Pensées (Pascal)/2e éd. Desprez/XXIX

Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, qui ont esté trouvées après sa mort parmy ses papiers (1670)
Guillaume Desprez (p. 270-290).

XXIV.

Pensées Morales.



Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle, où se trouvent tous les hommes en naissant. L’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même ignorance d’où ils étaient partis. Mais c’est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d’entre deux qui sont sortis de l’ignorance naturelle, et n’ont pu arriver à l’autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux là troublent le monde, et jugent plus mal de tout que les autres. Le peuple et les habiles composent pour l’ordinaire le train du monde. Les autres le méprisent et en sont méprisés.

[§] Le peuple honore les personnes de grande naissance. Les demi habiles les méprisent, disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple, mais par une pensée plus relevée. Certains zélés qui n’ont pas grande connaissance les méprisent malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles ; parce qu’ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne. Mais les Chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi se vont les opinions, succédant du pour au contre, selon qu’on a de lumière.

[§] L’âme aime la main ; et la main, si elle avait une volonté, devrait s’aimer de la même sorte que l’âme l’aime. Tout amour qui va au delà est injuste.

Qui adhæret Domino, unus spiritus est. On s’aime, parce qu’on est membre du corps dont Jésus-Christ est le chef. On aime Jésus-Christ parce qu’il est le chef du corps dont on est membre. Tout est un : l’un est en l’autre. Si les pieds et les mains avaient une volonté particulière, jamais ils ne seraient dans leur ordre, qu’en soumettant cette volonté particulière à la volonté première qui gouverne le corps entier. Hors de là ils sont dans le désordre et dans le malheur. Mais en ne voulant que le bien du corps, ils font leur propre bien.

[§] La concupiscence et la force sont les sources de toutes nos actions purement humaines. La concupiscence fait les volontaires, la forces les involontaires.

[§] D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas, et qu’un esprit boiteux nous irrite ? C’est à cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons. Sans cela nous en aurions plus de pitié que de colère.

Épictète demande aussi pourquoi nous ne nous fâchons pas, si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu’on dit que nous raisonnons mal, ou que nous choisissons mal. Ce qui cause cela, c’est que nous sommes bien certains que nous n’avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux. Mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissions le vrai. De sorte que n’en ayant d’assurance, qu’à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix ; car il faut préférer nos lumières à celles de tant d’autres, et cela est hardi et difficile. Il n’y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux.

[§] Le peuple a les opinions très saines ; par exemple, d’avoir choisi le divertissement et la chasse, plutôt que la poésie : les demi-savants s’en moquent, et triomphent à montrer là-dessus la folie du monde : mais par une raison qu’ils ne pénètrent pas on a raison : d’avoir aussi distingué les hommes par le dehors, comme par la naissance ou le bien. Le monde triomphe encore à montrer combien cela est déraisonnable. Mais cela est très raisonnable.

[§] C’est un grand avantage que la qualité, qui dès dix huit ou vingt ans met un homme en passe, connu et respecté, comme un autre pourrait avoir mérité à cinquante ans. Ce sont trente ans gagnés sans peine.

[§] Il y a de certaines gens qui pour faire voir qu’on a tort de ne les pas estimer, ne manquent jamais d’alléguer l’exemple de personnes de qualité qui font cas d’eux. Je voudrais leur répondre : montrez-nous le mérite par où vous avez attiré l’estime de ces personnes-là, et nous vous estimerons de même.

[§] Les choses qui nous tiennent le plus au cœur ne sont rien le plus souvent ; comme, par exemple, de cacher qu’on ait peu de bien. C’est un néant que notre imagination grossit en montagne. Un autre tour d’imagination nous le fait découvrir sans peine.

[§] Il y a des vices qui ne tiennent à nous que par d’autres, et qui en ôtant le tronc s’emportent comme des branches.

[§] Quand la malignité a la raison de son côté, elle devient fière, et étale la raison en tout son lustre. Quand l’austérité ou le choix sévère n’a pas réussi au vrai bien, et qu’il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par le retour.

[§] Ce n’est pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement ; car il vient d’ailleurs, et de dehors ; et ainsi il est dépendant, et par conséquent sujet à être troublé par mille accidents qui font les afflictions inévitables.

[§] Toutes les bonnes maximes sont dans le monde : il ne faut que les appliquer. Par exemple, on ne doute pas qu’il ne faille exposer sa vie pour défendre le bien public, et plusieurs le font ; mais pour la Religion, peu.

[§] On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers, si l’on n’a mis l’enseigne de poète, ni pour être habile en mathématiques, si l’on n’a mis celle de mathématicien. Mais les vrais honnêtes gens ne veulent point d’enseigne, et ne mettent guère de différence entre le métier de poète, et celui de brodeur. Ils ne sont point appelés ni poètes ; ni géomètres ; mais ils jugent de tous ceux là. On ne les devine point. Ils parleront des choses dont l’on parlait, quand ils sont entrés. On ne s’aperçoit point en eux d’une qualité plutôt que d’une autre, hors de la nécessité de la mettre en usage : mais alors on s’en souvient ; car il est également de ce caractère, qu’on ne dise point d’eux qu’ils parlent bien, lorsqu’il n’est pas question du langage, et qu’on dise d’eux qu’ils parlent bien, quand il en est question. C’est donc une fausse louange quand on dit d’un homme lorsqu’il entre, qu’il est fort habile en poésie ; et c’est une mauvaise marque quand on n’a recours à lui que lorsqu’il s’agit de juger de quelques vers. L’homme est plein de besoins. Il n’aime que ceux qui peuvent les remplir. C’est un bon mathématicien, dira-t-on ; mais je n’ai que faire de mathématiques. C’est un homme qui entend bien la guerre ; mais je ne la veux faire à personne. Il faut donc un honnête homme qui puisse s’accommoder à tous nos besoins.

[§] Quand on se porte bien, on ne comprend pas comment on pourrait faire si on était malade ; et quand on l’est, on prend médecine gaiement ; le mal y résoud. On n’a plus les passions et les désirs des divertissements et des promenades que la santé donnait, et qui sont incompatibles avec les nécessités de la maladie. La nature donne alors des passions, et des désirs conformes à l’état présent. Ce ne sont que les craintes que nous nous donnons nous-mêmes, et non pas la nature qui nous troublent ; parce qu’elles joignent à l’état où nous sommes, les passions de l’état où nous ne sommes pas.

[§] Les discours d’humilité sont matière d’orgueil aux gens glorieux, et d’humilité aux humbles. Aussi ceux de Pyrrhonisme et de doute sont matière d’affirmation aux affirmatifs. Peu de gens parlent de l’humilité humblement ; peu de la chasteté chastement ; peu du doute en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariétés. Nous nous cachons, et nous déguisons à nous-mêmes.

[§] Diseur de bons mots, mauvais caractère.

Le mot de moi dont l’auteur se sert dans la pensée suivante, ne signifie que l’amour propre. C’est un terme dont il avait accoutumé de se servir avec quelques uns de ses amis.

[§] Le moi est haïssable. Ainsi ceux qui ne l’ôtent pas, et qui se contentent seulement de le couvrir, sont toujours haïssables. Point du tout, direz vous ; car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde, on n’a pas sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais, parce qu’il est injuste, et qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours. En un mot le moi a deux qualités ; il est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il les veut asservir ; car chaque moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice : vous ne le rendez aimable qu’aux injustes, qui n’y trouvent plus leur ennemi ; et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.

[§] Je n’admire point un homme qui possède une vertu dans toute sa perfection, s’il ne possède en même temps dans un pareil degré la vertu opposée : tel qu’était Épaminondas, qui avait l’extrême valeur jointe à l’extrême bénignité ; car autrement ce n’est pas monter, c’est tomber. On ne montre pas sa grandeur, pour être en une extrémité ; mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l’entre-deux. Mais peut-être que ce n’est qu’un soudain mouvement de l’âme de l’un à l’autre de ces extrêmes, et qu’elle n’est jamais en effet qu’en un point, comme le tison de feu que l’on tourne. Mais au moins cela marque l’agilité de l’âme, si cela n’en marque l’étendue.

[§] Si notre condition était véritablement heureuse, il ne faudrait pas nous divertir d’y penser.

[§] J’avais passé beaucoup de temps dans l’étude des sciences abstraites : mais le peu de gens avec qui on en peut communiquer m’en avait dégoûté. Quand j’ai commencé l’étude de l’homme, j’ai vu que ces sciences abstraites ne lui sont pas propres, et que je m’égarais plus de ma condition en y pénétrant, que les autres en les ignorant ; et je leur ai pardonné de ne s’y point appliquer. Mais j’ai cru trouver au moins bien des compagnons dans l’étude de l’homme, puis que c’est celle qui lui est propre. J’ai été trompé. Il y en a encore moins qui l’étudient que la Géométrie.

[§] Quand tout se remue également, rien ne se remue en apparence ; comme en un vaisseau. Quand tous vont vers le dérèglement, nul ne semble y aller. Qui s’arrête, fait remarquer l’emportement des autres, comme un point fixe.

[§] Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité. Il se contente de cela, parce qu’il voit qu’il ne se trompait pas, et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on n’a pas de honte de ne pas tout voir ; mais on ne veut pas s’être trompé ; et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’esprit ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

[§] La vertu d’un homme ne se doit pas mesurer par ses efforts, mais par ce qu’il fait d’ordinaire.

[§] Les grands et les petits ont mêmes accidents, mêmes fâcheries, et mêmes passions. Mais les uns sont au haut de la roue, et les autres près du centre, et ainsi moins agités par les mêmes mouvements.

[§] On se persuade mieux pour l’ordinaire par les raisons qu’on a trouvées soi-même, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.

[§] Quoique les personnes n’aient point d’intérêts à ce qu’ils disent, il ne faut pas conclure de là absolument qu’ils ne mentent point ; car il y a des gens qui mentent simplement pour mentir.

[§] L’exemple de la chasteté d’Alexandre n’a pas tant fait de continents, que celui de son ivrognerie a fait d’intempérants. On n’a pas de honte de n’être pas aussi vertueux que lui, et il semble excusable de n’être pas plus vicieux que lui. On croit n’être pas tout à fait dans les vices du commun des hommes, quand on se voit dans les vices de ces grands hommes ; et cependant on ne prend pas garde qu’ils sont en cela du commun des hommes. On tient à eux par le bout, par où ils tiennent au peuple. Quelque élevés qu’ils soient, ils sont unis au reste des hommes par quelque endroit. Ils ne sont pas suspendus en l’air, et séparés de notre société. S’ils sont plus grands que nous, c’est qu’ils ont la tête plus élevée ; mais ils ont les pieds aussi bas que les nôtres. Ils sont tous à même niveau, et s’appuient sur la même terre, et par cette extrémité ils sont aussi abaissés que nous, que les enfants, que les bêtes.

[§] C’est le combat qui nous plaît, et non pas la victoire. On aime à voir les combats des animaux, non le vainqueur acharné sur le vaincu. Que voulait-on voir, sinon la fin de la victoire ? Et dès qu’elle est arrivée, on en est saoul. Ainsi dans le jeu ; ainsi dans la recherche de la vérité. On aime à voir dans les disputes le combat des opinions ; mais de contempler la vérité trouvée, point du tout. Pour la faire remarquer avec plaisir, il faut la faire voir naissant de la dispute. De même dans les passions, il y a du plaisir à en voir deux contraires se heurter ; mais quand l’une est maîtresse, ce n’est plus que brutalité. Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. Ainsi dans la comédie les scènes contentes sans crainte ne valent rien, ni les extrêmes misères sans espérance, ni les amours brutales.

[§] On n’apprend pas aux hommes à être honnêtes gens, et on leur apprend tout le reste ; et cependant ils ne se piquent de rien tant que de cela. Ainsi ils ne se piquent de savoir que la seule chose qu’ils n’apprennent point.

[§] Le sot projet que Montaigne a eu de se peindre ; et cela non pas en passant et contre ses maximes, comme il arrive à tout le monde de faillir ; mais par ses propres maximes, et par un dessein premier et principal ; car de dire des sottises par hasard et par faiblesse, c’est un mal ordinaire ; mais d’en dire à dessein, c’est ce qui n’est pas supportable, et d’en dire de telles que celles là.

[§] Ceux qui sont dans le dérèglement disent à ceux qui sont dans l’ordre, que ce sont eux qui s’éloignent de la nature, et ils la croient suivre : comme ceux qui sont dans un vaisseau croient que ceux qui sont au bord s’éloignent. Le langage est pareil de tous côtés. Il faut avoir un point fixe pour en juger. Le port règle ceux qui sont dans un vaisseau. Mais où trouverons-nous ce point dans la morale ?

[§] Plaindre les malheureux n’est pas contre la concupiscence ; au contraire, on est bien aise de pouvoir rendre ce témoignage d’humanité, et s’attirer la réputation de tendresse, sans qu’il en coûte rien : ainsi ce n’est pas grand’chose.

[§] Qui aurait eu l’amitié du Roi d’Angleterre, du Roi de Pologne, et de la Reine de Suède, aurait-il cru pouvoir manquer de retraite et d’asile au monde ?

[§] Les choses ont diverses qualités, et l’âme diverses inclinations ; car rien n’est simple de ce qui s’offre à l’âme, et l’âme ne s’offre jamais simple à aucun sujet. De là vient qu’on pleure et qu’on rit quelquefois d’une même chose.

[§] Nous sommes si malheureux, que nous ne pouvons prendre plaisir à une chose, qu’à condition de nous fâcher si elle nous réussit mal, ce que mille choses peuvent faire, et font à toute heure. Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans être touché du mal contraire, aurait trouvé le point.

[§] Il y a diverses classes de forts, de beaux, de bons esprits, et de pieux, dont chacun doit régner chez soi, non ailleurs. Ils se rencontrent quelquefois ; et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l’un de l’autre ; car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas ; et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien au royaume des savants : elle n’est maîtresse que des actions extérieures.

[§] Ferox gens nullam esse vitam sine armis putat. Ils aiment mieux la mort que la paix : les autres aiment mieux la mort que la guerre. Toute opinion peut être préférée à la vie, dont l’amour paraît si fort et si naturel.

[§] Qu’il est difficile de proposer une chose au jugement d’un autre sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer ! Si on dit : je le trouve beau, je le trouve obscur, on entraîne l’imagination à ce jugement, ou l’on l’irrite au contraire. Il vaut mieux ne rien dire ; car alors il juge selon ce qu’il est, c’est à dire selon ce qu’il est alors, et selon que les autres circonstances dont on n’est pas auteur l’auront disposé ; si ce n’est que ce silence ne fasse aussi son effet selon le tour et l’interprétation qu’il sera en humeur d’y donner, ou selon qu’il conjecturera de l’air du visage et du ton de la voix : tant il est aisé de démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il y en a peu de ferme et de stable.

[§] Les Platoniciens, et même Épictète et ses sectateurs croient que Dieu est seul digne d’être aimé et admiré ; et cependant ils ont désiré d’être aimés et admirés des hommes. Ils ne connaissent pas leur corruption. S’ils se sentent portés à l’aimer et à l’adorer, et qu’ils y trouvent leur principale joie, qu’ils s’estiment bons à la bonne heure. Mais s’ils y sentent de la répugnance ; s’ils n’ont aucune pente qu’à se vouloir établir dans l’estime des hommes ; et que pour toute perfection ils fassent seulement que sans forcer les hommes ils leurs fassent trouver leur bonheur à les aimer ; je dirai que cette perfection est horrible. Quoi, ils ont connu Dieu, et n’ont pas désiré uniquement que les hommes l’aimassent : ils ont voulu que les hommes s’arrêtassent à eux : ils ont voulu être l’objet du bonheur volontaire des hommes.

[§] Que l’on a bien fait de distinguer les hommes par l’extérieur plutôt que par les qualités intérieures ! Qui passera de nous deux ? Qui cédera la place à l’autre ? Le moins habile ? Mais je suis aussi habile que lui. Il faudra se battre sur cela. Il a quatre laquais, et je n’en ai qu’un. Cela est visible ; il n’y a qu’à compter ; c’est à moi de céder ; et je suis un sot si je le conteste. Nous voilà en paix par ce moyen, ce qui est le plus grand des biens.

[§] Le temps amortit les afflictions et les querelles ; parce qu’on change, et qu’on devient comme une autre personne. Ni l’offensant, ni l’offensé ne sont plus les mêmes. C’est comme un peuple qu’on a irrité, et qu’on reverrait après deux générations. Ce sont encore les Français, mais non les mêmes.

[§] Il est indubitable que l’âme est mortelle, ou immortelle. Cela doit mettre une différence entière dans la morale. Et cependant les Philosophes ont conduit la morale indépendamment de cela. Quel étrange aveuglement !

[§] Le dernier acte est toujours sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.