Pauvres fleurs/Élisa Mercœur

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 139-144).



ÉLISA MERCŒUR
à sa Mère.


En regardant briller l’auréole de rêves,
Qui de ta jeune vie agitait le flambeau.
Triste, on reconnaissait sur ton front triste et beau,
Une fleur enlevée à de lointaines grèves :
On n’aimait plus le monde où languissaient tes jours,
Tes jours chantans, nourris d’une rosée avare ;
Où la terre est si froide et le soleil si rare ;
Où sur ta frêle étoile on s’alarmait toujours !


Quoi donc ! quand près des flots Dieu sema ton enfance,
Dieu ne t’y laissait point sans joie et sans défense :
Tes longs yeux découvraient dans le désert des nuits,
Quelque astre sympathique à tes jeunes ennuis ;
Tu te chantais au ciel, à ta mère bénie,
Qui t’appelait son jour ! sa naissante harmonie !
Et le ciel et ta mère et les flots et les monts,
À tes cris : Aimez-moi ! répondaient : Nous t’aimons !

Toute sonore au bruit du mugissant rivage,
Regardant le navire enfler sa voile au vent,
Ta flottante espérance aventurait souvent
Un doux château dans l’air, un nid sur un nuage :
Libres alors, jamais tes beaux songes brisés,
Ne retombaient sur toi, pleurans et méprisés !

Mais flamme passagère et vouée à la flamme,
La cité lumineuse éblouissait ton âme,
Et livrant ta faiblesse aux dangers des chemins,
Pour enhardir ton vol on te battait des mains :


Croyant qu’il est partout des brises embaumées,
Tu vins heurter ton cœur à des portes fermées ;
Tu dis long-temps : « C’est moi ! je passe… il faut ouvrir… »
La réponse fut lente et tu viens d’en mourir !
Et l’harmonie en pleurs tremblait dans ta parole,
Enfant ! ton premier chant commence un cri d’adieu ;
Ce cri poussé, perdu dans un écho frivole,
Grave pourtant, déjà se réclamait de Dieu.
Que lui demandais-tu ? de l’air libre et des ailes :
Tu les as ! nous vois-tu traîner nos pieds sous elles,
Porter pierre sur pierre à ton doux monument,
Pour charmer ta jeune ombre en son isolement ?
Pour dire au temps : voyez ! elle était chaste, aimée,
Elle avait une voix qui survit à la mort ;
Une âme, dont la forme est vite consumée ;
Qui vient chanter sa plainte et s’en va sans remord.
Un soupir, s’il vous plaît, à la poète fille !
Une eau pure au gazon qui la couvre déjà !
Une fleur sur la fleur qui se cache et qui brille !
Un regret au roseau que le vent détacha !
Une larme à sa mère… elle vit après elle !
Sans pleurer son enfant, ne vous éloignez pas ;

Ses cyprès verseront, dans leur culte fidèle,
Un rythme à votre oreille et de l’ombre à vos pas !
Un soupir, s’il vous plaît ! l’horloge s’est trompée,
Elle a sonné la mort pour l’heure de l’hymen ;
Regardez et comptez : sa trame fut coupée,
Quand l’ange des enfans tenait encor sa main !

Moi, sans racine aussi, née aux bords des voyages,
Posant à peine un pied sur de fuyans rivages,
Y cueillant à la hâte un fruit vert, une fleur,
Pour prendre un peu d’haleine au relai du malheur.
J’écoutai, quand sa voix à mon cœur parvenue,
M’apprit le nom charmant d’une sœur inconnue ;
Sa voix, qui n’avait pas encor de souvenir,
Sa voix fraîche et nouvelle en perçant l’avenir,
Lançait l’hymne de vie et de gloire trempée,
Où sa tombe précoce était enveloppée :
Je la pris, dans l’espace où vibrait cette voix,
Pour un oiseau qui joue et qui pleure à la fois !
Dans les flots de la foule insoucieuse et vaine,
J’embrassai du regard cette âme armoricaine,

Et je n’entrevis pas sa crédule candeur,
Sans plaindre de ses yeux l’ardente profondeur !

On épuisait alors cette vivante lyre ;
Sa souffrance voilée, on la lui faisait lire ;
Car le monde veut tout quand il daigne écouter ;
Et quand il a dit : Chante ! il faut toujours chanter !
Par d’innocens flatteurs innocemment déçue,
Son âme s’écoulait victime inaperçue,
Et quand l’oiseau malade à son toit remontait,
Sous son aile traînante et fiévreuse il chantait !
Il cherchait d’autres sons pour saluer la foule,
Cette foule qui cause, et qui passe et qui roule ;
En vain, ses chants mêlés de courage et d’effroi ;
Dirent bientôt : « Je souffre et j’attends !… sauvez-moi ! »

Je ne pus que l’aimer d’une tendresse amère ;
Qu’assister, prophétique aux larmes de sa mère,
Puis, avec le transport d’une interne frayeur,
Emporter mes enfans plus serrés à mon cœur !
Ce qui résonne en nous de tendresse profonde,
Mon Dieu ! n’a pas long-temps son écho dans ce monde :

Mais, puisque vers vos cieux nous regardons toujours,
C’est donc qu’un bien s’y cache et qu’il manque à nos jours ?
Oui ! quand mes souvenirs se lèvent et gémissent,
Je sens, dans un frisson sur moi prompt à couler,
Comme des ailes qui frémissent,
Toujours prêtes à s’envoler !

Dis ! n’est-ce pas ainsi, fille mélodieuse,
Que s’élançait ton cœur pour entraîner tes pas,
Lorsque ton cœur s’ouvrit plein de sa foi pieuse,
Appelant l’avenir… qui ne répondit pas :

Car, voici ma prière envoyée à ta tombe !
Au bord de l’urne blanche où s’amassent nos fleurs,
Viendras-tu pas poser ton âme de colombe,
Pour compter les amis qui t’ont donné leurs pleurs ?
Qu’importe que la voix soit obscure ou sublime :
La douleur n’a qu’un cri qui sort du même abîme ;
Et le Christ, en mourant, n’entendit sur sa croix,
Que ceux qui lui criaient : Mon Dieu ! j’aime et je crois !