Pauvres fleurs/L’Enfant et le Pauvre

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 207-212).
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L’ENFANT ET LE PAUVRE.


« Mère ! faut-il donner quand le pauvre est bien laid ?
Qu’il ne fait pas sa barbe et qu’elle est toute noire,
Et qu’il ne dit pas s’il vous plaît ?

Faut-il donner ?

— Mon fils, tu n’as pas de mémoire :
Le pauvre qui demande est l’envoyé de Dieu ;
Qu’importe s’il a fait sa barbe et sa parure ?
Il est beau du malheur écrit sur sa figure ;
C’est là son passeport, trop lisible en tout lieu !

Mais, s’il est malhonnête ?

Mais, s’il est malhonnête— Il ne l’est pas, s’il pleure,
Si son regard te dit : J’ai faim !
Veux-tu qu’il se prosterne en te tendant la main ?
C’est l’envoyé de Dieu qui nous guette à toute heure.
Que ses lambeaux sacrés ne te fassent pas peur ;
Il vient sonder ton âme avec son infortune ;
Le mépris pour le pauvre est la seule laideur,
Qui m’épouvante ou m’importune.

Dieu sur toi lui donne un pouvoir,
Bien au-dessus de la parole !
Le jour où l’enfant le console,
Par une colombe qui vole,
Dieu le sait bien avant le soir !

Lui qui dit aux heureux du monde :
« — Donnez pour qu’il vous soit remis ;
Et plus votre voie est profonde,
Pour que partout on vous réponde,
Prenez les pauvres pour amis ! »

Juge quand un enfant verse sa fraîche aumône,
À ce chercheur d’eau vive, et qu’il lui dit : bonjour !
Comme au Christ altéré sous son âpre couronne,
Du ciel, dont il a soif, tu lui rends le séjour.

Oh ! que ne puis-je dire à toute pauvre femme :
Prenez !
Comme l’instinct me crie à toute heure dans l’âme.
Donnez !

Oh ! que j’allègerais de ces errantes mères,
Le sort !
Si Dieu changeait mes pleurs et mes pitiés amères,
En or !

Aux petits enfans nus, chauffés de leur haleine,
Si peu !
Je ferais, comme Dieu fait aux agneaux la laine,
Du feu !


Mais je regarde en haut pour que l’aumône pleuve,
Souvent ;
Pour que toute humble barque entre au port sous l’épreuve
Du vent !

Pour que l’abandonné, lavant avec ses larmes,
Son sort,
Les plonge dans la foi, qui rend belle et sans armes,
La mort !

Je regarde la croix qui saigne et qui pardonne,
Toujours !
La croix qui crie encor : Pour mon sang donne ! donne,
Tes jours ! »
 
— Le Christ est beau ! je l’aime et je joue au Calvaire,
Où j’ai fait un jardin tout bleu de primevère ;
Mais les pauvres font peur. Mère ! si j’étais roi,
Mes pauvres, aux enfans ne feraient point d’effroi :

Ils n’auraient jamais faim de cette faim qui pleure,
Et ma colombe à Dieu l’irait dire à toute heure :
L’hiver, ils n’auraient point un âtre sans charbon ;
De longs jours sans manteaux, de longs soirs sans lumière ;
Je leur ferais des lits dans de tièdes chaumières,
Et des habits qui sentent bon !

— Cher petit perroquet ! comme tu parles vide !
Leur roi, c’est Dieu : La terre est leur froide maison.
Dieu regarde d’en haut si le plus fort avide,
Ne prend pas au plus faible un grain de sa moisson :
Un jour il pèse, il juge ! autour de sa balance,
Les semeurs dépouillés se rangent en silence ;
Le pauvre a recouvré le grain qu’il a perdu,
Et le plus fort est confondu.
N’ai-je pas lu cela dans tes leçons apprises ?

— Oui. Mais ne gronde pas ; j’ai donné tout mon pain,
Et la moitié de mes cerises !

— Viens donc que je te baise. Alors, sur le chemin,
N’as-tu pas vu passer des ailes de colombe ?
Toi si peu ! tu soutiens un homme qui succombe !

— J’ai dit, bonjour !

— J’ai dit, bonjour ! — Tu fais ce que nous avons lu :
Dieu dit : puisez l’aumône à votre superflu.

— Du superflu, ma mère, en ai-je ?
— Du superflu, ma mère, en ai-je ? — C’est possible :
Au bord de l’indigence on se sent riche, hélas !
Le superflu, tu vois, c’est pour l’être sensible,
Tout ce que les pauvres n’ont pas !