Éditions de l’Action canadienne française (p. 60-61).

DE LA NÉCESSITÉ DU REPOS POUR
LES RÉFORMATEURS



L’ERREUR constante des réformateurs est de s’imaginer que la réforme est une affaire permanente, et de ne pas savoir quand s’arrêter. Tout abus qui a duré longtemps a des chances de durer longtemps, car le peuple, comme toutes les bonnes bêtes, ne raisonne pas, et pour lui faire prendre conscience de ses malheurs il faut lasser son endurance à l’extrême. Le réformateur sera acclamé s’il s’en prend à des abus dont tout le monde se plaint ; où il se tue, c’est à vouloir enseigner la différence entre l’assez bien et le mieux à des êtres qui savent juste discerner entre le très mal et le très bien. Le Comité civique de Montréal est en train de tomber dans le discrédit, sans doute, dans une large mesure, pour avoir systématiquement exclu de ses rangs les hommes d’idéal au bénéfice des hommes pratiques, qui avec toute la bonne volonté du monde auront toujours la réputation de faire des schemes comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, mais aussi, disons-le, pour avoir cru qu’Hercule doit mourir la pelle à la main, sous la livrée d’un valet d’écurie, parce qu’il nettoya un jour les écuries d’Augias. Si le peuple aime à se faire voler, pourquoi le priver complètement de ce plaisir ?

Le réformateur intelligent est celui qui, la place balayée, sait rentrer chez lui jusqu’à la prochaine épidémie, quitte à rappeler de temps en temps à la plèbe, par quelques paroles opportunes, qu’il vaut mieux prévenir que guérir.

Certes, l’habileté suprême est encore, à l’instar de quelques-uns de nos hommes publics, de se mêler aux voleurs en temps de calme et aux réformateurs en temps de crise ; mais pour jouer ce double rôle avec succès, il faut une souplesse et une grâce qui manqueront toujours au commun des hommes.


Colliers Weekly, 13 mai 1911.