P. Aretino ()
Traduction par G. F. G..
(p. 51-58).




PEIXOTTE



Conte de la Régence.



AMSTERDAM.


PEIXOTTE.





Il y avait à Paris un nommé Peixotte, fameux banquier, qui ne haïssoit pas les jolies femmes, mais qui ne les aimoit que d’un certain côté. La Dervieux étoit une fille de ce bas monde, jolie comme l’amour, toute jeune et très-connue. Outre son entreteneur, elle avoit, selon l’usage, deux bons amis, l’un conseiller au parlement, l’autre attaché au barreau, nommé la T…, jeune homme de vingt ans, très lié avec le duc d’Orléans, joli et ressemblant à Louis XV auquel, dit-on, il est possible de ressembler de plus loin.

Peixotte arrive un matin chez la Dervieux où aucun des trois tenans ne se trouvoit. Il offre cent louis si l’on veut dévoiler tous ses appas ; on les accepte, on se déshabille en folâtrant, et le vieux satyre, après quelques éloges très succincts sur une gorge et des charmes plus secrets qui méritoient des autels, s’extasie sur une chûte de reins admirable ; il admire, il touche, il palpe, il caresse, il se met à genoux devant des fesses qui le disputoient à celles de Venus Callipige ; lunettes sur le nez, représentez-vous l’infâme en délire et portant un doigt profane… — « Ah, monsieur ! retirez-vous, je n’en suis pas ! » — « Ma belle enfant, je te donnerai ce que voudras, laisse-moi un instant. » Il s’enhardit, elle se fâche, sourit, et il s’en va avec la promesse de revenir.

Le soir, la Dervieux conte à la T… son aventure et conclut par dire qu’elle ne veut plus le voir de même. « Tu es une sotte ! tire moi plutôt parti de ce goût hétéroclite. » — « Comment ! tu voudrais… ? » — « Repose toi sur moi et donne rendez-vous à ce vieux coquin. » — « Mais… s’il alloit vouloir assouvir sa fantaisie ? » — « J’entends, sois tranquille, je veillerai avec notre ami. »

Rendez-vous donné, et cent autres louis apportés et reçus, Peixotte demande pour toute grâce qu’on lui laisse placer entre ces belles fesses qu’il idolâtre, un petit étui de nacre de perle très-mignon et très-joli. Après bien des contorsions risibles, la Dervieux laisse placer ce qu’on lui présente. Les deux amis étaient cachés, mais quel est leur étonnement de voir le sapajou tirer six grandes plumes de paon, déboucher l’étui et les faire entrer dans des trous faits exprès. Il se met ensuite à un bout de la chambre, la fait promener à quatre pattes, et commence avec lui-même l’opération d’Onan, en contemplant la jolie perspective qu’il s’étoit faite. On croit bien que la T… et le magistrat, son digne accolyte, furent obligés de quitter leur cachette pour ne pas se trahir. Sur ces entrefaites et pendant que la petite folle se miroit dans les glaces et rioit de tout son cœur, le vilain propose de remplacer l’étuy. La belle, bien conseillée, se montre moins difficile, mais propose un autre rendez-vous, et met cet étrange pucelage à 500 louis. Peixotte n’est point effrayé, il accepte : on prend jour, on se sépare et l’homme emporte son éluy et ses plumes.

Alors la T… bâtit un projet. Il suivoit encore le barreau ; au jour nommé, ils arrivent son camarade et lui chez la petite, en robe du palais. Son valet de chambre, garçon robuste et d’une riche taille, qui par fois couroit sur les brisées de son maître avec la voluptueuse Dervieux, portoit un habit rouge, avec une tresse d’or et une épée, ce qui approchait beaucoup d’un sur-tout uniforme de nos anciens inspecteurs de police. Deux grands et vigoureux laquais en habit gris composoient le reste de l’escorte. La petite, bien instruite de son rôle, sur-tout de faire déposer sur la cheminée les 500 louis, nos deux roués passent dans une autre chambre aussi-tôt qu’ils entrevoient Peixotte qu’on annonce.

La scène s’ouvre par la génuflexion, la contemplation et les adorations. L’étui revient sur jeu ; le paon se promène pour mettre monsieur en train ; mais, au moment où les lèvres de l’aimable Dervieux touchoient le verre de l’Israëlite d’une manière trop brusque pour ne pas aspirer en entier la liqueur qu’il renfermoit, les portes s’ouvrent inopinément avec bruit, et l’on annonce MM. les commissaires du Roi, avec un inspecteur de police. La fille, à qui, par un caprice singulier, l’expression de la passion de Peixotte, cessoit, depuis quelques instants, de paroître désagréable, reste immobile et se prête avec un certain plaisir aux mouvemens du voluptueux banquier ; celui-ci entraîné par un feu dévorant, accélère la vivacité de ses mouvemens, jette des regards troublés sur tout ce qui l’environne, fait pâmer sa compagne et ne lâche prise qu’au moment où ses flammes cessent d’avoir de l’aliment. La Dervieux, revenue à elle, veut alors se retirer ; mais l’inspecteur l’arrête, la T…, de son côté, coupe le chemin au vieux fol qui commençoit à s’intriguer de l’aspect de tant de personnes qui lui étoient inconnues, et le magistrat se place auprès de la cheminée pour veiller à la sûreté de l’or qu’on y a déposé.

Alors, de l’air le plus grave, la T… dit à Peixotte : « Monsieur, la Cour informée des déportemens qui se commettent chez mademoiselle, a délibéré que nous nous transporterions ici pour y procéder à l’effet d’arrêter des débauches aussi scandaleuses que nuisibles à la population, reprenez vos sens, et asseyez-vous. » Plus mort que vif, Peixotte s’assied, dans un fauteuil et se remet dans un état décent, ainsi que sa jolie complice qui avoit toutes les peines du monde à contenir ses ris. On apporte une table, le conseiller au parlement tire du papier de sa poche, et la T… dicte un procès verbal où rien n’est oublié ; l’état des lieux, des choses, le signalement de l’homme, son refus de dire son nom, etc., etc., le tout est décrit dans le plus grand détail, et l’étui ainsi que les plumes mis en séquestre pour être déposé au Greffe de la Cour. Il approche ensuite de la cheminée ; à la vue de l’or, il marque de l’étonnement, de l’incertitude et demande à qui il est. La petite, suivant ses instructions, assure qu’il est à elle. Le scélérat affecte un doute, et déclare qu’il est obligé de le confisquer, s’il appartient à l’anonyme. Peixotte interrogé, affirme qu’il est à la Dervieux ; on le remet à celle-ci, et on lui fait une éloquente mercuriale, on exige, malgré cela, une attestation du banquier qui dit ne pas savoir écrire ; le greffier la rédige pour lui, et l’Israëlite, après y avoir ajouté une croix, reçoit une vive semonce sur la méséance de ses goûts Italiens ; on lui annonce qu’il est libre et il se sauve.

Le soir, il y avoit à l’Opéra vingt copies figurées du procès verbal auquel les deux démons eurent l’attention de joindre encore une estampe où les personnages et l’attitude étoient d’une ressemblance frappante[1]. On peut juger de la fureur de Peixotte, d’avoir été joué ainsi. Pour l’achever la T… envoya le lendemain chez lui un laquais dégourdi et bien préparé, porter des complimens et lui dire qu’étant informé qu’il vouloit se défaire d’un étui de nacre, et d’une partie de plumes de paon, il le prioit de les lui céder, parce qu’il en avoit besoin pour en faire présent à Mademoiselle Dervieux et compagnie, qu’au reste le prix ne feroit rien, fallut-il les cinq-cents louis qu’il avoit abandonnés à cette aimable personne.

  1. Voir la figure, d’après l’original.