Pendant l’Exil Tome II Les enfants pauvres 1869




Actes et paroles volume 4J Hetzel (p. 185-187).

VIII

LES ENFANTS PAUVRES

Victor Hugo, selon son habitude, ferma cette année 1869 par la fête des enfants pauvres. Cette année 1869 était l’avant-dernière année de l’exil. Les journaux anglais publièrent les paroles de Victor Hugo à ce Christmas de Hauteville-House. Nous les reproduisons.

Mesdames,

Je ne veux pas faire languir ces enfants qui attendent des jouets, et je tâcherai de dire peu de paroles. Je l’ai déjà dit, et je dois le répéter, cette petite œuvre de fraternité pratique, limitée ici à quarante enfants seulement, est bien peu de chose par elle-même, et ne vaudrait pas la peine d’en parler, si elle n’avait pris au dehors, comme la presse anglaise et américaine le constate d’année en année, une extension magnifique, et si le Dîner des enfants pauvres, fondé il y a huit ans par moi dans ma maison, mais sur une très petite échelle, n’était devenu, grâce à de bons et grands cœurs qui s’y sont dévoués, une véritable institution, considérable par le chiffre énorme des enfants secourus. En Angleterre et en Amérique, ce chiffre s’accroît sans cesse. C’est par centaines de mille qu’il faut compter les dîners de viande et de vin donnés aux enfants pauvres. Vous connaissez les admirables résultats obtenus par l’honorable lady Kate Thompson et par le révérend Wood. L’Illustrated London News a publié des estampes représentant les vastes et belles salles où se fait à Londres le Dîner des enfants pauvres. Dans tout cela, Hauteville-House n’est rien, que le point de départ. Il ne lui revient que l’humble honneur d’avoir commencé.

Grâce à la presse, la propagande se fait en tout pays ; partout se multiplient d’autres efforts, meilleurs que les miens ; partout l’institution d’assistance aux enfants se greffe avec succès. J’ai à remercier de leur chaude adhésion plusieurs loges de la franc-maçonnerie, et cette utile société des instituteurs de la Suisse romande qui a pour devise : Dieu, Humanité, Patrie. De toutes parts, je reçois des lettres qui m’annoncent les essais tentés. Deux de ces lettres m’ont particulièrement ému ; l’une vient d’Haïti, l’autre de Cuba.

Permettez-moi, puisque l’occasion s’en présente, d’envoyer une parole de sympathie à ces nobles terres qui, toutes deux, ont poussé un cri de liberté. Cuba se délivrera de l’Espagne comme Haïti s’est délivré de la France. Haïti, dès 1792, en affranchissant les noirs, a fait triompher ce principe qu’un homme n’a pas le droit de posséder un autre homme. Cuba fera triompher cet autre principe, non moins grand, qu’un peuple n’a pas le droit de posséder un autre peuple.

Je reviens à nos enfants. C’est faire aussi un acte de délivrance que d’assister l’enfance. Dans l’assainissement et dans l’éducation, il y a de la libération. Fortifions ce pauvre petit corps souffrant ; développons cette douce intelligence naissante ; que faisons-nous ? Nous affranchissons de la maladie le corps et de l’ignorance l’esprit. L’idée du Dîner des Enfants pauvres a été partout bien accueillie. L’accord s’est fait tout de suite sur cette institution de fraternité. Pourquoi ? c’est qu’elle est conforme, pour les chrétiens, à l’esprit de l’évangile, et, pour les démocrates, à l’esprit de la révolution.

En attendant mieux. Car secourir les pauvres par l’assistance, ce n’est qu’un palliatif. Le vrai secours aux misérables, c’est l’abolition de la misère.

Nous y arriverons.

Aidons le progrès par l’assistance à l’enfance. Assistons l’enfant par tous les moyens, par la bonne nourriture et par le bon enseignement. L’assistance à l’enfance doit être, dans nos temps troublés, une de nos principales préoccupations. L’enfant doit être notre souci. Et savez-vous pourquoi ? Savez-vous son vrai nom ? L’enfant s’appelle l’avenir.

Exerçons la sainte paternité du présent sur l’avenir. Ce que nous aurons fait pour l’enfance, l’avenir le rendra au centuple. Ce jeune esprit, l’enfant, est le champ de la moisson future. Il contient la société nouvelle. Ensemençons cet esprit, mettons-y la justice ; mettons-y la joie.

En élevant l’enfant, nous élevons l’avenir. Élever, mot profond ! En améliorant cette petite âme, nous faisons l’éducation de l’inconnu. Si l’enfant a la santé, l’avenir se portera bien ; si l’enfant est honnête, l’avenir sera bon. Éclairons et enseignons cette enfance qui est là sous nos yeux, le vingtième siècle rayonnera. Le flambeau dans l’enfant, c’est le soleil dans l’avenir.