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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 43-47).



DORMEUSE.


Si l’enfant sommeille,
Il verra l’abeille,
Quand elle aura fait son miel,
Danser entre terre et ciel.

Si l’enfant repose,
Un ange tout rose,
Que la nuit seule on peut voir,
Viendra lui dire : « Bon soir. »


Si l’enfant est sage,
Sur son doux visage,
La vierge se penchera,
Et long-temps lui parlera.

Si mon enfant m’aime,
Dieu dira lui-même :
J’aime cet enfant qui dort ;
Qu’on lui porte un rêve d’or.

Fermez ses paupières,
Et sur ses prières,
De mes jardins pleins de fleurs,
Faites glisser les couleurs.

Ourlez-lui des langes,
Avec vos doigts d’anges,
Et laissez sur son chevet,
Pleuvoir votre blanc duvet.

Mettez-lui des ailes
Comme aux tourterelles,

Pour venir dans mon soleil,
Danser jusqu’à son réveil !

Qu’il fasse un voyage,
Aux bras d’un nuage,
Et laissez-le, s’il lui plaît,
Boire à mes ruisseaux de lait !

Donnez-lui la chambre
De perles et d’ambre,
Et qu’il partage en dormant,
Nos gâteaux de diamans !

Brodez-lui des voiles,
Avec mes étoiles,
Pour qu’il navigue en bateau,
Sur mon lac d’azur et d’eau !

Que la lune éclaire,
L’eau pour lui plus claire,
Et qu’il prenne au lac changeant,
Mes plus fins poissons d’argent !


Mais je veux qu’il dorme,
Et qu’il se conforme,
Au silence des oiseaux,
Dans leurs maisons de roseaux !

Car si l’enfant pleure,
On entendra l’heure,
Tinter partout qu’un enfant,
A fait ce que Dieu défend !

L’écho de la rue,
Au bruit accourue,
Quand l’heure aura soupiré,
Dira : l’enfant a pleuré !

Et sa tendre mère,
Dans sa nuit amère,
Pour son ingrat nourrisson,
Ne saura plus de chanson !

S’il brâme, s’il crie,
Par l’aube en furie,

Ce cher agneau révolté,
Sera peut-être emporté !

Un si petit être,
Par le toit, peut-être,
Tout en criant, s’en ira,
Et jamais ne reviendra !

Qu’il rôde en ce monde,
Sans qu’on lui réponde ;
Jamais l’enfant que je dis,
Ne verra mon paradis !

Oui ! mais s’il est sage,
Sur son doux visage,
La vierge se penchera,
Et long-temps lui parlera !