Pendant l’Exil Tome V Notes Fin de l’incident belge




J Hetzel (p. 197-200).

NOTE V.

FIN DE L’INCIDENT BELGE.

L’incident belge a eu une suite. Le dénoûment a été digne du commencement. La conscience publique exigeait un procès. Le gouvernement belge l’a compris ; il en a fait un. À qui ? Aux auteurs et complices du guet-apens de la place des Barricades ? Non. Au fils de Victor Hugo, et un peu par conséquent au père. Le gouvernement belge a simplement accusé M. François-Victor Hugo de vol. M. François-Victor Hugo avait depuis quatre ou cinq ans dans sa chambre quelques vieux tableaux achetés en Flandre et en Hollande. Le gouvernement catholique belge a supposé que ces tableaux devaient avoir été volés au Louvre par la Commune et par M. François-Victor Hugo. Il les a fait saisir en l’absence de M. François-Victor Hugo, et un juge nommé Cellarier a gravement et sans la moindre stupeur instruit le procès. Au bout de six semaines, il a fallu renoncer à cette tentative, digne pendant de la tentative nocturne du 27 mai. La justice belge s’est désistée du procès, a rendu les tableaux et a gardé la honte. De tels faits ne se qualifient pas.

La justice belge n’ayant pu donner le change à l’opinion, et n’ayant pas réussi dans son essai de poursuivre un faux crime, à paru, au bout de trois mois, se souvenir qu’elle avait un vrai crime à poursuivre. Le 20 août, M. Victor Hugo a reçu, à Vianden, l’invitation de faire sa déclaration sur l’assaut du 27 mai devant le juge d’instruction de Diekirch. Il l’a faite en ces termes :

Le 1er  juin 1871, au moment de quitter la Belgique, j’ai publié la déclaration que voici :

« L’assaut nocturne d’une maison est un crime qualifié. À six heures du matin, le procureur du roi devait être dans ma maison ; l’état des lieux devait être constaté judiciairement, l’enquête de justice en règle devait commencer, cinq témoins devaient être immédiatement entendus, les trois servantes, Mme Charles Hugo et moi. Rien de tout cela n’a été fait. Aucun magistrat instructeur n’est venu ; aucune vérification légale des dégâts, aucun interrogatoire. Demain toute trace aura à peu près disparu, et les témoins seront dispersés ; l’intention de ne rien voir est ici évidente. Après la police sourde, la justice aveugle. Pas une déposition n’a été judiciairement recueillie ; et le principal témoin, qu’avant tout on devrait appeler, on l’expulse.

« Victor Hugo. »

Tout ce que j’ai indiqué dans ce qu’on vient de lire s’est réalisé.

Aujourd’hui, 20 août 1871, je suis cité à faire, par-devant le juge d’instruction de Diekirch (Luxembourg), délégué par commission rogatoire, la déclaration de l’acte tenté contre moi dans la nuit du 27 mai.

Deux mois et vingt-quatre jours se sont écoulés.

Je suis en pays étranger.

Le gouvernement belge a laissé aux traces matérielles le temps de disparaître, et aux témoins le temps de se disperser et d’oublier.

Puis, quand il a fait tout ce qu’il a pu pour rendre l’enquête illusoire, il commence l’enquête.

Quand la justice belge pense qu’au bout de près de trois mois le fait a eu le temps de s’évanouir judiciairement et est devenu insaisissable, elle se saisit du fait.

Pour commencer, au mépris du code, elle qualifie, dans la citation qui m’est remise, l’assaut d’une maison par une bande armée de pierres et poussant des cris de mort : « violation de domicile ».

Pourquoi pas tapage nocturne ?

À mes yeux, le crime qualifié de la place des Barricades a une circonstance atténuante. C’est un fait politique. C’est un acte sauvage et inconscient, un acte d’ignorance et d’imbécillité, du même genre que les faits reprochés aux agents de la Commune. Cette assimilation est acquise aux hommes de la place des Barricades. Ils ont agi aveuglément comme agissaient les instruments de la Commune. C’est pourquoi je les couvre de la même exception. C’est pourquoi il ne m’a pas convenu d’être plaignant.

C’est pourquoi, témoin, j’eusse plaidé la circonstance atténuante qu’on vient d’entendre.

Mais je n’ai pas voulu être plaignant, et le gouvernement belge n’a pas voulu que je fusse témoin.

Je serai absent.

Par le fait de qui ?

Par le fait du gouvernement belge.

La conduite du ministère belge, dans cette affaire, a excité l’indignation de toute la presse libre d’Europe, que je remercie.

En résumé,

Près de trois mois s’étant écoulés,

Les traces matérielles du fait étant effacées,

Les témoins étant dispersés,

Le principal témoin, le contrôleur nécessaire de l’instruction, étant écarté,

L’enquête réelle n’étant plus possible,

Le débat contradictoire n’étant plus possible,

Il est évident que ce simulacre d’instruction ne peut aboutir qu’à un procès dérisoire ou à une ordonnance de non-lieu, plus dérisoire encore.

Je signale et je constate cette forme nouvelle du déni de justice.

Je proteste contre tout ce qui a pu se faire en arrière de moi.

L’audacieuse et inqualifiable tentative faite contre mon fils, à propos de ses tableaux, par la justice belge, montre surabondamment de quoi elle est capable.

Je maintiens contre le gouvernement belge et contre la justice belge toutes mes réserves.

Je fais juge de cette justice-là la conscience publique.

Victor Hugo.
Diekirch, 22 août 1871.

Voici comment s’est terminée la velléité de justice qu’avait eue la justice : un juge d’instruction a mandé M. Kerwyn de Lettenhove, fils du ministre de l’intérieur local, et désigné par toute la presse libérale belge comme un des coupables du 27 mai. Ce M. Kerwyn n’a pu nier qu’il n’eût fait partie de la bande qui avait assiégé la nuit une maison habitée et failli tuer un petit enfant. L’honorable juge, sur cet aveu, lui a demandé s’il voulait nommer ses complices. M. Kerwyn a refusé. Le juge l’a condamné à cent francs d’amende. Fin.