Librairie ancienne Édouard Champion (p. 5-6).


RENTRÉE



9 octobre 1914.


Mon retour à Paris, d’où j’étais parti fin juin fort innocemment, n’est un événement que pour moi, mais c’en est un tout de même, car j’en avais longtemps désespéré. Jusqu’à ces derniers jours, les trains étaient si rares et si mal commodes sur les lignes transversales, qu’il n’y fallait pas songer pour un homme à qui sont interdites la marche et les longues stations dans les courants d’air. Un vieux poète bohème, souvent sans gîte, disait un jour de lui-même : « J’étais prisonnier dans la rue. » Pour moi, j’étais prisonnier dans la campagne. Petit mal, cause tout au plus d’ennui et d’énervement, si on le compare au destin infiniment dur de tant d’autres ! Ah ! que je les ai vécus et que je les vis encore, ces maux écrasants ! Ces hordes n’ont pas piétiné que les populations qui se trouvaient sous leur chemin, elles ont marché sur le cœur même de la France et l’angoisse a été ressentie partout à la fois. Comme elle pesait hier, cette angoisse unanime, sur les effusions du retour ! Les gens montaient vite dans une voiture et allaient se réfugier sous la lampe familiale, pour penser au lendemain et préparer leur vie d’hiver. Rien d’égoïste pourtant dans cette préoccupation. En traversant le plateau de Versailles, les yeux, les oreilles, le cœur surtout, toute la sensibilité de toutes ces vies se portait plus loin, au delà des horizons, vers ceux qui combattent pour ceux qui sont demeurés.