Librairie ancienne Édouard Champion (p. 9-10).

ANVERS



13 octobre 1914.


J’ai encore connu Anvers dans toute la richesse de sa vie flamande. On y parlait peu français et, allemand, pas du tout. Il paraît que cela avait beaucoup changé ces dernières années et que le germanisme en avait fait, avant la conquête brutale, la conquête commerciale. C’était un chagrin pour les vieux flamands qui voyaient se modifier sous leurs yeux le caractère original de la vieille cité. J’espère qu’ils ne l’auront pas trop endommagée et qu’au jour prochain de l’évacuation, elle se retrouvera elle-même, pleinement rendue à ses forces naturelles et originales. Le seul ennemi que je trouvai à Anvers, ce fut la pluie, d’une violence et d’une qualité que seul pourrait peindre un Verhaeren. Dans les mauvais jours, l’air lui-même semble se métamorphoser en eau. Le ciel et l’Escaut ne font qu’un. On a la sensation d’être seul dans la foule ruisselante. Malgré cela, ou peut-être grâce à cet excès, je ressentais je ne sais quel charme étrange à vivre parmi ce peuple dont rien ne décourageait l’activité. D’ailleurs, même à Anvers, la pluie n’est qu’un accident, quoique fréquent, et je me souviens aussi de ces avenues ensoleillées, des magnifiques promenades qui conduisent à son musée, à ses Quentin Metzis. Quelle douceur mettent ces chefs-d’œuvre dans le souvenir et comme en un tel moment elle se fait plus pénétrante. Ah ! jours que je ne reverrai pas, jours d’allègres voyages, maintenant séparés de ceux qui me restent à vivre par une brume de sang, soirs de pluie, de vent et de falots, matinées dans le brouillard jaune de l’Escaut, vous aviez un goût de printemps…