Éditions de l’Action canadienne française (p. 7-10).

PRÉFACE



M. Olivar Asselin a été le maître le plus grand et le plus célèbre de la pensée française au Canada. Il a vécu dans sa lumière pour la servir avec la ferveur d’un adorateur et d’un amant. Il l’a fait rayonner par son style, dont il n’a jamais cessé d’aiguiser la logique, et de purifier la clarté. Il l’a illustrée par un esprit critique sensible à toutes les disproportions, c’est-à-dire à tous les ridicules. Il l’a défendue sans merci contre l’inconscience, la sottise et la poussée des génies étrangers. La faillite de la dernière aventure de jeunesse, le mot est de lui, qu’il a tentée pour notre renaissance française, la disparition de l’Ordre, a précipité sa mort. Son œuvre d’écrivain et de maître fait de lui la plus grande figure de notre histoire littéraire. Mais M. Asselin ne fut ni un poète ni un romancier. L’ouvrage littéraire le plus long qu’il ait publié, c’est son étude de l’œuvre de l’abbé Groulx. Et l’on peut se demander sérieusement si les faiseurs de manuels et d’anthologies seront moins injustes à son égard, maintenant qu’il est mort (à l’exemple de tel de ses anciens compagnons d’armes qui se décida, un peu tard, à lui rendre le témoignage qui, quelques années plus tôt, eût prévenu certaines accusations de mauvaise foi qu’on a portées contre lui), qu’ils ne l’ont été pour son ami Jules Fournier.

Il est possible, en effet, que ce que les « hommes de lettres » vaniteux que ces deux polémistes ont blessés ne leur pardonnent pas, ce soit moins les coups les plus cruels qu’ils ont portés que la brûlante leçon d’humilité qu’ils ont donnée, eux qui savaient écrire, en ne laissant aucune œuvre purement, littéraire de quelque importance. Fournier et Asselin n’ont jamais refusé d’aider les jeunes talents qu’ils découvraient. Combien de jeunes aspirants-écrivains M. Asselin, jusqu’à la fin de sa vie, n’a-t-il pas encouragés, quelquefois même plus que leurs dons ne le méritaient ? Fournier et Asselin croyaient simplement qu’ils étaient incapables de faire œuvre littéraire qui pût entrer, fût-ce très humblement, dans la littérature française et ils se sont défendus de « jouer ». Son travail de journaliste même, bien qu’il se sût au premier rang de ses confrères canadiens-français, n’a jamais satisfait M. Asselin. On comprend facilement l’exaspération qu’excitait chez lui le plus malfaisant de nos défauts nationaux, la béate satisfaction de soi-même, l’inconscience de sa médiocrité.

Présenté par l’un de ses collaborateurs auxquels il s’attacha le plus, Valdombre, je connus M. Olivar Asselin en août 1933, alors qu’il était rédacteur en chef au Canada. Je venais de terminer mes études classiques. Mme Asselin et Mme Jules Fournier, épouses et veuves admirables de ces deux grands journalistes, m’apprirent plus tard que c’est une ressemblance physique avec Jules Fournier qui me valut, dès le premier abord, la sympathie de M. Asselin. Celui-ci, on le sait, entretenait un souvenir fervent et actif de son ami. Tout ce qui le lui rappelait l’émouvait. L’amitié Asselin-Fournier est l’une des plus belles, sinon la plus belle, de notre histoire littéraire. J’ai eu le bonheur de conserver cette sympathie, qu’un hasard m’accorda, jusqu’à la mort de M. Asselin. Tous ceux qui ont bénéficié de son amitié, même dans une faible mesure, savent combien elle était généreuse.

Quelques semaines avant sa disparition, quand la maison d’édition de l’Action canadienne-française, dont M. Roger Gagnon venait d’être nommé président et M. Bernard Valiquette, directeur littéraire, me proposa de demander à M. Asselin l’autorisation de préparer sous sa surveillance un recueil de pages choisies dans toute son œuvre, je vis là l’occasion de lui témoigner ma reconnaissance. Il était entendu alors que mon rôle devait se limiter à la préparation matérielle du recueil. M. Asselin signa lui-même le contrat avec la maison d’édition et devait prendre la responsabilité du choix. Malheureusement, l’état de faiblesse dans lequel il se trouvait s’aggrava graduellement et je venais à peine de me mettre au travail quand il mourut.

Un seul volume de pages choisies ne peut donner la mesure d’une œuvre aussi considérable et aussi diverse que celle de M. Asselin. Pensée française ne rend justice ni au journaliste, ni à l’écrivain. On s’imagine facilement d’ailleurs les difficultés qu’a comportées la préparation du recueil. Difficultés provenant de la nature même de l’œuvre, dont la plus importante est évidemment la dispersion de la pensée de M. Asselin en de nombreux articles éloignés les uns des autres et portant sur des faits aujourd’hui oubliés, souvent indiqués seulement par un nom, par une allusion, ou sur des textes dont la reproduction était impossible à cause de leur longueur. Difficultés provenant, de considérations à demi étrangères à l’œuvre elle-même, que seul M. Asselin aurait pu résoudre. Une édition complète de son œuvre, abondamment annotée, pourra lui rendre justice. Il est malheureusement à craindre que des obstacles de toutes sortes n’en rendent la publication impossible d’ici plusieurs années.

Il me reste à remercier un vieil ami de M. Asselin, M. Ægidius Fauteux, à qui j’ai soumis Pensée française page par page, d’avoir voulu me conseiller sur les questions d’opportunité qui se posaient.

Gérard DAGENAIS