M~& <tt ! et aux instructions sur l’art </e <’<M<~n !  ! tr. Ses principales productions sont des romans La Loge invisible ~MteA<& ! M ~) ; L’avoine vage ( J~<) ; La Vie de Fhtein ; Le Ministre pendant le joMté (7~&em<M-) ; Le Voyage de Schmebte à Flatz Le Voyage de Katzemberger m Bain ; La Vie de Fibel ; avec plusieurs p : ece !  ! égè rM, et deux ouvrages d’un ordre plus élevé, ~eyMfnt< et r&<M, qui sont les plus volumineux et les meiHeaM de M9 remaM. Ce fut le pMtmer qui commença à lui concilier t’estime et l’admiration de ses concitoyen) il parut en.795 qaMt au dernier, Richter, d’accord en cela avec ses critiques, le regardait comme son ehef-d’œnw. Mais le nom

t9–

de romancier, comme en t’entend en Angleterre. rendrait mal la vaste et féconde eapadté de ce génie car, avec tout le désordre de ses grotesques phisan. teries, Richter est un écrivain TéritaMement pasMnné. et, ce qui étonnera davantage, d’un caractère noble et totennet. Rarement il écrit sans un dessein fort au-dessus de la portée des romanciers ordinaires. L’amusement est presque toujours un moyen pour lui, rarement onjamaB un but ; Ses peMée~, ses sentiments, les créations de son esprit. apparaissent à nos yeux sous des formes extraordinaires, en groupes nuancés de mille couleurs et toujours pleins de vie ; mais son caractère, quelque déguisement qu’il prenne, est celui d’un phitoMphe et d’un poète moral dont les méditations ont pour objet la nature humaine, et qui sympathise avec tout ce qu’il y a de beau, de tendre, et de mystérieMsemeat sublime dans le destin ou l’histoire de l’homme. Tel est le sens de ses écrit !, toit qu’il emploie la forme de la vérité ou celle de la fiction tel est l’esprit qui domine et ennoblit su descriptions de la vie commune, ses bizarres et fantasques rêveries, ses atiégories, ses plus obscure conceptions. non moins que ses recherches purement scienti’tqws.

Mais sous ce dernier rapport, Richter a égale’uon beaucoup produit. Sco ~ « foA<-<fM~ /’M/A~

« ~ est un ouvrage basé sur des principes d’une profondeur et d’une largeur peu ordinaires, plein de grandes vues, et qui, malgré ses nombreux écarts, se dMngue par une critique aussi dét.ee Que solide ; c’est un livre MtimÉ même m Alterna. me, où depuis long-temps la critique est deyenue une science par les travam d’écrivains tels que Winketm.nn, Kant, Herder et les Sdit~. Richter a également écrit sur l’éducation un ouvrage intimé t<~< W brillent démette, une grand, expérience en cette matière, des sentiment ! généreux, et un certain amour de nouveautés et de spéculations contenu toutefois daMdetMtes limites, le tout présenté dam ce singulier style qui caracténse t’homme. L’Allemagne abonde en ouvrages sur l’éducation ; on peut même dire que maintenant elle est plus riche à cet égard qu’aucune autre contrée là seulement on peut eM.K entendre quelque écho des Locke et des Mittc. parlant sur ce sujet dans le langage du siècle et MM perdre de vue les besoins, les avantages, les périls et les espérances de notre temps. Parmi ces écrivains, Richter occupe un rang éte~.peHt~trememetepK. mier rang. La C/<.w y&MaM est une co<npoi’t)ou burlesque, que nous foanaiMOM seutemeut pour ett avoir entendu parler ; mais tout en se moquant de Fichte, R « ’i » er a, dit-cn, le mérite de te cou. prendre, mérite qui paraît être très-rare parmi les commentateurs de Fichte. C’est encore avec regret que nous déclarons connaître seulement de réputation le Campaner Thal discours sur l’immortalité de l’ame, l’un des thèmes favoris de Richter, ou plutôt l’ame de toute sa philosophie, la lumière dont presque tous ses ouvrages nous offrent quelques rayons. La mort le surprit lorsque, venant d’être presque entièrement privé de la vue, il corrigeait et étendait ce Campaner Thal. Le manuscrit inachevé fut porté sur son cercueil jusqu’à sa demeure dernière, et l’hymne de Klopstock Aufstehen wirst der, « Élève-toi, mon âme, » n’a pu être jamais chantée avec plus d’à-propos que sur la tombe de Jean-Paul.


PENSÉES


DE


Jean-Paul.




Les formalités allemandes ressemblent aux habits longs qui soutiennent d’abord pendant quelque temps au-dessus de l’eau celui qui y tombe, mais qui t’entraînent ensuite au fond par leur pesanteur.


Si nos philosophes arrachent les pavés du temple de la vérité, c’est moins pour se préserver des bombes qu’on y lance, que pour se les jeter à la tête et casser les vitres.


Rien au monde de plus touchant que la vue d’une réconciliation. Nos faiblesses ne sont pas payées trop cher lorsqu’on nous les pardonne, et l’Ange incapable de ressentiment devrait porter envie à l’homme qui sait le vaincre. Lorsqu’on pardonne, celui qui a blessé notre cœur est semblable à ce ver marin qui perce les coquillages, et qui bouche ensuite avec des perles les trous qu’il y a faits.


Notre siècle a la vertu du diable, celle qui fait le tourment de ceux qui en ont aussi peu que lui.


Beaucoup d’hommes ressemblent au verre, si uni, si poli et si doux au toucher tant qu’on ne le froisse ni ne le brise, mais qui devient alors singulièrement tranchant, et dont tous les éclats blessent.


La vie d’un courtisan est, comme celle du chrétien, une prière constante pour obtenir quelque chose.


Le timide a peur avant le danger, le lâche au milieu du danger, le courageux après le danger.


Le plus grand calme peut seul imprimer aux femmes le type du beau moral ; c’est ainsi que les plus belles cristallisations ne doivent la régularité qui en fait le prix, qu’à rimmoMMté des corps qui concourent à leur formation.


La politique a beau se voiler à nos regards, elle montre au monde ses morts, ses champs de bataille, et ses fleuves dont le sang et les larmes marquent le coaM. C’est ainsi que les membres de la comrér : e des morts à Rome marchent MvêttM d’une longue robe blanche qui cache jusqu’à leur visage ; mais ils portent les cadavres à découvert, le soleil éclaire ces traits livides et ces yeux fermés pour toujours.


Les habitants du mont Parnasse s’inquiètent peu des lois du mont Sinai ; ils sont tous hétérodoxes, et ils lancent d’ingénieux sarcasmes contre les vieilles croyances jusqu’à ce que la harpe d’un Klopstock ait retenti sous leurs doigts. Ils n’aiment du pasteur du lieu que sa fille ; leurs épigrammes violent le huitième, et leurs autres poésies le sixième commandement ; ils ont presque autant de haine contre la police que contre la critique ; la nécessité leur fait adopterla mode anglaise ; ils s’habillent à la légère eux et leurs enfants, et montrent leur poitrine à découvert aussi bien que leur ceur, Iis ont recours aux dieux du paganisme pour đérober leurs vices aux peines de l’enfer ; ils font supporter au petit Amour les péchés du vieil Adam, et adressent leurs væux au diable sous la figure d’un faune.


Les peines d’un amour non partagé et les chagrins d’un divorce rappellent les dents qui nous causent de la douleur lorsqu’elles poussent et lorsqu’on les arrache.


La Providence a donné aux Français l’empire de la terre, aux Anglais celui de la mer, aux Allemands celui de l’air.


On entend plus communément dans le grand monde un écho qu’une réponse. Les jeunes filles surtout n’écoutent qu’elles-mêmes et ne voient que les autres.


Les femmes sont toujours malades, mais seulement des nerfs ; les plus sensibles sont les plus souffrantes ; les plus raisonnables ou les plus froides, celles qui se portent le mieux. Les seuls remèdes qui fassent plus de bien que de mal aux femmes sont les parures. D’après beaucoup de naturalistes, la mue des oiseaux prolonge leur vie ; il en est de même des femmes, qui ne cessent de se plaindre jusqu’à ce qu’elles aient un nouveau plumage. Il est difficile de prouver cette proposition par la thérapeutique, mais elle n’en est pas moins vraie ; et plus une femme est de haut rang, et par conséquent plus maladive, plus elle doit muer souvent, comme la salamandre des marais qui change de peau tous les cinq jours. Une écrevisse femelle qui a perdu son écaille se cache misérablement dam son trou.


L’amour est comme les oreilles-d’ours, qu’il faut semer sur la neige ; le froid lui est également favorable et le fait croître plus vite.


Les vêtements sont les armes de la beauté : elle les dépose ensuite après le combat, comme le soldat devant son vainqueur.


Les nouvelles amours sont à leur naissance comme les jeunes oiseaux, qui n’ont besoin d’abord que de chaleur et d’être couvés ; ce n’est que plus tard qu’il leur faut de la nourriture.


N’ordonnez pas à un enfant de garder un secret, serait-ce même une surprise que vous ménagez à un être chéri ! La discrétion, cette vertu héroïque, demande pour être exercée la force d’une raison plus mûre ; la raison seule enseigne à se taire, le cœur n’apprend qu’à parler.


Un ami est à-la-fois le soleil et le tournesol, il attire et il suit.


Le sceptre du mariage se montre aux yeux d’une jeune fiancée, comme la houlette d’un berger de Gessner. Mais a-t-elle vu quel usage le berger fait de sa houlette ? Il s’en sert pour jeter de la boue aux brebis et pour les chasser des mauvais pâturages.


La vie, comme l’eau de mer, ne s’adoucit qu’en relevant vers le ciel.


La vertu des femmes ressemble à un instrument à cordes ; on en jouit mieux dans la chambre. La vertu des hommes est un instrument à vent qui produit plus d’effet en plein air.


Lorsque le vieux Moïse voulut donner des lois sur le mont Sinaï, ? commença par jeûner. Nos législateurs modernes, au contraire, ont coutume de ne travailler à leurs codes qu’après avoir fait un bon repas.


La jeunesse aime la lumière, moins pour en être éclairée que pour y briller. Les yeux de l’enfant sont plutôt un ornement qu’un organe ; c’est ainsi que le papillon en porte sur ses ailes et le paon sur sa queue.


Le poète ressemble aux cordes de la lyre ; il devient invisible comme elles, lorsqu’il s’ébranle, et rend des sons mélodieux.


Le passé et l’avenir se voilent à nos regards ; mais l’un porte le voile des veuves, l’autre celui des vierges.


Sans bibliothèques la vie serait trop fade et trop insipide. La société la plus spirituelle n’est pas celle que les tailleurs, mais celle que les relieurs habillent.


Beaucoup de gens se laissent enlacer par l’érudition comme par un lierre desséchant.


Ne dites pas : Nous voulons souffrir, car vous le devez ; dites plutôt : Nous voulons agir, car vous n’y êtes pas obligés.


On éprouve les pierres précieuses par les miroirs ardents, les peuples par les conquérants.


Dans les grandes villes, un étranger commence par vivre à l’auberge et à ses dépens les premiers jours de son arrivée ; bientôt après il est hébergé chez ses amis. Lorsqu’on arrive dans ce monde, au contraire, on est défrayé pendant les premières années ; mais plus tard et bien long-temps, car cela dure quelquefois soixante ans, il faut, et j’en ai les preuves en mains, tout payer et au poids de l’or, comme si l’on se trouvait logé au grand Hôtel de l’Univers, ce qui n’est d’ailleurs que trop vrai.


Un esprit droit ressemble à une allée droite qui parait n’avoir que la moitié de la longueur qu’on lui donnerait si elle présentait des sinuosités.


Sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, l’influence des femmes alla si loin qu’elles allumèrent des guerres, semblables à ces serins apprivoisés et dressé a à faire partir de petits canons.


Les journaux renferment d’excellentes vérités au milieu des plus grossiers mensonges, ce sont quelques pièces d’or enveloppées de papier-monnaie.


De même qu’au mois de décembre la faim chasse les loups de leurs forêts, l’ennui fait quelquefois aussi descendre les grands des sommités du trône ; cependant c’est moins pour fuir leur ennui que pour en changer l’objet, car tel est l’unique but de leurs divertissements.


Pourquoi le soir, pourquoi la nuit attisent-ils en nous les feux de l’amour ? Serait-ce l’isolement du bruit du monde ou l’obscurité qui livrerait davantage notre ame à elle-même ? Le nom chéri tracé dans notre cœur en caractères phosphoriques ne brillerait-il qu’au milieu des ténèbres ?


On attire sur soi la haine dans les salons par des satires générales, car tout le monde peut s’en faire l’application, tandis que celles qui sont personnelles, on les regarde comme faisant partie des devoirs de la médisance, et on les pardonne volontiers, parce qu’on espère que leur auteur s’attaque plus aux individus qu’aux vices mêmes. Dans les livres, c’est tout le contraire, et sous ce rapport un auteur satirique est plus heureux qu’un médecin ; en effet, ce dernier compose-t-il avec quelque chaleur un ouvrage sur la pathologie, il ne peut décrire qu’un bien petit nombre de maladies que ses lecteurs ne croient avoir, pour peu qu’ils soient doués de quelque vivacité d’imagination. En dépeignant à un hypocondre l’état des personnes attaquées d’affections spasmodiques, il lui inocule leurs souffrances comme s’il le plaçait dans le même lit qu’elles ; et je suis fermement convaincu que peu de gens des classes supérieures peuvent lire une description frappante de certaine maladie honteuse sans s’imaginer aussitôt qu’ils en souffrent eux-mêmes. Telle est la faiblesse de leurs nerfs, telle est la puissance de leur imagination ! Un écrivain satirique, au contraire, peut se flatter de ne voir ment les lecteurs de ses descriptions des maladies morales, et de ses tables anatomiques des travers de l’esprit humain, s’en faire l’application. Qu’il peigne en toute liberté et gaité de cœur le despotisme, la faiblesse, l’orgueil ou la folie, et ne s’inquiète nullement que personne s’en juge atteint ; bien plus, je puis accuser le public tout entier ou toute l’Allemagne d’une léthargie intellectuelle, d’une atonie politique ou d’une indifférence dédaigneuse pour tout ce qui n’entre ni dans la bourse ni dans l’estomac, et j’ai l’intime persuasion qu’aucun de mes lecteurs ne se regardera comme au nombre des accusés.


L’homme aime avec plus de force et de constance les êtres supérieurs à lui que ceux qui lui sont inférieurs ; veut-on s’en convaincre ? il suffit de remarquer non seulement le penchant que tes libertins ont pour les femmes vertueuses, mais encore par analogie, le goût qui fait préférer aux singes nos femmes à leurs femelles. Le chien est également plus ami de l’homme que de sa propre espèce, et je m’imaginerais dificilement que le diable fût misanthrope.


Les génies poétiques sont dans leur jeunesse les renégats et les persécuteurs du bon goût, mais plus tard ils s’en font les prosélytes et les apôtres les plus zélés : l’âge calme peu à peu leur imagination brålante qui grossit ou diminue sans mesure les objets, il la polit et la façonne comme le verre d’une lunette, jusqu’à ce qu’elle ne leur représente la nature que sous tune grandeur double de la réalité, afin qu’ils puissent la saisir dans son ensemble et la peindre jusque dans ses détails. C’est ainsi que les hommes de génie qui ont commencé par être les ennemis des principes et les fléaux de la vertu, en deviennent ensuite les plus fermes soutiens, et servent souvent mieux leur cause que ceux dont la conduite et les sentiments avaient offert moins d’aberrations.


Que peut le soleil des sciences sur les gens du monde et du bon ton ? Produire le même effet que l’autre soleil sur les glaces du pôle, les argenter et les dorer de ses rayons, mais non les pénétrer.


Le critique n’emploie pas précisément sa plume pour écrire, mais pour rappeler à elles par l’odeur du roussi des personnes privées de sentiment ; il chatouille avec elle le gosier du plagiaire afin de produire sur lui l’effet de l’émétique ; il s’en sert comme d’un carènent pour lui nettoyer la bouche. De toute la nomenclature des savants, il est le seul qui ne puisse jamais s’épuiser ni déposer sa plume, dût-il demeurer un siècle entier assis devant son écritoire. Tandis que le philosophe et le poète traitent des sujets neufs, le critique ne tait qu’appliquer la routine de son jugement et de son goût à mille productions nouvelles.


Le cœur frappé du feu de l’enthousiasme devient étranger à tout sentiment terrestre ; il ressemble à ces lieux consacrés par la foudre, où les anciens n’osaient plus ni marcher ni bâtir.


Jetez des fleurs sur les dépouilles mortelles de votre jeune compagne, ô vierges dont elle égalait naguère la beauté : on parsème de fleurs le berceau de l’enfance, couvrez-en aujourd’hui son cercueil ; les joies de la mort doivent surpasser celles de la vie, le cercueil est le berceau du ciel.


Notre vie est semblable à une chambre obscure, les images d’un autre monde s’y retracent d’autant plus vivement qu’eue est plus sombre.


Heureux celui dont le cœur ne demande qu’un cœur, et qui ne désire de plus ni parc à l’anglaise, ni opera seria, ni musique de Mozart, ni tableaux de Raphaël, ni éclipse de lune, ni même un clair de lune, ni scènes de romans, ni leur accomplissement !


Plus on est faible, et plus on ment ; la force suit une ligne droite, les boulets creux décrivent une parabole.


L’on raconte à la louange du célèbre théologien Spener, qu’il adressait trois fois par jour des prières à Dieu pour ses amis ; on remarque avec une égale satisfaction que le courtisan prie chaque jour en faveur de ses amis son prince, qui est un dieu pour lui, afin d’en obtenir quelques graces.


De même que le système de la prédestination condamne quelques hommes à l’enfer avant leur naissance, qu’ils méritent ensuite ou non le ciel par leurs actions, ainsi une femme ne révoque jamais la haine qu’elle a vouée, lors même que le pays tout entier et le monde. Dieu, le temps, et les vertus de celui qui est devenu l’objet de son inimitié, protesteraient contre son jugement.


La laideur est une douleur qu’une femme conserve toute sa vie.


Quelques hommes sont aussi libres que Diogène, non quand il est dans son tonneau, mais lorsqu’il le porte.


Leibnitz attribue à la guerre de Trente ans l’introduction dans la langue allemande, de cette multitude d’expressions étrangères qui la rendent semblable à un régiment prussien, composé pour la plus grande partie des déserteurs de toutes les nations.


L’amour n’est pas seulement passager, la haine l’est encore ; ces deux sentiments meurent lorsqu’ils ne croissent plus.


Aimer ses ennemies, disent les femmes, c’est rendre visite à ses ennemies et prendre le thé avec elles. Tandis quel’homme recherche avec ardeur ceux qui peuvent s’associer à ses idées dans les sciences et dans la politique, et qu’il fuit ceux qui y sont opposés, les femmes, au contraire, fréquentent volontiers celles qui n’ont aucun attrait ni aucune bienveillance pour elles.


L’homme préfère son plaisir à son bonheur, celui dont la société lui est agréable à son bienfaiteur, des perroquets, des chiens et des singes à d’utiles bêtes de somme.


Les anciens cherchaient un remède à leurs infortunes dans la philosophie ou dans le christianisme. Les modernes au contraire, lorsque règne la terreur, se plongent dans les voluptés, semblables au buffle qui se roule dans la vase pour se guérir de ses blessures.


Le poète est, comme le père des Muses, éternellement jeune, et, ce que les autres hommes ne sont qu’une fois, amoureux tout le jour et pendant toute sa vie.


Peu importe le lieu que l’on choisisse pour son observatoire philosophique, que ce soit un tróne, ou Pégase, ou une cime des Alpes, ou un camp de César, ou un cercueil, il sera presque toujours plus élevé que la chaire du professeur.


Ceux qui redoutent les lumières comme un danger pour les peuples, ressemblent aux per- sonnes qui craignent que la foudre ne tombe sur une maison par les fenêtres, tandis qu’elle ne pénètre jamais à travers les carreaux, mais par leur encadrement de plomb ou par le trou des cheminées qui fument.


On n’a pas besoin de beaucoup moins que de tout pour être heureux et de beaucoup plus que de rien pour être malheureux.


La passion fait les meilleures observations et en tire les plus pitoyables conséquences ; c’est une lunette dont le champ est d’autant plus clair qu’il est plus rétréci.


Les femmes veulent seulement que l’on s’excuse auprès d’elles, peu leur importe comment.


Les jeunes gens ont une belle époque dans leur vie, celle où ils ne veulent d’aucun emploi, et les jeunes filles, celle où elles ne se soucient point de maris ; cependant tes uns et tes autres changent d’avis plus tard et finissent par s’y résigner, souvent même par s’en consoler ensemble.


Un homme que l’on interrompt peut plaisanter, mais il ne lui devient plus possible de rien démontrer : le Socrate de Platon, qui ne permettait à aucun sophiste de parler autant qu’il le voulait, était lui-même à cause de cela un sophiste. En Angleterre, où l’on tolère encore les systèmes le verre à la main, un homme : peut s’étendre comme une feuille de papier royal. En France, où l’esprit éclate en mille saillies, on doit être aussi laconique qu’un billet de visite. Le sage se tait cent fois devant les sots, parce qu’il a besoin de vingt-trois feuilles pour dire son opinion : les sots n’ont besoin que de quelques lignes ; leurs opinions ressemblent à des iles flottantes, et ne tiennent à rien, si ce n’est à leur vanité.


Comme les files bigarrées de Flore, les grands de la terre exposent leurs amours à tous les regards ; ils se marient comme les fleurs, sans se connaitre et sans s’aimer. Ils ne soignent guère davantage leurs enfants, seulement ils couvent leur postérité avec une chaleur artificielle, comme les poêles d’Égypte qui font éclore les poulets. Leur affection est semblable à ces plantes bizarres que la gelée dessine sur les vitres et qui se fondent à la chaleur.


La Julie de Jean-Jacques est comme toutes les Julies ou comme Rousseau lui-même ; elle commence par l’exaltation et finit par la dévotion, mais la chute est entre les deux.


L’amour, comme les hommes, meurt plus souvent de l’excès que du manque d’aliment. Il se nourrit de lui-même, mais il ressemble à ces plantes des Alpes qui vivent en absorbant l’humidité des nuages, et qui meurent lorsqu’on les arrose.


Il en est de la manie d’écrire comme de l’amour, on peut résister pendant dix ans aux tentations qu’on éprouve ; mais des qu’une étincelle a pu s’échapper, on brûle jusqu’à la fin.


Plus on se marie tard, et plus il devient difficile de se marier. Il est presque plus scabreux de marier un célibataire qu’une veuve, car celle-ci n’attend d’un homme que ce qu’il est réellement, et éprouve peut-être moins de crainte qu’elle n’en inspire. Le célibataire, au contraire, désire retrouver toutes ses anciennes amours concentrées dans les dernières c’est-à-dire s’il est raisonnable, car autrement il exigera que les dernières surpassent toutes les autres, et justifient ses infidélités passées et son choix déSnitiR Sans doute on pèche tous les jours dans une rivière, et seulement une fois en automne dans un étang ; aussi notre barbon s’écriera-t-il bien étonné, en maudissant son sort : Hélas ! je me suis donc enchaîné trop tôt !


La maladie travaille souvent elle-même à un livre ; une colique peut renverser tout l’échafaudage d’un optimiste ; un estomac embarrassé produit des déclamations brûlantes contre le luxe ; et l’âcreté du sang aiguise les traits de la satire.


Le mouvement de la vie est si rapide aujourd’hui, les années s’écoulent si vite, qu’à peine a-t-on le temps d’inscrire en passant son nom à la porte d’un libraire ou sur une pierre sépulcrale ; et de nos euvres et de nos vertus il est rare qu’il en reste plus que le nom.


Dans une grande ville, pour peu qu’on regarde aux fenêtres, on se sent entrainé vers la poésie épique ; dans un village, au contraire, on ne composera que des idylles ou des poésies lyriques.


L’air n’est jamais si corrompu que là où sa pureté est éprouvée par des prédicateurs ou par des chimistes.


Auprès du trône se trouve placée une lunette qui fait voir à la foule tes défauts et les vertus, tes peines et les plaisirs des princes beaucoup plus grands qu’ils ne les jugent eux-mêmes. Ces derniers, au contraire, possèdent de leur côté un miroir ou plutôt une chambre obscure, où se réfléchissent en petit les actions des hommes. C’est ainsi que le même lieu grossit à la fois et diminue tes objets.


Le fouet de la satire semble avoir cela de commun en Allemagne avec les verges, qu’il frappe vainement le dos des ignorants. Cependant il ne faudrait pas en tirer des conséquences contre futitité de la satire ; car, d’après l’opinion des théologiens qui, à les croire sur parole, ont déja été au ciel, toutes tes peines de l’enfer ne durent éternellement que parce qu’elles ne corrigent pas les damnés.


Je n’ai jamais vu de critiques plus vides et moins vraies, plus partiales et moins utiles, que celles des livres que j’avais lus auparavant ; mais, en revanche, quel mérite n’ai-je pas trouvé dans la critique des ouvrages que je ne connaissais pas encore !


L’enfant joyeux court sur un bâton, le vieil- lard morose se traine sur une béquille : quelle différence entre ces deux enfants ? l’espérance et le souvenir.


Tout flatteur rencontre aussi quelqu’un qui le flatte à sa tour. Le ver solitaire renferme en lui d’autres petits vers.


Les jeunes gens tombent à genoux devant leur maitresse, comme l’infanterie devant la cavalerie, pour la vaincre ou pour donner la mort.


Les grands hommes sont semblables aux montagnes dont le sommet est presque toujours environné de vapeur ; mais la vapeur vient de la vallée et non de la montagne.


Un bon médecin, s’il ne sauve pas toujours des dangers de la maladie, nous préserve du moins de celui d’un mauvais médecin.


Il n’y a que les courtisans et les enfants qui grandissent en rampant. Beaucoup de gens pleurent après les places et les reçoivent comme les nourrissons la mamelle, à force de crier. Quand ils sont parvenus aux plus hauts emplois, ils tirent encore leur mouchoir, et disent avec sensibilité : Quelles affaires ! mais le Seigneur m’en récompensera là-haut !


Si la guerre est véritablement une grande tragédie que la terre offre à Dieu et au diable, aucun poète n’en a suivi plus fidèlement les règles que Napoléon, et d’abord celle du temps, car il a métamorphosé les années en mois, seulement il a beaucoup manqué à l’unité des lieux.


Quelques états ressemblent aux tuyaux d’orgue ; on ne les fait d’abord si longs que pour les mettre d’accord en les rognant ensuite.


Un auteur devrait toujours changer de résidence, afin de mieux écrire ; car réellement l’on écrit mieux en changeant de place, ne fût-ce que celle de son pupitre, autrement on s’enfonce tellement dans ses idées, qu’on ne voit plus ni ciel, ni terre.


L’effet de l’optique fait quelquefois voir au navigateur la terre plus proche de quelques centaines de milles qu’elle ne l’est en effet, et remplit son cœur de joie et d’espérance par cette innocente déception.

Il en est de même à cet égard dans le monde moral que dans le monde physique ; les princes et les ministres ont l’art de consoler les. solliciteurs en leur présentant par une illusion d’optique les places et les emplois qui sont l’objet de leur ambition, plus près de quelques centaines de milles ou quelques mois avant qu’ils ne soient disposés à les leur accorder.


La différence qu’il y a entre un homme malheureux et un homme heureux est la même que cette qui existe entre celui qui a la fièvre tierce et celui qui a la fièvre quarte. Le premier n’a qu’un bon jour, le second en a deux.


Il est singulier que l’on accorde quelquefois aux autres la supériorité des talents, mais jamais cette des sentiments, et que l’on croie aux erreurs de sa raison et non à celles de son goût.


Il est rare qu’au retour d’un voyage un amant trouve que sa maîtresse ressemble encore au portrait qu’il en avait reçu avant son départ. L’homme veut que le cœur de la femme, immobile et stationnaire, lui reproduise tous les transports du dernier instant où il l’a quittée.


Celui qui prêche pour la première fois ne touche certainement aucun de ses auditeurs aussi vivement que lui-même, et devient son plus ardent prosélyte ; mais lorsqu’on a prêché la morale tous les jours pendant un grand nombre d’années, on doit y devenir insensible. C’est ainsi que les sources minérales d’Éger ont une vertu laxative pour les buveurs d’eau qui n’en font qu’un usage momentané, tandis qu’elles ne produisent plus aucun effet sur les gens du pays qui y sont habitués.


L’égoïsme, le libertinage et l’oisiveté ressemblent à des éponges suspendues par le Destin parmi les hautes classes ; placées plus bas[1], le frottement les eût bientôt épuisées. Ceci me rappelle la prévoyance de ces marins qui vont chercher en Perse l’assa fœtida, et qui l’attachent toujours aux sommités des mâts, de peur que son odeur n’infecte tout le navire et le reste de leur cargaison.


Les esprits ont besoin de liberté, mais non d’égalité.


Le dernier degré de la végétation dans les plantes est, suivant Bonnet, celui de l’endurcissement. Chez les peuples, au contraire, c’est celui de l’amollissement.


Ce qui rend la vieillesse morose, ce n’est pas la perte de ses joies, mais celle de ses espérances.


Personne n’est plus souvent trompé que la conscience, sans en excepter les femmes, ni les princes.


Le courage contre les femmes n’est point un don naturel, c’est une force acquise.


Le souvenir se rattache au présent, comme l’odorat au goût.


La poésie nous métamorphose comme au jour du jugement, en nous glorifiant sans nous changer.


Le monde des esprits n’est qu’une partie de notre monde intérieur ; le moi ne redoute que le moi.


L’amour commence par les yeux, comme l’art du dessin.


Le cœur est bientôt las de la vie ; il n’en est pas de même de l’intelligence, car elle trouve l’infini dans le savoir qui cherche la vie, Plus tard l’estomac prend la place du cœur, et on désire vivre longuement.


Abeille, pourquoi as-tu formé ta cire ? était-ce pour en faire des masques ou des bougies, pour voiler ou pour éclairer ?

— Non, répondit l’abeille, je voulais seulement en fabriquer des cellules pour déposer mon miel ; mais adressez-vous au poète.

-Moi aussi, répondit ce dernier, je ne veux ni tromper, ni détromper, je ne veux qu’adoucir.


« Respecte mes chênes sacrés, disait une dryade à un vizir, sinon je te punirai sévèrement. » Elle tomba cependant la forêt sacrée. Bien des années après, le vizir fut condamné à perdre la tête ; avant de la poser sur le billot, il l’examina avec attention. « Le billot est de chêne ! » s’écria-t-il, et sa tête tomba.


Tout ce qui est du domaine de la science cela même d’être de celui du sentiment. Les injures qui troublent un homme d’honneur et font bouillir son sang, ne sont aux yeux du légiste qu’un feuillet ou une glose à ajouter au titre des injures. Le médecin d’hôpital répète auprès du lit du malade dont le pouls est agité par le feu de la fièvre, de son cours de clinique qui s’y appliquent. L’officier qui foule des lambeaux de chair humaine en parcourant le champ de bataille, ne pense qu’aux évolutions et aux quarts de conversion de l’école qui ont été nécessaires pour tailler méthodiquement en pièces des générations tout entières. Le peintre de bataille qui le suit examine à la vérité les cadavres mutilés qui gisent à ses pieds et chacune de leurs blessures ; mais il se propose de tout copier d’après nature pour la galerie de Dusseldorf, et son tableau réveillera chez les autres et même en lui pour première fois de véritables sentiments d’humanité : c’est ainsi que chaque science re couvre notre ceur d’une croûte de pierre, la philosophie n’est pas la seule à produire cet effet.


O musique, écho d’un autre monde, soupir d’un ange qui réside en nous, lorsque la parole est sans puissance, lorsque tous les sentiments sont muets dans nos cœurs, toi seule es la voix par laquelle les hommes s’appellent du fond de leur prison, c’est toi qui fais cesser leur isolement et réunis les soupirs qu’ils poussent dans la solitude.


Le plus noble amour n’est en même temps que le respect le plus constant ; il se manifeste moins par les actions que lon fait que par celles dont on s’abstient ; il se deviné réciproquement ; il ébranle à la fois deux amès et fait vibrer en elles les mêmes cordes par une impulsion simultanée ; il enflamme d’une nouvelle ardeur les sentiments les plus élevés ; il est toujours prêt à faire des sacrifices, jamais à en recevoir ; il ne diminue en rien l’attrait que nous avons pour l’autre sexe, mais il le concentre sur un seul et même objet : l’amour, dis-je, est un respect qui peut se passer des serrements de mains ou des plus tendres baisers, mais non des actions vertueuses ; un culte enfin qui peut être méconnu de la plus grande partie des hommes, mais qui doit être sacré pour le plus petit nombre. Une incontestable du véritable amour, c’est qu’il est d’autant plus grand qu’il excite plus d’intérêt parmi ceux qui le contemplent.


Embrassez— vous étroitement, infortunés ; pressez vos ceurs gonflés l’un contre l’autre, jusqu’à ce que vous ayez versé vos dernières larmes ; oubliez le ciel et la terre, et prolongez cette céleste étreinte, Ah ! sitôt que vous serez séparés, cette vie épuisée n’a plus rien qui puisse vous attacher, elle n’a plus rien à vous offrir que le commencement d’une nouvelle existence.


Ottomar a toujours l’air d’un homme qui pense à un objet éloigné et qui maintenant ne semble que se reposer. S’il cueille les fleurs de la joie suspendues autour de lui, d’est que sa barque en fuyant les effleure et non qu’il les désire. Son langage muet est expressif, et ses yeux ont contemplé la mort, Il est toujours un zahuri[2] dont le regard plongeant à travers les prairies émaillées, perce les entrailles de la terre et y découvre les morts immobiles. Ottomar est à la fois si doux et si violent, vif et si mélancolique, si obligeant, si naturel et si indépendant. Il assurait que la plupart des vices viennent de la crainte des vices, que la crainte de mal agir nous empéche de rien faire et nous ôte le courage nécessaire aux grandes choses. Nous aurions, disait-il, trop de philanthropie pour avoir de l’honneur. L’amour des hommes et l’indulgence que nous leur montrons nous empêcheraient d’être sincères et justes ; nous ne confondons trompeurs, nous ne renversons pas les tyrans.


Un peuple en châtie un autre, mais bientôt, coupable à son tour, il est châtié par un troisième, et ainsi de suite. Les Romains châtièrent les Grecs, les Allemands les Romains, le temps châtie les Allemands, et l’éternité le temps.


Liberté, où fais-tu retentir plus vivement tes divins accents ? Ce n’est point au milieu de la prospérité des nations, ni pendant leur vieillesse, mais seulement dans leur sobre et fra. gale adolescence. Ainsi l’oiseau module att printemps ses ehants les plus harmonieux sur les branches encore à demi dépouillées, tandis qu’en automne il reste silencieux et mélancolique sur les rameaux chargés de fruits, et soupire après le printemps.


Notre activité sans but, nos mouvements dans l’espace, doivent paraître à des êtres supérieurs, comme ces étreintes des mourants qui saisissent leur couverture.


L’esprit se réveille et demeure éveillé lors- que la lumière des sens s’obscurcit, de même que quelques personnes dont le sommeil est interrompu dès que leur lampe de nuit s’éteint.


Le ciel et la terre ont tant d’étendue, pourquoi donc l’esprit de l’homme serait-il si borné ?


La richesse est plus contraire aux talents que la pauvreté : combien de grands génies enterrés sous des millions ou sous des trônes !


Les hommes, comme les navets, doivent étre clair-semés pour se bien développer. Les hommes et les arbres trop rapprochés ont à la vérité une tige plus élancée, mais ils manquent de fixité, ils ne portent point de si belles couronnes, ni un si beau feuillage que les arbres en plein vent.


La verve poétique n’est pas toujours au commandement de l’écrivain, et le génie tombe presque aussi souvent en défaillance que les femmes.


Après la force, rien n’est plus beau que de savoir en réprimer l’énergie. L’homme intérieur est, d’après l’ingénieuse fiction de Platon, divisé en homme et en femme ; mais la perfection consiste dans la réunion de la puissance et de la douceur ; l’amour donne de la force, celle-ci de l’amour, mais l’amour bien davantage.


Des enfants, une épouse, sont tes racines verticales et horizontales qui nous attachent et nous fixent sur la terre.


L’auteur d’un livre sur le mariage, dit qu’une femme qui ne parle pas manque d’esprit ; cependant il est plus facile de louer cette opinion que de ta partager. Les femmes tes plus spirituelles ne sont souvent muettes qu’avec les femmes, et celles qui sont les plus sottes et les plus taciturnes, ne sont souvent telles qu’avec tes hommes. En générât on peut faire à l’égard des femmes la même observation qu’à regard des hommes, celles qui pensent le plus parlent le moins ; de même que les grenouilles, qui cessent teuM coasse. ments si t’en place une lumière sur le bord de leurs marais. On peut d’auteurs attribuer le silence des femmes à leurs travaux sédentaires ; tes ouvriers sédentaires tels que les tailleurs, les cordonniers, etc., non seulement sont généralement hypocondres, mais communément taciturnes ; les singes ne parlent pas, disent les sauvages, de peur de travailler, mais beaucoup de femmes parlent deux fois davantage, précisément parce qu’elles travaillent.


Je voudrais bien savoir si, être heureux par les passions, est autre chose que se chauffer à un miroir ardent.


On demande conseil le plus communément, non qu’on ignore ce qu’on doit faire, mais parce qu’on le fait avec peine et que l’on es- père que le conseiller viendra au secours de notre penchant en souffrance.


Pour récompenser l’illustre Montesquieu du plaisir que lui avait causé l’Esprit des Lois, Benoit XIV lui accorda, dit-on, ainsi qu’à sa famille, le privilége bonorable de faire gras tous les vendredis. Je connais beaucoup de nos écrivains qui, toujours plus avides de profit que de renommée, demanderaient volontiers au pape, non seulement la permission de manger de la chair, mais encore la chair elle-méme.


Ce n’est point l’amour malheureux, mais seulement l’amour heureux qui rend les bons meilleurs.


Si chaque soir je décrivais le lever du soleil et que je le visse chaque matin, je m’écrierais comme les enfants : Encore, encore !


Les hommes ne trahissent jamais plus facilement ni plus fortement leurs projets que lorsqu’ils échouent.


L’homme vide de pensées qui n’a jamais sacrifié son estomac à son cerveau, qui n’a jamais employé l’intensité de ses facultés au développement d’une idée profonde, est le portrait vivant de la santé ; ne cherchez pas sur son visage l’empreinte du génie, vous n’y trouverez point ses ravages. Son cerveau n’est point unt atelier de ponsées, mais il n’enfante point de peinesį aticūnê itiquiétudé n’é påissit aon sang et fnë tend sa tétë semblabte à une ville éapitale, qui attire à elle toutes les forces du corps politique. Son émbonpoint ne nous offre pas un aspect mélancolique, mais respire un air de bien-être et de prospérité. Quel contraste si vous vous représentez à sa place un penseur dont l’ame se montre partout, et auquel on désirerait un corps ou du moins un meilleur que celui qui obéit à l’impulsion de son génie, et qui par son apparence immatérielle semble approcher de sa dissolution !


Se nourrir de la vie des grands hommes, c’est comme si l’on vivait avec eux, et les bio- graphies de Plutarque font plus d’effet que tous les Compendium de philosophie morale. Particulièrement pour les enfants, il n’y a point d’autre morale que les exemples qu’on leur raconte ou qu’on leur met sous les yeux ; et c’est une folie pédantesque de croire que par des principes on ne leur donnera pas seulement ces principes, mais encore la volonté et la force nécessaires pour s’y conformer dans leurs actions.


On n’apprend jamais mieux à se taire qu’avec les indiscrets, ni à jaser qu’avec les mystérieux.


Si la connaissance de soi-même est le chemin qui conduit à la vertu, la vertu est bien plus véritablement le chemin qui conduit à la connaissance de soi-même.


Celui qui a reçu de nombreux bienfaits, cesse de les compter et commence à les apprécier.


Peut-itre est-il à craindre après un temps où les canons frappaient les heures, où brillaient les glaives, qu’un prince croie prendre e meilleur parti pour lui et pour son peuple, en organisant un état de guerre perpétuel, en appelant tous ses sujets sous les drapeaux, en convertissant tous les colléges en écoles militaires et en salles d’armes, de sorte qu’enfin la charrue et la plume, et tout l’attirail des muses, ne deviennent que les moteurs et lea ressorts d’une immense machine de guerre, et que lui-même ressemble au Grand-Seigneur, dont le couronnement se borne, comme tout le monde sait, à ceindre un sabre. Le prince qui penserait ainsi, devrait souhaiter et faire naitre une guerre éternelle, pour atteindre le but qu’il se propose par ces moyens et pour en doubler le nombre.


L’homme, surtout celui qui a le teint fleuri, prend si facilement le repentir pour la vertu, les résolutions pour les actions, les fleurs pour les fruits, Cest ainsi qu’aux branches dépouillées du figuier, on voit pousser des apparences de fruits qui ne sont encore que les enveloppes des fleurs.


La véritable modestie n’est pas tant celle que l’on conserve au milieu des éloges, que celle qui demeure impassible devant les attaques de la malveillance.


Les plus grands poètes furent toujours les plus chastes. Quel est le peuple qui a produit jusqu’ici les poésies les plus licencieuses ? celui chez lequel presque aucunes autres ne réussissent, le peuple français : aussi Voltaire n’a été poète[3] qu’une fois, et c’est dans la Pucelle. Rome, moins poétique et plus corrompue qu’Athènes, n’a vu naitre les productions les plus dégoûtantes qu’au milieu de la décadence des mœurs et de la poésie, et aux derniers jours de l’empire qui s’écroulait. On peut comparer l’immoralité littéraire au sublimé d’arsenic, qui donne plus d’éclat aux couleurs, mais qui dévore la trame des étoffes et empoisonne ceux qui les portent.


Génie de l’amour, tu m’inspires toujours une vénération profonde dans quelque langue que tes sentiments s’expriment, qu’ils empruntent la bouche d’un mourant ou la voix céleste d’un ange. Je ne te méconnaitrai jamais, soit que tu habites dans une étroite vallée de Alpes, ou sous l’humble toit d’une cabane écossaise, ou au milieu de l’éclat du monde ; soit que tu apportes aux hommes un printemps éternel, de sublimes erreurs ou l’accomplissement d’un væu modeste, ou que tu leur enlèves tout, tout ce qu’ils possèdent !


L’homme pervers éprouve plus de joie que l’homme vertueux d’une bonne action qu’on lui a arrachée.


Si la proposition suivante est vraie, interna non curat prœtor, c’est-à-dire, en traduisant littéralement, qu’une femme veut savoir avant tout quel est l’extérieur d’un homme ; j’en déduis la conséquence qu’un panache sur sa téte a plus de prix à des yeux féminins que tout un paquet de doctes plumes derrière son oreille.


L’homme a presque autant de reproches à se faire s’il est triste que s’il est vicieux ; parce qu’au milieu de l’océan de ses pensées, il peut se créer. un enfer ou un paradis, et mériter ensuite ce qu’il produit lui-même.


De petites maximes immorales suffisent pour anéantir l’amour le plus pur. Comment pourrait-il trouver du repos et de l’harmonie dans un ceur corrompu ?


Une grande activité appliquée à des objets sérieux, finit toujours par nous réconcilier avec la vie.


Les femmes aiment la force sans l’imiter ; les hommes, la tendresse sans la payer de retour.


Les grands ne s’occupent guère plus de leur progéniture que les fourmis. Celles-ci ont à peine déposé leurs eufs, que måles et femelles s’éloignent et les abandonnent aux soins des fourmis travailleuses.


Nos principes grandissent loin des hommes, nos actions se développent au milieu d’eux. Les théories solitaires se murissent hors de la cloche du savoir, et s’appliquent à l’avantage de la société. Parmi les hommes, on ne peut devenir meilleur, si l’on n’était déja bon auparavant.


Le siècle tout entier est une course à de grands buts avec de petits hommes.


La lecture ne donne que de la nourriture à l’esprit ; ce n’est qu’en écrivant qu’il acquiert de l’exercice et de la force.


Il semble qu’on restreigne les aliments à ceux qui veulent monter les coursiers des muses, de même qu’aux jockeis anglais, afin de les rendre plus légers et de les faire courir plus vite.


Les personnes qui ont le talent de toucher les autres, n’ont malheureusement que trop souvent aussi celui de ne rien sentir elles-mêmes.


Les ames élevées ne peuvent entendre même de la bouche des gens les plus méprisables, ces mots : amitié, sensibilité, vertu, sans y attacher aussitôt toute la graudeur dont leur cœur est susceptible.


Rien de plus dangereux que de réconcilier deux personnes, à moins que l’on ne soit soi- même l’une des deux ; les brouiller est beau- coup plus facile et plus súr.


Tous les sentiments affectueux croissent, comme les plantes, plus rapidement et s’élèvent plus haut lorsqu’un vent dorage souffle sur ce monde.


Ce n’est que dans un siècle comme le notre, où l’on croit à tous les sentiments, excepté à l’honneur, que l’on peut fouler aux pieds celui d’une femme, qui ne consiste que dans la chasteté, et couper, comme les sauvages, l’arbre à la racine pour en enlever le fruit, Ravir l’honneur à une femme est la même chose que ravir l’honneur à un homme, c’est-à-dire que vous brisez son épée, que vous lui arrachez l’éperon, que vous déchirez ses lettres de noblesse et renversez son arbre généalogique, enfin, que vous remplissez l’office de bourreau envers une malheureuse créature qui n’a commis d’autre crime que de trop aimer ce bourreau, et de n’avoir pas su réprimer l’essor de son imagination. Quelle horreur ! et des victimes semblables sur lesquelles la main de l’homme imprime la marque de l’infamie, il en existe dans les rues de Vienne plus de deux mille, dans celles de Paris plus de trente mille, et dans elles de Londres plus de cinquante mille !.O crime !.. ange de la mort, ne compte pas les larmes que notre sexe fait répandre aux femmes et fait conter encore bruantes sur leurs faibles ceurs ! ne mesure pas les soupirs et les angoisses au milieu desquels expirent les filles de joie, et qu’ont bientôt oubliés les amants endurcis du plaisir, empressés de courir auprès d’une couche qui n’est point celle de la mort.

O sexe doux et fidèle, mais faible, pourquoi toutes les facultés de ton ame sont-elles si entrainantes et si puissantes qu’elles font pâlir et fuir ta raison ? Pourquoi portes-tu dans ton ceur un respect si profond pour un sexe quí n’épargne pas le tien. O femmes, plus vous embellissez votre anie, plus vous donnez de graces à votre corps, plus l’amour règne dans vos cacurs et respire dans vos yeux ; płus vous empruntez les charmes des anges, et plas nous recherchons ces anges pour les perdre et les chasser du ciel ; et c’est précisément dans le siècle où vous étes plus belles et plus séduisantes, que tous les écrivains, les artistes et les grands de la terre se réunissent autour de vous comme une forêt d’arbres empoisonnés, au milieu desquels vous devez périr, et nous nous estimons davantage en raison du nombre des sources et des coupes de poison que nous présentons à vos lèvres.


Il y a des gens qui n’ont jamais l’air aussi dur, ni plus de disposition à l’être, qu’au moment de leur plus grand attendrissement, tels que la neige qui se durcit encore un peu avant le dégel.


Avant de choisir le nom d’un mauvais prince qui doit figurer dans mon ouvrage, je parcours le catalogue de tous ceux qui ont gouverné ou qui se sont laissé gouverner, afin de ne me servir d’aucun nom déja illustré auparavant. C’est ainsi qu’à Otahiti, lors de l’avénement d’un roi, on raie de la langue, pour les remplacer par d’autres, tous les mots qui ont une consonnance avec le nom de la nouvelle majesté.


Ce n’est point la raison (c’est-à-dire la conscience) qui nous rend bons. Elle n’est que ce bras indicateur qui nous montre le chemin de la vertu, mais elle ne peut nous y porter et encore moins nous y contraindre. La raison a une puissance législative, mais von exécutive. La force d’exécuter ses ordres et la force plus grande nécessaire pour s’y soumettre est une seconde conscience. De même Kant ne peut exprimer avec sa plume ce qui rend l’homme mauvais, on ne peut également dire ce qui soutient son ceur au milieu de la fange morale et l’élève au-dessus.


Un amant seul peut sympathiser avec l’ivresse de deux nouveaux époux.


Tous les sentiments ont cela de particulier, que l’on croit les éprouver seul ; c’est ainsi que le jeune homme regarde l’amour qu’il ressent comme un météore qui ne brille que pour lui. Mais l’on rencontre en tous lieux de belles ames qui se reposent dans le sein de la nature, qui respectent les rêves de l’amour, même lorsqu’elles sont réveillées des leurs ; qui, environnées d’hommes grossiers devant lesquels elles doivent cacher leurs rêveries sur la seconde vie ou leurs larmes sur la première, répandent plus de bonheur autour d’elles qu’elles n’en reçoivent.


La vie de l’homme est-elle donc si longue, qu’il puisse se livrer à ses ressentiments ? Le nombre des bons est-il donc si grand qu’ils puissent se fuir les uns les autres ?


Les montagnes et les forêts qui s’élèvent entre nous et un être chéri, les murs qui le renferment dans leur enceinte, ont pour nous un charme bien touchant, et se présentent à nos regards comme un voile sacré qui nous dérobe l’avenir et le passé.


L’humanité[4] sans doute vient de se réveiller : je ne sais cependant si c’est dans un lit ou dans un tombeau, car elle est encore gisante comme un cadavre, le visage tourné contre terre.


On devrait égrener et presser avec soin chaque grappe de vendange, car elle ne repoussera plus. Les fêtes de la joie ne sont que des fêtes mobiles ; les moments d’enthousiasme du ceur ne sont que des poésies de circonstances qui ne doivent plus se renouveler ; et, dans l’opera seria de la vie, il est défendu sur l’affiche de faire répéter les airs de bravoure.


De quels fils bizarres est souvent tissue la trame des affections ! J’ai vu un homme ne s’intéresser à un autre que parce que celui-ci avait louë le nom de son chien, ou que tous deux avaient le goût des mêmes mets ou des mêmes vins, ou le mente tailleur enfin, les plus petites ressemblances, qui n’ont souvent d’autre cause que le hasard ou les goûts les plus matériels, rapprochent quelquefois les hommes et tes unissent plus étroitement que les principaux traits de leurs caractères.


Un homme est-il bien convaincu qu’il doit réserver son courage pour une occasion importante, il ne cherche plus à en faire parade devant les autres.


Au lit de mort et après une belle action, il est facile à l’homme, et c’est même un besoin pour lui de tout pardonner.


La danse est pour le monde féminin, comme le jeu pour le grand monde, une agréable diversion à des conversations souvent languissantes et quelquefois dangereuses. La danse mêle les hommes comme les cartes ; l’atmosphère musicale les enveloppe, et sotumet aux lois de l’harmonie la foule ivre de plaisir. Tant de personnes réunies dans un but si joyeux, éblouies de l’éclat des lumières, exaltées par l’émotion de leurs cœurs palpitants, devaient boire à la coupe de la joie que Gustave épuisa ce soir, car le tumulte extérieur faisait une telle impression sur son ame, que la musique semblait s’en etre emparée tout entière, et, y concentrant toute son intensité, ne plus faire que retentir au-dehors. En vérité, quand on repose ses idées sur des lustres étincelants, elles se réfléchissent sous un autre jour que lorsqu’on les attache sur une lampe économique. Dans les régions de l’imagination, comme dans les pays chauds ou sur les hautes montagnes, tous les extrêmes semblent se toucher.


Lorsqu’un homme dit, surtout à une femme : vous êtes maussade ou bien vous êtes en colère, ce reproche fût-il même injuste, deviendra certainement mérité ; rien, en effet, de plus facile que de devenir ce qu’on nous juge.


Temps de désolation où la vérité, la liberté, la joie, la douleur même étaient muettes, et où ne résonnaient que le bruit des canons et le fracas de la guerre. Les pics et les mers de glace nous en offrent l’image : le monde y reste muet ; et au milieu de la mort qui règne au loin, on n’entend ni le murmure des feuil- les, ni le chant des oiseaux, ni le souffle des vents ; seulement, par intervalle, l’avalanche et le craquement des neiges interrompent le silence du désert.


Les parents et les instituteurs de la jeunesse n’expriment que difficilement leur contentement et leur affection devant les enfants ; de mėme que ceux-ci, en grandissant, éprouvent une certaine timidité qui les empêche de montrer à leurs parents toute leur tendresse. Les maris croient également assez louer leurs femmes par leur silence, et témoigner suffisamment leur amour en le renfermant en eux-mêmes. Cependant, qu’ils ne dédaignent pas de manifester leur approbation et leur affection, qu’ils sachent trouver un langage pour les rendre : autrement il se rencontrera, et en assez grand nombre, des amis ou des amies auxquels les paroles ne manqueront pas ; et alors, messieurs les maris, vous ferez bien disparate !


L’école la plus nécessaire pour les enfants est celle de la patience ; la volonté doit être brisée dans la jeunesse, ou elle brisera le cœur dans l’âge mûr.


Les têtes grises se cachent volontiers avant de disparaître, et cherchent, comme les oiseaux, à mourir dans l’obscurité.


La chute des peuples diffère de celle de l’homme, dont les restes se consument sur le lieu même où il meurt ; elle ressemble plutôt aux cataractes des fleuves, dont les eaux retombent à la vérité en poussière, mais qui se réunissent ensuite dans un nouveau lit et prennent un autre cours.


Les tyrans veulent effacer l’oppression par une plus grande encore, et chasser les larmes par les larmes ; mais les larmes des peuples tombent comme les gouttes d’eau dans les cavernes, elles se réunissent et se pétrifient en colonnes acérées et menaçantes.


Les ames des femmes reasembtent aux paons : pour tes conserver sans souillure, il faut les loger dans des habitations bien blanchies. Celles des hommes, au contraire, resteraient pures même dans la cage aux canards.


Les paroles froides échappées à t’amour et à l’amitié, ressemblent à la neige printanière qui se fond bientôt et se convertit en une brillante rosée. Les expressions de la haine sont comme la neige d’automne qui présage les glaces de l’hiver.


Toute époque est sous l’empire du présent et du passé. C’est ainsi que les premiers habitants des iles Canaries avaient toujours deux rois, le dernier mort et le régnant. Cependant te présent est souvent en souffrance, tel que te plongeur qui va chercher péniblement les perles qui serviront un jour de pannv. Mais le présent lui-même n’emprunte-t-il pas aussi son éclat au passé ?


Herder et Schiller voulurent se faire chirurgiens dans leur jeunesse, mais le Destin le leur défendit : « Il existe, leur dit-il, des blessures plus profondes que celles du corps : » et tous deux écrivirent.


C’est au jour de leur couronnement et à celui de leur mort que les peuples admirent et louent davantage les souverains, Les monarques sont comparables au soleil, il brille plus à son lever et à son coucher qu’au milieu de son cours ; et tandis qu’il répand sur la terre sa lumière la plus féconde, il parait plus petit à ses habitants.


La vertu par elle-méme ne donne aucume consolation, lorsqu’on a perdu un ami ; et le cour de l’homme blessé par l’amitié continue toujours á saigner cruellement, sans que le génie de l’amour puisse le guérir.


Lorsque deux personnes qui aiment, se rencontrent au milieu des mêmes émotions, c’est alors qu’elles apprécient pour la première fois le ceur de l’homme, son amour et son bonheur !


Les gouttes d’eau tombent mollement sur les montagnes ; elles pénètrent la voûte des grottes, se durcissent bientôt, et y demeurent éternellement suspendues comme des lames tranchantes et dentelées. Les larmes de l’homme sont plus belles, elles traversent læit qu’elles blessent, le diamant humide s’amollit enfin, l’œil le suit de ses regards, c’est la rosée sur une fleur.


Le calme et l’indifférence n’ont quelque prix qu’autant qu’on les a chèrement acquis. L’homme doit être tout à-la-fois susceptible de ressentir les passions et capable de les réprimer. Les débordements de la volonté ressemblent à ceux des fleuves, qui encombrent de vase tous les puits pendant quelque temps : mais supprimez les fleuves, les puits tariront.


On pardonne plus facilement, à la cour, la brusquerie dans les actions que dans les paroles.


Sacrifier sa santé à la sagesse est presque toujours renoncer à la sagesse. Ce sont les souffrances que nous portons en nous, et non celles que nous nous sommes attirées, qui peuvent être utiles au ceur et à l’esprit.


C’est lorsqu’on se trouve au milieu de gens grossiers que l’on apprend à faire cas des gens trop délicats et qui ont des manières recherchées.


Les hommes et les livres ont besoin d’être corrigés plus d’une fois, pour pouvoir se passer d’errata.


Quelque faible que soit un choc, s’il est continuellement répété, il ébranlera l’homme le plus fort bien plus sûrement qu’un seut coup, quoique très-violent. Nous sommes placés ici-bas si près de l’horloge du temps, que nous pouvons la voir marcher : aussi une bagatelle, dès qu’elle occupe beaucoup de moments, a-t-elle pour nous tant d’importance ; aussi notre courte vie, qui, comme notre ame dépeinte dans l’Orbis pictus, consiste dans une continuité de points noirs et or, nous parait-elle si longue ; aussi la tristesse est-elle toujours si voisine de la joie !


L’homme ne fait que passer sur cette terre : son arbre généalogique est si caduc. Pour- quoi donc tant de différence entre un nom de famille et un nom de baptême ?


Il en est des comparaisons et des ressemblances comme des pièces d’or ; dont Rousseau a dit, que la première était plus difficile à gagner que les mille qui suivent.


Sur les bords de l’éternel Océan, l’homme, comme les autres fleuves, veut s’y précipiter avec toutes ses richesses.


Une petite ville est semblable à une grande maison, les rues n’en sont que les escaliers.


Le soleil fait éclore un grand nombre de fleurs, une seule se dirige constamment vers lui. O mon cœur ! sois comme le tournesol, n’appartiens pas seulement à Dieu, mais obéis-lui toujours.


Quelque différence qui existe entre les princes, les cours se ressemblent toujours ainsi que les courtisans.


Rose pâle, le soleil t’a donné tes cou- leurs, ses ardeurs te les enlèvent : tu es semblable à nous. Lorsque Dieu, qui colare les joues de l’homme, s’approche de lui davantage et l’enflamme de ses rayons célestes, il pålit aussi, et c’est pour lui la mort ou l’enivrement.


La jeunesse pleure, l’âge mûr pleure encore ; mais ici c’est la rosée du matin, là c’est la rosée du soir. C’est ainsi que le jeune homme sait apprécier des larmes versées par de beaux yeux. Mais lorsque la chaleur du jour a desséché la rosée du matin et flétri les fleurs, lorsque le jeune homme est devenu vieillard, il s’écrie : « Sans doute la rosée du soir est froide, et se prolonge pendant une nuit obscure ; mais elle a aussi son soleil, et il brille également. »


Infortuné, tu portes la couronne d’épines sur ton front sanglant ; cependant des roses éternelles fleurissent dans ton sein !


Le fruit de l’ananas mûrit toujours entre deux chardons : le présent, au contraire, mûrit toujours entre deux ananas, le souvenir et l’espérance.


Un ceur plein d’amour peut tout pardonner, même la dureté envers lui ; mais non la dureté envers les autres.


La révolution a été une guerre civile intellectuelle dans toute l’Europe.


Les actions seules donnent de la force à la vie ; la modération seule en fait le charme.


Lorsque nous considérons le ciel, nous nous croyons toujours au centre ; mais, par rapport à notre ciel intérieur, nous nous croyons toujours à l’horizon, soit que nous regardions avec joie du còté du levant, ou que nous contemplions le couchant avec angoisse.


Tous les hommes portent des morts ou des mortels dans leurs cœurs.


Le ravissement du bonheur nous cause une impression semblable à celle de la douleur : l’homme pålit alors et tombe dans une sorte de léthargie ; mais son ame est remplie des songes d’un meilleur avenir.


Excellente nature, tu sympathises plus souvent avec les bons qu’ils ne sympathisent entre eux.


Les principes croissent loin des hommes, et les actions parmi eux. Dans une solitude inactive on se múrit à une activité sociale ; et parmi les hommes on ne devient pas meilleur, si l’on ne se présente déja bon au milieu d’eux.


Peu d’hommes savent comprendre jusqu’à quel point la nature harmonise avec notre ame. Ils paraissent ignorer que l’univers, immobile et semblable à une harpe éolienne, dont les vibrations sont plus ou moins rapides, reçoit l’impulsion du souffle de la Divinité.


Endymion reçut trois dons : le sommeil, la jeunesse et l’immortalité. Lequel choisirez-vous ? il importe peu, car chacun d’eux comprend les autres.


Un homme qui fait un livre se pend rarement ; aussi tous les fils ainés des pairs d’Angleterre devraient-ils faire gémir la presse. Car on a, si on s’éveille trop tốt, un but devant soi, et par conséquent une raison de sortir de son lit.


Il y a un certain orgueil qui fait encore mieux ressortir le mérite que la modestie.


Les hommes å imagination se réconcilient plus facilement avec leur maitresse de loin que de près.


Les derniers et les meilleurs fruits qui ne mûrissent que tard dans une ame ardente et passionnée, d’est la douceur envers la dureté, la tolérance envers l’intolérance, la charité envers l’égoisme, et l’amour des hommes à l’égard du misanthrope.


L’amour affaiblit la délicatesse des femmes, il augmente celle des hommes.


Il est un åge où l’on finit par pardonner aux belles les dédains qu’elles nous montrent. Les jeunes gens admirent et désirent tout à-la-fois ; plus tard ils se bornent à admirer.


Quiconque a composé des satires, pardonne d’autant plus volontiers celles qu’on fait contre lui, même les plus mordantes, pourvu qu’elles soient spirituelles.


Les lois, les siècles et les peuples se survivent par leurs euvres ; les merveilles seules des arts brillent de leur ancienne immortalité sur le tombeau des åges.


Il est plus facile aux bons de se considérer comme méchants, qu’aux méchants de se regarder comme bons.


La plaisanterie est inépuisable, le sérieux ne l’est pas.


Le besoin crée les grands génies. Les pays les plus ingrats ont produit les plus illustres capitaines, tels que Moise, Pierre Ier et Frédéric II.


On n’a jamais plus froid que lorsqu’on vient d’avoir trop chaud ; c’est ainsi que l’eau, après avoir bouilli, retombe à une température plus froide que celle qu’elle avait auparavant.

L’amour, l’ivresse, et quelquefois aussi les moments d’enthousiasme que l’aspect d’une belle nature nous inspire, nous font trop aimer ce qui nous plait et trop hair ce qui nous déplait.


Les mourants ont les yeux secs ; l’orage de la vie se termine par un vent froid. Ils ne savent pas combien leurs accents entreconpés pénètrent profondément dans les blessures de nos ceurs.


Tandis que d’autres passions ne font que nous surprendre comme un tremblement de terre ou comme des coups de foudre, l’amour reste inébranlable dans notre cœæur, semblable à un beau jour d’automne avec toute sa sérénité. Il nous donne un avantgout de la félicité du poète, dont le ceur renferme un paradis toujours fleuri, toujours harmonieux, toujours brillant, séjour divin où son génie peut s’envoler, quand son enveloppe mortelle demeure dans les boues de la Pologne, dans les marais de la Hollande ou dans les steppes de la Sibérie.

Voluptueux habitants des villes, le présent peut-il vous offrir une seule minute comparable aux longs jours que le passé réserve aux amants vertueux ? vous dont le cæur endurci et rebelle aux flammes brúlantes de l’amour, ressemble au diamant qui ne peut être que vólatilisé, mais jamais fondu par le miroir ardent.


Les veilles du plaisir nous laissent le lendemain dans une disposition douce ; les rêves de l’imagination prennent alors plus d’empire sur notre ame que nos sentiments ; la musique et le mouvement de la danse retentissent encore à nos oreilles. Les compagnons de notre joie reparaissent devant nos yeux, au milieu d’un tendre demi-jour qui semble nous attirer vers eux. Dans le fait, on n’aime jamais mieux une femme qu’après une pareille nuit.


Tout hemme de génie est un philosophe, mais tout philosophe n’est pas un homme de génie.


Le reflet de notre monde intérieur repose sur le monde extérieur, de même que le reflet du ciel sur la mer, tantôt d’un gris foncé et tantôt d’un vert clair.


Plus les fleurs de la joie sont tendres et délicates, et plus il faut que la main qui doit les cueillir soit pure.


Qu’a-t-il besoin d’une autre éducation pour la guerre que celle qui sert à développer en lui les arts de la paix et l’harmonie de ses facultés, ce peuple allemand si brave et si endurci ; ce peuple qui vient de montrer encore toute son énergie dans la dernière lutte, et de donner un nouveau témoignage de sa ressemblance avec léléphant, qui devrait être l’emblème de ses armoiries ? En effet, que de rapports entre lui etcet animal qui, changeant difficilement de direction, marche avec rapidité droit devant lui, ami de la boisson et réfléchi, portant ses fardeaux avec joie, attaché à son cornac et doux pour les enfants, qui foule aux pieds les légions romaines, et, réduit en esclavage, se prête à l’asservissement de ses semblables !


Le marquis Caraccioli prétendait que chaque repas est un avertissement de la fragilité de notre existence.


Notre éternelle volonté poursuit toujours son cours en nous comme un fleuve ; les passions n’en sont que les cataractes.


Tous les jeunes gens croient que personne n’éprouve ce qu’ils ressentent, et cependant tous les jeunes gens se ressemblent.


La louange est et plus rare et plus difficile que la flatterie.


Les fleuves les plus rapides sont en même temps les moins limpides ; ils s’épurent en coulant plus paisiblement.


Il n’est personne au monde qui ait quelque chose à gagner à écrire sa vie : toute biographie est donc un acte d’humilité.


Deux belles ames découvrent leur affinité dès qu’un noble attachement les lie à une troisième.


Les drames politiques ne diffèrent des autres drames que parce qu’on les joue sans les avoir répétés, et que souvent même on les improvise comme les proverbes.


Le ceur du jeune homme souffre des mêmes orages que celui du vieillard ; mais le premier n’emploie pas la sonde pour mesurer la profondeur des vagues.


Les grandes douleurs nous préservent des petites.


De même que l’Allemagne est regardée par les géographes comme le centre de l’Europe, on peut aussi la considérer moralement comme le cœur de cette partie du monde. Ce bon, cet excellent cœur, que presque toutes les guerres ont percé avec leurs boulets, combien de sang n’a-t-il pas perdu ! Mais dans cette situation, tout ce qui n’est pas blessure est un baume salutaire ; et toute innovation à l’avantage du bien général, sous les rapports intellectuels et matériels, sera plus facilement accueillie, et ne rencontrera plus de ces résistances qui proviennent d’une surabondance de forces paresseuses et superflues. Ainsi l’habitant de la campagne profite de la rosée du soir pour ensemencer ses champs, ou d’un temps pluvieux pour transplanter ses fleurs.


De l’échelle qui conduit à la potence on peut monter au ciel, témoìn le bon larron ; mais c’est un cas très-fâcheux que de retomber de l’échelle du ciel sur celle de la potence, et je pourrais dire que c’est le cas de la chute originelle : un Adam déchu ne produit que des hommes, un ange déchu produit des démons.


Voulez-vous prendre part à la joie la plus pure ? ne regardez pas celle des enfants, mais contemplez celle des parents qui jouissent de leurs plaisirs.


La beauté n’existe dans aucun objet extérieur, mais dans le sentiment que nous en avons.


Il est heureux que le temps fasse disparaitre de la surface du monde la multitude des monuments funèbres, qu’il efface et couvre de fleurs les sépultures et les champs de bataille ; autrement nous reviendrions de chacune de nos promenades le cœur gros de soupirs.


Les défauts des femmes viennent de leur faiblesse et de leur tendresse ; ils sont, comme les taches de la lune, des vallées émaillées de fleurs. Les défauts des hommes viennent de leur égoisme et de leur dureté ; ils ressemblent aux taches du soleil, qui n’en sont que des parties arides et calcinées.


Le silence des femmes, indépendamment de ce qu’il leur est plus habituel, signifie beaucoup moins que celui des hommes.


Le ciel est l’image de cette vie ; c’est précisément parce que les astres se couchent d’un côté que nous devons les voir se lever de l’autre.


Si l’on voulait peindre la vie d’un homme tout entière, il faudrait une vie pour l’écrire.


Les auteurs célèbres ne sont pas doués de facultés plus créatrices que les autres hommes ; ils ont seulement plus d’audace ou beau- coup plus d’assurance à se mettre en dehors et à se montrer tels qu’ils sont, se reposant sur leur célébrité, tandis que les autres cherchent à se cacher, et qu’ils affaiblissent les principaux traits de leur caractère dans leurs écrits.


Je voudrais être partout le premier, et particulièrement pour demander l’aumône. Le premier prisonnier de guerre, le premier estropié, le premier incendié, vident la bourse et épuisent la sensibilité du cæur : celui qui leur succède ne s’adresse qu’à notre raison ; et notre compassion finit par se tarir tellement, que le dernier, lorsque l’avant-dernier a reçu du moins encore un Dieu vous assiste ! n’obtient plus rien.


Les Anglais fabriquent de charmants étuis pour serrer les couteaux : il y a aussi des fourreaux destinés aux glaives de la guerre, en d’autres termes, des traités de paix.


Voulez-vous mieux connaitre votre maitresse en une heure que pendant un mois du commerce le plus intime ? considérez-la durant soixante minutes au milieu de ses amies et de ses ennemies, si toutefois cette dernière expression n’est point un pléonasme.


Dieu soit loué de ce que nous ne vivions éternellement qu’en enfer ou au ciel, car autrement nous deviendrions sur cette terre de grands scélérats, et le monde ne serait plus qu’un hospice d’incurables par le manque de fourrures (pour les robes des juges), de cordes (pour les gibets), et de lieux de guérison (de places d’exécutions).


Semblables à l’aveugle auquel la lumière et l’obscurité sont également inconnues, sans désintéressement nous ne connaitrions pas l’intérêt ; sans liberté, l’esclavage : peut-être aussi tant de choses ne restent-elles obscures pour nous que par le manque de leurs contrastes ?


L’homme seul véritablement grand sur cette terre serait celui auquel sa conscience ne ferait aucun reproche. Mais cet homme unique a été crucifié depuis long-temps. Cependant, flatteurs que nous sommes, nous donnons le nom de grand à des têtes couronnées, à des hommes de génie !


Les souffrances sont comme les nuées d’orage, elles paraissent noires de loin, et ne répandent qu’une obscurité légère lorsqu’elles planent au-dessus de nos têtes. Combien de songes lugubres nous présagent un avenir agréable ! Il en sera de même du songe de la vie lorsqu’il finira.


Quelque douloureux que soient les adieux d’une amante, ils laissent après eux quelque douceur. Ceux d’un ami, au contraire, ne laissent que de l’amertume. Le baiser d’adieu n’explique qu’à moitié cette différence.


Les grands prisent plus haut les actions qu’ils peuvent attribuer à un dévouement qui leur est personnel, que celles émanées de la source des nobles sentiments. Ils sa- vent que nos principes peuvent également se tourner contre eux, et devenir hostiles de favorables qu’ils étaient.


Toute action audacieuse doit étre suivie d’une autre qui l’égale, sinon elle devient funeste. C’est précisément la crainte de cette nécessité, que pressentent la plupart des hommes, qui leur enlève leur énergie ; autrement ils agiraient comme César, comme Socrate ou comme Frédéric II, mais seulement une fois l’an ou dans toute leur vie.


Il existe dans la vie un crépuscule entre la joie et la douleur, un vent intermédiaire entre le zéphyr et le maëstral.


Plus nous aimons Dieu et les hommes, et moins nous nous aimons nous-mémes : une planète se tourne sur son axe d’autant plus lentement que sa révolution autour du soleil est plus rapide.


L’immortalité n’est pas toujours désirable ; les damnés aussi sont immortels. La renommée doit faire pour nous ce que les Egyptiens faisaient leurs morts, et leur donner non-seulement l’incorruptibilité, mais encore le parfum.


On cherche souvent à faire passer devant les tribunaux des enfants égorgés pour des enfants morts-nés. Devant le tribunal de la critique, au contraire, on crie à l’assassin ! lorsqu’un ouvrage est mort avant sa naissance.


On a souvent demandé si l’on se reconnait dans le ciel, on n’a jamais fait la même demande au sujet de l’enfer : la solution de ces deux questions intéresse également l’amour ; il peut donner le ciel ou l’enfer.


Le feu crée lui-même en nous le vent d’orage qui le fait ensuite monter plus haut.


Comment les princes n’apprendraient-ils pas à tromper eux-mêmes ? on les trompe si souvent ; à flatter eux-mêmes ? on les flatte toujours.


Le rang oppresse moins une grande ame, et la resserre souvent dans des limites moins étroites que le sexe.


La vieillesse honore l’amour ; mais elle diffère de la jeunesse en ce qu’elle attache moins de prix aux preuves qu’on en donne.


Notre siècle a plus repoussé les erreurs les sources morales de nos erreurs. La cataracte qui voile nos yeux serait mal opérée, si l’on se bornait à la diviser sans l’extraire ; car le plus léger mouvement pourrait la replacer devant notre vue.


Il existe trois époques dans le courage que les hommes montrent envers les femmes : la première est celle de l’enfance, qui ose parce qu’elle ne ressent rien encore ; la seconde, celle de l’exaltation, où l’on réve sans oser ; la troisième, enfin, est la dernière, où l’on connait assez le monde pour savoir estimer et apprécier l’autre sexe.


L’ame de quelques hommes est trop fréle et trop délicate pour ce monde de ténèbres ; il en est de même du corps de quelques autres qui ne peuvent vivre que dans la température qui convient aux colibris, dans les vallées de Tempé ou au milieu des plus doux zéphyrs : un esprit délicat et un corps délicat, lorsqu’ils se trouvent réunis, s’usent réciproquement.


Dans les romans comme dans le monde nous n’aimons pas les caractères tout-à-fait parfaits. Les hommes complètement pervers déplaisent également aux lecteurs et à ceux qui leur ressemblent : il nous faut seulement des hommes à moitié ou aux trois quarts corrompus, tels enfin qu’on les rencontre dans la haute société.


Les hommes sentent tout le prix de la simplicité ; ils comprennent ce qu’il y a d’élevé dans la naiveté de ces trois mots, je vous aime, Mais les jeunes personnes veulent qu’on les enjolive encore par quelques ornements. Les fleurs des jardins que les Turcs emploient dans leurs correspondances amoureuses, leur plaisent plus que celles de la poésie, et elles préfèrent aux compliments des flatteries plus expressives que des phrases.


Sous l’empire d’une idée puissante, qu’elle soit passionnée ou purement scientifique, nous nous trouvons, comme le plongeur sous sa cloche, à l’abri des flots de l’immense Océan qui nous environne.


On a beau défendre les jeux de hasard, le plus long est toujours permis ; c’est la vie, qui nous offre presque toujours l’anagramme de nos désirs. On n’obtient que dans la vieillesse ce dont on aurait besoin dans la jeunesse, et dans la jeunesse on touche déja à la vieillesse.


Une tombe ouverte offre l’image d’un miroir concave qui réunit tous les rayons de la vie et en concentre la chaleur sur un seul foyer. Une tombe fermée est semblable à un miroir convexe qui les divise de nouveau ; l’homme a oublié ses larmes et ses rêves, il s’évanouit dans l’autre monde.


Croyez-vous que les rochers de Saint-Marin soient la plus petite des républiques ? Il est un autre lieu encore plus petit où règne la liberté ; vous le portez en vous-même, ou vous n’avez point de ceur.


Vierges pures, vous ressemblez au soleil ; de toutes les couleurs que produisent ses rayons, il choisit le rose à son lever et à son coucher. Vierges modestes, vous rougissez lorsque vous vous levez pleines de jeunesse et d’innocence ; vous rougissez encore lorsque vous approchez de la couche brûlante de l’amour : vierges pures, que vous ressemblez au soleil !


Le courage du cabinet est plus élevé et plus philosophique que celui du champ de bataille ; le cheval même finit par apprendre ce dernier, mais le premier est plus difficile à apprécier.


Momus considéra les animaux, et s’écria après avoir long-temps réfléchi : « Tout animal est semblable à un dieu ou à une déesse : mais quelle est l’image de tous les dieux ? » Prométhée créa l’homme, et dit : « La voici ! »


Pourquoi les ames les pius pures sont-elles en proie à une foule de pensées dégoûtantes et empoisonnées qui glissent sur elles, comme les araignées sur les lambris les plus brillants ? Ah ! nos combats diffèrent peu de nos défaites !


L’excès de la prospérité ou de l’adversité pousse les individus comme les nations à l’immoralité, Ainsi, dans les étangs, les poissons ne s’enfoncent dans la vase que par une chaleur ou par un froid excessif.


Louvois, ce ministre infernal, disait à l’occasion de la solde des Suisses, qu’il pourroit faire paver la grande route de Paris à Bâle avec les écus que la France leur avoit donnés. — Et avec le sang qu’ils ont versé pour elle, répondit le général Suppa, vous pourriez faire un canal navigable de Paris à Bâle.

Tous deux avaient raison : en effet, les Suisses avaient fourni, depuis Louis XI jusqu’à Louis XIV, 1, 110, 798 recrues, et avaient reçu pour leur traitement la somme de 1, 148, 868, 623 florins.


Lorsque l’homme vient de vider la coupe du plaisir, il est altéré de nouveau et en demande bientôt une plus grande ; enfin, un Océan tout entier ne pourrait assouvir sa soif.


Il est malheureux, il est coupable le jeune homme que l’aspect de la beauté n’a jamais intimidé.


L’homme jouit d’une liberté illimitée, non dans ses actions, mais dans ce dont il veut s’abstenir : il peut tout quand il veut vouloir s’abstenir. En générâl, il ne s’agit que de choisir entre toujours craindre et ne jamais craindre ; car le terme de notre vie est placé sur une mine chargée de poudre dont les explosions répétées ouvrent sana cesse des abîmes autour de nous.


De tous les efforts intellectuels, le travail d’une imagination ardente et passionnée est le plus accablant. Un mathématicien survivra toujours à un auteur tragique.


Je veux m’etever an-deMMa de t’Ocean des êtres comme un nageur intrépide qui lutte contre les ragues, et non comme un cadavre par la pourriture.


Il est des situations où l’homme, oppressé de sa propre grandeur, ne peut ni en parler, ni être fin, ni y faire des allusions.


Si l’homme n’était pas immortel, quelles en seraient les conséquences ? — Dieu seul debout au milieu des débris des êtres intellectuels, luttant contre le néant, brálerait comme un soleil sans atmosphère qui lancerait ses feux au milieu des ténèbres, et percerait la voûte du ciel sans l’éclairer.


La véritable richesse et la puissance d’un pays consistent non dans ce qu’il tire de l’étranger, mais dans ses produits indigènes. L’arbre sain et vigoureux donne seul chaque année les fleurs dont les abeilles expriment le miel le plus doux ; mais l’arbre dans le tronc duquel elles déposent leurs rayons, est creux et stérile ; il cesse bientôt de porter des fleurs parfumées.


Combien dans la vie, de même que sur let Alpes, notre été est près de notre hiver ! Qu’il y a peu de distance entre nos parterres et nos glaciers ! Et cependant, au milieu de ses transports, l’homme se reproche gue ses peines les lui fassent sitòt oublier, et, au milieu de ses peines, que sa joie en efface si promptement le souvenir. Mais se reprocher ses illusions n’est souvent que retomber dans une plus grande.


L’homme ne serait sur cette terre que cendre et vanité, que jouet et fumée, s’il ne sentait qu’il est tel. O Dieu ! ce sentiment est notre immortalité.


Pour remplir le but de l’éducation, il faut savoir s’élever au-dessus de l’esprit du temps : ce n’est point pour le présent que l’on doit former l’enfance, car il exerce sur elle une influence puissante et continue, mais seulement pour l’avenir.


Beaucoup d’hommes se plaignent de ne point rencontrer de femmes accomplies, parce qu’ils ne croient pas à leur existence. Cependant il faut y croire pour les trouver là où elles sont, de même qu’il faut pratiquer la vertu pour la connaitre ; mais il ne suffit pas de la connaitre pour l’exercer.


Les sentiments sont des étoiles qui ne brillent que sur un ciel serein ; mais la raison est la boussole qui dirige la marche du navire, lorsque celles-ci sont cachées et ne brillent plus.


De même que les joailliers estiment les pierreries, nous pouvons apprécier nos poètes d’après leur pureté ; nous, en avons de la première, de la seconde et de la troisième eau, et, dans le Jardin poétique de Rossdorf, il s’en trouve même de la dixième.


Il ne faut jamais chercher à s’excuser ; ce n’est point la raison des autres, mais leur passion, qui est irritée contre nous ; et, vis-à-vis de celle-ci, le temps est la meilleure justification.


Sachez habituer de bonne heure votre fille aux travaux domestiques et lui en inspirer le goût ; que la religion seule et la poésie ouvrent son cœur au ciel. Amassez de la terre autour de la racine qui nourrit cette plante délicate, mais n’en laissez point tomber dans son calice.


Les désirs des Mm, dans un vieillard, sont aussi tristes que tes orages d’hiver, qui se déchaatent sur des plaines arides et couvertes de neige, y font briller la foudre et tomber la pluie sans féconder la terre, et ne sont suivis que d’un plus grand froid.


Les hommes éprouvent plus de honte & s’entretenir de leurs maitresses que de leurs femmes ; car, dans t’état de mariage, deux amis peuvent trouver à sympathiser, ne serait ce qu’en se confiant mutuellement leurs doléances.


Les femmes d’une délicatesse exquise, semblables aux abeilles, ne recherchent que les fleurs et tes tendres bourgeons. Celles d’une sensibilité moins raffinée sont comme les frélons, et ne s’attachent qu’aux fruits.


L’enfance me parait plus heureuse que l’âge mùr, parce qu’elle sait trouver et reconnaitre plus. facilement un grand homme. Croire à ta grandeur de l’homme, c’est le seul avant-gout du ciel.


Nos premiers parents avaient-ils besoin d’un serpent dans le paradis pour s’empoisonner ? l’homme ne peut-il pas, comme le serpent à sonnettes, s’empoisonner lui-même par sa propre morsure ?


Les Turcs portent le deuil en bleu ; l’azur du ciel de la Turquie et de la Grèce actuelle est donc aussi un voile de deuil.


Les critiques épanchent leur bile avec prédilection sur les grands écrivains qui les supportent plus patiemment ; de même dépose des immondices plus fréquemment devant les édifices publics, tels que les hôtels-de-ville, les théâtres et les églises, qu’auprès des maisons particulières.


Le plus noble amour n’est en même temps que le respect le plus tendre, le plus pro- fond, le plus constant ; il se manifeste moins par les actions que l’on fait que par celles dont on s’abstient. Il se devine réciproque- ment, il ébranle à-la-fois deux ames, et fait vibrer en elles les mêmes cordes par une impulsion simultanée ; il enflamme d’une nouvelle ardeur les sentiments les plus élevés ; il est toujours prêt à faire des sacrifices, jamais à en recevoir ; il ne diminue en rien l’attrait que nous avons pour l’autre sexe, mais il le concentre sur un seul objet : l’amour, dis-je, est un respect qui peut se passer ments de mains ou des plus tendr baisers, des serremais non des actions vertueuses ; un culte, enfin, qui peut être méconnu de la plupart des hommes, mais qui doit être sacré pour le plus petit nombre.


La guerre est la mue de l’humanité ; elle y perd ses vieilles plumes, soit qu’elles tombent, soit qu’on les arrache.


Napoléon a presque toujours terminé les leçons qu’il a données aux princes en moins d’un semestre, de même que les autres professeurs, c’est-à-dire, en autant de temps qu’il leur en faut pour achever leurs cours.


La coquetterie seule devrait engager les femmes à bannir les hommes de leur toilette. En effet, le premier inconvénient de leur présence est de voir se former pièce à pièce, comme une mosaique, le tableau dont l’ensemble vivant charmerait leurs regards. Il en résulte encore que cette illusion séduisante de la simplicité et du naturel à laquelle on aime tant à se livrer, s’affaiblit à la vue de l’appareil avec lequel ces habiles magiciennes préparent les piéges qu’elles nons destinent.


D’où vient done dans les ouvrages des que grands écrivains un esprit invisible nous captive, aans que nous puissions indiquer les mots et les passages qui produisent sur nous cet effet ? Ainsi murmure une antique forêt, sans qu’on voie une seule branche agitée.


Il n’est malheureusement que trop commun de voir l’homme se représenter sous des couleurs plus vives la haine que l’affection dont il est l’objet ; aussi répond-il avec plus d’énergie à l’une qu’à l’autre. C’est ainsi que les anges, pour la plupart du temps, ne sont représentés qu’en petit et sculentént par une tote ornée de deux ailes, tandis qu’on ne voit jamais le portrait du diable en buste ; on le peint au contraire tonjours de grandeur natu- relle, en ajoutant à son image des cornes, pied fourchu et une queue.


Mourir a quelque chose de sublime. Der- rière de sombres et majestueux rideaux, la mort accomplit seule ce prodige mystérieux et travaille pour l’éternité, tandis que les mortels, les yeux humides mais voilés, assis- tent à cette scène d’un autre monde,


Le souvenir de nos joies est éternel, celui de nos peines s’efface ; ainsi l’azur du ciel domine par son étendue les nuages qui l’obscurcissent momentanément.


Tout premier bien est plein d’une félicité qui ne s’oublie jamais, tel que le premier amour ; et fût-il même tardif, et ne se montrât-il à nous que lorsque tout nous semble décoloré, il brille encore au couchant de la vie, et nous pénètre de son charme enivrant.


Sans travail et sans application, ce qu’il y a de meilleur dans cette vie devient inutile ; il n’est pas même possible de bien connaitre un jeu sans en faire l’objet d’une étude sérieuse.


La liberté est comme toutes les choses divines ; on ne l’apprend ni ne l’acquiert, c’est un don inné.


Les hyperboles de la colère ne sont jamais si réelles dans l’homme que celles de l’amour ; il vent seulement faire croire aux premières, tandis qu’il croit lui-même aux dernières.


Dans un monde qui n’est qu’une foire et un bal masqué, il est dur de ne pas même conserver les franchises des foires et les libertés du carnaval.


De toutes les vérités, la dernière qu’on reconnaisse, c’est qu’il y a des hommes qu’on ne peut convertir à aucune.


Les péchés contre le Saint-Esprit, que personne ne pardonne, sont ceux contre son propre esprit, c’est-à-dire contre sa vanité ; et le flatteur plait, sinon par sa conviction, du moins par son abaissement.


Personne n’a plus décrié la constitution de l’empire germanique, que les Allemands eux-mêmes : ce n’est que fort tard, et lorsqu’elle. n’existait plus, que nous avons commencé à nous réconcilier avec elle, et prononcé sur son cadavre l’élogé funèbre consacré par la- ságe aux empereurs, aux papes et aux académiciens. Cependant toutes les constitutions fortes, celles de la Grèce, de Rome et de l’Angleterre, par exemple, ont cela de commun avec la constitution allemande, qu’elles ont été critiquées avec amertume et attaquées avec violence par des écrivains qui vivaient sous leurs lois.

La guerre a plutot servi à nous faire con- naitre notre constitution qu’à nous l’enlever. Si l’on eût respecté les ténèbres qui environnaient son antique berceau, elle existerait encore ; car la guerre, qui tranche dans le vif et sonde les plaies des peuples, ressemble à l’ivresse et à la folie, qui, d’après Sénèque, mettent seulement nos fautes en évidence, et ne les produisent pas. L’éboulement de la constitution, comme celui d’une mine, a laissé à découvert de nouvelles veines d’or : combien de richesses n’en sont-elles pas déja découlées au profit de notre cosmopolitisme et pour l’ornement de notre littérature !


Une idée amère et déchirante est ordinai- rement suivie d’autres idées qui, comme des émollients, viennent l’adoucir jusqu’à ce qu’elles lui aient fait perdre son åcreté. Il en est de même des douleurs physiques.


La timidité des hommes ne vient que de leur éducation et de leur situation sociale ; celle des femmes a des racines plus profondes et tient à leur nature. L’homme a en lui un courage inné, et l’embarras qu’il éprouve quelquefois n’est qu’extérieur. La femme n’en ressent pas ainsi, et cependant elle est craintive : l’un[5] témoigne son respect en avançant, et l’autre en reculant.


Tel que le diamant qui brille comme la goutte de rosée, mais qui en differe par sa dureté et son éclat qu’il n’emprunte pas au soleil, tel se montre le cœur d’une femme supérieure, semblable par sa douceur et sa pureté à ce qu’il y a de plus tendre, mais au-dessus de tout par son énergie.


Un homme qui nourrit en lui une grande idée qu’il veut produire et rendre vivante, est par cela même à l’abri des poisons et des peines de la vie ; de même que les femmes grosses que leur fruit préserve des maladies contagieuses.

Un beau visage ne parait jamais plus beau que dans le moment qui succède à un sentiment d’amertume, lorsque des larmes viennent de couler sur les pertes du cœur ; au milieu même de l’expansion de la douleur, l’aspect de la beauté nous troublerait et nous toucherait trop vivement.


L’amour, à la cour, ressemble à la torture ; l’un et l’autre ne durent qu’une heure : on vous bande les yeux, on vous charge de liens, on éloigne les spectateurs ; le troisième degré, c’est le feu. Les mineurs, les vieillards et les malades sont exempts de la torture.


L’éloignement fait perdre aux hommes, ainsi qu’aux décorations de théâtre, les traits trop durs qui en altèrent la beauté, et leur donne ainsi un aspect agréable. Les absents sont des morts que notre cœur absout et glorifie, et qui seront béatifiés s’ils ressuscitent un jour.


Aimer de bonne heure et se marier tard, c’est entendre chanter le matin une alouette en l’air et en manger le soir une rôtie à son souper.


La vanité des hommes peut présumer plus facilement que leurs cœurs l’amour dont une femme est susceptible, car la vanité se flatte plus que le cœur ne devine ; mais nous traitons bien cruellement ces ames concentrées, dont la chaleur ne se manifeste qu’en souffrant nos froideurs, dont l’amour ne se prouve que par leur fidélité, qui ressemblent à ce puits magique qui se remplissait toujours à mesure qu’on le vidait, mais sans jamais déborder. Le mérite des femmes ne brille jamais davantage qu’après la lune de miel, et il faut les épouser pour les aimer.


La joie des ames tendres est pudique, elles montrent plutôt encore leurs blessures que leurs transports, parce qu’elles ne croient mériter ni les unes ni les autres ; ou bien si elles les montrent, ce n’est qu’à travers une larme qui les voile.


L’imagination ne peut retracer dans ses tableaux que le passé ou l’avenir, le présent échappe å ses pinceaux ; ainsi l’eau de rose perd, dit-on, sa vertu au moment où les rosiers fleurissent.


Les femmes ressemblent aux maisons espagnoles, qui ont beaucoup de portes et peu de fenêtres ; il est plus facile de pénétrer dans leur cœur que d’y lire.


Les avantages des Français à la guerre, doivent être d’abord attribués à la vivacité de leur esprit, et ensuite à la préférence qu’ils accordent aux forces physiques : la réunion de ces qualités leur donne cette célérité qui les mène à la victoire. Chez les Allemands, au contraire, un homme n’est jugé capable de commander à quelques milliers de régiments et de les ranger en bataille que lorsqu’il ne peut presque plus se soutenir lui-même ; en un mot, les princes exceptés, une armée ne peut être habilement conduite que par quel- qu’un qui ait été rasé plusieurs millions de fois. Les Français se rapprochent plus des Grecs, qui, suivant Winkelmann, représentaient Mars jeune et imberbe. Tel est sans doute le motif qui fait rechercher, autant qu’ils le peuvent, à quclques jeunes militaires allemands, à anticiper l’âge de l’avancement dans les maisons de plaisirs et de débauche de toute espèce, de sorte qu’ils offrent bientôt l’aspect de la décrépitude ; peut-être est-ce aussi pour cela que plusieurs adolescents s’efforcent de faire croitre leur barbe, qu’ils étalent ensuite pour masquer leur jeunesse et s’en couvrir le visage comme du laurier dont César cachait son front chauve.


J’écris ma vie devant Dieu ; qu’elle soit gaie, peu importe : lui-même n’a-t-il pas revêtu ses pensées sous la queue d’un paon, sous le calice d’une tulipe ?


Nous aimons et nous recherchons toujours les choses aux dépens des personnes ; celui qui travaille trop n’aime pas assez.


Les femmes distinguées se louent souvent elles-mêmes sans employer de détours, et beaucoup plus que les hommes distingués.


Les princes bannissent plus facilement de leur présence leurs favoris que leurs ennemis ; leur crainte est plus forte que leur affection.


Les poètes font un tort inexprimable à leurs ouvrages lorsqu’ils ne sentent pas fortement.


Le peuple est pour un ministre ce qu’un grand capital est aux yeux d’un banquier ; une simple abstraction, une quantité algébrique qu’il fait entrer dans ses calculs.


L’homme est le tourment des animaux qu’il tient sous sa dépendance, tandis qu’il est aussi doux qu’un agneau pour ceux qui ne sont pas confiés à ses soins ; comme, par exemple, le chasseur pour le cheval, le charretier pour le chien de chasse, et l’officier pour tout ce qui n’est pas soldat.


Les fautes et les hérissons naissent sans dards, mais nous ne ressentons ensuite que trop vivement leurs blessures.


Les petites douleurs nous mettent hors de nous, les grandes nous rendent à nous-mêmes. Une cloche fêlée ne produit qu’un son sourd ; fendez-la, elle rendra de nouveau un son éclatant.


Il serait peut-être possible de diminuer les miasmes de la peste morale qui règne dans les grandes villes, comme on chasse ceux de la peste ordinaire, en y plantant beaucoup d’arbres. Les Grecs en plantèrent dans plusieurs de leurs cités, et en si grand nombre, par exemple, selon Pausanias, à Chalcis et à Eubée, que l’on ne pouvait plus y voir les maisons. Plantez un hameau, un jardin, une forêt dans vos villes empoisonnées, ce sera toujours quelque chose.


Tout est le mot le plus élevé et le plus hardi de notre langue ; c’est aussi la pensée la plus rare, car la plupart des hommes ne voient dans l’univers que la rue où ils vivent, et dans l’histoire de l’éternité que celle de leur petite ville.


Il est difficile à un homme de distinguer dans le cœur d’une femme la volonté de l’instinct, les idées des sentiments, et de compter toutes les étoiles qui brillent sur ce ciel obscur.


On sait aussi peu comment les hommes veillent que comment ils dorment ; on ne connait ni leur plus grande crainte, ni leur plus grand espoir.


Le présent prend plus vite notre reflet que noua ne prenons le sien.


Dans chacune des occupations auxquelles nous nous livrons journellement, on peut distinguer trois époques dans la première, elle est nouvelle ; dans la seconde, elle est ancienne et ennuyeuse ; dans la troisième, elle n’est ni l’une ni l’autre, elle est devenue habituelle.


Respectez l’individualité dans l’homme ; elle est la racine de tout ce qu’il y a de bien.


Heureux les jours qui suivent une réconciliation ! l’amour redevient chaste et pudique, l’amante reprend de nouveaux charmes, le ceur célèbre son mois de mai, et les morts, ressuscités du champ de bataille, ne comprennent plus les combats qu’ils se livraient naguère et dont ils ont perdu le souvenir.


Les songes sont comme les belles-de-nuit, qui ne s’épanouissent que dans les ténèbres et se referment avec l’aurore : un parfum suave et mystérieux est le seul indice qui nous reste de leur apparition fugitive.


La véritable innocence, semblable à celle de l’enfance, n’existe qu’autant qu’elle s’ignore elle-même.


Lorsqu’elles achètent, les femmes se montrent d’ordinaire moins généreuses et plus exigeantes que les hommes, parce qu’en général elles sont plus défiantes et plus circonspectes, Si elles vendent, c’est tout le contraire.


Personne n’est tout-à-fait tolérant ni entièrement intolérant ; chacun pardonne à son insu des fautes légères : l’homme borné, de même que l’habitant de la vallée, ne voit qu’un chemin, le montagnard les découvre tous.


L’amitié ne reconnalt point les différences de classes, l’ame ignore celle des sexes.


Rien ne fait paraltre un homme plus petit que de vouloir chatier et tourmenter sans savoir comment s’y prendre.


Celui dont le cœur respire le bonheur et là paix cherche dans une église visible une église invisible. — Le temple de la nature est le temple de l’amour, partout on en voit les autels et les chaires. L’homme assis sans rames dans sa nacelle la laisse suivre avec ivresse le cours du fleuve et ne cherche point à la gouverner.


Des nuages de l’erreur s’amoncellera plus tard l’orage de la passion.


Rien de plus pitoyable que de voir un homme chercher d’une. manière quelconque à s’attribuer un mérite qui ne lui appartient pas.


Le cœur auquel l’amour ne suffit pas n’en a jamais été rempli.


N’avoir qu’une seule volonté à laquelle on rattache toute sa vie et qui ne change ni à chaque minute, ni à chaque homme, voilà ce qu’il y a de plus essentiel en ce monde.


Que l’idéal ne se décolore point en nous, ou le feu sacré de la vie s’éteindra.


Les vaisseaux se maintiennent à une certaine distance les uns des autres, pendant les brouillards, à l’aide de fanaux et de tambours ; les nations en font de même entre elles au moyen du canon et des illuminations.


Rien ne cause tant d’amertume qu’une haine froide et réfléchie ; la passion blesse beaucoup moins.


Les femmes de génie sont pour la plupart esprits-forts ; les hommes de génie, au contraire, ont généralement de la foi.


Un homme seul peut voir avec une indifférence complète l’amour dont il est l’objet, une femme ne peut jamais y rester insensible. Des sentiments long-temps méconnus ne sont que bien rarement ou presque jamais payés de retour.


Un homme ne découvre jamais mieux son caractère qu’en traçant celui d’autrui.


L’homme doit tendre à de nobles buts ou se proposer de grands modèles, autrement il perdra sa vertu ; de méme que l’aiguille aumantée long-temps détournée des pôles du monde.


Il n’y a qu’un être parfait que l’on puisse aimer véritablement et d’une manière tout- à-fait désintéressée. Le soleil pour brûler doit réfléchir son disque dans toute sa perfection et concentrer tous ses rayons.


Il n’est point de père qui soit plus ravi d’admiration à la vue du génie de son fils que celui qui lit ses propres ouvrages.


Combien les souffrances du pécheur diffèrent de celles du juste ! les unes ressemblent à une éclipse de lune qui ajoute encore aux ténèbres de la nuit, les autres sont comme une éclipse de soleil qui tempère la chaleur du jour en y répandant une obscurité romantique durant laquelle le rossignol recommence ses chants harmonieux.


L’homme gravit avec peine les hauteurs de l’amour idéal ; mais, comme sur tes autres montagnes, ce qui lui est encore plus difficile, c’est d’en redescendre.


Au service de la déesse des amours on devient communément plutôt chauve que grisonnant.


L’ame d’une jeune fille ressemble à une rose épanouie ; arrachez une seule feuille de son calice, toutes les autres tombent aussitôt.


Le poison moral rend la langue aussi légère que le poison physique la rend pesante.


Les passions sont des licences poétiques que prend la liberté morale.


Les hommes d’un caractère ferme se laissent aussi peu influencer dans leurs jugements par le bien que par le mal qu’on leur suggère. Le vulgaire renonce tacitement à croire te bien et s’attache fortement au mal. Les gens faibles se réconcilient volontiers et ne se brouillent qu’avec peine.


La froideur ajoute à ta force de l’amour, de même qu’une température froide donne du ton aux constitutions robustes, tandis qu’elle est contraire aux tempéraments faibles.


Il répugne à l’homme de parler devant un homme de ses sentiments, tandis qu’il se plait à tes exprimer devant une femme. Les femmes, au contraire, aiment singulierement à se faire entre elles de semblables confidences.


Un Anglais a observé que parmi les idées fixes que l’on remarque dans les maisons de fous, celle de la dépendance est la plus rare ; la plupart des infortunés que l’on rencontre dans ces établissements sont des dieux ou des monarques, des papes ou des savants.



Les femmes éprouvent plus de chagrins que les hommes ; au ciel, on voit plus d’éclipses de lune que de soleil.


L’homme est pour l’amitié comme la femme pour l’amour, et vice versa ; c’est-à-dire qu’ils s’attachent plus à l’objet qu’au sentiment.


Les hommes ne paraissent jamais plus ridicules que lorsqu’ils, font quelque chose en masse et en foule.


Les blessures de la conscience ne se cicatrisent jamais ; le Temps ne les raffraîchit pas par le mouvement de ses ailes, mais les fait seulement saigner avec sa faux.


Il y a telle circonstance où notre seule ressource est la fuite ; on évite du moins par un voyage d’insipides questions sur l’état de notre santé et la perfide sollicitude avec laquelle on attend notre réponse. Au retour, on s’est épargné beaucoup de peines, si l’on ne se trouve même pas tout-à-fait soulagé.


Certaines coquettes sont comme les vins sucrés, qui s’aigrissent par la chaleur et s’adoucissent par le froid.


L’art rend tous les pays uniformes et agréables ; mais aux yeux de beaucoup d’hommes, ce n’est qu’un vignoble en fleur dont la force leur est connue d’avance, quoiqu’ils n’en ressentent pas encore les effets.


Le souvenir est le seul paradis dont on ne puisse nous bannir, nos premiers parents ne purent même en être chassés.


Dieu est la lumière qui sans être vue rend tout visible et se cache sous les couleurs ; l’œil n’en reçoit que les rayons, mais le cœur en sent la chaleur.


On rencontre quelquefois dans les Alpes sur les bords d’un glacier un gazon émaillé de fleurs ; souvent aussi, près des glaces de la mort, on trouve des fleurs d’un nouveau printemps.


Les vices des femmes sont plus méprisables que ceux de l’homme : les uns ont plus souvent pour cause la faiblesse ; les autres, la force.


L’honneur d’un ami est quelque chose de si grand, que ses aveux seuls devraient pouvoir nous en faire douter. L’homme qui est près de. la perfection peut seul ne plus mettre à l’é- preuve l’ami déja éprouvé, croire au milieu des dénégations de ses ennemis, rougir, comme d’une pensée impure, si un soupçon muet et fugitif souille cette image chérie, et lorsque enfin il devient impossible de réprimer ses doutes, en isoler long-temps encore ses actions, et tomber plutôt dans une imprévoyance peu profitable que de commettre un péché mortel contre le Saint-Esprit dans l’homme. Cette ferme confiance, il est plus facile de la mériter que de l’éprouver.


Si les ruines d’un temple nous inspirent un enthousiasme mélancolique, pourquoi celles d’une grande ame ne nous feraient-elles pas éprouver une émotion plus vive encore ? Il y a des hommes qui renferment en eux des ruines colossales comme la terre elle-même. Au fond de leurs cozurs déja glacés gisent épar- ses les images pétrifiées d’un temps plus heureux ; ils ressemblent à ces rochers du Nord sur lesquels on aperçoit l’empreite des fleurs des Indes.


Nous devrions avec plus de raison nommer l’éclipse de soleil une éclipse de terre. C’est ainsi que l’homme s’éclipse, et jamais l’infini. Mais nous ressemblons au peuple qui regarde une éclipse de lune dans l’eau : si celle-ci est agitée, il s’écrie : Voyez comme le soleil se bat avec la lune !


Les peuples et les individus sont d’autant meilleurs qu’ils sont plus gais, et méritent le ciel dès qu’ils savent en jouir. Les larmes de l’affliction ne sont que des perles d’une seconde eau, celles de la joie, au contraire, sont de la première : aussi, destin paternel, répands-tu les fleurs de la joie sur le berçeau de la vie, comme les nourrices qui parsèment de fleura la couche de l’enfance pour prolonger son sommeil !

Ah ! que cette philosophie qui nous refuse la joie et l’efface des desseins de la Providence, nous dise donc de quel droit les plaisanteries animées entrèrent dans notre vie fragile !


L’imagination par sa puissance peut changer la première guenille dont elle s’empare en une relique merveilleuse ; elle peut faire sortir d’une måchoire d’âne une source jaillissante : nos cinq sens ne lui fournissent que l’étoffe et les éléments de ses peines comme de ses plaisirs.


Au récit de la bataille de Marathon on des triomphes du Capitole, un jeune homme désire avoir un compagnon d’armes ; mais il ne souhaite point une compagne qu’il puisse associer à sa gloire, car une héroine fait toujours tort à un héros. L’amitié nait avant l’amour dans le cæur de l’homme ; elle parait comme l’allouette, au printemps de la vie et reste jusqu’à la fin de l’automne : l’amour arrive, comme les cailles, avec les chaleurs et disparait avec elles.


Qu’il est touchant de voir deux amis vieilir ensemble ! la jeunesse semble se prolonger tant que le compagnon de notre jeune åge n’est point perdu.


L’homme ne s’aperçoit souvent que trop tard combien il a été aimé, combien il a montré d’oubli et d’ingratitude ; il ne comprend que trop tard la grandeur du cœur qu’il a méconnu.


Rien n’est si beau, rien n’est plus doux que de mourir un jour serein : les yeux se ferment, mais l’ame entrevoit encore l’éclat du soleil, elle s’élève de son enveloppe des- séchée à travers l’azur du ciel. Tandis qu’au contraire, devoir se séparer d’un corps palpitant au milieu d’une nuit obscure et menaçante, faire dans un si grand isolement la longue chute du tombeau, lorsque toute la nature semble mourir autour de nous, ah ! c’est une fin trop cruelle !


Derham (dans sa Physico-Théologie, 1750) remarque que les sourds entendent plus distinctement au milieu du bruit : par exemple, un homme qui a l’oreille dure, au milieu du tintement des cloches ; une hôtesse sourde, au milieu du tintamarre de ses garçons, etc. Aussi fait-on souvent retentir la musique, les cymbales et l’artillerie sur le passage des princes et des ministres, qui, en général, ont l’organe de l’ouie très-paresseux, afin que la voix du peuple puisse parvenir jusqu’à eux.


Celui qui trouve en soi la paix et la plénitude des idées ne veut plus chercher d’autres jouissances qu’en lui-même ; tout mouvement, fût-il même physique, suffit pour ébranler sa coupe pleine de nectar.


Les vagues qu’amoncelle la douleur s’élèvent entre nous et le monde, et isolent notre navire au milieu d’un port rempli de vaisseaux.


De grandes récompenses, dit Montesquieu, présagent la chute de l’édifice social : on peut étendre cette maxime aux grandes punitions dans les maisons d’éducation, et même dans les gouvernements ; ce n’est point la grandeur, mais l’irrévocabilité des peines qui en fait la puissance.


La sérénité, que l’homme seul peut obtenir, en laissant aux êtres d’un ordre inférieur les jouissances matérielles, fait éclore, comme un printemps, toutes les fleurs de son ame. Un dieu chagrin serait une contradiction, et la béatitude est plus vieille d’une éternité que la damnation.


Celui-là seul qui aime son ami comme un amant aime sa maîtresse, est également digne des faveurs de l’amour et de celles de l’amitié ; mais l’on voit des hommes quitter ce monde sans s’être plus inquiétés de ces deux sentiments que s’ils n’avaient jamais, été aimés sur cette terre.


L’homme, au soir de la vie, se courbe sur les tombes effacées des amis de sa jeunesse, dont lui seul déplore encore la perte, jusqu’à ce qu’enfin un jeune homme ensevelisse le dernier vieillard qu’il chérissait comme un père ; mais personne ne se souvient plus alors des beaux jours ni de la jeunesse du dernier vieillard.


Il y a deux sortes de mariage, et par conséquent deux destinées différentes dans le mariage : la plupart des hommes ne le désirent que pour se faire une existence ou pour la donner, enfin pour les occupations qui ont besoin de quatre mains. Le plus petit nombre, au contraire, désire l’union des cœurs ; il leur en faut deux, et au plus un[6] troisième en espérance. Dans les ménages un peu plus spacieux, où l’homme se borne aux travaux de cabinet et la femme aux travaux domestiques, où les deux ceurs sont séparés des murailles, les choses se passent en général assez paisiblement ; l'homme et la femme n’ont rien à régler ensemble que leurs affaires, dont chacun a sa part distincte. Si dans une semblable union l’on ne rencontre pas de roses, c’est qu’on n’y voit pas d’épines ; il n’y croit qu’un gazon vert et touffu. Mais, au contraire, l’homme cherche-t-il à s’associer une compagne, ne travaille-t-il que pour aide même que tant d’autres n’aiment que pour travailler ? la fragilité humaine lui offrira plus de malheur que de bonheur ; et si deux amis sont fort rares à rencontrer, il ne l’est pas moins de trouver un ami et une amie. Une femme péut recevọir son nom d’un homme, comnme une ville d’une bataille livrée sous ses murs ou d’une paix conclue dans son enceinte ; malheureusement il se livre plus de combats qu’il ne se fait de traités.


Il y a des jours où la vertu exerce sur nous plus d’influence, des jours où l’on pardonne tout, où l’on peut tout sur soi-même, où la joie, cette fille du ciel, semble s’agenouiller dans notre ceur, et demander å son père d’y rester plus long-temps, où tout brille à nos yeux d’une nouvelle sérénité ; si dans ces moments on répand des larmes de plaisir, celui qu’on éprouve est si grand, que tout disparait autour de nous.


Toutes les productions du Nord múrissent tard, depuis les têtes jusqu’aux fruits des arbres, D’après Toze, un électeur n’était majeur quà dix-huit ans ; un roi de Suède ne l’est qu’à vingt et un ; tandis qu’au contraire, la majorité des monarques français, espagnols et portugais, est fixée à låge de quatorze ans. Nous avons cela de particulier, que nous aimons à confier la garde de l’état ainsi celle des villes à des vieillards, et un général caduc veille auprès du trône, comme un in- valide à nos portes.


Dans un noble amour, le sacrifice, celui de l’amour même, est aussi agréable que la jouissance ; car la marque distinctive la plus éclatante des hommes supérieurs, c’est qu’au moment de la joie ils portent leurs regards vers une vie plus élevée et vers la vérité.


L’esprit du temps devait rompre sa chrysalide, se frayer une issue et s’envoler ; il le fit, et prit son essor en perdant son sang. On dirait que nous participons à cette erreur commune qui prend pour une pluie de sang les gouttes que laisse tomber sur la terre le papillon dans sa métamorphose.


L’amour est l’école italienne de l’homme, celui qui a le plus de force et d’élévation est aussi capable de la tendresse la plus sublime ; c’est ainsi que les arbres les plus élevés donnent les fruits les plus doux. Ce n’est point dans les caractères mous, mais dans les caractères fermes, que la douceur a le plus de charme ; de même que la force nous plait beaucoup plus dans une femme que dans un homme.


Quelque rapide que soit la joie, elle est précédée par un long espoir el suivie d’un souvenir plus long encore : de même que dans les régions polaires on voit au printemps l’image du soleil précéder de beaucoup le lever de cet astre, tandis qu’en automne son image brille long-temps encore après son coucher,


Les princes pleurent-ils, les peuples saignent ; les montagnes sont-elles enveloppées de muages, il pleut dans les plaines.

Maintenant enfin, Dieu miséricordieux, les tưònes de l’Allemagne, libres de nuages, élèvent leur cime au milieu de l’azur da ciel et semblent promettre un meilleur avenir. —- Mais vous, ò princes ! songez bien que les larmes se sèchent plus facilement que les blessures, et les hauteurs plus promptement que les plaines !


Le désespoir est le suicide du cœur ; et de même qu’en Silésie on ensevelit la face contre terre celui qui s’est suicidé, l’homme en proie au désespoir laisse retomber vers la terre, où il n’est pas encore, son visage qu’il devrait tourner vers le ciel qu’il a perdu, le ciel qui lui est et qui lui sera toujours ouvert. Lève-toi, ver terrestre ; porte tes regards, faible atome, vers quelque chose de plus haut et de plus serein que ton séjour ! La sérénité et non le plaisir est un devoir pour nous, qu’elle soit constamment notre but. Dans une ame pleine de tristesse et d’amertume, un air pesant et sombre étouffe tontes les fleurs intellectuelles et le développement moral. Que notre ceur s’ouvre à une douce mélancolie et non au noir chagrin et à l’abattement, de même que la fleur, qui s’épanouit à la rosée et qui se referme à la pluie.


Avez-vous rompu avec un ami, je vous en conjure au nom de ce saint respect que vous devez à son cadavre, ne lui donnez plus aucun signe de vie, ne lui écrivez plus ; détournez, si vous le pouvez, vos yeux de son visage : les marques de votre affection passée et celles de votre froideur actuelle irritent inutilement et renouvellent tes peines d’une rupture. Il est plus facile de supporter les regards glacés d’une ancienne maitresse que ceux de l’ami qu’on a perdu ; une maitresse peut être remplacée, mais u ami, jamais.


La puissance seule de l’imagination, et non le manque de courage, produit la crainte des esprits ; et celui qui la porte jusqu’à l’effroi dans un enfant n’y gagnera rien, lors même que ce dernier déposerait ensuite ses terreurs et reconnaitrait que la cause en était toute naturelle : aussi ne voit-on que quelques enfants possédés de cette crainte dans une même famille, c’est-à-dire ceux-là seuls dont l’imagination est plus vive : aussi Shakespeare, lorsqu’il évoque des esprits sur la scène, fait-il dresser les cheveux même aux esprits forts des premières galeries, et cela incontestablement en ébranlant leur imagination. La crainte des esprits est un des phénomènes les plus extraordinaires de notre nature d’abord à cause de l’empire qu’dte a exercé sur tous les peuples, ensuite parce qu’elle ne provient pas de féducation car souvent t’entant frissonne en même temps à la vue d’un grand ours qui est à ta porte et à l’idée d’un esprit. Mais si la première crainte se passe, pourquoi la seconde ne se dissipe-t-elle pas ? Enfin, à cause du sujet même : celui qui a peur des esprits ne redoute souvent ni la douleur ni la mort, mais la présence d’un être étranger et sureaturel. il pourrait envisager un habitant de la lune ou celui d’une étoite fixe, aussi facilement qu’un animal nouveau pour lui ; mais l’idée d’un esprit excite en lui une terreur semblable a. cette que produiraient des maux inconnus à cette terre, une terreur causée par l’approche d’un autre monde que celui qu’éclaire le soleil


L’ange de la dernière heure, que nous appelons si crùment la mort, est le plus tendre et le meilleur des anges ; on l’a choisi tel pour recueillir doucement et délicatement le cœur abattu de l’homme au moment où il cesse de vivre, et le porter avec ménagement de notre sein glacé dans le sublime et brålant Éden.. Son frère est l’ange de la première heure : celui-ci donne deux baisers à l’homme, le premier pour lui faire commencer la vie, le second pour qu’il se réveille là-haut sans blessures et qu’il entre dans l’autre vie en souriant, de même qu’il est entré dans celle-ci en pleurant.


Pourquoi vouloir faire partager tous les sentiments de notre cœur à des cœurs étrangers ? — Pourquoi le dictionnaire de la douleur a-t-il tant de mots, et celui de l’ivresse et de l’amour si peu de pages ? — Le génie de l’ivresse et de l’amour ne nous a donné qu’une seule larme, un serrement de main, un accent harmonieux, et nous a dit : « Voilà votre éloquence ! »


La vertu ne peut nous obtenir le bonheur, mais seulement nous en rendre moins indignes ; parce que l’existence nous donne déja, comme aux animaux privés du sens moral, un droit à la joie ; parce que la vertu et la joie sont des grandeurs incommensurables, et que l’on ne sait pas si un siècle de bonheur est mérité par dix années de vertu, ou s’il arrive le contraire ; parce que les années de la joie précèdent celles de la vertu ; de sorte que l’homme vertueux devrait d’abord mériter le passé au lieu de l’avenir, et la terre au lieu du ciel.


Compatir aux maux d’autrui n’est qu’une vertu humaine, mais prendre part à la joie d’un autre appartient à un ange ; et il est même aussi divin, et peut-être plus divin encore, de contempler le bonheur qui nous est étranger avec une véritable sympathie et une profonde sensibilité, que de l’éprouver soi-même.


Pour sacrifier sa vie et sa fortune, il faut avoir en vue quelque chose de plus élevé que ces biens. En défendant les jours et les intérêts d’autrui, l’homme vertueux montre plus de courage qu’en combattant pour son existence et ses propres intérêts ; la mère n’ose rien pour elle, elle ose tout pour son enfant : enfin, ce n’est que pour ce qui est véritablement noble, pour la vertu, que l’homme ouvre ses veines et dévoue ses facultés ; seulement, le martyr chrétien appelle cette vertu, foi ; le sauvage, honneur ; et le républicain, liberté.


Si l’on trouve quelque part dans l’histoire les traces des progrès de l’humanité, c’est sur le chemin qui conduit à la liberté et à la lumière.


De même que le Nouveau-Monde n’apparait d’abord au navigateur que comme un trait obscur au-dessus de l’horizon, ainsi l’autre monde ne repose devant notre cil mourant que comme un nuage, jusqu’à ce que, lorsque nous en approchons, il se développe à nos regards et nous présente ses palmes et ses fleurs. Un sentiment d’ivresse et de gloire se peint souvent sur le visage d’un mourant. Klopstock revit sa bien-aimée, qui l’avait précédé ; — Herder, dans son ravissement, s’écria : Que deviens-je ! — C’est ainsi que dans les premiers temps du christianisme mouraient ordinairement les vieillards avec une nouvelle sérénité ; ils se couchaient, comme le soleil, au milieu de l’éclat d’une belle soirée, présage d’une aurore plus belle encore.


Le monde est dans les ténèbres, mais l’homme est plus élevé que son séjour ; il porte ses regards plus haut, et il déploie les ailes de son ame, Lorsque les soixante minutes que nous appelons soixante ans ont sonné, il prend son essor et s’enflamme dans l’espace ; les cendres de son enveloppe retombent sur la terre, et son ame, délivrée de sa prison fragile, s’élève seule, pure comme un son, vers les régions éthérées,… Mais ici-bas, du sein de cette vie obscure, il découvre les sommités du monde qui l’attend, éclairées par les rayons d’un soleil qui ne se lève point sur ce monde : ainsi l’habitant des régions australes, dans les longues nuits que le soleil n’interrompt point, voit cependant à midi une aurore boréale rougir les cimes des plus hautes montagnes, et il songe au long été où le soleil ne le délaissera plus.


Il existe un état de sainteté où les souffrances peuvent seules nous conduire en nous épurant. Le fleuve de la vie devient d’une blancheur éblouissante lorsqu’il se brise contre des rochers. Il est une hauteur de pensée où les idées vulgaires ne peuvent plus nous atteindre, de même que lorsqu’on se trouve sur une des sommités des Alpes, les pics des montagnes semblent se rapprocher sans qu’on aperçoive les parties inférieures qui les réunissent.


Si vous êtes bons, ô hommes ! comment pouvez-vous même un senl moment vous affliger les uns les autres ? Ah ! dans le sombre hiver de cette vie, parmi ce chaos d’êtres inconnus que leur sublimité ou leur profondeur éloigne de nous, dans ce monde obscur, au milieu de ces ténèbres flottantes qui environnent cette terre fragile, comment est-il possible que l’homme ainsi isolé n’embrasse pas avec amour le seul être dont le cœur palpite comme le sien, et auquel il puisse dire : « Mon frère, tu es semblable à moi, tu souffres comme moi, nous ne pouvons que nous aimer. — Homme incompréhensible ! tu préfères rassembler des poignards et les diriger dans l’ombre contre un cœur image du tien, que le ciel dans sa bonté t’avait donné pour ton bon- heur et ta consolation !


L’homme a deux minutes et demie à passer en ce monde, l’une pour rire, l’autre pour pleurer, et une demi-minute pour aimer ; car au milieu la mort l’atteint.

Mais le tombeau n’est point profond, c’est la trace brillante de l’ange qui nous cherche : lorsque sa main invisible lance le dernier trait sur la tête de l’homme, celui-ci la penche en avant, et le trait ne fait qu’enlever la couronne d’épines qui recouvrait ses blessures.


Exprimer ses sentiments par des paroles, sa piété par des sermons, son amour et ses désirs par la poésie, ce n’est que les amoindrir et satisfaire son cœur en soi-même. Si l’on manifeste ses sentiments par des actions, le ceur en demande sans cesse de nouvelles et de plus grandes encore ; et toute action peut seulement les fortifier et les aiguillonner, mais non les calmer.


Ce n’est qu’aux ames calmes et pures que la justice se manifeste tout entière comme un soleil réfléchi. L’amour de la liberté, chez les Allemands, n’est que l’amour de la justice, et non celui de l’éclat ni de la cupidité ; aussi long-temps que l’on ne pourra étouffer ce noble sentiment dans nos cœurs, nous haïrons l’esclavage et chérirons la patrie.


Heureux ; trois fois heureux celui à qui Dieu inspire une grande idée qui devient le mobile de toute sa vie et de toutes ses actions ; une idée qu’il préfère aux joies de ce monde, qui, toujours jeuneet faisant toujours de nouveaux progrès, lui cache l’insipide uniformité de la vie. Quand Dieu (d’après la fable). imposa les mains sur Mahomet, celui-ci sentit aussitòt un froid de glace. Lorsqu’un génie immortel ébranle notre ame et l’élève au plus sublime enthousiasme, elle devient froide et silencieuse, car alors elle possède la science éternelle.


La douleur doit épurer, autrement que nous en resterait-il ? la joie ne peut la bannir, elle ne fait que la ramener plus aiguë ; un travail et des efforts continuels peuvent seuls la chasser. Souffrir est plus difficile qu’agir, parce que l’un dure plus long-temps que l’autre. Le jeune homme ne peut qu’agir, l’homme fait peut aussi souffrir. Plus l’ame est près de la perfection, et plus elle supporte avec aisance et sans altérer sa beauté première, de même qu’une voûte peut soutenir un plus grand poids, en raison de ce qu’elle se rapproche davantage da cercle[7].


Nous ressemblons tous à Adam, dans les poèmes sur la création : nous regardons la première nuit comme le dernier jour, et le coucher, du soleil comme la fin du monde ; nous déplorons nos amis comme s’il n’existait pas là-haut un meilleur avenir ; et nous nous trouvons aussi à plaindre que si nous n’avions plus aucune espérance ici-bas ; car toutes nos passions sont naturellement incrédules et athées.


On désire un tarif qui fixe le prix des livres, cette manne céleste, et on trouve tout simple qu’une marchande de modes réclame un prix arbitraire de ces futilités que le luxe et le sexe rendent indispensables, et qui, changeant continuellement de noms et de formes, exigent bientôt de nous un nouveau tribut ; tandis qu’avec l’argent que dépense une femme du monde pour orner sa tête d’une manière convenable, l’on pourrait remplir celle de son mari de connaissances utiles.

Alphonse, roi de Naples, qui portait dans ses armes un livre ouvert (tant d’autres en possèdent de fermés !), fit la paix avec Cosme de Médicis, à la seule condition lui céderait une copie manuscrite de Tite-Live : ce monarque, lorsqu’il prenait des villes, se réjouissait plus des livres qu’il y trouvait que de toute autre conquête.

Dans le siècle où nous vivons, il s’est passé quelque chose de plus grand encore ; on a fait des conquêtes par des livres, par conséquent aussi pour des livres ; et les nourrissons des Muses ont également combattu pour le Parnasse et pour le trône.


Le bras agité par la fièvre de la passion, ne peut ni tenir sûrement, ni diriger les pinceaux de la poésie. L’indignation seule peut à la vérité faire des vers, satire elle-même devient plus mordante par sa douceur que par son fiel, de même que le mais non les meilleurs. La vinaigre dont l’acidité augmente si l’on y jette des tiges de roses, et qui dégénère si l’on y mêle l’amertume du houblon.


Les passions ressemblent au lion audacienx et généreux, quoique dévorant. L’égoisme est semblable à la punaise, qui mord et se repat en silence. L’homme a deux poches au ceur ; dans l’une il place le moi, dans l’autre ce qui lui est étranger ; il aime mieux laisser vide cette dernière que la mal remplir. L’égoiste n’a qu’une seule poche, comme les vers et les insectes : le véritable égofste réclame sans pudeur l’amour qu’il refuse… il pourrait moudre le monde dans un moulin à cochenille, pour en teindre ses habits et son visage ; 1l se croit le centre de l’univers, et il regarde le diable et les anges et tous les siècles passés comme des pourvoyeurs et des serviteurs muets, les globes comme les hôtelleries du seul misérable moi.


Les télégraphes, ou les phares des trônes, sont placés aujourd’hui sur les monts consacrés aux Muses. Il fut un temps naguère où le déluge des armées françaises avait couvert de ses vagues jusqu’aux sommités des phares ; la lumière ne pouvait plus s’y montrer, les navires se brisaient sur tous les écueils : maintenant les phares doivent continuer à briller même pendant les nuits les plus calmes.

Ce serait être ingrat envers les grandes puissances, et mal reconnaitre les espérances qu’elles ont déja réalisées, que de ne pas insister sur le petit nombre de celles qui ne le sont pas encore, et de craindre d’en réclamer l’accomplissement. Les libérateurs de l’Europe peuvent réserver le facile affranchissement des Muses pour ta fin de leurs travaux et pour le commencement de leur repos. Qu’elle soit prophétique cette idée consolante Les orages des batailles ont en un seul printemps fondu et chassé l’hiver de Corse et détruit, avec sa vermine d’espions, les frimas dont il avait enchatné tes monts sacrés des Muses et tous tes champs des connaissances humaines ; mais ces champs, qui reverdissent et refleurissent aujourd’hui, dont ils plus rien à redouter des gelées tardives et nocturnes auxquelles on peut s’attendre d’ailleurs ?

Les présages nous sont favorables ; car, d’après tes règles ordinaires du temps, les orages du printemps nous rassurent contre les gelées tardives.


La douleur a pour se manifester des signes bien plus expressifs quêta joie : pour dépeindre l’ivresse de celle-ci sur la scène, qu’on nous y représente un homme dans l’état de sommeil ; si le sourire du bonheur effleure une seule fois ses ! èvres, nous aurons l’image d’une <eMcft~ qu’on ne peut rendre par des paroles et qui s’évanouit des qu’il soulève sa paupière.


Aussi long-temps que l’homme ne s’est pas encore développé de ses tendres bourgeons, il prête l’infini, qui seul peut le satisfaire, aux objets étrangers de ses jouissances dont il n’a pas encore eu le temps d’apercevoir les limites. C’est précisément parce que l’enfance ne voit pas dans t’avenir qu’eUe s’élance toujours au-delà. n n’est point de couronnes ni de lauriers qui puissent rendre à l’homme le MvMsement que l’enfant a éprouvé en recevant ses étrennes. Les transports da jeune homme aux premières vérités et aux premières poésies, ou ceux qu’ilaressentis à la première gloire ou à la perspective enivrante de l’avenir qui se présentait à lui, toutes ces joies s’émoussent et perdent le charme de leur nouveauté dès que l’aurore de la jeunesse ne colore plus de son doux éclat les nuages de la vie, et que le soleil, à son midi, appesantit sur lui ses rayons enflammés. Aussitôt que l’homme est sorti des premiers lustres pendant lesquels il se développe, et qu’il ïeconnatt déja que son imagination seule a embelli les objets de ses prestiges, il devient plus calme et plus indifférent, il sait ce qu’il attend de chaque moment, il sait qu’it n’obtiendra aujourd’hui que ce qu’il a obtenu hier, que ses plaisirs seront semblables à ceux de laveille. La vie ne se peint aux vieillards que d’en haut ; et, pour parler comme lespeintres, ils n’en saisissent la perspective qu’à vol d’oiseau, le charme des arrière-plans leur manque.


La joie d’autrui expire dans un cœur obscur et solitaire, o& elle ne rencontre pas de compagnes elle ne s’y montre que comme un spectre. C’est ainsi que le vert, cette admirable couleur du printemps, lorsqn’! t se réftéchit dans un nuage, n’annonce ordinairement qu’une longue pluie.


Celui qui a marché long-temps vers un but éloigné jette un regard en arrière, et, plein de nouveaux désirs, mesure en soupirant la carrière qu’il a parcourue et à laquelle il a sacri&é tant d’heures si précieuses.

Aujourd’hui, avant la nuit, j’ai recueiU ! toutes les rognures qui sont tombées de ce livre, au lieu de les brûler comme font d’autres auteurs j’ai déposé en même temps dans mes tablettes toutes les lettres des amis qui ne peuvent plus m’en écrire, comme les pièces d’un procès terminé par l’instance de la mort c’est ainsi que l’homme devrait toujours enrichir ses archives et fixer, quoique desséchées, les fleurs de la joie dans un herbier ; je ne voudrais même pas qu’il donnåt ni qu’il vendit ses vieilles hardes, mais qu’il les sus- pendit dans ses armoires, comme les dépouilles de ses heures moissonnées, comme les marionnettes dè ses plaisirs écoutes Fe mortuum des temps passés. caput.


FIN.
  1. L’auteur fait allusion aux classes inférieures. (Note du traducteur.)
  2. Les Espagnols appellent du nom de zahuri des hommes auxquels ils attribuent le pouvoir de voir les cadavres et les trésors que la terre recèle dans son sein.
  3. On dirait que Jean-Paul n’avait pas lu ses autres ouvrages : nous croyons devoir protester contre cette hérésie littéraire. (Note du traducteur.)
  4. Allusion à la révolution française. (Note du traducteur.)
  5. Jean-Paul fait sans doute allusion ici à la différente manière de saluer des deux sexes. (Note de l’éditeur.)
  6. L’auteur fait allusion à la grossesse des femmes. (Note du traducteur.)
  7. Le cercle est considéré ici comme le symbole mystique de la perfection. (Note du traducteur.)