Pendant l’orage/L’invitation

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 121-122).

L’INVITATION



17 avril 1915.


C’est une nouvelle œuvre de guerre que veut fonder M. Jean de Bonnefon. Il s’agit, dit-il, de trouver des personnes habitant la campagne qui accueilleraient, non comme des hospitalisés, mais comme des invités, les blessés de la guerre parmi les artistes et les écrivains. C’est une jolie idée, mais délicate et d’une réalisation difficile. Il faut bien connaître quelqu’un et être sûr de lui et de son caractère pour l’inviter à passer quelques mois chez soi, au milieu des siens, de ses enfants, pour lui ouvrir ainsi toute grande son intimité. Mais il s’agit de la guerre et de ses suites et cela lèvera bien des scrupules, fera taire bien des répugnances. Il ne faut pas d’ailleurs susciter d’avance les obstacles. Ils se présenteront d’eux-mêmes en grand nombre. Il vaudrait mieux tâcher de vaincre ceux que l’on ne devine que trop et montrer, par exemple, qu’il s’agira souvent de blessés, d’êtres fatigués, anémiés, troublés par des mois de campagne et que les inconvénients d’une longue présence dans la famille doivent être comptés pour peu de chose quand il s’agit d’un grand bienfait à distribuer à des hommes qui ont longtemps souffert et qui souffriront longtemps. D’ailleurs, cela ne peut s’adresser qu’à un petit nombre d’invités et aussi à un petit nombre d’invitants. M. de Bonnefon parle d’étendre cet accueil à la famille du soldat-artiste ou du soldat-écrivain. Cela restreint encore le nombre des maisons qui peuvent s’ouvrir à ce genre d’hospitalisation intime. Au fait, n’y en aurait-il que quelques-unes que ce serait encore heureux d’en avoir forcé la porte avec cette idée, qui est charmante et dont l’auteur doit être grandement félicité. Elle peut même avoir une grande portée sociale et de grands résultats. Nous ne serons pas toujours en état de guerre. Il peut en résulter des habitudes d’hospitalité des plus heureuses pour notre sociabilité qui devenait un peu égoïste.