Pendant l’Exil Tome II Le banquet de Bruxelles




Actes et paroles volume 4J Hetzel (p. 229-231).

1862

LE BANQUET DE BRUXELLES

Un des plus excellents écrivains de la presse belge et française, M. Gustave Frédérix, a publié, en 1862, sur le banquet de Bruxelles, de remarquables pages qui eurent alors un grand retentissement et qui seront consultées un jour, car elles font partie à la fois de l’histoire politique et de l’histoire littéraire de notre temps[1]. Le banquet de Bruxelles fut une mémorable rencontre d’intelligences et de renommées venues de tous les points du monde civilisé pour protester autour d’un proscrit contre l’empire. On trouve dans l’éloquent écrit de M. Gustave Frédérix tous les détails de cette manifestation éclatante. M. Victor Hugo présidait le banquet, ayant à sa droite le bourgmestre de Bruxelles et à sa gauche le président de la chambre des représentants. De grandes voix parlèrent, Louis Blanc, Eugène Pelletan ; puis, au nom de la presse de tous les pays, d’éminents journalistes, M. Bérardi pour la Belgique, M. Nefftzer pour la France, M. Cuesta pour l’Espagne, M. Ferrari pour l’Italie, M. Low pour l’Angleterre. Les honorables éditeurs des Misérables, MM. Lacroix et Verboëckhoven remercièrent l’auteur du livre au nom de la Librairie internationale. Champfleury salua Victor Hugo au nom des prosateurs, et Théodore de Banville le salua au nom des poëtes. Jamais de plus nobles paroles ne furent entendues. Cette fête fut grave et solennelle.

Dans ce temps-là, le bourgmestre de Bruxelles était un honnête homme ; il s’appelait Fontainas. Ce fut lui qui porta le toast à Victor Hugo : il le fit en ces termes :

« Il m’est agréable de vous souhaiter la bienvenue, à vous, messieurs, qui visitez la Belgique, si énergiquement dévouée à sa nationalité, si profondément heureuse des libérales institutions qui la gouvernent ; à vous, messieurs, dont le talent charme, console ou élève nos esprits. Mais, parmi tant de noms illustres, il en est un plus illustre encore ; j’ai nommé Victor Hugo, dont la gloire peut se passer de mes éloges.

« Je porte un toast au grand écrivain, au grand poëte, à Victor Hugo ! »

Victor Hugo se leva, et répondit :

« Messieurs,

« Je porte la santé du bourgmestre de Bruxelles.

« Je n’avais jamais rencontré M. Fontainas ; je le connais depuis vingt-quatre heures, et je l’aime. Pourquoi ? regardez-le, et vous comprendrez. Jamais plus franche nature ne s’est peinte sur un visage plus cordial ; son serrement de main dit toute son âme ; sa parole est de la sympathie. J’honore et je salue dans cet homme excellent et charmant la noble ville qu’il représente.

« J’ai du bonheur, en vérité, avec les bourgmestres de Bruxelles ; il semble que je sois destiné à toujours les aimer. Il y a onze ans, quand j’arrivai à Bruxelles, le 12 décembre 1851, la première visite que je reçus, fut celle du bourgmestre, M. Charles de Brouckere. Celui-là aussi était une haute et pénétrante intelligence, un esprit ferme et bon, un cœur généreux.

« J’habitais la Grand’Place, de Bruxelles, qui, soit dit en passant, avec son magnifique hôtel de ville encadré de maisons magnifiques, est tout entière un monument. Presque tous les jours, M. Charles de Brouckere, en allant à l’hôtel de ville, poussait ma porte et entrait. Tout ce que je lui demandais pour mes vaillants compagnons d’exil était immédiatement accordé. Il était lui-même un vaillant ; il avait combattu dans les barricades de Bruxelles. Il m’apportait de la cordialité, de la fraternité, de la gaîté, et, en présence des maux de ma patrie, de la consolation. L’amertume de Dante était de monter l’escalier de l’étranger ; la joie de Charles de Brouckere était de monter l’escalier du proscrit. C’était là un homme brave, noble et bon. Eh bien, le chaud et vif accueil de M. de Brouckere, je l’ai retrouvé dans M. Fontainas ; même grâce, même esprit, même bienvenue charmante, même ouverture d’âme et de visage ; les deux hommes sont différents, les deux cœurs sont pareils. Tenez, je viens de faire une promenade en Belgique ; j’ai été un peu partout, depuis les dunes jusqu’aux Ardennes. Eh bien, partout, j’ai entendu parler de M. Fontainas ; j’ai rencontré partout son nom et son éloge ; il est aimé dans le moindre village, comme dans la capitale ; ce n’est pas là une popularité de clocher, c’est une popularité de nation. Il semble que ce bourgmestre de Bruxelles soit le bourgmestre de la Belgique. Honneur à de tels magistrats ! ils consolent des autres.

« Je bois à l’honorable M. Fontainas, bourgmestre de Bruxelles ; et je félicite cette illustre ville d’avoir à sa tête un de ces hommes en qui se personnifient l’hospitalité et la liberté, l’hospitalité, qui était la vertu des peuples antiques, et la liberté, qui est la force des peuples nouveaux. »

  1. Souvenir du banquet donné à Victor Hugo. Bruxelles.