Pauvres fleurs/L’Âme en peine

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 323-330).
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L’ÂME EN PEINE.
Italie.


Je suis là toute seule, immobile, cachée,
Près de l’eau, dans ma fleur comme en un lit couchée ;
Et je ne peux m’étendre ! et je voudrais souvent
Me dilater un peu sur les ailes du vent.

Mais les ailes du vent vont aux cieux, et la terre
N’a pas rompu mon ban d’exil et de mystère ;
Alors, pour expier près de qui n’en sait rien,
Je me suis dérobée à mon ange gardien.

Sans l’âme que j’attends, qui n’est pas libre encore,
Je ne veux pas monter dans l’éternelle aurore.
Si Dieu me voit cachée, il n’en fait pas semblant :
Lui, quand il faut punir, il est père ! il est lent.

Quand l’orage se lève et siffle avec colère,
Je me tais, dans l’effroi d’être prise à son vol,
Jusqu’à l’heure où la lune humide et molle, et claire,
Ramène à mon ruisseau l’altéré rossignol.
Le rossignol ce soir, a dit de tendres choses
Aux tombes que la lune illumine en ce lieu ;
Et les morts ont tenu leurs demeures moins closes,
Au doux requiescat qui s’en allait vers Dieu :

Ce long sanglot traîné dans l’ombre ;
Ce feu qui parle à la nuit sombre,
Ce souffle errant du Créateur,
Qui navre et fait pâmer le cœur :

Vraiment ! ce n’était pas pour les tombes d’argile,
Ni pour les trépassés dans leur demi sommeil,

Ni pour le monde entier, sans yeux et sans soleil,
Que tant d’amour vibrait dans ce timbre fragile :
Vraiment ! c’était pour lui ! lui, rêvant sans dormir ;
Lui, couché sur son cœur à l’écouter gémir ;
Lui, que j’ai tant aimé ! que j’aimerai, que j’aime ;
Lui, mon éternité ! lui, mes chants ! lui, moi-même !
Lui qui m’a dit un soir : « Si tu meurs avant moi,
Reviens dans cet oiseau qui pleure comme toi. »

C’était donc moi pleurant dans la plaintive haleine
De l’oiseau, dont la voix solitaire était pleine
De ma voix et du souffle attiédi de la fleur,
Où sa soif, chaque nuit, vient pomper ma douleur.
Car, en perdant ma robe et mes lèvres de femme,
Je lègue au tendre oiseau tout ce que j’ai de flamme,
Et je ne dors jamais, jalouse dans la mort :
Pitié ! je l’étais tant que je le suis encor
Comme aux jours où son cœur palpitait dans ma vie.
Beaux jours ! par lui, partout attendue ou suivie.
Beaux jours ! quand il passait, quand il jetait sur moi,
De ces saisissemens à faire ouvrir une âme !

Des apparitions, des mots prompts et de flamme,
Qui font trembler nos nuits de tendresse et d’effroi.
Ils sortent de partout ceux qui veulent nous plaire !
Où trouver de la force, où donc de la colère,
Où trouver un refuge, un mensonge, une voix,
Qui démentent ce mot… que j’ai dit tant de fois !

Si j’ai mal dit que Dieu souffle sur mes pensées,
Comme on souffle le sable alors qu’il nuit aux fleurs ;
Comme le vent détruit les feuilles dispersées,
D’un arbre maladif ; mais, qu’il regarde aux pleurs !
Les pleurs, c’est de l’amour ! et l’amour, c’est Dieu même !
Et Dieu l’a dit d’une autre et du même remord :
« Elle ne mourra pas de l’éternelle mort :
Le monde la maudit ; moi, je la sauve : elle aime. »
Et je l’aimais… pitié ! je l’aime encor… pardon !
Il a de tout charmer le désir et le don,
Lui qui m’attire, absent du fond de mon calice,
Pour m’abreuver encor de deuil et de délice ;
Lui qui, sous les rosiers ombrageant sa maison,
La seule sur la terre où l’on dise mon nom,

Ranime dans l’écho qui heurte sa fenêtre,
Ma suppliante voix qu’il reconnaît peut-être !
Sans que j’ose épier sous son rideau tremblant,
S’il n’éclaire que lui, le doux flambeau brûlant !
Je crois voir l’ombre double et m’envole éperdue.
Puis, lorsque dans ma fleur je suis redescendue,
Je n’ai ni paix ni trève et j’aspire toujours,
À qui versa tant d’ombre et de ciel sur mes jours !

Après les jours si beaux qui font les nuits si belles !
Quand l’airain ne bat plus dans le sein des chapelles,
Et qu’il passe à leur pied, j’éveille un son plaintif
Qui tombe et va prier à son cœur attentif :
Espoir ! car c’est alors qu’il m’a souvent nommée ;
Qu’il a dit : « Pauvre enfant ! je l’ai pourtant aimée ! »
Oh ! qu’avec ces mots-là prompts à tout réparer,
Je peux long-temps attendre et long-temps espérer !

Quand loin de lui mon corps dépérissait d’absence,
Quand les fleurs de mon front se séchaient en silence,

N’ai-je donc pas crié mille fois tristement,
Dans mon cœur et partout, et toujours ardemment :
« L’air respiré par lui convient seul à ma vie.
« Je ne peux me souffrir où je sens qu’il n’est pas.
« Si la tombe devait me ramener ses pas,
« La tombe me ferait envie !

« Pourquoi s’est-il lié si fort avec mon cœur
« Enfin ! que tout entier je ne puis le reprendre ?
« Pourquoi m’avoir été si tendre, ou si trompeur ?
« Si la mort voulait me l’apprendre ! »

La mort m’a tout appris. Moi, j’ai tout pardonné :
Car il est revenu sur mon corps incliné,
Pour me rendre la terre et moins froide et moins dure,
L’humecter de ses pleurs et d’un peu de verdure :
C’est assez ! c’est assez pour avoir peur des cieux,
Pour préférer la terre où j’attends… je suis mieux !

Au flanc du tournesol je me suis enfermée :
Une âme peut tenir long-temps dans une fleur.

Elle est triste, inclinée à la même douleur.
Lorsque j’étais enfant, je l’ai beaucoup aimée,
J’en ai fait mon jardin, mon linceuil, mon séjour :
Elle attend le soleil, et moi bien plus, l’amour !

Lui, s’est pour un enfant pris d’une amitié tendre :
Hélas ! toute innocence il s’arrête à l’entendre.
Jamais enfant ou fleur, il n’importe à quel lieu,
Ne passent qu’il ne dise en lui : « Je crois en Dieu ! »
Cet arrivant du ciel, fleur à tête penchée,
Fleur sommeilleuse encor dans ses feuilles cachée,
Sous ses longs cheveux d’or lui plaît tant aujourd’hui,
Que j’aide la jeune âme à causer avec lui,
À bégayer des mots d’espérance profonde,
À préparer ses yeux au jour d’un autre monde.
Consoler c’est prier ! c’est mon droit, et mon sort
Est de l’absoudre ainsi dans ma vie et ma mort.

Mais je ne peux l’aimer qu’à beaucoup de distance,
Et qu’en un grand péril lui prêter assistance :
Ainsi le regardant, pâle à travers le soir,
Comme il était venu seul et triste s’asseoir

Dans l’enclos de l’église, où des ombres errantes
Épanchaient à la Vierge un flot d’hymnes souffrantes,
Tandis que vêpre et l’orgue où se plongeait ma voix,
Lui rendaient la mémoire et nos pleurs d’autrefois :
Il était si pensif qu’il existait à peine,
Et qu’il ne voyait pas… L’amour voit-il la haine !
La haine, dont la nuit couvrait l’affreux regard.
Et que je reconnus à l’éclair d’un poignard.
L’heure sonnait le meurtre et cette lame impie,
L’atteignait, lui rêvant l’humble amour que j’expie :
Vierge toute pitié ! vous l’avez entendu
Mon cri qui vous nomma quand il était perdu !
Oui, car votre frayeur, plus saintement amère,
Cria dans ce méchant : « Par ta mère !… ta mère ! »
Oui ! car à vos flambeaux je vis de l’assassin
Les deux mains sans poignard se croiser sur son sein.

Vierge ! je crois en vous ! je crois, Vierge Marie !
Je ne peux m’en aller… mais je crois ! mais je prie !
Mais la pauvre âme en peine à genoux dans vos fleurs,
Osera nuit par nuit vous élever ses pleurs !


FIN.