Paul Verlaine, Sa Vie - Son Œuvre/Chapitre 14
XIV
Verlaine, revenu à Paris, — il habita successivement Boulogne-sur-Seine, la rue de Lyon, puis rue de la Roquette, no 17, — ayant renoncé à la culture, pas définitivement d’ailleurs, s’était efforcé de reprendre sa place, son rang, dans la littérature. Il avait perdu toutes ses relations, ne connaissait plus ni auteurs ni libraires. Il m’était difficile de lui procurer un éditeur. Je cherchais pour moi-même cet intermédiaire indispensable. Mais les libraires Dentu et veuve Tresse [Victor Stock], qui m’éditaient mes premiers romans, ne voulaient pas entendre parler de poésies. Enfin l’éditeur catholique Victor Palmé accueillit le manuscrit, que le poète solliciteur trimbalait, avec un monotone insuccès, de librairie en librairie. Victor Palmé accepta ce volume de poésie, non pas parce que les vers lui semblaient beaux, et qu’il eût, comme un autre Lemerre, le goût d’éditer les poètes, mais uniquement parce que l’ouvrage de M. Paul Verlaine lui était recommandé par des personnes pieuses, comme susceptible de fournir une lecture édifiante. Ce volume était tout bonnement Sagesse. Ce fut, non pas comme un des plus beaux livres de notre littérature, comme le seul poème religieux que le xixe siècle ait produit, que Sagesse eut les honneurs de l’impression, mais comme un recueil de cantiques nouveaux, susceptible de varier la monotonie du répertoire liturgique, où l’on célèbre, en vers de mirliton, le mois de Marie, le mois le plus beau, les âmes ferventes qui doivent goûter tous les dons du Seigneur, et le divin Enfant né pour le salut du monde. L’éditeur inconscient a acquis une gloire bibliographique incontestable. Assurément, comme chrétien, le fait d’avoir publié cet hymne supérieur a dû lui mériter une place d’honneur au Paradis, dans les chœurs célestes que dirige sainte Cécile, mais, comme libraire, il fit une détestable affaire.
Il en maugréa longtemps.
Ce livre qui, par la suite, devait placer Verlaine au premier rang des poètes, passa complètement inaperçu. Les premiers lecteurs désignés, les poètes, firent défaut. Nulle voix ne s’éleva dans la presse pour signaler l’apparition de ce recueil incomparable, d’une originalité surprenante. Je fis bien paraître un article élogieux justement sur ces poèmes, que je possédais pour la plupart, en manuscrit, et dont j’avais eu le plaisir d’être le premier lecteur. Mais j’écrivais cette année-là uniquement dans des journaux politiques, comme le Mot d’ordre. Mon article sur Sagesse, forcément écourté, ne tomba point sous les yeux de lecteurs que la poésie intéressait. La clientèle ordinaire du journal dédaigna un ouvrage qui paraissait « clérical ».
Sagesse eut, de plus, la malchance de n’être point en odeur de sainteté, ou mieux de publicité, auprès de la clientèle catholique. L’éditeur, mécontent de s’être fourvoyé en imprimant ce livre, au genre inusité chez lui, qui tenait sur ses rayons la place des ouvrages de piété dont il avait la spécialité et le débit, se hâta de faire descendre à la cave tout le stock. Ensuite, pour débarrasser ses locaux, il vendit au soldeur la totalité de l’édition. Tout, ou à peu près, se fondit sous le pilon. L’éditeur Palmé se promit bien de ne plus éditer de vers, si emplis d’onction, si parfumés d’orthodoxie qu’on les lui affirmât. Il avait raison, ce négociant en paroissiens. Les dévotes n’achètent point de volumes de vers. Le clergé n’a pas le temps de lire, surtout depuis que la politique le préoccupe, et lui fait partager son temps entre la lecture des journaux et celle du bréviaire. Et puis, la poésie n’exhale-t-elle pas toujours un parfum profane, et Sagesse ne valait pas le Manuel ordinaire des cantiques, approuvé par l’archevêché.
L’éditeur Palmé s’était abusé, mais il était peu apte à lancer un livre de douce, pénétrante et profonde poésie comme celui-là. Il a dû se consoler depuis de l’insuccès initial, si l’un de ses commis eut l’idée, par hasard, de mettre de côté quelques exemplaires des bouquins, alors invendables. L’édition originale de Sagesse, dont il n’existe que quelques échantillons, volumes donnés à de rares amis, est très recherchée des bibliophiles. Vingt ou trente volumes sauvés du pilon eussent remboursé au pieux Palmé les frais de cette publication, jugée par lui malheureuse et maladroite.
L’édition originale de Sagesse est un volume oblong, format bâtard, se rapprochant de l’in-8o. Il comporte 106 pages seulement. Le caractère est assez gros, l’impression très nette, d’aspect ancien. La couverture jaune-grisâtre. Elle porte ces intitulés : À Paul Verlaine — Sagesse —, la marque de l’éditeur avec l’exergue : ' Sustinens palmas Domini, un écusson avec griffons et un lion dressé, la queue hérissée et la tête tournée. » Au bas, la mention : « Paris. Société générale de Librairie catholique. Paris, ancienne maison Victor Palmé, 76, rue des Saints-Pères. Bruxelles, ancienne maison Henri Gœmare, 29, rue des Paroissiens. M. D. C. C. C. LXXXI. » Sur la feuille de garde se trouvent ces mentions : « Du même auteur : En préparation : Amour. Voyage en France par un Français. » Et au bas : « Évreux, Imprimerie de Charles Hérissey. »
Aucune des pièces de vers du recueil n’est précédée de dédicace. L’ouvrage, à la première page, porte cette seule dédicace, sobre et bonne : « À ma mère. »
L’édition originale a une préface, qui n’a pas été réimprimée en tête du recueil, contenu dans le tome Ier des Œuvres complètes, édition de 1899, chez Léon Vanier. Pourquoi ?
Je crois devoir reproduire cette préface, intéressante à plus d’un titre, l’édition originale ayant disparu, et l’édition subséquente, parue chez Vanier, étant rare dans le commerce.
Voici, dans son entier, la Préface de Sagesse, édition originale :
L’auteur de ce livre n’a pas toujours pensé comme aujourd’hui. Il a longtemps erré dans la corruption contemporaine, y prenant sa part de faute et d’ignorance. Des chagrins, très mérités, l’ont depuis averti, et Dieu lui a fait la grâce de comprendre l’avertissement. Il s’est prosterné devant l’Autel longtemps méconnu, il adore la Toute Bonté et invoque la Toute Puissance, fils soumis de l’Église, le dernier en mérites, mais plein de bonne volonté.
Le sentiment de sa faiblesse et le souvenir de ses chutes l’ont guidé dans l’élaboration de cet ouvrage, qui est son premier acte de foi public depuis un long silence littéraire : on n’y trouvera rien, il l’espère, de contraire à cette charité que l’auteur, désormais chrétien, doit aux pécheurs, dont il a, jadis et presque naguère, pratiqué les haïssables mœurs.
Deux ou trois pièces, toutefois, rompent le silence qu’il s’est en conscience imposé à cet égard, mais on observera qu’elles portent sur des actes publics, sur des événements dès lors trop généralement providentiels, pour qu’on ne puisse voir dans leur énergie qu’un témoignage nécessaire, qu’une Confession sollicitée par l’idée du devoir religieux et d’une espérance française.
L’auteur a publié très jeune, c’est-à-dire il y a une dizaine d’années, des vers sceptiques et tristement légers. Il ose compter qu’en ceux-ci nulle dissonance n’ira choquer la délicatesse d’une oreille catholique : ce serait sa plus chère gloire, comme c’est son espoir le plus fier.
Les sentiments édifiants dont témoigne cette préface, bien faite pour toucher « les oreilles catholiques », ne persistèrent pas absolument. Il est vrai que les susdites oreilles demeurèrent très sourdes aux accents pieux du poète converti, assagi, moralisé. Les volumes subséquents, notamment certaine plaquette intitulée Femmes, imprimée et distribuée sous le manteau, témoignent d’un retour aux vers, sinon sceptiques et impies, du moins légers. Il faut reconnaître, toutefois, que, par la suite, Verlaine ne fit montre d’aucun retour irréligieux, et se montra toujours respectueux des croyances et des pratiques cultuelles de son enfance, reprises, au moins poétiquement, après les orages et les cataclysmes de l’âge mûr.
Verlaine, malgré l’insuccès de Sagesse, et peut-être à raison de ce déboire, voyant diminuer ses ressources, sa mère, et pour cause, se montrant plus récalcitrante quant aux versements de fonds, résolut courageusement de « vivre de sa plume ». Il avait, depuis longtemps, depuis toujours ce désir. De nombreuses lettres en témoignent. Mais il faut reconnaître qu’il n’y avait guère eu de sa part que des velléités de labeur littéraire rémunérateur. Il savait très bien que les vers ne se vendaient pas, sauf de très rares exceptions. Il avait publié tous ses premiers volumes à ses frais. Il n’avait eu que des projets de travaux susceptibles d’être acceptés par des éditeurs, par des directeurs de journaux. Il n’avait pas, en réalité, le sens de la littérature courante, pratique, et pour ainsi dire commerciale. Ce dont il faut le louer. Comme on l’a dit d’Edgard Poe, avec lequel il eut plus d’un trait de ressemblance : « il écrivait trop au-dessus du vulgaire » pour être accueilli et rétribué dans les quotidiens. Je réussis cependant, comme on le verra plus tard, à lui faire prendre régulièrement « de la copie payée » dans un grand journal, le Réveil, où j’avais, il est vrai, la haute main. Cette collaboration fut exceptionnelle. Il ne publia jamais, même lorsqu’une notoriété légitime lui était venue, auréolée de la réclame de la misère et de l’hôpital, que dans des feuilles « à côté », revues juvéniles, brûlots d’écoles hardies, publications d’avant-garde à clientèle restreinte, à tirages infinitésimaux, distribuées plus souvent que vendues. Il était resté poète, rêveur, fantaisiste, et ne se pliait ni aux exigences des publications normales, ni au goût ambiant ; il ne songea, à aucune époque, à tirer parti de l’actualité, bien qu’elle se retrouve, comme contemporanéité, en plusieurs de ses œuvres, mais à distance et tardive. Il lui fut impossible de construire et d’écrire un roman de longue haleine. Il était dépourvu de cette imagination des faits indispensable au conteur. La composition d’un récit avec personnages, aventures, dramatisation, lui eût été impossible. Il ne pouvait pas davantage écrire un ouvrage d’observation de mœurs, de psychologie. Il avait cependant, pour ce dernier genre, très bien lu et compris Obermann, Adolphe, Jacques et divers romans de Mme Sand. Ces descriptions sentimentales eussent été plus aisément dans ses moyens, mais il ne put jamais se mettre à l’œuvre. La composition poétique lui avait, on ne peut pas dire gâté, mais faussé la main pour ce travail, comme la prose courante alourdit et détraque les doigts qui pincèrent les cordes de la lyre. Il fit de la psychologie en vers, inspirée de Joseph Delorme et de Mme Desbordes-Valmore ; en prose, il ne s’évada jamais de la subjective préoccupation et demeura prisonnier de l’autobiographie. Un auteur ne peut être perpétuellement à confesse.
Quant au théâtre, il en avait eu le goût et la tentation. Nous avons vu que, dans ses premières années, il s’était amusé à tâter de l’opérette-farce [les Beautrouillards, jamais terminés]. Il avait commencé avec moi un grand drame, à la fois populaire et d’une visée supérieure aux mélos traditionnels, les Forgerons. Nous devions peindre, dans ces cinq actes en prose, destinés à la Porte-Saint-Martin ou à l’Odéon, la jalousie chez l’ouvrier, sentiment très vivace, très violent dans ses manifestations parmi les âmes frustes et les êtres asservis aux besognes rudes. L’Othello doré et empanaché de Shakespeare est un jaloux, orgueilleux et impulsif ; notre Othello en bourgeron devait être surtout le mâle possesseur, jaloux de sa proie, grognant et mordant quand on vient lui disputer sa part, en même temps qu’un jaloux du passé, devenant furieux, impitoyable et criminel par crainte de paraître faible, allant droit au meurtre, par terreur des moqueries d’atelier, désireux de changer la couleur jaune risible, dont on bariole la livrée conjugale, en rouge sinistre, un mari voulant faire trembler et non rire les gais et insoucieux larrons d’honneur. Le drame ne fut jamais achevé, et j’en ai seulement conservé les premiers actes interrompus. Peut-être y avait-il là les éléments d’une bonne pièce. J’ai, de plus, un autre plan de drame, l’Alchimiste, que nous devions également écrire ensemble, et qui ne fut même jamais entamé. Les deux saynètes que Verlaine a laissées : Madame Aubin et les Uns et les Autres, cette dernière pièce représentée à son bénéfice au théâtre du Vaudeville, ne peuvent compter comme productions dramatiques sérieuses. C’était pur badinage de salon et amusement d’atelier.
Il lui restait, en dehors de sa veine poétique, toujours abondante, originale, colorée et chantante, un filon de prose à exploiter. Il était surtout ce que les Anglais nomment un « essayst ». Il excellait dans de petits morceaux allongés de digressions, souvent heureuses et inattendues, où il notait les choses vues, les impressions ressenties. Il maniait, çà et là, fort gentiment, la férule du critique ; il se sentait plutôt porté à louanger. Il réussissait à ravir les descriptions humouristiques des sites aperçus, des paysages parcourus, des intérieurs visités, et des gens rencontrés. Les Mémoires d’un veuf, Quinze jours en Hollande, contiennent en ce genre de menus chefs-d’œuvre, qui figureront plus tard dans les recueils de morceaux choisis de nos prosateurs. Les fragments de ces « croquis londoniens » inédits, qu’on a lus plus haut, jetés au hasard de la correspondance, dans les lettres qu’il m’écrivait d’Angleterre, et qu’il ne pensait aucunement devoir par la suite reunir en volume, donnent une très favorable idée du talent d’observateur urbain de Verlaine. Il ne décrivait pas moins heureusement les coins de pays qu’il aimait, voir les Confessions. Mais toujours et partout sa personnalité dominait, et les événements de sa vie s’interposaient entre lui et le monde extérieur. Peu de pages où il n’y ait une allusion aux déchéances de son âme, à sa femme perdue pour lui, aux beaux parents instigateurs de la perdition. Il avait la hantise de ses malheurs familiaux.
Il avait résolu cependant de réaliser, par la prose, sa prose poétique, imagée, pleines d’ellipses, de parenthèses, d’intercalations, l’idéal du jeune homme de Théodore de Banville, dont nous avions souvent évoqué joyeusement la destinée invraisemblable : « Le poète lyrique qui vivait de son état. » Je l’encourageai dans ce dessein, et je le fis entrer au Réveil, grand quotidien littéraire où je faisais fonction de rédacteur en chef.
Les bureaux du Réveil étaient installés, avec ceux du Mot d’ordre, même direction et plusieurs rédacteurs communs, à l’entresol et au premier étage d’un immeuble rue Bergère, no 19, au coin de le Cité Rougemont. Les machines étaient placées dans les caves. On y accédait par la boutique donnant sur la rue. Il y avait, dans la même maison, une brasserie, genre allemand, tenue par un nommé Braunstein, où m’attendait très régulièrement Verlaine. Nous y faisions d’assez tardives haltes, car je n’étais guère libre qu’à 7 heures, mon article politique quotidien donné au Mot d’ordre et les principaux articles du Réveil remis à la composition.
Plusieurs rédacteurs de nos journaux l’aperçurent et s’inquiétèrent de l’apparition étrange. Qui pouvait bien être ce « type » inconnu, chauve mais hirsutement barbu, au masque ravagé, ayant l’aspect d’un juif-errant du Boul’ mich’, drapé avec des airs d’hidalgo montmartrois dans un épais mac-farlane, et dont le sourire railleur zigzaguait au-dessous d’un nez socratique ? Évidemment ce n’était pas un bohème vulgaire. Henry Baüer qui, par la suite, a fort bien conté cette première vision qu’il eut du poète vagabond, auquel il trouvait alors des allures sinistres et inquiétantes, m’interrogea sur son compte. Mon visiteur étrange intriguait fort les oreilles et déconcertait les esprits. On était surpris de saisir quelques lambeaux de nos longues et décousues conversations. On nous entendait parler littérature, philosophie, histoire : nous citions des livres aux noms disparates et se choquant : le Ramayana et Gaspard de la Nuit, Port-Royal de Sainte Beuve et l’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, le Faust de Marlowe et la Dévotion à la Croix de Calderon, les Nuits d’Aulu-Gelle et les Rhapsodies de Pétrus Borel.
De plus, mon compagnon jetait familièrement, parfois en les accompagnant d’épithètes cordiales ou d’adjectifs caractéristiques, mais peu respecteux, au milieu de ses propos, scandés par les aspirations de bière brune ou de verte absinthe, les noms des plus notoires célébrités contemporaines : Victor Hugo, Leconte de Lisle, Heredia, Coppée, semblaient être connus de lui et personnellement. On était très intrigué à la rédaction.
J’avais répondu simplement à la question d’Henry Baüer en désignant mon ami : « C’est Paul Verlaine, un grand poète. » Baüer avait répondu poliment : « Ah oui !… » puis s’était éloigné, paraissant peu renseigné. À quelques jours de là, je lui remis un exemplaire des Romances sans paroles. Il emporta le petit livre, le lut et me dit : « Vous aviez raison, Verlaine est un très grand poète ! » Et depuis il est demeuré un des fervents admirateurs de l’auteur, un sincère verlainien.
Le Réveil, duquel est issu l’Écho de Paris, était un grand journal littéraire, véritable précurseur d’autres feuilles à succès, auxquelles il servit de modèle et d’école. Il avait été fondé par Valentin Simond, et ne contenait qu’un court bulletin politique. C’était à cette époque une contestable innovation. On n’admettait pas qu’un journal pût vivre sans tartines polémiques. Des chroniques, des actualités documentées, du reportage, des portraits, des indiscrétions de coulisses, des contes et des romans de premier ordre (Le Réveil a publié, inédits, Sapho, d’Alphonse Daudet, les Sœurs Rondoli, de Guy de Maupassant, etc., etc.) firent de ce journal un organe original, intéressant, procédant de l’ancien Figaro de Villemessant et de l’Événement d’Aurélien Scholl, avec des visées plus artistiques et une moindre préoccupation des polémiques et des personnalités politiques. C’était une ingénieuse création. Le succès ne répondit pas à l’attente de son fondateur. C’était prématuré, un organe éclectique, et républicain sans violence. Il est souvent fâcheux de débuter, d’ouvrir. Le Réveil a essuyé les plâtres du journalisme littéraire et informateur. Il ne faut pas avoir raison trop tôt. Le vieux journalisme politique et didactique dominait encore. On était alors tout à la presse de polémique, de discussions parlementaires, de théories doctrinales et sociologiques, et l’on ne prévoyait guère, en dehors du quartier latin et de quelques cafés des boulevards, une clientèle pour une feuille presque exclusivement littéraire, où l’on s’occuperait des poètes, où l’on consacrerait des colonnes de première page à une représentation théâtrale, à la critique d’un livre, à l’explication d’un scandale mondain ou à l’analyse d’un drame judiciaire. Mais quelque temps après, le Gil Blas allait paraître, et son grand et rebondissant succès devait donner un durable démenti à cette assertion courante dans le monde des journaux. Plus tard, l’Écho de Paris, le Journal, le Matin entraînaient à leur suite des organes jusque-là entièrement politiques, obligés depuis de supprimer l’article doctrinal, la « tartine », et de faire une large place à l’information, à la chronique, et aussi au scandale du jour. Ainsi s’achevait la transformation de la presse, ainsi voguaient à toute vapeur vers les gros tirages les feuilles littéraires, mondaines, documentées, laissant bien en arrière les vieux pontons démodés. Les journaux à l’ancien système durent se transformer péniblement, dérivant à grand’peine, et quasi désemparés, dans le sillage triomphal de la nouvelle presse sensationnelle.
Le Réveil ne put franchir les obstacles du début. Ce ne furent ni le talent des rédacteurs, ni le savoir-faire de l’administration, qui manquèrent, et l’empêchèrent de poursuivre sa course : son départ trop hâtif, devant une clientèle surprise, non préparée, fut seule cause de cet échec, dont Valentin Simond ne devait pas tarder à prendre une éclatante et nouvelle revanche en lançant l’Écho de Paris, qui fut un second Réveil plus approvisionné de collaborateurs, et aussi d’argent.
Les principaux rédacteurs du Réveil étaient : Léon Cladel, Jules Vallès, Paul Alexis, René Maizeroy, Francis Enne, Hector France, Albert Dubrujeaud, Henry Baüer, Gaston Vassy, Émile Bergerat, Jules Caze, Paul Bonnetain, Henri Fèvre, Émile Blémont, enfin Paul Verlaine et Edmond Lepelletier.
Le secrétaire de rédaction était Robert Caze, romancier au talent vigoureux, l’auteur du Martyre d’Annil, malheureusement tué en duel par un poète décadent, malgré cette funèbre réclame demeuré ignoré, qui s’était montré furieux d’une critique de ses bizarres élucubrations. Cet Oronte féroce a privé notre littérature d’œuvres fortes et originales. Il a de plus contribué à perdre deux existences. La jeune femme de Robert Caze ne survécut qu’un an à son mari, et l’enfant, l’orphelin, sans fortune, sans appui, élevé de bric et de broc, est devenu un jeune bandit : il a comparu en cour d’assises, il y a quelques années, pour vol et assassinat, et a été condamné à la réclusion. Les amours-propres littéraires froissés sont parfois terribles et les duels d’hommes de lettres ne se terminent pas toujours par un déjeuner, comme le prétendent les sots.
Profitant des bonnes dispositions de Verlaine, enfin, déterminé, sans abandonner pour cela toute poésie, à écrire de la prose, publiable dans un journal, je le présentai au directeur du Réveil. Bien que la littérature y dominât en souveraine, ce journal n’en était pas moins un organe populaire de démocratisation lettrée ; il devait être compris et goûté d’un grand et gros public. J’engageai donc l’auteur de Sagesse à m’apporter quelque chose qui rentrât dans le cadre d’un quotidien.
Les premiers essais de Verlaine en ce genre étaient surtout des allusions autobiographiques, des allégories conjugales, des commentaires de ses démêlés avec la famille de sa femme.
La lettre suivante indique son état d’esprit à cet égard, et l’idée plutôt étrange qu’il se faisait d’un journal :
Voici un essai de Jean qui pleure et de Jean qui rit. Je le crois assez général et dramatisé pour pouvoir passer.
S’il doit passer, je te recommande surtout la « vieille m… ! » [le fameux terme de Cambronne était libellé en cinq lettres]. Tu te doutes à qui ça s’adresse [à son ex-beau-père.]
Si toutefois c’était impossible, on pourrait mettre avec des points : « vieille m… ! ou vieille moule ! Mais que vieille m…… me ferait bien plaisir, s’il y avait moyen que ça parût en toutes lettres !
J’avais inauguré au Réveil une rubrique, qui depuis a été imitée, perfectionnée si l’on veut, et qui a fait fortune : Paris-Vivant. Ces « Paris-Vivant » formaient de courts articles, imprimés en italiques, disposés en première page ; c’étaient des impressions, des tableaux de Paris, des croquis, des sensations et des scènes prises dans la réalité. On les signait « Jean qui pleure », ou bien « Jean qui rit », selon la tonalité, sombre ou gaie, du sujet et d’après le décor de la scène, le sentiment et l’impression. J’avais fait les deux premiers « Paris-vivant ». Depuis j’en insérai un certain nombre, provenant de collaborateurs comme Paul Bonnetain, Robert Caze, etc. Je pus en faire passer plusieurs dus à Paul Verlaine, bien que ces articles ne répondissent pas toujours au genre de notre journal, et même au journal pris absolument. Bien entendu, je n’avais pu insérer, malgré son grand désir, l’épithète cambronnesque que Verlaine adressait à son ex-beau-père Mauté.
Voici quelques lettres se rapportant à ces articles, dont l’insertion faisait grand plaisir à l’auteur :
Voici un « Paris-Vivant », que je crois assez souligné pour ne pas te dire que c’est du Voltaire, qu’il s’agit [le café Voltaire]. Les prénoms t’indiquent assez les noms, même estropiés comme fallait.
Et c’est Pablo, et c’est Machin et c’est Chose que s’appelle ton vieux
Une autre lettre se termine par cet appel de fonds, libellé en anglais :
Ci-joint l’Ami de la Nature demandé [chansonnette genre Bruant, antérieure de quinze ans à la Marche des dos]. Veuille le remettre à qui de droit, comme c’était convenu l’autre fois. Ça paraîtrait, puis divers poèmes en prose de la Parodie.
Je me recommande toujours auprès de M. de B.
Je tâcherai d’aller demain mardi à la brasserie, sans pouvoir trop l’espérer. Mon sale rhume me rend littéralement malade. Que c’est bête !
— Don’t you think that it would be possible to me to hope for some money in return of my four Paris-living ? If such was the case, I would manage in order to write one per week. You could perhaps, if I were not able to morrow to see you at the « Brasserie », answer me and deep post a word on the matter.
Excuse bad english and believe me to remain.
Traduction :
Ne pensez-vous pas qu’il me serait possible d’espérer toucher quelque argent en échange de mes quatre Paris-Vivant ? S’il en était ainsi, je m’arrangerais pour en écrire un par semaine. Vous pourriez peut-être, si je n’étais pas capable de vous voir demain à la Brasserie, me jeter à la poste un mot de réponse sur ce point.
Excusez le mauvais anglais et croyez que je suis resté
Même sujet :
Ci-joint un essai de Jean-qui-rit. Si ça doit paraître, je te recommande la correction des épreuves. Soigne tout particulièrement le « Essecusez ! » qui constitue le 2e paragraphe.
Quid de M. de B. ?
As dû recevoir un Jean-qui-pleure, depuis hier à la Brasserie, sous enveloppe à ton adresse.
Mardi à 7 heures, je serai à la Brasserie à 6 h., je le prends et t’emmène boulotter à l’anglaise, rue Grange-Batelière.
Pressé. Ne puis t’attendre.
Ci-joint un Jean-qui-pleure. Demain te porterai ou t’enverrai un Jean-qui-rit : Auteuil.
Quid de M. de B. ?
P. S. — J’y pense ? N’avais-tu pas des vers de moi sur le Combat du Cloître Saint-Merry, en 32, parus encadrés au milieu d’une conférence de Vermersch sur Blanqui [voir Croquis Londoniens], et que j’ai dû t’envoyer découpés dans un petit journal communard de Londres, en 1872 ou 73 ? Si tu les as, te prie de me les préparer. J’irai les copier un jour chez toi.
L’insistance avec laquelle, en envoyant ses Paris-Vivant, Verlaine s’informait de M. de B. se rapportait à sa demande de réintégration comme employé à la Préfecture de la Seine, demande que j’avais chaudement recommandée à Charles Floquet, alors préfet de la Seine, et qui était appuyée par mon collaborateur au journal le Mot d’ordre, M. Jehan de Bouteiller, alors président du Conseil municipal. [Voir plus haut, chap. IV, Verlaine employé.]
Quant à la pièce de vers qui commençait ainsi : « Ô Cloître Saint-Merry funèbre… », elle avait été égarée, et je ne pus la remettre à Verlaine, malgré sa réclamation réitérée, qu’indique la lettre suivante :
Impossible, malgré ma très sincère promesse, de t’aller voir ce soir, dimanche : tellement souffrant ! Dois toujours rester en cache-nez, comme un simple Valade, et tousser, et cracher comme moi-même actuel.
Essaierai d’aller mardi à la Bergère pour chances hypothétiques sur la Ville. D’ici là t’enverrai peut-être Paris-Vivant, douteux ; te prie d’excuser mon inexactitude à tes cordiales invitations, et te serre la main en te priant de toutes cordialités chez toi.
P. S. — Rappelle à Enne la Vie Simple, qu’il m’a promise depuis je ne sais plus quand.
Veux-tu jeudi matin m’attendre cheux vous à onze et demie ? Sonnerai aux deux portes terrrriblement. On cherchera Cloître Saint-Merry, au dessert. (J’espère que je ne me gêne pas.)
La plupart des Paris-Vivant de Paul Verlaine sont reproduits dans les Mémoires d’un veuf, ainsi que l’indique la lettre suivante :
6 h. 25. Te rate ce soir. D’après le garçon, tu es parti fort pressé, il n’y a que cinq minutes. Étais venu beaucoup à propos de la Ville et de M. de B. Un peu à propos de l’affaire V. versus M. [suite de son procès], celle-ci moins urgente. Essaierai, car rhume de plus en plus terrible, de venir mardi soir, brasserie.
Ci-joint un Paris-Vivant. Coupe, taille, si juges à propos (Louise Michel, Camescasse, M. le curé, etc.), mais combien tout cela général et plutôt dans la note neutre ! Mais, si tu peux, au cas où ce ne serait pas inséré, conserve-moi le manuscrit. Tu sais que ça fera partie du volume en prose, intitulé Mémoires d’un veuf, qui t’est dédié. Tu es en quelque sorte dépositaire des chapitres de ce petit livre, que tu as bien voulu accepter.
Les Mémoires d’un veuf me sont en effet dédiés. Si je rappelle ce fait, c’est que la dédicace a disparu de l’édition des Œuvres complètes (t. IV), chez Léon Vanier.
L’éditeur a eu tort de supprimer, dans les Œuvres complètes, cette dédicace, qui figurait en tête de l’édition originale, car elle contenait une définition intéressante et exacte de ce recueil, très personnel et très caractéristique, dans l’œuvre en prose de Verlaine.
Voici ce morceau rétabli :
Mon cher Edmond, voici quelques pages, sous un titre énorme, qui ne sont ni un petit roman, ni un recueil de minuscules nouvelles, mais bien des parcelles d’une chose vécue en quelque sorte sous tes yeux. Il n’y a pas de sous-entendus dans cet opuscule. Néanmoins, comme le public n’a pas besoin de lire entre les lignes et n’éprouverait aucun plaisir, même méchant, à le faire, j’ai dû développer certains passages, que toi seul et deux ou trois autres comprendrez, de généralités à l’usage du lecteur inconnu.
Bien des opinions nous séparent aujourd’hui ; nous n’avons plus, sauf sur le bon sens initial et sur les lettres, férocement idolâtrées de moi, qu’une idée commune, qui est de nous garder intacte la vieille amitié si forte et si belle.
Agrée donc cette dédicace toute simple comme mon cœur, mais sincère et chaude comme ma main quand elle serre la tienne.
Les Mémoires d’un veuf contiennent donc, ainsi qu’il a été dit plus haut, des articles courts publiés dans le Réveil. Ce sont généralement des tableaux parisiens, ou champêtres, comme Auteuil, les Chiens, Nuit noire, Nuit blanche, Un bon coin, Par la croisée, À la campagne, descriptifs et ironiques ; ou des rêveries et des fantaisies, dans la manière des Petits poèmes en prose de Baudelaire : Quelques-uns de mes rêves, Palinodie, Mon hameau, la Morte, Ma fille, les Fleurs artificielles ; des sensations et des hallucinations : Jeux d’enfants, Corbillard au galop (souvenir d’une impression ressentie ensemble, rue Fontaine, de la brasserie de ce nom, et que j’avais résumée en une pièce de vers parue dans le Nain Jaune, 1869), et enfin, des souvenirs attendris ou des rancunes personnelles, comme dans Bons bourgeois, tableau d’une querelle domestique, Formes, où l’avoué Guyot-Sionnest et son étude sont portraicturés, et À la mémoire de mon ami XXX.
C’est notamment à ce fragment que Verlaine faisait allusion dans sa dédicace, quand il parlait de ces passages que, seul, avec deux ou trois autres personnes, je pouvais comprendre.
Ce passage, où Verlaine évoque, à une table de café jadis fréquenté par nous, le souvenir d’un camarade de jeunesse disparu, où lui apparaît, à travers des larmes lentes à couler, l’être élégant et fin de vingt ans, dont il ranime la tête charmante, « celle de Marceau plus beau, » dit-il, en son enthousiasme posthume, se rapporte, non pas à Lucien Létinois, mais à un ami de plus lointaine date, nommé Lucien Viotti. Ce brave et gentil garçon s’engagea, avec moi, le même jour et dans le même régiment, le 69e d’infanterie, au début de la guerre de 1870. C’était l’époque où Verlaine se maria. Viotti avec lequel, dans la rudesse des casernes, et au milieu de la dispersion des exercices, des chambrées, des marches, des gardes, des alertes, des corvées et des attentes prolongées, j’eus peu de rapports au régiment, car il avait été versé dans une compagnie autre, disparut à la sanglante fausse attaque de Hay (29 novembre 1870). J’ai cru savoir, — on a peu de nouvelles précises sur les disparus en temps de guerre, — que, blessé, il avait été fait prisonnier et transporté, d’ambulances en ambulances, à l’hôpital de Mayence, où il succomba.
Verlaine, dans ce court In memoriam, s’écrie, avec des accents de douleur rappelant les sanglots d’Achille apprenant la mort de Patrocle, envoyé par lui au combat :
Hélas ! ô délicatesse funeste, ô déplorable sacrifice sans exemple, ô moi imbécile de n’avoir pas compris à temps ! Quand vint l’horrible guerre dont la patrie faillit périr, tu t’engageas, tu mourus atrocement, glorieux enfant, à cause de moi qui ne valais pas une goutte de ton sang, et d’elle, et d’elle !…
Le drame intime et douloureux, que ces lignes de Verlaine semblent révéler, m’avait échappé, lorsque avec Viotti je me rendis à la rue Saint-Dominique, prendre la feuille de route qui nous dirigea sur Laval, dépôt de notre régiment. C’était lui qui m’avait fait choisir ce 69e, où il disait connaître un capitaine, que d’ailleurs nous ne trouvâmes point au dépôt : il nous avait devancés, avec les trois premiers bataillons, à Metz, et nous étions réservés au 13e corps et à la retraite fameuse de Vinoy. J’avais bien cru remarquer la mélancolie de notre ami, mais il était d’un caractère plutôt réservé, et j’attribuais à la gravité du moment et à l’angoisse patriotique son attitude attristée aux premiers jours de l’incorporation. Ce ne fut que beaucoup plus tard que nous apprîmes qu’un amour secret et douloureux, pour celle qui allait devenir la femme de son ami, avait surtout motivé son enrôlement (il était, comme moi, doublement exempté du service actif, comme fils de veuve, et comme ayant amené au tirage au sort un fort numéro). Les phrases attendries et navrées de Verlaine expliquent cette poétique et tragique aventure d’amour et de sacrifice du jeune Viotti.
Les Mémoires d’un veuf renferment quelques pages de critique : entre autres, une histoire succincte et assez exacte du Parnasse contemporain. Verlaine a fort bien montré l’influence décisive de ce groupe sur le goût et l’opinion littéraires de notre temps :
« Certes, dit-il, l’époque actuelle n’est pas à la poésie, et l’on courrait risque de passer pour un imbécile à trop insister sur cette accablante vérité, mais il faut admettre que l’esprit public, je veux dire, bien entendu, parmi les lettrés, a du moins, de nos jours, plus d’ouvertures et d’aperçus sur l’art de lire les vers ; il en sent le nombre, la musique, et distingue presque toujours les mauvais versificateurs d’avec les bons ; tout lecteur un peu intelligent, d’entre les hommes habitués aux choses de l’esprit, a maintenant ce que j’appellerai l’oreille rythmique, et pourrait dire, par exemple, « bonne coupe, rejet oiseux, rimes précieuses, etc. ». En un mot, l’éducation du public liseur de vers est faite, elle est bonne, ou du moins très suffisante, et elle laissait tant à désirer avant que parussent le Parnasse et les discussions qui s’engagèrent à son propos. Il suit de là que le goût du beau, dans la seule partie du public dont le poète puisse avoir cure, s’est anobli ; car la poésie ne vit, ceci est hors de question, que de hautes généralités, que de choix parmi les lieux communs, que des plus fières traditions de l’âme et de la conscience ; entre tous les arts, dont elle est l’aînée, et dont elle reste la reine, elle répugne à la laideur morale, et, même dans ses manifestations les plus erronées, poèmes purement voluptueux ou d’une mauvaise philosophie, garde-t-elle ce décorum, cette blancheur de péplum et de surplis qui écarte le vulgaire obscène ou méchant, et s’en fait haïr comme il faut… »
On ne saurait mieux définir la mission du poète et l’œuvre de la poésie.
Beaucoup moins juste, et certainement blâmable, est la boutade de Verlaine sur Victor Hugo. Il avait beaucoup admiré, et, comme nous tous, imité fortement le maître, en ses premiers vers. De plus, il avait été accueilli par lui avec bonté et même flatterie. (Victor Hugo récita des vers des Poèmes Saturniens à l’auteur, presque encore débutant et ignoré, le visitant à Bruxelles.) Il y eut un peu d’ingratitude en son irrévérencieuse affectation à rabaisser le genre du grand, du plus grand des poètes du xixe siècle, qui en compte tant d’excellents, et dans cette louange blagueuse donnée à Gastibelza ou à la Chanson des Pirates qui partaient d’Otrante. C’était du virus blasphématoire inoculé par Rimbaud.
Voici un résumé des injustes bouffonneries de Verlaine, — nous avons dit qu’il aimait souventefois à rire, d’un rire vulgaire, un lourd ricanement, avec une soudaine propension à la parodie. — Il ne faut pas plus prendre au sérieux et au définitif ses exubérantes farces que, dans d’autres moments, ses élans pieux et ses repentirs ultra-édifiants.
Il prétend donc, avec une grosse ironie, qu’il eût été préférable que Victor Hugo mourût en 1844 ou 45, au lendemain des Burgraves. Et il lui donne, à cette époque, comme bagage de gloire, trois ballades : les Bœufs qui passent, il avait applaudi cette ballade popularisée, au café-concert, mise en musique par Lassimonne, le sous-chef d’orchestre de l’Élysée-Montmartre ; le Pas d’armes du roi Jean, nous en avions loué la musique rythmée et colorée que notre ami Emmanuel Chabrier, l’auteur d’España, avait improvisée, au piano martelé sous ses doigts infatigables, un soir, chez L. X. de Ricard ; et la Chasse du Burgrave. Voilà des titres sérieux pour l’immortalité d’Hugo ! Verlaine, poursuivant la blague à froid, daigne y ajouter les Tronçons du serpent, des Orientales, qu’il proclame une perle. Il s’y trouve, en effet, un jeu de rhétorique curieux, une poursuite hardie et ingénieuse de métaphores. En prose, il admire Bug-Jargal, Notre-Dame de Paris, qu’il affirme être « si drôle par places » ; enfin, il classe, parmi les œuvres à conserver le Rhin. Tout le reste est bon à mettre où Alceste expédiait le sonnet d’Oronte.
Oui, s’écrie-t-il, dans une sorte de fureur iconoclaste, tout ce qui part des Châtiments, et Châtiments compris, m’emplit d’ennui, me semble turgescence, brume, langue désagrégée, d’art non plus pour l’art, incommensurable, monstrueuse improvisation, bouts-rimés pas variés, ombre, sombre, ténèbres, funèbres, facilité déplorable, ô ces Contemplations, ces Chansons des Rues et des Bois ! manque insolent platement de la moindre composition, plus nul souci d’étonner que par des moyens pires qu’enfantins.
Dans cette enragée et comme maniaque démolition, tentée inutilement par lui, et par d’autres qui n’avaient pas sa valeur, car le dieu est toujours debout sur son piédestal intangible de poèmes, de romans, de théâtre, d’histoire et de critique, Verlaine en arrive à comparer les épopées de la Légende des Siècles aux romances moyen-âgeuses de Tennyson. Et il reprend une plaisanterie déjà produite par lui, qui consiste à proclamer que Victor Hugo est par-dessus tout l’auteur de l’Homme à la Carabine :
Gastibelza dépasse toute son œuvre. Il y a enfin là du cœur et des sanglots, et un cri formidable de jalousie, le tout exprimé magnifiquement dans un décor superbe. Trouvez-m’en un autre, de Gastibelza, dans tous ses volumes !
C’est la farce ici qui dépasse toute mesure. Verlaine, dans l’outrance de sa truculente et gouailleuse charge, montre le bout de l’oreille du mystificateur. Évidemment il a voulu se moquer de nous, et non de Hugo. Il a dû rire sous cape de la naïveté crédule des jeunes novateurs du quartier latin, qui déjà tenaient cour autour de lui, au café François Ier, et qui traitaient alors Hugo comme nous traitions, entre Parnassiens, Ponsard et Émile Augier. Ces jeunes gens sont devenus aujourd’hui des hommes faits. Beaucoup ont quitté la littérature symbolique pour l’épicerie ou l’administration, et ont assurément changé d’idées sur la préexcellence de Gastibelza. Ils doivent aujourd’hui penser, comme Verlaine sans doute l’estimait tout bas, que l’Homme à la carabine, malgré la musiquette de Monpou, accompagnée par les pianos de dames à crinolines, n’est pas de la taille d’Éviradnus, et que, comme poésie, l’Expiation, sans musique, est un peu au-dessus du Pas d’armes du roi Jean, même orchestré par Chabrier.
Cette démolition de la statue d’un grand homme, encore incontesté, était une pose et une sorte de sacrilège. Verlaine s’abandonnait à une messe noire poétique. Je ne puis le croire sincère en ces attentats de l’esprit. Il descendait au niveau d’un hystérique dément qui entreprendrait, à forfait, la démolition des statues.
Ô mon cher Paul, si les poètes trépassés entendent, par delà le tombeau, les louanges ou les blâmes que leur décernent les survivants, tu peux t’étonner de cette protestation, que tu devrais reconnaître très sincère, mais, dans ces pages, consacrées à ton œuvre et à ta mémoire, exécutant ta volonté, manifestée à l’heure où tu croyais en avoir fini avec la vie et avec les méchancetés des vivants, je me suis promis de ne rien cacher de tes défauts, de ne rien effacer de tes fautes, de ne rien taire de ce que tu fis ou écrivis de blâmable, mettant parallèlement en lumière tes qualités, tes talents, tes souffrances, tes mérites. Cette protestation, je te l’ai fait entendre, alors que tu étais parmi nous, et tu n’as pas oublié comment j’ai répondu à ta plaisanterie, ou du moins par moi jugée telle, de Gastibelza, chef-d’œuvre d’Hugo. Je t’ai envoyé l’Ami de la Nature, que tu venais de me confier pour une amusante citation, et, en reproduisant la « strophe » du début :
J’crache pas sur Paris, c’est rien chouette.
Mais comm’ j’ai une âme d’poète,
Tous les dimanch’s j’sors de ma boîte,
Et j’m’en vais avec ma compagne
À la campagne !
j’ajoutai : « Plus beau que le sonnet de la Maintenon,
jetant sur la France ravie l’ombre douce et la paix de
ses coiffes de lin ! Plus touchant que l’apostrophe à
« celle qui n’eut pas toute patience et toute douceur ! »
Cela durera plus dans la mémoire des hommes que les Fêtes galantes et que la Bonne chanson ! C’est sublime
comme Gastibelza ! Et, dans les anthologies futures,
l’homme à la pipe blanche prendra la place d’honneur
à côté de l’homme à la carabine ! »
Et nous avons ri tous deux, en choquant nos verres, de cette double gouaillerie, qui eût déridé le docte Tribulat Bonhomet, homme rebelle aux plaisanteries des autres, mais au répertoire duquel il convient d’incorporer l’appréciation de Verlaine sur les « Bœufs qui passent » supérieurs à « l’Ode à Napoléon II », et sur « le Pas d’armes du roi Jean » destiné à faire oublier « le Petit roi de Galice ».
Il ne faut pas attacher plus d’importance à cette fumisterie, dont la gloire de Victor Hugo fut l’objet momentané, qu’au Testament burlesque, dont Verlaine consigna teneur et codicille dans ses Mémoires d’un veuf :
Je ne donne rien aux pauvres parce que je suis un pauvre moi-même.
Je crois en Dieu.
Codicille. — Quant à ce qui concerne mes obsèques, je désire être mené au lieu du dernier repos dans une voiture Lesage [entreprise de vidange] et que mes restes soient déposés dans la crypte de l’Odéon.
Comme mes lauriers n’ont jamais empêché personne de dormir, des chœurs pourront chanter, pendant la triste cérémonie, sur un air de Gossec, l’ode célèbre « la France a perdu son Morphée ».
Fait à Paris, juin 1885.
Ce sont là débauches spirituelles, succédant sans doute à d’autres, plutôt spiritueuses.
Les Mémoires d’un veuf forment dans l’édition originale un volume in-18 de 222 pages. La couverture, papier glacé grisâtre, est encadrée de filets noirs. Elle porte simplement : « Paul Verlaine. — Les Mémoires d’un Veuf. — Paris. Léon Vanier, éditeur, 19, quai Saint-Michel. 1886. »
Sur la feuille de garde l’annonce suivante :
Ouvrages du même auteur : Poésie : Poèmes Saturniens, 5 fr. ; Fêtes galantes, 3 fr. ; La bonne chanson, 2 fr. ; Romances sans paroles, 3 fr. ; Jadis et naguère, 3 fr.
En préparation : Amour. — Parallèlement.
Prose : les Poètes maudits, 5 fr. ; Louise Leclercq, 3 fr. 50.
Asnières. Imprimerie Louis Boyer et Cie, 8, rue du Bois.
Ces « Mémoires d’un veuf » me sont donc dédiés, ce dont ne se douteraient guère ceux qui ont seulement entre les mains l’édition des Œuvres complètes de l’éditeur Vanier, petite vengeance de cet éditeur que j’avais houspillé à l’occasion de la publication des Invectives.
Verlaine, timidement, après s’être enhardi dans le contact des gens et des choses de la Brasserie Bergère, où se réunissaient les collaborateurs du Réveil, fit quelques apparitions au quartier latin, pour lequel il avait toujours une prédilection. On le vit au d’Harcourt, à la Source, au Louis XIII. Il n’avait nulle cour de disciples alors. Germain Nouveau, le plus souvent, l’accompagnait. Il rencontra toutefois quelques jeunes écrivains, frondeurs ardents, qui publiaient une feuille satirique, exclusivement littéraire et novatrice : Lutèce. C’était l’aube du Symbolisme et l’entrée en scène des Décadents.
Cette génération neuve, poussée après la guerre, tout à fait étrangère aux hommes, aux œuvres du Parnasse de Lemerre, traitait Leconte de Lisle, Heredia, Coppée, avec une irrévérence dédaigneuse, les considérant comme des classiques, comme des perruques et des pontifes, eux les novateurs de 1868 ! Ces jeunes hommes, dont bien peu, du reste, laissèrent une trace, faisaient, comme c’est l’usage, le procès de la génération précédente, qu’ils connaissaient mal, avec laquelle ils n’avaient pas eu l’occasion de se rencontrer. Il y avait, entre aînés et cadets, le fossé de 1870. Par conséquent, ils n’avaient épousé ni les querelles, ni les rancunes de nos camarades. Ils ne tournaient pas le dos à Verlaine, en murmurant hypocritement des histoires d’aventures conjugales et judiciaires, travestissant les faits et interprétant à leur façon la condamnation de Belgique. Ils ignoraient ces potins, et, les eussent-ils connus, que l’accusation les eût fait sourire ; elle eût même recommandé celui qui en était l’objet à leur sympathie, presque à l’admiration.
Ils ignoraient aussi Verlaine. Les plus érudits avaient vaguement entendu parler des Fêtes Galantes. On supposait l’auteur mort, disparu, retiré, éteint.
On fit connaissance. Léo Trézenik, qui était le rédacteur en chef de Lutèce, accueillit quelques poèmes de Verlaine, notamment le fameux Art poétique, dont il m’avait fait part, dès la prison de Mons, qui attira l’attention des poètes nouveaux, Tristan Corbière, Laforgue, Vielé-Griffin. Verlaine donna alors à Lutèce des études sur quelques écrivains dédaignés, mal connus, ou n’ayant pas reçu le salaire de gloire auquel, selon lui, ils avaient ample droit. Ces articles servirent à Verlaine d’entrée en relations avec l’éditeur Léon Vanier. Ils parurent, par la suite, sous ce titre : les Poètes maudits.
Les Poètes maudits, biographies où il y a beaucoup d’autobiographie, tiennent une place plus importante dans l’existence de Verlaine que dans son œuvre. Ce sont, pour la plupart, des études sommaires de personnalités curieuses, de porte-lyre plus atteints d’étrangeté que de malédiction, sauf la douce, mélancolique et résignée Marceline Desbordes-Valmore, qui fait un peu l’effet, dans ce cénacle de lyriques farouches, d’une vierge tombée dans une maison de débauche. Les citations abondent. La louange, parfois hyperbolique, y supplée à la critique, et la personnalité verlainienne transperce à travers les silhouettes peu dessinées de Tristan Corbière, d’Arthur Rimbaud, de Villiers de l’Isle-Adam et de Stéphane Mallarmé.
L’intérêt principal de ces notices extra-louangeuses fut, pour les rares contemporains que ces curiosités poétiques attiraient, dans la production au grand jour de plusieurs pièces de vers d’Arthur Rimbaud, tenues jusque-là dans l’obscurité manuscrite des portefeuilles. On ne connaissait guère Rimbaud que de nom. Le souvenir qui restait de lui dans la mémoire de ceux qui l’avaient rencontré en compagnie de Verlaine, dix ans auparavant, était confus et peu sympathique. On n’avait guère retenu de ce gamin que des incartades, des attitudes hautaines, qu’aucun talent exceptionnel ne semblait justifier. Le mystère équivoque de la rixe de Bruxelles, avec la condamnation sévère qui avait suivi, dont les vrais motifs étaient ignorés, — on a lu plus haut, pour la première fois publiés, les considérants du jugement et de l’arrêt des tribunaux belges, remettant les faits au point exact, — enveloppait cette figure bizarre d’un halo de fort mauvais aloi. Rimbaud avait disparu. Nul ne se souciait de savoir ce qu’il était devenu. Les citations que donnait Verlaine furent comme une révélation. Le bizarre sonnet des Voyelles fut reproduit, commenté, raillé, admiré. Il eut les honneurs de la grande presse. Rimbaud devint, du jour au lendemain, célèbre dans un coin du Paris littéraire. Verlaine, en admettant qu’il ait eu le tort, dans un impulsif affolement, de le blesser d’une arme à feu, venait, en son honneur et en sa faveur, de tirer un joli coup de pistolet. C’était comme une réparation morale succédant à la dure expiation des prisons belges. Dans cette notice, il n’était fait nulle allusion aux événements tragiques qui avaient amené la séparation des deux amis. Aucune explication sur le départ de Rimbaud renonçant à la poésie, brûlant les exemplaires de sa Saison en enfer et détruisant ses manuscrits, pour s’en aller chercher fortune au delà des mers, et regarder des constellations nouvelles sous les tropiques.
Tristan Corbière était l’auteur, peu lu, aujourd’hui encore à peu près ignoré, des Amours jaunes. Sa biographie est insignifiante. Quelques citations de vers, plutôt curieux par l’agencement des rythmes que par la facture même, sur des sujets marins, dont les noyés, d’une belle couleur, que le poète montre sombrant avec leurs bottes, et roulant sans clous et sans sapin dans la houle soulevée comme un ventre amoureux, donne du piquant à cet assez fade portrait. Car Verlaine ne s’est pas donné la peine de nous tracer des traits reconnaissables de son modèle, si effacé, si peu représenté à nos yeux. Il nous apprend qu’il était breton et qu’il aimait la mer. C’est insuffisant comme renseignement. Il ne pouvait ainsi laisser une impression durable de ce poète non sans valeur, dont un vers étrange est resté, et restera, car il fut souvent ironiquement cité : « Son seul regret fut de n’être pas sa maîtresse », — épitaphe d’un incompris, et d’un inassouvi aussi.
Villiers de l’Isle-Adam fut plutôt un prosateur magnifique qu’un poète. Verlaine rend hommage justement à ses qualités dramatiques puissantes. Il cite une scène de son Nouveau-Monde, drame issu d’un concours fondé par un certain Michaëlis. La pièce fut classée ex-æquo deuxième. Quatre lauréats avaient été extraits de la cohue des concurrents attirés par le prix en espèces et la certitude d’être joué à Paris. Le Nouveau-Monde fut représenté, sans grand succès, au théâtre des Nations. La citation donnée par Verlaine prouve que Villiers possédait l’art de manier les foules sur la scène, don très rare, et que, depuis Shakespeare, Ibsen seul parut avoir.
À Stéphane Mallarmé, qui devait lui succéder comme prince des poètes, Verlaine dresse un piédestal triomphal. Mallarmé, professeur d’anglais peu connu, et qui faisait sa classe d’une façon intelligible, écrivait en prose très nettement. Il devenait obscur, souvent amphigourique, lorsqu’il alignait des vers. Il recherchait les ténèbres de la phrase, comme d’autres la clarté. Son maniérisme est toutefois séduisant, et son verbe sibyllin surprend et berce, comme un idiome musical qu’une femme étrangère murmure à votre oreille, qu’on devine, qu’on sent, qu’on écoute, et qu’on ne peut ni traduire, ni retenir. Il fut le praticien de cet Art poétique nouveau dont Verlaine avait formulé la théorie.
Desbordes-Valmore, que Verlaine cite plus qu’il n’étudie, et dont il ne sut pas éclaircir le mystère sentimental, avait toujours été choyée par lui, malgré son afféterie et son allure de chanteuse de romances pour salons Louis-Philippe. Il l’aimait surtout comme compatriote, comme congénère ; elle était née dans le Nord, et elle avait souffert par le cœur. Comme lui, elle avait mélodieusement noté sa douleur. Verlaine s’est consacré ensuite une notice à lui-même sous le nom de Pauvre Lelian, l’anagramme de Paul Verlaine. Le surnom lui est resté, et lui fut quelquefois attribué, dans des articles bienveillants. Il analyse ses œuvres, en cette sorte de nécrologie avant décès. Après avoir résumé diverses phases de son existence, parlé de ses parents « exceptionnels », rappelé les stages scolaires, et cité son vers : « Je ne puis plus noter les chutes de mon cœur », il nomme sous des désignations faciles à reconnaître ses principaux ouvrages : Mauvaise Étoile ce sont les Poèmes Saturniens, Pour Cythère, Corbeille de noces, ce sont les masques transparents des Fêtes galantes et de la Bonne chanson, et Sapientia n’est que la traduction latine de Sagesse, enterrée chez Palmé, dans la cave, muse assassinée. Enfin, il qualifie très justement, dans cet ouvrage même, les Poètes maudits, qu’il appelle les Incompris : « Depuis, Pauvre Lélian a produit un petit livre de critique, oh ! de critique ! d’exaltation plutôt, à propos de quelques poètes méconnus… »
Les Poètes maudits, édition originale, ne comprenaient que les notices de Corbière, Arthur Rimbaud et Mallarmé (1884). L’édition de 1888, nouvelle édition, ornée de six portraits par Luque, contient, outre les notices déjà citées, celles de Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l’Isle-Adam et Pauvre Lélian. Édition in-18 de 102 pages. Léon Vanier, éditeur. Asnières, imprimerie Louis Boyer et Cie.
Verlaine cherchait à monnayer ses œuvres en prose. Il savait que les vers ne trouvaient que difficilement, non seulement un éditeur, mais encore un public. Et puis, il prenait goût à cette prose qui se muait en métal. Il avait l’expérience des « Paris-Vivant » du Réveil, et Léon Vanier venait de lui imprimer, et de lui payer, sa plaquette des Poètes maudits. Il résolut de « placer » de la copie.
Il avait en portefeuille les articles du Réveil, les insérés, et ceux qui, pour une raison quelconque, n’avaient pu être imprimés. Il les colligea, les compléta, et apporta à Vanier le recueil, sous ce titre : les Mémoires d’un veuf. En même temps, il acheva et remit au même éditeur les manuscrits de Louise Leclercq et de Mme Aubin, et aussi un recueil de vers : Jadis et Naguère.
Ces divers ouvrages parurent chez l’éditeur Vanier ; mais Verlaine n’était plus à Paris. Il avait, presque brusquement, quitté la ville, et de nouveau le goût de la terre l’avait repris. Il s’était derechef improvisé cultivateur.