Pendant l’Exil Tome V À MM. Meurice et Vacquerie




J Hetzel (p. 135-146).

IV

À MM. MEURICE ET VACQUERIE

La lettre suivante, qui n’a pu paraître sous la Commune par des raisons que tout le monde sait, trouve naturellement sa place ici, à sa date :

Bruxelles, 28 avril.
Chers amis,

Nous traversons une crise.

Vous me demandez toute ma pensée, je pourrais me borner à ce seul mot : c’est la vôtre.

Ce qui me frappe, c’est à quel point nous sommes d’accord. Le public m’attribue dans le Rappel une participation que je n’ai pas, et m’en croit, sinon le rédacteur, du moins l’inspirateur ; vous savez mieux que personne à quel point j’ai dit la vérité quand j’ai écrit dans vos colonnes mêmes que j’étais un simple lecteur du Rappel et rien de plus. Eh bien, cette erreur du public a sa raison d’être. Il y a, au fond, entre votre pensée et la mienne, entre votre appréciation et la mienne, entre votre conscience et la mienne, identité presque absolue. Permettez-moi de le constater et de m’en applaudir. Ainsi, dans l’heure décisive où nous sommes, heure qui, si elle finit mal, pourrait être irréparable, vous avez une pensée dominante que vous dites chaque matin dans le Rappel, la conciliation. Or, ce que vous écrivez à Paris, je le pense à Bruxelles. La fin de la crise serait dans ce simple accès de sagesse : concessions mutuelles. Alors le dénoûment serait pacifique. Autrement il y aura guerre à outrance. On n’est pas quitte avec un problème parce qu’on a sabré la solution.

J’écrivais en avril 1869 les deux mots qui résoudraient les complications d’avril 1871, et j’ajoute toutes les complications. Ces deux mots, vous vous en souvenez, sont : Conciliation et Réconciliation. Le premier pour les idées, le second pour les hommes.

Le salut serait là.

Comme vous je suis pour la Commune en principe, et contre la Commune dans l’application.

Certes le droit de Paris est patent. Paris est une commune, la plus nécessaire de toutes, comme la plus illustre. Paris commune est la résultante de la France république. Comment ! Londres est une commune, et Paris n’en serait pas une ! Londres, sous l’oligarchie, existe, et Paris, sous la démocratie, n’existerait pas ! La cité de Londres a de tels droits qu’elle arrête tout net devant sa porte le roi d’Angleterre. À Temple-Bar le roi finit et le peuple commence. La porte se ferme, et le roi n’entre qu’en payant l’amende. La monarchie respecte Londres, et la république violerait Paris ! Énoncer de telles choses suffit ; n’insistons pas. Paris est de droit commune, comme la France est de droit république, comme je suis de droit citoyen. La vraie définition de la république, la voici : moi souverain de moi. C’est ce qui fait qu’elle ne dépend pas d’un vote. Elle est de droit naturel, et le droit naturel ne se met pas aux voix. Or une ville a un moi comme un individu ; et Paris, parmi toutes les villes, a un moi suprême. C’est ce moi suprême qui s’affirme par la Commune. L’Assemblée n’a pas plus la faculté d’ôter à Paris la Commune que la Commune n’a la faculté d’ôter à la France l’Assemblée.

Donc aucun des deux termes ne pouvant exclure l’autre, il s’ensuit cette nécessité rigoureuse, absolue, logique : s’entendre.

Le moi national prend cette forme, la république ; le moi local prend cette forme, la commune ; le moi individuel prend cette forme, la liberté.

Mon moi n’est complet et je ne suis citoyen qu’à cette triple condition : la liberté dans ma personne, la commune dans mon domicile, la république dans ma patrie.

Est-ce clair ?

Le droit de Paris de se déclarer Commune est incontestable.

Mais à côté du droit, il y a l’opportunité.

Ici apparaît la vraie question.

Faire éclater un conflit à une pareille heure ! la guerre civile après la guerre étrangère ! Ne pas même attendre que les ennemis soient partis ! amuser la nation victorieuse du suicide de la nation vaincue ! donner à la Prusse, à cet empire, à cet empereur, ce spectacle, un cirque de bêtes s’entre-dévorant, et que ce cirque soit la France !

En dehors de toute appréciation politique, et avant d’examiner qui a tort et qui a raison, c’est là le crime du 18 mars.

Le moment choisi est épouvantable.

Mais ce moment a-t-il été choisi ?

Choisi par qui ?

Qui a fait le 18 mars ?

Examinons.

Est-ce la Commune ?

Non. Elle n’existait pas.

Est-ce le comité central ?

Non. Il a saisi l’occasion, il ne l’a pas créée.

Qui donc a fait le 18 mars ?

C’est l’Assemblée ; ou pour mieux dire la majorité.

Circonstance atténuante : elle ne l’a pas fait exprès.

La majorité et son gouvernement voulaient simplement enlever les canons de Montmartre. Petit motif pour un si grand risque.

Soit. Enlever les canons de Montmartre.

C’était l’idée ; comment s’y est-on pris ?

Adroitement.

Montmartre dort. On envoie la nuit des soldats saisir les canons. Les canons pris, on s’aperçoit qu’il faut les emmener. Pour cela il faut des chevaux. Combien ? Mille. Mille chevaux ! où les trouver ? On n’a pas songé à cela. Que faire ? On les envoie chercher, le temps passe, le jour vient, Montmartre se réveille ; le peuple accourt et veut ses canons ; il commençait à n’y plus songer, mais puisqu’on les lui prend il les réclame ; les soldats cèdent, les canons sont repris, une insurrection éclate, une révolution commence.

Qui a fait cela ?

Le gouvernement, sans le vouloir et sans le savoir.

Cet innocent est bien coupable.

Si l’Assemblée eût laissé Montmartre tranquille, Montmartre n’eût pas soulevé Paris. Il n’y aurait pas eu de 18 mars.

Ajoutons ceci : les généraux Clément Thomas et Lecomte vivraient.

J’énonce les faits simplement, avec la froideur historique.

Quant à la Commune, comme elle contient un principe, elle se fût produite plus tard, à son heure, les prussiens partis. Au lieu de mal venir, elle fût bien venue.

Au lieu d’être une catastrophe, elle eût été un bienfait.

Dans tout ceci à qui la faute ? au gouvernement de la majorité.

Être le coupable, cela devrait rendre indulgent.

Eh bien, non.

Si l’Assemblée de Bordeaux eût écouté ceux qui lui conseillaient de rentrer à Paris, et notamment la haute et intègre éloquence de Louis Blanc, rien de ce que nous voyons ne serait arrivé, il n’y eût pas eu de 18 mars.

Du reste, je ne veux pas aggraver le tort de la majorité royaliste.

On pourrait presque dire : c’est sa faute, et ce n’est pas sa faute.

Qu’est-ce que la situation actuelle ? un effrayant malentendu.

Il est presque impossible de s’entendre.

Cette impossibilité, qui n’est, selon moi, qu’une difficulté, vient de ceci :

La guerre, en murant Paris, a isolé la France. La France, sans Paris, n’est plus la France. De là l’Assemblée, de là aussi la Commune. Deux fantômes. La Commune n’est pas plus Paris que l’Assemblée n’est la France. Toutes deux, sans que ce soit leur faute, sont sorties d’un fait violent, et c’est ce fait violent qu’elles représentent. J’y insiste, l’Assemblée a été nommée par la France séparée de Paris, la Commune a été nommée par Paris séparé de la France. Deux élections viciées dans leur origine. Pour que la France fasse une bonne élection, il faut qu’elle consulte Paris ; et pour que Paris s’incarne vraiment dans ses élus, il faut que ceux qui représentent Paris représentent aussi la France. Or évidemment l’assemblée actuelle ne représente pas Paris qu’elle fuit, non parce qu’elle le hait, mais, ce qui est plus triste, parce qu’elle l’ignore. Ignorer Paris, c’est curieux, n’est-ce pas ? Eh bien, nous autres, nous ignorons bien le soleil. Nous savons seulement qu’il a des taches. C’est tout ce que l’Assemblée sait de Paris. Je reprends. L’Assemblée ne reflète point Paris, et de son côté la Commune, presque toute composée d’inconnus, ne reflète pas la France. C’est cette pénétration d’une représentation par l’autre qui rendrait la conciliation possible ; il faudrait dans les deux groupes, assemblée et commune, la même âme, France, et le même cœur, Paris. Cela manque. De là le refus de s’entendre.

C’est le phénomène qu’offre la Chine, d’un côté les tartares, de l’autre les chinois.

Et cependant la Commune incarne un principe, la vie municipale, et l’Assemblée en incarne un autre, la vie nationale. Seulement, dans l’Assemblée comme dans la Commune, on peut s’appuyer sur le principe, non sur les hommes. Là est le malheur. Les choix ont été funestes. Les hommes perdent le principe. Raison des deux côtés et tort des deux côtés. Pas de situation plus inextricable.

Cette situation crée la frénésie.

Les journaux belges annoncent que le Rappel va être supprimé par la Commune. C’est probable. Dans tous les cas n’ayez pas peur que la suppression vous manque. Si vous n’êtes pas supprimés par la Commune, vous serez supprimés par l’Assemblée. Le propre de la raison c’est d’encourir la proscription des extrêmes.

Du reste, vous et moi, quel que soit le devoir, nous le ferons.

Cette certitude nous satisfait. La conscience ressemble à la mer. Si violente que soit la tempête de la surface, le fond est tranquille.

Nous ferons le devoir, aussi bien contre la Commune que contre l’Assemblée ; aussi bien pour l’Assemblée que pour la Commune.

Peu importe nous ; ce qui importe, c’est le peuple. Les uns l’exploitent, les autres le trahissent. Et sur toute la situation il y a on ne sait quel nuage ; en haut stupidité, en bas stupeur.

Depuis le 18 mars, Paris est mené par des inconnus, ce qui n’est pas bon, mais par des ignorants, ce qui est pire. À part quelques chefs, qui suivent plutôt qu’ils ne guident, la Commune, c’est l’ignorance. Je n’en veux pas d’autre preuve que les motifs donnés pour la destruction de la Colonne ; ces motifs, ce sont les souvenirs que la Colonne rappelle. S’il faut détruire un monument à cause des souvenirs qu’il rappelle, jetons bas le Parthénon qui rappelle la superstition païenne, jetons bas l’Alhambra qui rappelle la superstition mahométante, jetons bas le Colisée qui rappelle ces fêtes atroces où les bêtes mangeaient les hommes, jetons bas les Pyramides qui rappellent et éternisent d’affreux rois, les Pharaons, dont elles sont les tombeaux ; jetons bas tous les temples à commencer parle Rhamseïon, toutes les mosquées à commencer par Sainte-Sophie, toutes les cathédrales à commencer par Notre-Dame. En un mot, détruisons tout ; car jusqu’à ce jour tous les monuments ont été faits par la royauté et sous la royauté, et le peuple n’a pas encore commencé les siens. Détruire tout, est-ce là ce qu’on veut ? Évidemment non. On fait donc ce qu’on ne veut pas faire. Faire le mal en le voulant faire, c’est la scélératesse ; faire le mal sans le vouloir faire, c’est l’ignorance.

La Commune a la même excuse que l’Assemblée, l’ignorance.

L’ignorance, c’est la grande plaie publique. C’est l’explication de tout le contre-sens actuel.

De l’ignorance naît l’inconscience. Mais quel danger !

Dans la nuit on peut aller à des précipices, et dans l’ignorance on peut aller à des crimes.

Tel acte commence par être imbécile et finit par être féroce.

Tenez, en voici un qui s’ébauche, il est monstrueux ; c’est le décret des otages.

Tous les jours, indignés comme moi, vous dénoncez à la conscience du peuple ce décret hideux, infâme point de départ des catastrophes. Ce décret ricochera contre la république. J’ai le frisson quand je songe à tout ce qui peut en sortir. La Commune, dans laquelle il y a, quoi qu’on en dise, des cœurs droits et honnêtes, a subi ce décret plutôt qu’elle ne l’a voté. C’est l’œuvre de quatre ou cinq despotes, mais c’est abominable. Emprisonner des innocents et les rendre responsables des crimes d’autrui, c’est faire du brigandage un moyen de gouvernement. C’est de la politique de caverne. Quel deuil et quel opprobre s’il arrivait, dans quelque moment suprême, que les misérables qui ont rendu ce décret trouvassent des bandits pour l’exécuter ! Quel contre-coup cela aurait ! Vous verriez les représailles ! Je ne veux rien prédire, mais je me figure la terreur blanche répliquant à la terreur rouge.

Ce que représente la Commune est immense ; elle pourrait faire de grandes choses, elle n’en fait que de petites. Et des choses petites qui sont des choses odieuses, c’est lamentable.

Entendons-nous. Je suis un homme de révolution. J’étais même cet homme-là sans le savoir, dès mon adolescence, du temps où, subissant à la fois mon éducation qui me retenait dans le passé et mon instinct qui me poussait vers l’avenir, j’étais royaliste en politique et révolutionnaire en littérature ; j’accepte donc les grandes nécessités ; à une seule condition, c’est qu’elles soient la confirmation des principes, et non leur ébranlement.

Toute ma pensée oscille entre ces deux pôles : Civilisation, Révolution. Quand la liberté est en péril, je dis : Civilisation, mais révolution ; quand c’est l’ordre qui est en danger, je dis : Révolution, mais civilisation.

Ce qu’on appelle l’exagération est parfois utile, et peut même, à de certains moments, sembler nécessaire. Quelquefois pour faire marcher un côté arriéré de l’idée, il faut pousser un peu trop en avant l’autre côté. On force la vapeur ; mais il y a possibilité d’explosion, et chance de déchirure pour la chaudière et de déraillement pour la locomotive. Un homme d’état est un mécanicien. La bonne conduite de tous les périls vers un grand but, la science du succès selon les principes à travers le risque et malgré l’obstacle, c’est la politique.

Mais, dans les actes de la Commune, ce n’est pas à l’exagération des principes qu’on a affaire, c’est à leur négation.

Quelquefois même à leur dérision.

De là, la résistance de toutes les grandes consciences.

Non, la ville de la science ne peut pas être menée par l’ignorance ; non, la ville de l’humanité ne peut pas être gouvernée par le talion ; non, la ville de la clarté ne peut pas être conduite par la cécité ; non, Paris, qui vit d’évidence, ne peut pas vivre de confusion ; non, non, non !

La Commune est une bonne chose mal faite.

Toutes les fautes commises se résument en deux malheurs : mauvais choix du moment, mauvais choix des hommes.

Ne retombons jamais dans ces démences. Se figure-t-on Paris disant de ceux qui le gouvernent : Je ne les connais pas ! Ne compliquons pas une nuit par l’autre ; au problème qui est dans les faits, n’ajoutons pas une énigme dans les hommes. Quoi ! ce n’est pas assez d’avoir affaire à l’inconnu ; il faut aussi avoir affaire aux inconnus !

L’énormité de l’un est redoutable ; la petitesse des autres est plus redoutable encore.

En face du géant il faudrait le titan ; on prend le myrmidon !

L’obscure question sociale se dresse et grandit sur l’horizon avec des épaississements croissant d’heure en heure. Toutes nos lumières ne seraient pas de trop devant ces ténèbres.

Je jette ces lignes rapidement. Je tâche de rester dans le vrai historique.

Je conclus par où j’ai commencé. Finissons-en.

Dans la mesure du possible, concilions les idées et réconcilions les hommes.

Des deux côtés on devrait sentir le besoin de s’entendre, c’est-à-dire de s’absoudre.

L’Angleterre admet des privilèges, la France n’admet que des droits ; là est essentiellement la différence entre la monarchie et la république. C’est pourquoi, en regard des privilèges de la cité de Londres, nous ne réclamons que le droit de Paris. En vertu de ce droit, Paris veut, peut et doit offrir à la France, à l’Europe, au monde, le patron communal, la cité exemple.

Paris est la ferme-modèle du progrès.

Supposons un temps normal ; pas de majorité législative royaliste en présence d’un peuple souverain républicain, pas de complication financière, pas d’ennemi sur notre territoire, pas de plaie, pas de Prusse ; la Commune fait la loi parisienne qui sert d’éclaireur et de précurseur à la loi française faite par l’Assemblée. Paris, je l’ai dit déjà plus d’une fois, a un rôle européen à remplir. Paris est un propulseur. Paris est l’initiateur universel. Il marche et prouve le mouvement. Sans sortir de son droit, qui est identique à son devoir, il peut, dans son enceinte, abolir la peine de mort, proclamer le droit de la femme et le droit de l’enfant, appeler la femme au vote, décréter l’instruction gratuite et obligatoire, doter l’enseignement laïque, supprimer les procès de presse, pratiquer la liberté absolue de publicité, d’affichage et de colportage, d’association et de meeting, se refuser à la juridiction de la magistrature impériale, installer la magistrature élective, prendre le tribunal de commerce et l’institution des prud’hommes comme expérience faite devant servir de base à la réforme judiciaire, étendre le jury aux causes civiles, mettre en location les églises, n’adopter, ne salarier et ne persécuter aucun culte, proclamer la liberté des banques, proclamer le droit au travail, lui donner pour organisme l’atelier communal et le magasin communal, reliés l’un à l’autre par la monnaie fiduciaire à rente, supprimer l’octroi, constituer l’impôt unique qui est l’impôt sur le revenu ; en un mot abolir l’ignorance, abolir la misère, et, en fondant la cité, créer le citoyen.

Mais, dira-t-on, ce sera mettre un état dans l’état. Non, ce sera mettre un pilote dans le navire.

Figurons-nous Paris, ce Paris-là, en travail. Quel fonctionnement suprême ! quelle majesté dans l’innovation ! Les réformes viennent l’une après l’autre. Paris est l’immense essayeur. L’univers civilisé attentif regarde, observe, profite. La France voit le progrès se construire lentement de toutes pièces sous ses yeux ; et, chaque fois que Paris fait un pas heureux, elle suit ; et ce que suit la France est suivi par l’Europe. L’expérience politique, à mesure qu’elle avance, crée la science politique. Rien n’est plus laissé au hasard. Plus de commotions à craindre, plus de tâtonnements, plus de reculs, plus de réactions ; ni coups de trahison du pouvoir, ni coups de colère du peuple. Ce que Paris dit est dit pour le monde ; ce que Paris fait est fait pour le monde. Aucune autre ville, aucun autre groupe d’hommes, n’a ce privilège. L’income-tax réussit en Angleterre ; que Paris l’adopte, la preuve sera faite. La liberté des banques, qui implique le droit de papier-monnaie, est en plein exercice dans les îles de la Manche ; que Paris le pratique, le progrès sera admis. Paris en mouvement, c’est la vie universelle en activité. Plus de force stagnante ou perdue. La roue motrice travaille, l’engrenage obéit, la vaste machine humaine marche désormais pacifiquement, sans temps d’arrêt, sans secousse, sans soubresaut, sans fracture. La révolution française est finie, l’évolution européenne commence.

Nous avons perdu nos frontières ; la guerre, certes, nous les rendra, mais la paix nous les rendrait mieux encore. J’entends la paix ainsi comprise, ainsi pratiquée, ainsi employée. Cette paix-là nous donnerait plus que la France redevenue France ; elle nous donnerait la France devenue Europe. Par l’évolution européenne, dont Paris est le moteur, nous tournons la situation, et l’Allemagne se réveille brusquement prise et brusquement délivrée par les États-Unis d’Europe.

Que penser de nos gouvernants ? avoir ce prodigieux outil de civilisation et de suprématie, Paris, et ne pas s’en servir !

N’importe, ce qui est dans Paris en sortira. Tôt ou tard, Paris Commune s’imposera. Et l’on sera stupéfait de voir ce mot Commune se transfigurer, et de redoutable devenir pacifique. La Commune sera une œuvre sûre et calme. Le procédé civilisateur définitif que je viens d’indiquer tout à l’heure sommairement n’admet ni effraction ni escalade. La civilisation comme la nature n’a que deux moyens, infiltration et rayonnement. L’un fait la sève, l’autre fait le jour ; par l’un on croît, par l’autre on voit ; et les hommes comme les choses n’ont que ces deux besoins, la croissance et la lumière.

Vaillants et chers amis, je vous serre la main.

Un dernier mot. Quelles que soient les affaires qui me retiennent à Bruxelles, il va sans dire que si vous jugiez, pour quoi que ce soit, ma présence utile à Paris, vous n’avez qu’à faire un signe, j’accourrais.

V. H.