Pauvres fleurs/À Madame A. Tastu

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Pauvres fleursDumont éditeur Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 217-222).



À MADAME A. TASTU.


Si vous ne dormez pas, jetez-moi vos paroles,
Ma sœur ! comme au banni les divines oboles ;
Chantez-moi de vos nuits les songes palpitans.
Et soulevez un peu le froid manteau du temps ;
C’est l’hiver, c’est l’absence et puis, toujours une âme,
Au souffle de l’orage éparpillant sa flamme ;
Étendez votre main entre elle et l’ouragan,
Vous ! dont la lampe est haute et calme sous l’autan ;
Vous ! dont l’âme relève une voix qui soupire,
Envoyez-moi votre âme afin que je respire ;

Versez un peu d’eau pure à mon sort altéré,
Vous ! qui tenez du ciel ce don frais et sacré ;
Comme une fleur sauvage a soif de l’aube humide,
Mon souffle est altéré de ce trésor limpide,
Quand votre voix l’exhale en de si purs accens,
Qu’on s’incline à l’écho de vos jours innocens :

Chantez ! tournez vers moi l’harmonieuse offrande,
C’est là votre richesse et je vous la demande ;
Non pas toute ; vraiment ! il est tant de malheurs,
Qui frappent à la porte où l’on répand des pleurs !
Des pleurs ! mélodieux comme un ange en accorde,
Qui vous font belle ! et sœur de la miséricorde !
Et Dieu vous bénira, lui, qui vous a donné
Pour votre exil de femme un cœur tout pardonné,
Que ne tourmentent pas deux ailes affaiblies,
Pour égarer l’essor de vos mélancolies.
Je suis trop buissonnière, et ce n’est pas aux champs,
Qu’il faut aller apprendre à moduler ses chants ;
Il faut, ce qui me manque, une sévère école,
Pour livrer sa pensée au vent de la parole.

Moi, seule en mon chemin et pleurante au milieu,
J’ai dit, ce que jamais femme ne dit qu’à Dieu ;
Comme un oiseau dont rien n’avait noué les ailes,
Prompte aux illusions, m’envolant après elles,
Facile à me créer des thèmes ravissans,
J’ai chanté comme vrais bien des bonheurs absens :
Ma sœur ! priez pour moi si c’est mal ; si l’étude,
N’a pu prendre au réseau ma flottante habitude ;
Si, dans mon ignorance un trait prêt à jaillir,
Sent au fond de ma voix la parole faillir :
Je n’ai pas eu le temps de consulter un livre,
Pour ciseler les cris dont mon sein se délivre ;
Mais, qu’une plume reste à l’oiseau mutilé,
Il s’en fait une rame à son port étoilé !

Aussi me l’a-t-on dit : « Restez dans vos voyages ;
Hirondelle sans nid et pliante aux orages,
Pourquoi vous obstiner à revenir toujours,
Jeter l’ancre où les flots n’ont plus ni flux ni cours ?
Vous chantez sous le ciel ; que le ciel vous réponde :
Nous avons nos jardins ; vous, vous avez le monde ;

On meurt partout, allez. « Que leur répondre ? rien ;
Doucement leur sourire, et m’en aller. » Eh ! bien :
Vos vers, du moins, vos vers ! afin que la nature,
L’haleine des ruisseaux, leur bruit dans la verdure,
Le jour douteux et blanc dont la lune a touché
Tout ce ciel que je porte en moi-même caché,
Se relèvent de joie et des sons d’une lyre,
Qui m’aide à m’oublier quand je viens de vous lire,
Et Dieu vous bénira, qui dans vos chastes yeux,
Infiltra le symbole et la teinte des cieux :
Lui ! qui vous départit cette force tranquille,
Ce courage sans bruit de vous faire un asile,
Partout, où de vos fleurs broyant les frais tableaux :
Rien ne vous a forcée à les jeter aux flots ;
Si votre livre, au temps porte une confidence,
Vous n’en redoutez pas l’amère pénitence ;
Votre vers pur n’a pas comme un tocsin tremblant ;
Votre muse est sans tache et votre voile est blanc !
Et vous avez au faible une douceur charmante !

Faible aussi sous un cœur dont le poids me tourmente,

M’écoutant vivre encor près de l’âtre désert,
N’élevant plus qu’en moi mon timide concert ;
Sur un rythme qui pleure asseyant ma pensée,
Ma tête dans mes mains lentement balancée,
Devant le bois qui s’use et qui sert de flambeau,
Seule ! à me croire encor seule comme au tombeau,
Au cher petit tombeau dont j’ai tant vu la terre,
Et la mousse et les fleurs, et la croix solitaire,
Que sa forme partout s’élève devant moi,
Et quand je veux chanter me demande pourquoi :
Pourquoi ! c’est qu’on voudrait vivre encor de la vie,
Quand on a tant pleuré sa belle fleur ravie ;
C’est qu’on voudrait se prendre à quelque autre roseau
Mais le moindre, ma sœur, ne peut croître sans eau !

Allons, votre hymne ! allons, vos vers ! doux chœur d’abeilles,
Qui revenant des fleurs bruït à mes oreilles ;
S’emporte à l’avenir et chante dans le vent ;
Vrais accords de la muse à qui je dis souvent :

Pourquoi me tentez-vous, ô belle poésie !
Je ne sais rien. Pourquoi par vos mots d’ambroisie,
Arrêtez-vous, mon âme au bord de mes travaux
Et de ma main rêveuse ôtez-vous mes fuseaux ?
Je vous aime partout : mais stérile écouteuse,
Ma raison n’eut jamais qu’une clarté douteuse ;
Et j’ai peur de répondre et de laisser vibrer
Ma plainte dans des chants qui m’ont fait tant pleurer !
Est-ce au front incliné d’une vulgaire femme
Que vous devez ainsi secouer votre flamme ?
Aux soucis du ménage, au berceau qui s’endort,
Est-ce à moi de lier ma vie à vos fils d’or ?
Laissez-moi seule et pauvre, et mère vigilante,
Me débattre avec l’heure ou faites-la plus lente ;
Laissez tomber sans voix les larmes de mes yeux,
Qui cherchent leur chemin pour arriver aux cieux !