Pendant l’Exil Tome II Congrès de la paix Discours de clôture




Actes et paroles volume 4J Hetzel (p. 170-173).

Les délibérations des Amis de la paix durèrent quatre jours. Victor Hugo fit en ces termes la clôture du Congrès :

Citoyens,

Mon devoir est de clore ce congrès par une parole finale. Je tâcherai qu’elle soit cordiale. Aidez-moi.

Vous êtes le congrès de la paix, c’est-à-dire de la conciliation. À ce sujet, permettez-moi un souvenir.

Il y a vingt ans, en 1849, il y avait à Paris ce qu’il y a aujourd’hui à Lausanne, un congrès de la paix. C’était le 24 août, date sanglante, anniversaire de la Saint-Barthélémy. Deux prêtres, représentant les deux formes du christianisme, étaient là ; le pasteur Coquerel et l’abbé Deguerry. Le président du congrès, celui qui a l’honneur de vous parler en ce moment, évoqua le souvenir néfaste de 1572, et, s’adressant aux deux prêtres, leur dit : « Embrassez-vous ! »

En présence de cette date sinistre, aux acclamations de l’assemblée, le catholicisme et le protestantisme s’embrassèrent. (Applaudissements.)

Aujourd’hui quelques jours à peine nous séparent d’une autre date, aussi illustre que la première est infâme, nous touchons au 21 septembre. Ce jour-là, la république française a été fondée, et, de même que le 24 août 1572 le despotisme et le fanatisme avaient dit leur dernier mot : Extermination, — le 21 septembre 1792 la démocratie a jeté son premier cri : Liberté, égalité, fraternité ! (Bravo ! bravo !)

Eh bien ! en présence de cette date sublime, je me rappelle ces deux religions représentées par deux prêtres, qui se sont embrassées, et je demande un autre embrassement. Celui-là est facile et n’a rien à faire oublier. Je demande l’embrassement de la république et du socialisme. (Longs applaudissements.)

Nos ennemis disent : le socialisme, au besoin, accepterait l’empire. Cela n’est pas. Nos ennemis disent : la république ignore le socialisme. Cela n’est pas.

La haute formule définitive que je rappelais tout à l’heure, en même temps qu’elle exprime toute la république, exprime aussi tout le socialisme.

À côté de la liberté, qui implique la propriété, il y a l’égalité, qui implique le droit au travail, formule superbe de 1848 ! (applaudissements) et il y a la fraternité, qui implique la solidarité.

Donc, république et socialisme, c’est un. (Bravos répétés.)

Moi qui vous parle, citoyens, je ne suis pas ce qu’on appelait autrefois un républicain de la veille, mais je suis un socialiste de l’avant-veille. Mon socialisme date de 1828. J’ai donc le droit d’en parler.

Le socialisme est vaste et non étroit. Il s’adresse à tout le problème humain. Il embrasse la conception sociale tout entière. En même temps qu’il pose l’importante question du travail et du salaire, il proclame l’inviolabilité de la vie humaine, l’abolition du meurtre sous toutes ses formes, la résorption de la pénalité par l’éducation, merveilleux problème résolu. (Très bien !) Il proclame l’enseignement gratuit et obligatoire. Il proclame le droit de la femme, cette égale de l’homme. (Bravos !) Il proclame le droit de l’enfant, cette responsabilité de l’homme. (Très bien ! — Applaudissements.) Il proclame enfin la souveraineté de l’individu, qui est identique à la liberté.

Qu’est-ce que tout cela ? C’est le socialisme. Oui. C’est aussi la république ! (Longs applaudissements.)

Citoyens, le socialisme affirme la vie, la république affirme le droit. L’un élève l’individu à la dignité d’homme, l’autre élève l’homme à la dignité de citoyen. Est-il un plus profond accord ?

Oui, nous sommes tous d’accord, nous ne voulons pas de césar, et je défends le socialisme calomnié !

Le jour où la question se poserait entre l’esclavage avec le bien-être, panem et circenses, d’un côté, et, de l’autre, la liberté avec la pauvreté, — pas un, ni dans les rangs républicains, ni dans les rangs socialistes, pas un n’hésiterait ! et tous, je le déclare, je l’affirme, j’en réponds, tous préféreraient au pain blanc de la servitude le pain noir de la liberté. (Bravos prolongés.)

Donc, ne laissons pas poindre et germer l’antagonisme. Serrons-nous donc, mes frères socialistes, mes frères républicains, serrons-nous étroitement autour de la justice et de la vérité, et faisons front à l’ennemi. (Oui, oui ! bravo !)

Qu’est l’ennemi ?

L’ennemi, c’est plus et moins qu’un homme. (Mouvement.) C’est un ensemble de faits hideux qui pèse sur le monde et qui le dévore. C’est un monstre aux mille griffes, quoique cela n’ait qu’une tête. L’ennemi, c’est cette incarnation sinistre du vieux crime militaire et monarchique, qui nous bâillonne et nous spolie, qui met la main sur nos bouches et dans nos poches, qui a les millions, qui a les budgets, les juges, les prêtres, les valets, les palais, les listes civiles, toutes les armées, — et pas un seul peuple. L’ennemi, c’est ce qui règne, gouverne, et agonise en ce moment. (Sensation profonde.)

Citoyens, soyons les ennemis de l’ennemi, et soyons nos amis ! Soyons une seule âme pour le combattre et un seul cœur pour nous aimer. Ah ! citoyens : fraternité ! (Acclamation.)

Encore un mot et j’ai fini.

Tournons-nous vers l’avenir. Songeons au jour certain, au jour inévitable, au jour prochain peut-être, où toute l’Europe sera constituée comme ce noble peuple suisse qui nous accueille à cette heure. Il a ses grandeurs, ce petit peuple ; il a une patrie qui s’appelle la République, et il a une montagne qui s’appelle la Vierge.

Ayons comme lui la République pour citadelle, et que notre liberté, immaculée et inviolée, soit, comme la Jungfrau, une cime vierge en pleine lumière. (Acclamation prolongée.)

Je salue la révolution future.