Pausanias, Attique-1, chapitre VI

Description de la Grèce de Pausanias, tome 1
Traduction par M. Clavier.
J.-M. Eberhart (1p. 36-44).
chapitre VI.

Ptolémée, fils de Lagus.

Quant à Attale et à Ptolémée, ils sont trop anciens pour qu’il reste beaucoup de souvenirs de leurs actions. Depuis long-temps on néglige les écrivains qui, ayant vécu avec eux, nous ont transmis leur histoire ; c’est ce qui m’a déterminé à entrer dans quelques détails sur ce qu’ils ont fait, et sur les moyens employés par leurs pères pour conquérir l’Egypte, la Mysie et les pays circonvoisins.

Ptolémée, suivant les Macédoniens, étoit réellement né de Philippe, fils d’Amyntas, quoiqu’il passât pour fils de Lagus : sa mère, en effet, étoit enceinte, lorsque Philippe la donna en mariage à Lagus. Ptolémée se signala, dit-on, en Asie par plusieurs actions éclatantes ; et lors qu’Alexandre courut un si grand danger chez les Oxydraques, il fut celui qui s’exposa le plus pour sa défense : après la mort de ce prince, il s’opposa à ceux qui vouloient donner tous ses états à Aridée, fils de Philippe, et fut ainsi la principale cause du partage qui s’en fit en plusieurs royaumes.

Etant passé en Egypte, il tua Cléomènes qu’Alexandre avoit établi satrape de ce pays, et qui lui étoit suspect parce qu’il le croyoit attaché à Perdiccas. Il se fit remettre le corps d’Alexandre par les Macédoniens, qui étoient chargés de le transporter à Ægæ, et il lui fit faire à Memphis des obsèques suivant les usages de la Macédoine. Sachant que Perdiccas vouloit lui faire la guerre, il mit l’Egypte en état de défense ; sous le titre spécieux de protecteur d’Aridée, fils de Philippe, et d’Alexandre, fils d’Alexandre et de Roxane, fille d’Oxyarte. Perdiccas vouloit en effet enlever à Ptolémée le royaume d’Egypte, mais il fut repoussé. Ayant perdu par cet échec une partie de sa réputation militaire, étant d’ailleurs devenu odieux aux Macédoniens, il fut tué par les gardes du corps. La mort de Perdiccas enhardit Ptolémée à faire de nouvelles entreprises, il s’empara donc de la Syrie et de la Phénicie ; et d’un autre côté, il reçut dans ses états Séleucus, qui avoit été chassé des siens par Antigone ; il prit même les armes pour s’opposer aux projets de ce dernier, et engagea Cassandre fils d’Antipater, ainsi que Lysimaque, roi de Thrace à se réunir à lui pour cette guerre, en leur parlant de la fuite de Séleucus et de l’accroissement redoutable pour tous que prenoit la puissance d’Antigone.

Ce dernier n’étoit pas très-rassuré sur sa position, il se préparoit cependant à la guerre, et ayant appris que Ptolemée marchoit en Libye contre les Cyrénéens, qui s’étoient révoltés, il se jetasoudainement sur la Syrie et la Phénicie, qui ne firent aucune résistance ; après en avoir confié la défense à Démétrius son fils, jeune encore, mais qui annonçoit beaucoup de talents, il retourna vers l’Hellespont. Il n’y étoit pas encore arrivé que la nouvelle de la défaite de Démétrius par Ptolémée, l’obligea de revenir avec son armée. Démétrius n’avoit pourtant pas abandonné tout le pays à Ptolémée, il avoit même attiré dans une embuscade et tué un parti peu nombreux d’Egyptiens. Dans ces circonstances, Ptolémée, ne jugeant pas à propos d’attendre Antigone, se retira en Egypte.

L’hiver étant passé, Démétrius conduisit une escadre vers l’île de Chypre, y défit en combat naval Ménélas l’un des satrapes de Ptolémée, et ensuite Ptolémée lui-même, qui étoit venu l’attaquer. Ptolémée, s’enfuit en Egypte ; assiégé en même temps par les troupes de terre que commandoit Antigone et par les forces navales de Démétrius, il se vit alors réduit aux dernières extrémités ; mais une armée de terre qu’il plaça vers Peluse, et les vaisseaux par lesquels il défendit l’entrée du fleuve, lui conservèrent ses états. Antigone, forcé de renoncer pour le moment à l’espoir de prendre l’Egypte, envoya Démétrius avec des vaisseaux attaquer l’île de Rhodes : il se flattoit que cette île, s’il parvenoit à s’en emparer, lui serviroit de place d’armes pour faire la guerre aux Egyptiens : mais les Rhodiens se défendirent avec tant de valeur et d’habileté, et Ptolémée employa si bien tout ce qu’il avoit de moyens pour les secourir, que Démétrius fut obligé de se retirer.

Peu de temps après avoir échoué dans ces deux entreprises, Antigone eut encore la témérité de livrer bataille à Lysimaque, Cassandre et Séleucus, dont les forces étoient réunies. Il y perdit la plus grande partie de son armée, et il mourut lui-même épuisé de fatigue, sur-tout par la durée de la guerre contre Eumènes. Cassandre est à mon avis le plus criminel de tous les rois qui contribuèrent à la chute d’Antigone, car c’étoit par les secours de ce prince qu’il avoit conservé le royaume de Macédoine, et il ne rougit point de faire la guerre à son bienfaiteur.

Antigone étant mort, Ptolémée reprit la Syrie et l’île de Chypre et rétablit Pyrrhus sur le trône de l’Epire. Magas, fils de Bérénice, alors épouse de Ptolémée ; reprit aussi Cyrène cinq ans après sa rébellion. Si Ptolémée devoit réellement le jour à Philippe, fils d’Amyntas, il tenoit bien de son Père par son goût effréné pour les femmes ; en effet, Eurydice, fille d’Antipater, étoit son épouse, et lui avoit donné des enfants, lorsqu’il en eut de Bérénice dont les charmes le séduisirent, et qu’Antipater avoit envoyée en Egypte avec sa fille. Près de mourir, il laissa le trône à Ptolémée : c’étoit un fils qu’il avoit eu de cette Bérénice, et non de la fille d’Antipater. Ce second Ptolémée est celui qui donna son nom à une des tribus d’Athènes.