Paul Tureau-Dangin (1837-1913) - L’homme et l’oeuvre

Paul Tureau-Dangin (1837-1913) - L’homme et l’oeuvre
Revue des Deux Mondes6e période, tome 18 (p. 325-357).
PAUL THUREAU-DANGIN
(1837-1913)

L’HOMME ET L’ŒUVRE

Paul Thureau-Dangin, mort, il y a quelques mois, secrétaire perpétuel de l’Académie française, ignora toujours l’art contestable de flatter les opinions ou les goûts de la foule. Il ne chercha point à étendre ses relations au delà d’un cercle restreint d’amis très chers et très sûrs. Journaliste, il s’attacha à défendre des idées encore plus que des hommes, à continuer d’une plume acérée à l’occasion, mais irréprochablement courtoise et correcte, les traditions de la presse de doctrine. Historien, il aborda des sujets graves, qui avaient sans doute leur intérêt présent, mais qui ne lui furent jamais désignés par le caprice de la vogue. Aussi demeura-t-il assez longtemps en butte à la frivole indifférence ou même aux désobligeantes préventions de ce que l’on est convenu d’appeler le « grand public. » Tel est pourtant, même à notre époque trop calomniée, l’ascendant de la dignité du caractère, de la noblesse du talent, de la fermeté tolérante des convictions, de l’assiduité au travail, que sa carrière, entourée en ses dernières années de la plus enviable notoriété, s’est achevée au milieu des regrets de quiconque l’avait approché, du respect de ceux-là mêmes qui n’avaient fait que feuilleter ses livres ou entrevoir sa silhouette dans les solennités académiques, il peut y avoir quelque intérêt, pour le bon renom de la société et des lettres françaises, à retracer brièvement les étapes de cette existence très fière dans sa simplicité, très continue d’inspiration dans l’apparente diversité des tâches[1].


I

Paul Thureau-Dangin naquit le 14 décembre 1837, dans une maison du quartier Saint-Sulpice, dont son grand-père avait fait l’acquisition et où devait s’écouler toute son existence pari- sienne à lui-même. Son père, qui cachait une rare délicatesse de cœur sous un abord un peu froid, et une culture littéraire très complète sous une modestie parfois excessive, gérait un cabinet d’affaires, qu’il abandonna de bonne heure pour se vouer exclusivement aux œuvres de charité. Par sa mère, Paul Thureau-Dangin était petit-fils de Philibert Gueneau de Mussy, l’ami de Chateaubriand, le collaborateur de Fontanes, celui qui partagea avec Ambroise Rendu l’honneur d’être dénoncé comme le plus actif champion des idées spiritualistes et chrétiennes dans le conseil de l’Université naissante[2] ; il avait pour bisaïeul Noël Halle, médecin de Napoléon, professeur à la Faculté de médecine et au Collège de France, membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, et il descendait par conséquent des trois peintres du même nom, dont l’un fut sous l’ancien régime directeur de l’Académie de France à Rome.

M. Thureau-Dangin père avait naguère, au temps de sa propre adolescence, traversé une pénible crise religieuse. Il en avait gardé des préventions tenaces contre l’éducation universitaire, et s’obstina à recourir pour les premières études de son fils unique à de petites pensions, où l’enseignement était médiocre et l’émulation à peu près nulle. Paul Thureau-Dangin se jugeait trop sévèrement quand il écrivait au soir de sa vie : « Je manque par cette raison d’un fond solide d’instruction classique. » Ce qui est exact, c’est qu’il lui fallut remédier par un labeur acharné aux lacunes de sa première formation littéraire. Il s’y employa avec ardeur dès son année de rhétorique, qu’il obtint de faire comme externe à Louis-le-Grand, et à la fin de laquelle il mérita d’être envoyé au Concours général. Ses études juridiques furent pareillement des plus brillantes : selon le procédé de notation que tant de générations ont pratiqué et qui n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir archaïque, ses « boules » furent uniformément « blanches » jusqu’à la soutenance de la thèse de doctorat, où, pour la première fois, lui échut une « rouge, » une seule. Parallèlement à l’École de droit, il fréquentait la Conférence La Bruyère, où un certain nombre d’étudians se communiquaient leurs ébauches littéraires et s’exerçaient à la parole publique : avec François Beslay, qui devait être son plus cher ami et collaborateur, il y connut entre autres les deux frères Arthur et Albert Desjardins, Sully Prudhomme (qui donna à la conférence la primeur de son Vase brisé), Léon Renault, Albert Decrais, Edouard Hervé, Henri Boissard, Alexandre Ribot, Yves Guyot, tous appelés à marquer dans cette génération.

C’est au barreau que songeait alors Paul Thureau-Dangin, encouragé par l’exemple d’un oncle[3] ; il concourut pour le poste recherché de secrétaire de la conférence du stage, et fut nommé le troisième de la promotion de 1860-1861, après Henri Barboux et Alexis Ballot-Beaupré. Au moment pourtant d’aborder la carrière d’avocat, il la jugea trop absorbante pour ceux qui s’y consacraient sérieusement, et craignit de ne plus trouver le loisir de se livrer à ses spéculations politiques, historiques, religieuses ; il fut également rebuté, comme il en convenait plus tard, par la perspective d’un noviciat de deux ou trois ans dans une étude d’avoué, noviciat indispensable pour s’initier à la procédure et pour conquérir des relations dans le monde de la basoche.

Dominé par son admiration pour Montalembert, il rêvait, de façon assez imprécise, d’une action politique et oratoire. Il comprenait pourtant que, là aussi, une initiation s’imposait, et il se décida en 1863 à affronter le concours, récemment rétabli, de l’auditorat au Conseil d’État. Dépourvu d’appuis dans le monde de l’Empire, et classé parmi ses contemporains comme nettement libéral, sinon comme opposant, il redouta quelque temps d’être rayé d’autorité de la liste des candidats. Bien au contraire, il fut reçu premier en 1863, et affecté à la section du contentieux, dont la large impartialité le surprit agréablement, dont les travaux le captivèrent. Pour ne point s’en détourner, il déclina l’offre infiniment flatteuse et tentante de Frédéric Le Play, alors conseiller d’État, qui lui proposait de participer sous sa direction à la préparation de l’Exposition universelle de 1867. Plus tard, en 1872, Paul Thureau-Dangin devait consacrer deux articles, d’une dialectique très serrée, à défendre la juridiction administrative et l’existence même du Conseil d’État, menacées par le représentant Raudot. En même temps qu’il soutenait ainsi une opinion fondée sur l’expérience, il payait une dette de gratitude : c’est en effet au cours de son auditorat qu’il acquit ou qu’il perfectionna cette maîtrise de discussion qui s’imposait plus tard dans les comités de rédaction, les réunions charitables, et surtout au Conseil d’administration de la célèbre Compagnie des manufactures de glaces et produits chimiques de Saint-Gobain, dont il fut actionnaire délégué dès 1876, administrateur en 1890, vice-président à partir de 1900. Ennemi déterminé du bavardage et de la prolixité, il ne se prodiguait point à tout propos, mais il excellait, quand le sujet lui semblait en valoir la peine, à intervenir dans une discussion pour la mettre au point, pour formuler le problème qui s’en dégageait, pour préconiser une solution : il s’expliquait sans aucune affectation d’éloquence ou de bel esprit, sur le ton de la causerie, d’une voix dont le timbre était plutôt voilé, mais avec tant de précision dans les termes, tant de lucidité dans la pensée, tant d’autorité dans l’accent, que le silence se faisait général, puis l’adhésion unanime, et que presque toujours ses propositions prévalaient comme l’expression même du parti le plus sage et le plus avisé.

Les cinq années cependant s’étaient écoulées, au delà desquelles Paul Thureau-Dangin ne pouvait réglementairement demeurer auditeur. Si ses collègues et ses chefs appréciaient le mérite de sa collaboration, il lui manquait les hauts patronages officiels, qui seuls auraient pu assurer sa promotion aux fonctions de maître des requêtes. Très attaché au travail du Conseil d’État, déçu de ce qu’il considérait à juste titre comme un passe-droit, il déclina les postes administratifs ou judiciaires qu’on lui offrait en compensation, et reprit à l’automne de 1868 une indépendance qu’il ne devait plus abdiquer[4].

Cette détermination était d’autant plus méritoire qu’elle émanait d’un chef et d’un père de famille. Résolu de longue date à fonder un foyer, Paul Thureau-Dangin avait écarté plusieurs projets trop distans de l’idéal que s’était forgé son austère et enthousiaste jeunesse. Il s’était laissé devancer par la plupart de ses contemporains, et commençait à envisager la décourageante alternative du célibat indéfini ou du mariage de raison, quand une rencontre toute fortuite, chez son ami Horace Delaroche-Vernet, le mit en présence de la fille d’un très grand artiste, qui avait restitué sa dignité primitive au noble métier de graveur. Frappé moins encore de l’harmonieuse et classique régularité des traits de Mlle Louise Henriquel que de l’expression de vaillance et de sérénité qui rayonnait de sa physionomie, il rentra songeur rue Garancière. De très franches explications entre les deux jeunes gens leur permirent de constater la similitude de croyances, de sentimens et de goûts sans laquelle l’un pas plus que l’autre n’aurait admis d’inclination sérieuse, ni de bonheur durable. Contractée en 4865, scellée par près de cinquante années de joies et de deuils, de soucis et de succès mis en commun, leur union devait être une preuve, entre quelques autres, de ce qu’en dépit du blasphème de La Rochefoucauld, il y a de loin en loin des mariages « délicieux. »


II

Dans les derniers temps de son séjour au Conseil d’État, Paul Thureau-Dangin avait apporté une collaboration intermittente et forcément anonyme à un nouveau journal, le Français, fondé sous l’inspiration d’Augustin Cochin, et dont son ami Beslay était le rédacteur en chef ou le directeur. Après sa démission, il accepta de rendre cette collaboration ostensible et régulière : son premier article signé parut le 12 janvier 1869. Dans sa pensée, il ne devait s’agir que d’une occupation provisoire, destinée à tenir ses facultés, en haleine en attendant l’entrée dans la politique active : en fait, il allait donner au journalisme quinze années de sa vie au moins, et ne l’abandonner que pour l’histoire et les lettres.

Le Français, dont le conseil d’administration fut longtemps présidé par M. Caillaux (le futur ministre du maréchal de Mac-Mahon), offrait cette particularité que les journalistes de profession y étaient en minorité, et relégués pour la plupart dans les emplois secondaires. En évoquant plus tard ses souvenirs du Français, Thureau-Dangin notait, avec son habituelle franchise, « une inexpérience naïve des roueries du métier ; une façon de nous tenir à part du monde de la presse qui nous a valu plus d’une hostilité. » Les principaux rédacteurs, qui formaient une élite par le talent aussi bien que par la valeur morale, étaient avant 1871[5] Etienne Récamier, le comte Guillaume de Chabrol, Campenon, Horace Delaroche, Léon Lavedan, les frères Desjardins, Emmanuel Cosquin, Heinrich (le futur doyen de la Faculté des Lettres de Lyon), Georges Picot, et, avant tous les autres, François Beslay.

Thureau-Dangin aimait à saisir les occasions de rappeler la mémoire et de provoquer l’éloge de ce très cher compagnon de lutte : « Dans l’amitié qui nous unissait, Beslay et moi, jamais un nuage... Sa mort a été l’une des grandes tristesses de ma vie. » Pour ceux-là mêmes qui ne l’ont point personnellement connu, c’est une figure singulièrement intéressante que celle de cet ascète du journalisme moderne, également doué pour l’érudition, la littérature et le barreau, appliquant de préférence à des besognes obscures ou anonymes « sa prodigieuse variété d’aptitudes et sa promptitude d’assimilation, » cherchant l’oubli avec autant d’acharnement que d’autres en dépensent à courtiser le succès, se liant à cet égard par une sorte de vœu ou d’engagement écrit.

« Aux yeux de Beslay et aux miens, » a écrit Thureau-Dangin, « le principal de l’action du Français était son action religieuse... Nous voulions être des catholiques comprenant leur temps, sympathisant avec ce qu’il avait de bon, cherchant la liberté de l’Église dans la liberté générale, désireux de ramener la société moderne à l’Église, au lieu de se plaire à l’excommunier. Mais nous veillions à ne jamais soutenir des doctrines condamnées ou nous servir des expressions mal vues à Rome. Ainsi, nous avons toujours répudié la qualification de catholique libéral. »

Cette via média, infiniment honorable et sage, expose presque toujours ceux qui veulent s’y tenir à recevoir des brocards et des horions des deux camps extrêmes : double danger plus particulièrement redoutable à l’époque du concile du Vatican, où les polémiques religieuses étaient montées à un ton inouï de violence. Bien que le Français eût protesté à l’avance de son respect pour les décisions conciliaires, bien qu’après la définition il se fût incliné en termes exempts d’ambiguïté comme d’arrière-pensée, les zelanti ne pouvaient lui pardonner de ne point s’associer à leurs exagérations d’enthousiasme et souvent de servilité, à leur monomanie de délation, à leur prodigalité d’anathèmes. Il y eut de ce côté de nombreuses et vives polémiques, où Paul Thureau-Dangin prouva que, pour reculer devant les trivialités et les personnalités, sa verve n’en était pas moins alerte et mordante ; on lui répliqua par des insultes ou des calomnies. De là, dans une portion du clergé, de persistantes préventions, qui survécurent même au concile et à la chute de l’Empire : en 1871 et 1874, il se trouva un évêque pour interdire à ses prêtres la lecture du Français ; vers la même époque, un religieux, prêchant une retraite aux « Enfans de Marie » de Quimper-Corentin, croyait devoir leur déconseiller une feuille aussi subversive !

Dans le parti opposé, pour s’exprimer avec moins de retentissement, les reproches n’étaient guère moins âpres. A l’automne de 1869, dans une lettre d’ailleurs débordante d’affection, Montalembert écrivait à Thureau-Dangin, avec cette fougue d’hyperbole qui fut jusqu’au bout la caractéristique de son tempérament : « Depuis quarante ans que je vis dans la presse et par la presse, je n’ai jamais vu un journal répondre plus mal à la mission qu’il s’était donnée. » Pendant le concile, comme le Français, par la plume de Thureau-Dangin, se prononçait avec insistance, avec indignation même, contre toute ingérence des gouvernemens européens dans la délibération, un des principaux évêques « anti-opportunistes » se plaignait si vivement qu’il fallait lui dépêcher Beslay pour apaiser son courroux ; de Florence, l’ambassadeur malgré lui transmettait à son ami d’humoristiques doléances : « Je songe à tous les conseils que vous m’avez donnés, à n’être ni raide, ni lâche, ni fier, ni humble, ni… ni…[6]. Que ne puis-je être vous pendant deux heures ! Avez-vous l’idée d’un chien que l’on va fouetter, et qui ne veut ni mordre, ni même aboyer ? Je suis ce chien-là. » En 1878, c’était Falloux qui, suivant la pente coutumière de l’esprit des vieillards, reprochait au Français de faire trop facilement fi des polémiques anciennes et presque classiques, de déserter les traditions et le terrain de combat du parti ; à l’interprète très qualifié de ces doléances, Thureau-Dangin ripostait avec son imperturbable logique, relevée d’une pointe d’impatience : « Ce qu’il y a de permanent dans notre cause, ce n’est pas telle ou telle formule, c’est cet esprit de bon sens, de prudence, de tolérance, avec lequel nous voulons présenter et défendre la religion, c’est la volonté d’être de notre temps. Or, serions-nous de notre temps, si nous nous attachions à redevenir exactement ce que nos pères avaient pu être avec Lamennais en 1830, avec Montalembert en 1844 ? »

« L’homme fort, » comme on l’appelait en plaisantant dans les bureaux de rédaction du Français, ne limitait point ses interventions aux questions religieuses. Sans avoir au début une couleur constitutionnelle très tranchée, le journal s’était donné pour programme de soutenir les aspirations libérales renaissantes, de prendre place entre l’école de r Univers, qui se faisait une règle et presque un dogme de l’indifférence en matière de régime politique, et celle de la Gazette de France, qui ne séparait point r « autel » du « trône » du Roi légitime. On soutenait au Français le « tiers parti » ou « centre gauche » de l’époque ; on prenait le mot d’ordre de ses chefs Buffet et Daru. Le premier article de Thureau-Dangin (article anonyme, puisque l’auteur figurait encore dans les cadres du Conseil d’État) fut précisément consacré à un portrait de Buffet, à un exposé de ce que l’opinion attendait de lui et de ses amis ; vint ensuite la critique du ministre Pinard, puis une étude, exquise de mesure et de finesse, admirable de divination en bien des points, sur l’avenir réservé à un homme politique alors fort en vue. D’emblée, le journaliste novice se révélait excellent polémiste, dédaigneux des personnalités (alors même et surtout qu’il traitait des questions de personnes), courtois avec quelque hauteur, se gardant du sarcasme facile, mais maniant l’ironie avec un à-propos redoutable, toujours châtié en son style, mais non point guindé, comme l’en accusaient injustement ses contradicteurs. Aux grands articles signés, sa facilité lui permettait d’adjoindre de courts morceaux de controverse, revêtus du pseudonyme de Pierre-Marie, ou encore de brefs entrefilets rectifiant une allégation, lançant une nouvelle, orientant l’opinion vers une idée neuve. Grâce à son fonds de connaissances acquises, grâce à son expérience du Conseil d’État et à l’étendue de ses lectures, il pouvait consacrer toute une suite d’études soit au régime municipal de Paris, soit à la candidature officielle (dont il ne blâmait que l’abus), soit aux élections de 1869 (où il soutint vaillamment Augustin Cochin contre Guéroult et Jules Ferry), en même temps qu’il traitait avec compétence du « désétablissement » de l’Église anglicane en Irlande, des avantages d’un Sénat électif, de l’œuvre et de l’influence de Sainte-Beuve.

Par sa plume, le Français salua avec joie la formation du Cabinet du 2 janvier 1870, qui semblait devoir réaliser son idéal de liberté sans révolution ; il mit les ministres en garde contre les rancunes et les pièges de la « réaction, » c’est-à-dire des autoritaires impénitens. Cet enthousiasme fut refroidi par l’intervention du plébiscite et par la démission du trio Buffet-Daru-Talhouët. Sans passer à l’opposition proprement dite, le journaliste se tint dès lors sur la réserve ; au début de la guerre franco-allemande, il fut un des très rares écrivains qui demeurèrent en possession de tout leur sang-froid.

Quand l’investissement de Paris parut probable, le Français résolut de se dédoubler. Tandis que Léon Lavedan allait diriger en province une édition du journal, Thureau-Dangin et Beslay demeurèrent aux bureaux de Paris, où la tenue ordinaire devenait l’uniforme de garde national, où voisins et amis venaient anxieusement aux nouvelles. Très ardent contre le jacobinisme sectaire, Thureau-Dangin n’en participait pas moins à cet état d’esprit, à peu près général parmi les Parisiens assiégés, qui n’entrevoyait d’autre solution à la crise qu’une République conservatrice et libérale ; lui-même s’est appliqué par la suite le dicton humoristique qui avait cours au lendemain du siège : « Quand on avait mangé du cheval, on devenait républicain. » C’est ainsi qu’aux élections de février 1871, il accepta de figurer sur la liste du comité libéral républicain du département de la Seine, liste très « panachée, » puisqu’on y lisait côte à côte les noms de Victor Hugo et d’Augustin Cochin, d’Edgar Quinet et de Vitet. « Parti de Paris après le siège et avant que le dépouillement, très compliqué à cause de la multiplicité des listes, n’ait été fini, je n’ai jamais su combien j’avais eu de voix. »

En rentrant en contact avec la province, il s’aperçut que la mentalité en était toute différente, et que les excès de la dictature gambettiste y avaient rendu impopulaire la forme républicaine elle-même : ce sentiment avait dominé les élections à l’Assemblée nationale. D’autre part, les déclarations du Comte de Chambord en faveur du drapeau blanc semblaient reculer la possibilité d’une restauration monarchique. Pour prévenir le retour de l’Empire, qui leur apparaissait à la fois comme un affront et une calamité, les rédacteurs du Français s’appliquèrent à maintenir l’union entre Thiers et la majorité conservatrice de l’Assemblée, union précaire et négative, où les deux parties contractantes se défiaient l’une de l’autre et ne s’accordaient guère que pour accabler bonapartistes et radicaux de leurs imprécations. A cette tâche ingrate, Thureau-Dangin consacra un talent de plus en plus éprouvé, prêchant avec éloquence la modération, la patience, la sagesse, s’employant habilement à calmer les animosités et à ajourner la rupture.

Quand le choc inévitable se fut produit en mai 1873, le Français n’hésita point à se prononcer pour l’Assemblée : il devint, de 1873 à 1875, l’organe officieux du gouvernement ; ses rédacteurs possédaient la confiance du due Albert de Broglie et du président Buffet, vivaient sur un pied d’amitié ou même de camaraderie avec plusieurs des chefs de la majorité ; c’est alors que le Français eut sa part d’influence et connut presque la prospérité. Le journal fut ainsi tout naturellement amené, lors de la « fusion » des deux branches de la maison de Bourbon, à participer à la campagne de restauration, que la lettre de Salzbourg vint inopinément interrompre. Cette attitude monarchique s’accentua encore après la mort du Comte de Chambord, qui supprimait toute discordance au sujet du drapeau et faisait renaître l’espoir, l’illusion d’un succès possible : si les circonstances politiques étaient moins propices, la rédaction s’était fortifiée à partir de 4875 d’une élite de fonctionnaires démissionnaires ou révoqués.

« Je ne sais, » écrivait Thureau-Dangin en 1883, « si mon pauvre Français me lâchera un jour : c’est bien possible avec la dureté des temps ; mais j’aurais de la peine aie lâcher moi-même, bien que la charge me paraisse par moment singulièrement lourde. » Il n’en assurait pourtant alors le service que dix jours par mois, en alternant avec Eugène Dufeuille et Auguste Boucher ; mais cette lassitude intime, tout inaperçue qu’elle fût des lecteurs, remontait à 1871 : « Je sens bien que la vie que je mène ne peut guère me mener à rien. Je m’use et je gagnerai peu, surtout comme forme. On s’habituera à voir en moi un journaliste estimable ; voilà tout... » Et en 1877 : « Je sens chaque jour baisser non seulement mes passions, mais même mes convictions politiques. Je reporte toutes mes ambitions sur mes enfans, que j’adjure, chaque matin, de ne jamais mettre la main dans la politique. » Plus tard encore, comme un jeune homme était venu solliciter ses conseils, il le détournait, avec une énergie d’affirmation que son interlocuteur n’oubliera jamais, de s’engager dans la presse politique.

La mort de son ami Beslay, en juillet 1883, aggrava cette disposition. On objectait à Thureau-Dangin que lui seul était en mesure de poursuivre l’œuvre commune ; mais, à quelques semaines de là, un coup plus cruel encore venait paralyser son activité : sa fille ainée succombait à un mal imprévu et foudroyant. Il ne se sentit pas dès lors le courage d’assumer la charge constante, quotidienne, du journal, qui végéta pendant quelque temps, pour se réunir en 1887 à une feuille devenue anémique elle aussi. Thureau-Dangin faisait remonter cette fin à celle même de Beslay : « Quelles années que celles que nous avons passées ainsi, côte à côte, cœur à cœur ! Depuis lors, le Français n’était plus le Français, et ce n’est que son ombre qui a disparu. »


III

Écolier, Paul Thureau-Dangin avait manifesté pour l’histoire une prédilection accentuée. Etudiant en droit, il rêvait de mener de front avec la préparation de sa thèse celle d’un travail « sur le rôle du parti catholique sous la Monarchie de Juillet. » Dans une lettre qui mériterait d’être reproduite en tête d’une nouvelle édition de son grand ouvrage, il analysait avec précision les difficultés qui s’opposaient, en 1861, à l’étude scientifique et impartiale d’une époque si rapprochée, mais il n’en ajoutait pas moins : « Cela m’intéresse beaucoup, car à chaque page je vois la confirmation éclatante de cette idée qui est déjà chez moi une conviction si arrêtée : la religion a besoin de la liberté et la liberté de la religion. » Bien qu’avec la belle assurance de la jeunesse il eût déjà jeté son dévolu sur la Revue Contemporaine pour publier son travail, celui-ci semble bien être demeuré à l’état d’ébauche. Mais l’histoire avait sa place dans les sujets infiniment variés auxquels le rédacteur du Français appliquait successivement, simultanément parfois, sa souplesse de plume et son savoir encyclopédique. Tantôt il rendait compte, avec une originalité très personnelle, de livres récemment parus ; tantôt il demandait au passé des analogies ou des leçons à invoquer dans les polémiques de l’heure actuelle.

C’est ainsi qu’en 1872, hanté, avec les meilleurs esprits de sa génération, de la terreur, difficilement explicable pour nous, des cataclysmes que ne manquerait pas d’entraîner le retour du gouvernement à Paris, Thureau-Dangin entreprit de montrer ce qu’avait été Paris capitale sous la Révolution. Comme son travail excédait de beaucoup les bornes d’un article de journal, il le porta au recueil, qui, repris sous le second Empire par Montalembert et ses amis, demeurait non sans succès fidèle à leurs traditions : c’est ainsi que le 10 novembre 1872 figura pour la première fois dans le Correspondant une signature qui devait pendant quarante ans en être l’honneur et la parure. Encouragé par l’accueil du public, l’auteur revint à la charge. Au printemps de 1873, il était de ceux, on le sait, auxquels le conflit s’aggravant entre la droite et la gauche modérée faisait redouter la résurrection de l’Empire : il étudia la Question de Monarchie ou de République du 9 thermidor au 18 brumaire. Un peu plus tard, l’intransigeance des ultra-légitimistes, renversant le ministère de Broglie plutôt que de consentir à organiser le septennat, lui donna l’idée d’une suite d’articles sur l’Extrême droite et les royalistes sous la Restauration. Ces trois essais formèrent la matière d’un premier volume : Royalistes et Républicains, publié en 1874.

Dans l’avant-propos, l’auteur, par une distinction un peu bien subtile, se défendait de chercher dans l’histoire « des argumens pour nos polémiques quotidiennes, » mais maintenait son droit de lui demander un « enseignement de politique. » Le polémiste pourtant se retrouvait à plus d’un trait : la critique de Joseph de Maistre et de sa perpétuelle attente du miracle semblait bien par exemple, derrière l’auteur des Considérations sur la France, viser le rédacteur en chef de l’Univers. Mais, d’autre part, de nombreuses pages révélaient l’excellent et déjà presque grand historien. Pour tracer son célèbre tableau des « jacobins nantis net de leurs aspirations à la fin du Directoire, Albert Vandal n’aura, trente ans plus tard, qu’à développer cette esquisse : « Ce sont des gens pratiques et désabusés, qui ont une seule préoccupation : rester au pouvoir malgré l’opinion, et y rester non pour y appliquer telles doctrines, pas même pour y opérer tel bouleversement, mais uniquement pour jouir et pour être en sûreté. » Il faudrait citer encore un magnifique éloge du rôle normal de la droite dans le jeu des partis, de la droite représentant « des forces sociales qui ne sont pas la nation entière, mais dont aucune nation ne peut se passer. » Surtout, Thureau-Dangin s’annonçait dès lors un remarquable peintre de portraits historiques : qu’il s’agit de Tallien ou de Villèle, de Lamennais dans sa période royaliste ou de La Fayette aux journées d’Octobre, du prince de Polignac ou de Danton, les physionomies ressuscitaient sous sa plume, vivantes, nettes, authentiques et authentiquées par des mots ou des témoignages précis, et composées pourtant avec un art qui conquérait le lecteur.

Cependant l’évolution des événemens politiques et l’échec des tentatives de restauration restituaient au centre gauche un rôle prépondérant. Thureau-Dangin, qui ferraillait quotidiennement dans le Français contre les journaux de ce parti, entreprit de lui rappeler, comme naguère à l’extrême droite, les fautes de ses devanciers, pour l’inviter à mieux faire, sans doute aussi pour se donner la satisfaction de dénoncer la persistance des mêmes erreurs, parfois chez les mêmes individus. Ainsi l’amère critique de l’œuvre de Thiers, jeune historien de la Révolution française, se ressentait de la vivacité des polémiques du journaliste contre le président renversé au 24 mai 1873. De même, par un évident souci de ne point desservir la politique « fusionniste » de 1875, l’historien passait à peu près sous silence, parmi les élémens libéraux de la Restauration, ce que les contemporains appelaient (et la dénomination datait de 1189) la « faction d’Orléans, » dominée jusqu’à l’obsession par le précédent britannique de 1688. Notons encore que Thureau-Dangin, qui avait pris pour base de son travail les modernes histoires de la Restauration, celle de Nettement en particulier, se laissait à leur suite entraîner à des appréciations discutables : il discernait mal ou il indiquait insuffisamment que Serre, passé de la « doctrine » à la « résistance, » avait choqué certains de ses amis de la veille par la brusquerie de sa conversion ; que Villèle, assagi par l’exercice du pouvoir, n’en était pas moins demeuré un homme d’extrême droite, trop souvent accessible aux exigences de ses déraisonnables amis ; que le ministère Martignac, célèbre et regretté après coup, avait, au moment de sa constitution, déçu et inquiété presque tous les partis[7].

Le Parti libéral sous la Restauration, paru en articles en 1875 et en volume en 1876, n’en demeure pas moins un maître livre, plus homogène que Royalistes et Républicains, et en même temps plus varié de ton, plus abondant en pages brillantes, en considérations ingénieuses ou profondes : il atteste la pleine maturité du talent de l’auteur, qui plus tard, quand il s’agira de rappeler les antécédens politiques des principaux personnages du régime de Juillet, se référera simplement au Parti libéral sous la Restauration. Les chapitres sur Casimir Perier, sur Montlosier, sur la campagne antireligieuse des libéraux, sont particulièrement remarquables ; mais ils le cèdent encore en intérêt, en émotion, aux pages consacrées à l’école du Globe, au récit de la crise qui détacha Jouffroy des croyances de son enfance : il y a là comme une première mise en œuvre des qualités de l’historien psychologue qui retracera plus tard l’évolution du sentiment religieux chez un Newman, un Pusey, un Manning. La conclusion, inspirée par la situation actuelle, est singulièrement éloquente, encore qu’imprégnée de désenchantement, à la suite de l’échec constitutionnel et électoral des conservateurs. Fidèle à ses habitudes de sincérité, l’auteur, en déplorant le graduel affaiblissement de la « piété royaliste, » reprend gravement : « Mais c’est un malheur qu’on ne répare pas par des phrases et des affirmations. »


IV

Après la crise du 16 mai (1877), au cours de laquelle le Français avait ardemment soutenu le ministère de Broglie et ses candidats, il apparut clairement que les vainqueurs, pour assouvir leurs rancunes personnelles, pour prévenir des revendications importunes ou des dislocations inquiétantes, se préparaient en majorité à porter la lutte sur le terrain religieux, et en particulier à réviser la législation scolaire. Thureau-Dangin songea alors à reprendre le projet caressé en ses années d’adolescence, et à composer une nouvelle étude, du même type que les précédentes, sur le mouvement en faveur de la liberté de l’enseignement au temps de la monarchie de Juillet. Il s’agissait toujours dans sa pensée d’un travail de seconde main, qui aurait pour base les histoires générales déjà existantes ; mais, quand il chercha pour le règne de Louis-Philippe l’équivalent des ouvrages de longue haleine consacrés à la Restauration par Duvergier de Hauranne, par Viel-Castel, par Nettement, il eut la surprisé de constater qu’il n’existait à peu près rien. Comme l’époque l’intéressait pourtant, comme il avait déjà réuni des renseignemens, comme il se sentait d’autre part en mesure de s’attaquer à un grand sujet, il résolut, à l’exemple de tant de bâtisseurs, d’élargir son plan primitif, et d’élever lui-même ce vaste édifice dont il venait de déplorer l’absence. Fruit de plus de seize années de labeur, l’Histoire de la monarchie de Juillet parut de 1884 à 1892, en partie d’abord dans le Correspondant, puis en sept volumes grand in-octavo, formant un total de plus de trois mille cinq cents pages[8].

Peu de temps avant la publication du tome premier, la disparition du Comte de Chambord avait fait du petit-fils de Louis-Philippe le représentant en France du principe monarchique. Avec beaucoup de ses contemporains, avec la plupart de ses amis politiques, Thureau-Dangin considéra comme réalisable de nouveau, sinon comme prochaine, l’éventualité de la restauration dont l’échec l’avait déçu en 1873. Cette espérance se fait jour de loin en loin dans l’Histoire de la monarchie de Juillet ; elle inspire la préface de 1884, vive comme un manifeste, éloquemment amère contre la République de Gambetta et de Jules Ferry ; l’auteur débute par une affirmation politiquement habile, mais historiquement bien hasardée, à savoir qu’au fond, la Restauration et le régime de Juillet n’ont formé qu’une seule et même période de royauté constitutionnelle. Contre cette application rétrospective du système de la » fusion, » légitimistes et gouvernementaux auraient sous Louis-Philippe protesté avec une égale vivacité, et il faut convenir que le livre même de Thureau-Dangin en fournit la décisive réfutation. Polémiste dans sa préface, il redevenait historien dans le cours de l’ouvrage, historien sincère autant que clairvoyant, complet autant que bien informé. La conclusion qui se dégage pour le lecteur d’aujourd’hui (plus nettement encore que pour celui d’il y a vingt ou trente ans, je viens d’en faire l’expérience) est précisément qu’entre le gouvernement de Louis-Philippe et celui qui l’avait précédé, il n’y eut guère de commun que le nom, l’étiquette des rouages essentiels. La Restauration, à travers bien des gaucheries et des malentendus, essaya d’adapter les libertés politiques à la vieille royauté traditionnelle. Le régime de Juillet au contraire, tout en conservant le cadre monarchique, attribuait nettement la prééminence à la Chambre élective, et par elle à la bourgeoisie censitaire. Plus populaires sans doute dans les classes moyennes que les princes de la branche aînée, Louis-Philippe et ses fils n’étaient point l’objet de ce culte spontané et ingénu qui forme l’essence même du sentiment royaliste. Les fondateurs du « trône entouré d’institutions libérales, » dans leur engouement pour la révolution britannique de 1688, n’avaient point pris garde que la France du XIXe siècle différait étrangement de l’Angleterre du XVIIe siècle, et que chez nous en 1830 le terrain politique était trop meuble, trop bouleversé par de récens cataclysmes pour se prêter à la durable transplantation d’une nouvelle dynastie.

Le journaliste du Français avait naguère justement critiqué, dans l’œuvre historique de Duvergier de Hauranne, un « système un peu étroit et incomplet qui consiste à concentrer uniquement le récit sur les luttes du Parlement et de la presse, et à transformer l’histoire en une sorte d’analyse, parfois légèrement monotone, des journaux et des brochures du temps. » Thureau-Dangin historien se garda soigneusement de ce défaut, plus excusable pourtant dans le tableau d’une époque où la tribune avait brillé d’un tel éclat et exercé tant de puissance. Aux comptes rendus des Chambres, aux principaux journaux, minutieusement dépouillés, il joignit d’importans témoignages inédits. Le succès même de son livre, comme il arrive souvent en pareil cas, lui valut des communications nouvelles, si capitales qu’il n’hésita point, pour en tenir compte, à remanier ses deux premiers volumes : c’est ainsi qu’après les papiers de Victor de Broglie et le journal de Viel-Castel, il put consulter le portefeuille du comte Molé, la correspondance diplomatique de Sainte-Aulaire et de Bresson, les riches archives de Barante, dont rien alors n’avait été publié. Il eut également soin d’interroger de vive voix les survivans du régime de Juillet, encore assez nombreux, de faire causer les enfans de ceux qui avaient disparu. A l’aide de ces élémens d’information, il s’attacha à peindre le règne de Louis-Philippe sous tous ses aspects, action gouvernementale, lutte des partis, évolution littéraire, influence et expansion de la France au dehors, préoccupations sociales et religieuses.

Si l’histoire politique et parlementaire ne devait pas accaparer l’ensemble du tableau, il était de toute nécessité de la maintenir au premier plan, avec les débats des Chambres, les crises ministérielles, les rivalités de personnes et de groupes. L’auteur, qui n’avait jamais varié dans sa prédilection pour le régime parlementaire, était trop loyal pour en dissimuler les ombres : il mit son talent, non seulement à résumer les péripéties des tournois oratoires, à raconter certaines scènes légendaires, comme la séance où Guizot tint tête à l’opposition qui lui reprochait son voyage de Gand, à décrire les grands orateurs à la tribune, mais à analyser les intrigues de couloirs, les manœuvres autour des scrutins, le dosage des combinaisons ministérielles. Toute cette tactique ou cette alchimie parlementaire, sans cesser d’être passablement monotone et mesquine, revêt dans son livre une vie intense, car le travail des partis et le choc des passions y sont pris sur le vif. L’historien est le premier à convenir de ce que le spectacle offre de peu édifiant, mais il rappelle que la faute en est moins à une forme de gouvernement qu’aux vices essentiels de la nature humaine : « Dans les monarchies absolues, les intrigues de cour ne sont pas au fond moins laides et sont peut-être plus fréquentes encore. » Ce ne sont point les lecteurs des études de M. le marquis de Ségur sur le règne de Louis XVI qui s’inscriront en faux contre cette assertion.

Entre tant d’orateurs et d’hommes d’État qui se sont disputé pendant dix-huit années la maîtrise de la tribune et le gouvernement de la France, il en est deux auxquels vont manifestement les prédilections de Thureau-Dangin : Casimir Perier et Guizot. Casimir Perier, plus homme d’action encore qu’homme de parole, se vouant et s’usant à la tâche de restaurer l’autorité dans le régime créé par la révolution, matant l’opposition par ses sursauts d’indignation plutôt qu’il ne la domine par la supériorité de son éloquence ; Guizot au contraire, montant progressivement aux sommets de l’art oratoire, échauffant et colorant par degrés une parole châtiée et didactique dès le début. Conquis rétrospectivement par cette forme admirable, séduit aussi par la noblesse des convictions morales de Guizot, l’historien n’est-il point trop indulgent à la politique purement négative que, d’accord avec le Roi vieillissant, le grand ministre finit par ériger en programme et presque en dogme du parti conservateur ? Quoi qu’on en pense, de même que la magnificence oratoire de Guizot avait pu en imposer aux contemporains, l’ingénieuse et diserte sympathie de l’historien a fait accepter, elle fera encore accepter à bien des lecteurs l’apologie et même sur certains points le panégyrique du ministère de 1840-1848.

On a reproché non sans raison aux dirigeans du régime de Juillet d’avoir trop étroitement limité leurs préoccupations au « pays légal, » c’est-à-dire à la bourgeoisie, et d’avoir négligé les aspirations de l’âme populaire. Au début et à la fin de son œuvre, Thureau-Dangin a étudié l’éveil du mouvement démocratique après 1830, les progrès du socialisme avant 1848 : sans complaisance, mais avec une curiosité impartiale, avec sa remarquable lucidité, il a analysé les systèmes de régénération sociale successivement mis en avant, comme aussi les passions qui couvaient dans les foules.

Son tableau de la littérature n’a pas la prétention d’être complet : mais qui pourrait lui faire sérieusement grief d’avoir négligé l’art dramatique d’un Eugène Scribe ? Il a voulu surtout mettre en relief la respective influence des événemens politiques sur la littérature, et de la littérature sur les mœurs sociales : de là l’importance attribuée non seulement aux œuvres de Michelet, aux Girondins de Lamartine, mais à l’avènement du roman-feuilleton ou à la création par Frédérick-Lemaître du type de Robert Macaire. On l’a blâmé d’avoir été trop sévère pour George Sand, d’avoir méconnu la puissance du génie de Balzac. Ce dernier grief est fondé en quelque mesure : choqué par la vulgarité ou la gauloiserie de certains détails, par la complexité et la sinueuse lenteur de l’intrigue, par la glorification de vices particulièrement antisociaux, comme l’ambition sans frein, le mépris du qu’en-dira-t-on, la soif de jouissance, l’historien n’a point rendu hommage à la vivante représentation des milieux bourgeois ou provinciaux, à l’évocation de quelques types caractéristiques de la génération napoléonienne, officiers, policiers, gentilshommes campagnards. Dans ses appréciations littéraires comme dans ses jugemens sur les hommes politiques, Thureau-Dangin, qui fréquentait assidûment le duc Albert de Broglie et subissait tout naturellement l’influence de cet esprit éminent, a trop facilement peut-être ratifié les verdicts d’un ancien familier de l’hôtel de Broglie, dont la correspondance venait alors d’être publiée ; X. Doudan, voltairien conservateur et classique, avait le goût délicat, mais étroit ; peu porté à l’indignation, il préférait railler ceux qui s’écartaient de l’orthodoxie esthétique ou doctrinaire. Ces oracles de salon sont le plus souvent d’un fort agréable commerce : mais il est rare que leurs arrêts prévalent en dehors du cercle fermé où ils sont formulés.

A l’époque où fut écrite l’Histoire de la monarchie de Juillet, les archives diplomatiques étaient encore inaccessibles pour cette période : toute une partie de l’œuvre, et non la moins importante, risquait donc d’être incomplète, médiocrement exacte, vouée à un prochain et rapide discrédit. L’écrivain sut parer à ce danger grâce à de nombreuses et précieuses communications particulières. L’exposé des négociations diplomatiques est précisément, surtout à partir de la seconde édition, une des portions de son livre les plus originales, les mieux approfondies, les plus définitives (si l’on ose risquer ce mot en histoire). La création du royaume de Belgique, l’occupation inopinée d’Ancône, le conflit turco-égyptien de 1840, qui faillit allumer en Europe une guerre générale, la controverse du droit de visite, la conclusion précipitée des mariages espagnols, sont l’objet de lumineux exposés, qui ont pour base la correspondance officielle ou les réminiscences des principaux intéressés. L’historien a fait sa part, qui est ici considérable, à l’action personnelle de Louis-Philippe, endoctrinant les ambassadeurs, mettant la main aux dépêches des ministres, poursuivant un peu trop ostensiblement non pas « la paix à tout prix, » comme on l’en accusait avec l’exagération ordinaire des polémiques de parti, mais les solutions susceptibles de sauvegarder sans éclat la dignité de la France. Le tableau de l’imbroglio de 1840, avec l’ambassade de Guizot à Londres, l’animosité antifrançaise de Palmerston, l’engouement de l’opinion chez nous pour Mehemet-Ali, la témérité belliqueuse de Thiers, la persistance et la lointaine répercussion de l’ébranlement des esprits en Allemagne, est peut-être le plus remarquable de ces résumés diplomatiques.

Thureau-Dangin se laissait parfois aller, dans l’abandon d’une conversation familière, à exprimer son regret d’avoir choisi une époque qui ne lui offrît pas l’occasion de raconter quelque bataille illustre, comme Rocroi. Ce n’était là sans doute qu’une boutade, car il se rendait compte mieux que personne que la stratégie étant devenue une science de plus en plus compliquée, l’historien moderne, à moins d’être un homme du métier comme le Duc d’Aumale ou un spécialiste comme Henry Houssaye, donne à ses lecteurs une impression d’insécurité dès qu’il prétend les entraîner à sa suite dans le détail et surtout la critique des opérations militaires. La conquête de l’Algérie, où la tactique était en somme rudimentaire, où la pacification, la colonisation, l’administration tenaient autant de place que les combats, était au contraire un sujet qui convenait à merveille au talent et aux connaissances de Thureau-Dangin : les tâtonnemens des premiers commandans, les hésitations du gouvernement, la valeureuse initiative des fils de Louis-Philippe, l’assaut héroïque de Constantine, la décisive entrée en scène de Bugeaud, les éclatans débuts du Duc d’Aumale, le grave problème de l’utilité des guerres d’Afrique comme école d’application de l’armée française, autant de points sur lesquels, sans prétendre se poser en arbitre infaillible, en protestant même de son incompétence, l’historien a résumé les souvenirs des combattans, les controverses de la tribune ou de la presse, en des pages animées, lumineuses, instructives, colorées du soleil d’Algérie, frémissantes de l’exaltation chevaleresque dont la tradition se renouait en cette croisade du XIXe siècle.

En matière religieuse enfin, il se trouvait au contraire sur un terrain dont les moindres replis lui étaient familiers. Sans doute, un sentiment infiniment respectable le portait à gazer le voltairianisme personnel de Louis-Philippe, à atténuer et parfois à contester d’impressionnantes analogies entre le « laïcisme » du gouvernement de Juillet et celui de la République opportuniste : mais il était trop épris de sincérité, trop pénétré du bien fondé des revendications catholiques, pour ne pas signaler la méconnaissance de ces revendications même par les hommes d’Etat placés le plus haut dans son estime. Son admiration revêt une nuance d’inquiétude et de mélancolie quand il retrace la fondation du journal l’Avenir, les imprudences mêlées aux générosités, les premiers symptômes de la sécession de Lamennais ; elle éclate en accens de fierté pour célébrer les débuts de Montalembert au Luxembourg, ceux de Lacordaire à Notre-Dame ; il sait juger Louis Veuillot en historien, et non en contradicteur de la veille ; quand il en vient à la lutte pour la liberté de l’enseignement, son récit, tout en demeurant très « objectif, » vibre pourtant de l’émotion des défaites tout récemment subies.

L’Histoire de la monarchie de Juillet contient une cinquantaine de portraits en pied, toute une galerie, où il est facile évidemment de reconnaître la manière de l’auteur, mais qui ne donne à aucun degré l’impression du procédé factice ni de la monotonie. Thureau-Dangin excelle en effet à marquer d’une épithète, d’une anecdote, d’une citation, l’allure physique et morale de chaque personnage, à la rendre inoubliable au lecteur, s’agit-il même d’acteurs de second plan. Nous ne risquons point, après avoir parcouru cette galerie, de confondre Mauguin avec Billault, Passy avec Sauzet, ni Dufaure avec Rémusat. Quant aux coryphées, Thiers, Guizot, Casimir Perier, Lamartine, Mole, Proudhon, le Duc d’Orléans, Bugeaud, les pages qui leur sont consacrées sont pour la plupart dignes de figurer à côté des modèles du genre. Le jour où l’on voudra composer, à la mode de notre temps, un recueil de pages choisies de Thureau-Dangin, il faudra largement puiser dans les portraits historiques.

Son livre obtint, chez les amateurs de lectures et d’études sérieuses, un succès à peu près unanime. Les critiques vinrent surtout de ceux qu’effrayaient les dimensions de l’œuvre et l’austérité du sujet : de confiance et d’autorité, ils décrétèrent que l’Histoire de la monarchie de Juillet devait être terne, partiale, fastidieuse ; ils y dénoncèrent l’ouvrage d’un « homme du monde, » désireux de faire figure dans le monde littéraire ; c’était, comme le déclara un jour Francisque Sarcey avec sa joviale franchise, c’était avouer qu’ils n’avaient jamais entr’ouvert les volumes dont ils parlaient avec un dédain si transcendant. Les faits, d’ailleurs, ont répondu : plusieurs fois réimprimée, l’Histoire de la monarchie de Juillet est en passe de devenir une œuvre classique.

L’Académie française n’avait pas attendu que le livre fût terminé pour lui décerner à deux reprises le grand prix Gobert. Le 2 février 1893, elle appela l’auteur à siéger dans ses rangs, par 22 voix contre 4 à Emile Zola et 6 bulletins blancs. Il vint occuper le fauteuil de Camille Rousset le 14 décembre 1893, le jour même où il accomplissait sa cinquante-sixième année.


V

Les deux derniers volumes de l’Histoire de la monarchie de Juillet, parus ensemble en 1892, ne témoignaient d’aucune lassitude apparente : les chapitres sur les écoles socialistes, sur les scandales de 1847, le récit même de la Révolution de Février comptent au nombre des parties les plus vivantes du livre. L’auteur pourtant ne dissimulait point, dans ses conversations intimes, qu’il lui tardait de s’arracher au compte rendu des luttes parlementaires pour aborder une pure étude d’âme. Il s’en est expliqué en termes plus expressifs, plus âpres encore, dans ses notes autobiographiques : « Par fatigue et dégoût du monde politique, dans lequel mes travaux historiques m’avaient fait vivre jusque-là, je résolus de faire une Vie de saint. »

C’était continuer son œuvre par où Montalembert avait inauguré la sienne ; c’était aussi anticiper sur cette collection hagiographique toute récente, où laïques et prêtres, sous la direction d’un membre de l’Institut, s’appliquent à vulgariser l’histoire des personnages canonisés ou béatifiés par l’Église. Thureau-Dangin, qui avait d’abord songé à quelque saint du moyen âge, se fixa à l’aurore de la Renaissance italienne, à ce quattrocento dont son père lui avait jadis appris à goûter les artistes, encore méconnus de la foule. Il fit choix du franciscain Bernardin de Sienne, prédicateur populaire, réformateur des mœurs privées en un temps de corruption, missionnaire de paix parmi les discordes de famille, de cité, de région. Soigneusement documenté sans viser à l’érudition, le petit volume de Saint Bernardin de Sienne, qui fut publié en 1896, eut un vif succès d’agrément, d’édification, et demeure, dans la carrière de son auteur, comme une halte souriante entre des travaux plus importans et plus graves.

Cette biographie eut pour résultat d’orienter définitivement Thureau-Dangin vers l’histoire religieuse. Sans rien renier de ses préférences, il s’était insensiblement détaché de la politique active, depuis la mort prématurée du prince en qui il avait placé ses espérances : l’histoire politique elle-même lui semblait désormais sans attraits, et il n’aimait plus à scruter que les évolutions du sentiment religieux. C’est tout à fait par hasard qu’un article, écrit par un ecclésiastique dont il suivait les travaux avec intérêt, attira son attention sur les aspirations d’une partie du monde anglican vers « l’union des Églises : » curieux des origines de ce mouvement, il voulut se renseigner en Angleterre ; or, s’il existait beaucoup de biographies et de recueils de correspondances, il n’avait été publié aucune étude d’ensemble sur cette véritable contre-réforme du XIXe siècle, qui avait amené tant d’âmes à l’Église romaine et si gravement modifié les dispositions de ceux-là mêmes qui étaient demeurés dans les rangs de l’Église établie. Thureau-Dangin entreprit de combler cette lacune : il se mit immédiatement à l’œuvre, et publia de 1899 à 1906 les trois volumes de la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle[9]. Plus tard, quand le livre de M. Wilfrid Ward eut divulgué de nouveaux renseignemens sur la carrière catholique de Newman, l’historien, trop absorbé pour refondre ses tomes II et III, tint du moins à consigner ses réflexions dans un petit volume, Newman catholique, qui parut l’année d’avant sa mort (1912) et qui est l’indispensable complément de son grand ouvrage.

A la fin de l’introduction, il s’excusait modestement de s’attaquer à une telle tâche, lui qui n’était ni Anglais ni théologien : on peut soutenir sans paradoxe que c’était là pour lui au contraire une double force. Des lectures, des conversations, des séjours multipliés l’avaient mis à même de pénétrer l’âme britannique, tout en conservant ses dons très français de méthode, de lucidité, de mesure : or, c’était une histoire fort touffue qu’il s’agissait de débrouiller. Au dire de bons juges, ses traductions sont remarquablement fidèles : il apparaît au moins compétent des lecteurs qu’elles sont merveilleuses d’émotion, de simplicité, d’éloquence contenue. Si d’autre part c’est l’affaire des théologiens de traiter ex professo les controverses dogmatiques, non seulement ils n’ont point mission exclusive pour décrire les crises psychologiques, mais leur habitude des formules absolues les rend souvent médiocrement aptes à cette tâche. Thureau-Dangin n’avait jamais prétendu dogmatiser, ni même argumenter : son acquis d’historien et d’écrivain, ses préoccupations familières le préparaient à retracer un grand mouvement religieux.

Comme il l’a fait observer à plusieurs reprises, le sujet était double, ou tout au moins complexe. La « renaissance catholique, » c’est d’abord, comme l’entend la foule, l’évolution qui du catholicisme romain dans l’Angleterre d’après Waterloo, sorte de culte de parias, méprisé, bafoué, à demi persécuté encore, a fait une religion florissante, puissante, respectée, dont les recrues et les manifestations se multiplient sans qu’aucun esprit sérieux en prenne ombrage, dont les représentans figurent en bonne place dans tous les corps politiques, savans, financiers ou industriels, dans un très grand nombre de familles. Mais c’est aussi le changement d’idées qui peut se résumer ainsi : en 1815, l’Église établie se glorifiait unanimement d’être une communauté protestante, un peu plus traditionaliste que les autres ; aujourd’hui, une fraction importante de cette même Église anglicane se réclame d’une tout autre solidarité et prétend être une branche de l’Église universelle ; au lieu de célébrer la réforme du XVIe siècle comme une victoire ou un affranchissement, elle la déplore comme un accident désastreux ; par le culte comme par le dogme, par la liturgie, les sacremens, le sacrifice de l’autel, la vie monastique, elle se rapproche de plus en plus de la discipline romaine, et se la propose ouvertement pour modèle.

Thureau-Dangin a fait une part dans son livre au mouvement ritualiste contemporain, qui ne cesse de se développer, malgré les intermittentes vexations venues tant du parti adverse que du pouvoir séculier ; il a longuement décrit dans le passé le mouvement « tractarien, » dont procède le ritualisme. Il a parlé avec une grave et déférente sympathie d’un Keble, d’un Pusey, ardens à prêcher le retour à la tradition des Pères, à éliminer les tendances protestantes, se refusant obstinément à accomplir la démarche décisive, à suivre dans la communion romaine leurs plus chers amis, leurs meilleurs compagnons d’armes.

Le lien entre les deux parties du sujet, c’est l’action et l’œuvre de Newman, qui mène le mouvement tractarien, qui meurt cardinal de l’Église romaine, et en qui pourtant l’Église anglicane actuelle reconnaît son rénovateur. Aussi bien, quand avant la vingtième page du premier volume on voit entrer en scène le jeune tutor du collège d’Oriel, à Oxford, le lecteur le moins informé ou le moins perspicace pressent, à l’émotion du narrateur, que ce nouveau venu dominera l’ensemble du livre. Faut-il rappeler les entretiens préliminaires avec Fronde et Pusey, la scène si touchante de la mort de mistress Pusey, la publication des premiers tracts, les sermons de Sainte-Marie, par où Newman a renouvelé la prédication anglaise, les inquiétudes et les résistances qui surgissent, les scrupules éveillés dans l’âme de Newman par l’étude même des Pères apostoliques, les cruels déchiremens de conscience, puis cette période d’anxieuse et méditative retraite à Littlemore, qui fait le pendant et comme la contre-partie de la retraite, grosse d’orages, de Lamennais à la Chesnaie : « Les disciples se bornent à considérer avec respect, et aussi avec une sorte de terreur religieuse, leur impénétrable maître, absorbé dans son mystérieux ouvrage, toujours debout à son bureau, où il écrit jusqu’à quatorze heures par jour. Ils ont raconté plus tard qu’il leur semblait pâlir et s’amincir chaque jour davantage, si bien qu’à la fin, quand il travaillait devant la fenêtre ensoleillée, on eût dit qu’il était devenu presque transparent. »

La destinée de Newman après sa conversion ne laisse point que d’être déconcertante pour l’historien, et surtout pour l’historien catholique : Thureau-Dangin, qui n’a point échappé à cette impression de déconvenue, s’en est très franchement expliqué. Une persécution plus que séculaire avait conduit les catholiques anglais à se replier sur eux-mêmes, à se défier de tout élément étranger, à fuir le contact de leurs compatriotes et de leurs contemporains ; quelques esprits vigoureux, comme Wiseman, réagissaient seuls contre une telle tendance. Newman, venu au catholicisme par le seul effort de sa méditation personnelle, gardant sa culture de lettré et sa formation universitaire, parut suspect aux fidèles de vieille roche. De plus, d’autres convertis, comme Manning et George Ward, amenés surtout au catholicisme par le besoin d’une discipline, inclinés à l’intransigeance par la ferveur même de leur zèle de néophytes, n’hésitèrent point à accuser de faiblesse, de complaisance pour l’erreur, celui qui demeurait en deçà de leurs thèses outrancières. De là, une période de conflits, ou plutôt de malaises, aussi douloureux que prolongés : souvent dénoncé à Rome, entravé ou désavoué toutes les fois qu’il était question pour lui de faire œuvre d’activité extérieure ou d’apostolat, le plus éminent des convertis vivait dans la retraite à Birmingham, ne rompant le silence que pour réfuter d’ineptes calomnies par son immortelle Apologia, ou pour donner une orientation nouvelle à la philosophie religieuse par la Grammar of Assent. Celui dont les écrits ne cessaient de gagner des recrues au catholicisme se sentait en butte à l’hostilité dénigrante d’une partie de ses coreligionnaires. « Il n’est peut-être pas inutile, » remarquait Thureau-Dangin en 1912, a de pouvoir ainsi mesurer, par ce qu’en a pu souffrir l’âme d’un Newman, ce qu’a de détestable et de malfaisant cet esprit de division et de suspicion dont les catholiques les plus ardens ne savent pas toujours se préserver. »

Ce « drame » angoissant, comme le qualifiait celui qui l’avait raconté en termes si sobrement pathétiques et si appropriés à la dignité du sujet, ce drame se termina heureusement en apothéose, par la magnanime intervention de Léon XIII. A peine celui-ci était-il monté sur le trône pontifical que les deux plus grands seigneurs du catholicisme anglais, le tory duc de Norfolk et le whig marquis de Ripon, le suppliaient de mettre fin par une distinction éclatante à une disgrâce dont la prolongation scandalisait les Anglais de toute religion et de tout parti. Accédant avec joie à cette requête, le Pape ne tarda point à octroyer la pourpre à Newman. Accueilli à Rome avec les plus délicates prévenances, comblé d’ovations par ses compatriotes, fêté notamment dans cet Oxford d’où il lui avait fallu jadis s’exiler comme un renégat, le vieillard n’eut qu’un regret : c’est que l’affaiblissement de ses forces ne lui permît point, au retour d’Italie, d’aller à Munich, conjurer Doellinger de rentrer dans l’unité catholique. Quand le fracas des applaudissemens se fut apaisé, il reprit avec bonheur sa vie de reclus à Birmingham, et se prépara par un redoublement de ferveur à la mort qu’il sentait proche. Sur son cercueil, son ancien contradicteur Manning voulut éloquemment résumer tout ce que lui devait le catholicisme anglais.

Conquis par la géniale et si personnelle figure de Newman, l’historien n’en a pas moins rendu justice aux rares qualités de gouvernement de Manning, au désintéressement qui présida à sa conversion, à l’importance de son œuvre comme chef de l’Église catholique d’Angleterre^ à la touchante et généreuse évolution qui lui fît, sur ses vieux jours, accorder une attention croissante aux revendications sociales de la classe ouvrière, si bien que ce qu’on remarqua le plus à ses obsèques, « ce fut la prodigieuse multitude d’hommes du peuple, travailleurs ou même misérables de toutes sortes, qui suivit le cortège, de l’église au cimetière, ou fit la haie le long des rues, tous, — catholiques, protestans, socialistes, — s’inclinant ou même s’agenouillant au passage du corbillard, pour témoigner de leur reconnaissance et de leur respect envers celui qui les avait aimés et servis. »

Le succès de la Renaissance catholique en Angleterre s’affirma d’emblée plus étendu que celui de l’Histoire de la monarchie de Juillet. Si le sujet pouvait en effet paraître plus sévère, moins varié, moins familier au lecteur français, il revêtait d’autre part cet intérêt permanent qui s’attache aux angoisses des âmes en quête de la vérité absolue, aux crises et aux conflits d’ordre religieux. Œuvre d’un croyant qui ne dissimulait point ses convictions, le livre, par la gravité souvent émue du ton, par la modération des jugemens, par le respect dont il témoignait pour la liberté des consciences, avait de quoi plaire non seulement aux catholiques, mais à tous ceux (et le nombre en va croissant) dont l’attention ne se détourne point des problèmes d’ordre moral. Après avoir instruit et intéressé presque tous les lecteurs, il en a conduit plus d’un à se poser pour son propre compte les questions qui avaient métamorphosé la vie d’un Newman et d’un Manning. C’est précisément le résultat auquel l’auteur attachait le plus de prix.


VI

« Je me trouvais avoir fait dans ma vie tout autre chose que ce que j’avais rêvé étant jeune... J’ai tâché du reste de servir par l’histoire les mêmes idées auxquelles j’avais projeté de dévouer ma vie entière. » Ce ne sont pas seulement les livres de Thureau-Dangin, c’est l’ensemble de son existence qui réalisait le programme de liberté réglée, de foi religieuse agissante, de labeur persévérant, de bonheur domestique qui avait été le rêve de son adolescence.

Décimée par deux pertes cruelles, sa famille n’en était pas moins demeurée belle et nombreuse, accrue avec les années d’une nouvelle génération dont il était le patriarche très aimé. Souvent, en ces dernières années, on trouvait auprès de lui ses petits-enfans, qui s’éloignaient la tête basse, et le visiteur s’en voulait de ce rôle de trouble-fête.

On se sentait bientôt rassuré par la franche cordialité de l’accueil. Ici encore régnait une légende, légende de raideur et de froideur, créée sans doute par quelques importuns que Thureau-Dangin s’était vu forcé d’éconduire. La vérité est que nul ne se montrait plus facile d’abord pour ceux qui sollicitaient ses conseils ou son appui. La finesse de son sourire, l’acuité de son regard auraient suffi à avertir qu’il n’était point dupe des grands mots : il en avait horreur pour son propre compte, et usait dans la conversation d’une langue simple et correcte, sans l’ombre de prétention. Sa bienveillance possédait cette qualité, de plus en plus rare, de n’être point banale ; ses encouragemens, pour être exempts de superlatifs, n’en avaient que plus de prix, car on y sentait la sincère expression de sa pensée. Il ne prodiguait point les promesses, mais il s’en acquittait avec une scrupuleuse, une tenace fidélité.

A côté et au-dessus des travaux historiques et académiques, des affections de famille, des affaires, il attribuait dans ses journées une part considérable aux lectures, aux préoccupations, aux œuvres religieuses : la longue énumération risquerait d’être incomplète, des conseils ou associations auxquels il apportait l’encouragement et le grand profit de sa collaboration. Les études de plusieurs de ses amis, celles en particulier de son fils aîné, assyriologue distingué, lui avaient révélé la gravité croissante des questions d’exégèse, telles que les ont posées les découvertes de la science contemporaine[10]. Quant au problème de plus en plus angoissant des rapports de l’Église catholique avec l’Etat français, Thureau-Dangin n’avait besoin de se documenter auprès de personne pour y vouer une attention inquiète et passionnée, car ce fut en réalité l’objet des méditations de toute sa vie.

Lorsque Léon XIII, peu après son avènement, promulgua la célèbre encyclique où, sans rien abandonner des principes traditionnels, il se gardait de jeter anathème à la liberté politique, et la célébrait au contraire en termes d’une émouvante élévation, le rédacteur du Français consacra à l’acte pontifical un article enthousiaste, terminé par le cri même qui jadis, sur les lèvres des foules italiennes, avait fait écho aux premières velléités libérales de Pie IX : « Merci, Saint-Père ! Courage, Saint-Père ! » Mais Léon XIII n’avait rien de la mobilité d’âme, de la nature impulsive de son prédécesseur : dédaigneux de l’ingratitude, inaccessible au découragement, il poursuivit délibérément la tâche qu’il s’était assignée, au risque d’effaroucher et de mécontenter d’excellens catholiques, notamment en France. Thureau-Dangin, sans se départir d’une respectueuse réserve, subit cette impression, qui alla en s’atténuant à mesure que lui-même attachait moins de prix aux questions politiques, à mesure surtout que le Pape se montrait plus généreusement favorable aux investigations de la science. Comment l’ami de l’exégèse n’aurait-il pas été touché de cette déclaration : « Il ne faut pas empêcher les savans de travailler. Il faut leur laisser le loisir d’hésiter et même d’errer. La vérité religieuse ne peut qu’y gagner. L’Église arrive toujours à temps pour les remettre dans le droit chemin. » Déjà ébranlé, Thureau-Dangin se sentit tout à fait gagné en étudiant de près le cardinalat de Newman ; c’est la justice rendue à Newman qui convertit son historien à la pleine admiration pour Léon XIII.

La mort du pontife nonagénaire coïncidait avec l’évolution de la politique française vers le radicalisme sectaire, et le conflit ne tardait point à devenir aigu. Une loi était votée, qui prétendait substituer aux stipulations concordataires de 1801 un régime réglé uniquement par le pouvoir civil. Sur l’inconvenance et l’iniquité du procédé, tous les catholiques étaient d’accord : mais fallait-il tenir la législation nouvelle pour inexistante, ou s’efforcer d’en utiliser les dispositions ? La question se débattait avec la vivacité inséparable des dissentimens d’ordre religieux. Il parut à Thureau-Dangin et à quelques-uns de ses amis que du moment que le dogme n’était pas en jeu, alors que les prophètes de journaux et de salons prodiguaient leurs consultations, une élite d’écrivains et de penseurs, familiers avec les questions d’histoire religieuse, avaient le droit d’émettre leur opinion sous la forme d’une sorte de vœu, respectueusement soumis à l’épiscopat. Ce document, rédigé par Ferdinand Brunetière, concluait à une tentative d’ « essai loyal. » Comment la solution qu’il préconisait, agréée par la majorité des évêques de France, fut écartée par le Saint-Siège, il est superflu de le rappeler ici.

« Le Pape doit être obéi, » avait jadis déclaré Newman, « qu’il s’agisse ou non d’un cas où il est infaillible. Aucun bien ne peut venir de la désobéissance, à Le biographe pensait comme son héros. Sans s’émouvoir des attaques souvent injurieuses dont lui et ses cosignataires avaient été assaillis, sans céder même à la tentation de se retirer « sous sa tente, » il continua docilement, vaillamment, généreusement son concours aux œuvres catholiques dans les conditions déterminées par la décision pontificale, gardant sa discrète liberté d’appréciation sur le présent, mais s’interdisant avec soin toute récrimination relative à un très récent passé.


VII

Un jour de réception académique, comme Thureau-Dangin avait siégé à la place du secrétaire perpétuel empêché, et qu’après la séance je le félicitais en souriant de cet heureux présage, il me répondit très sérieusement qu’il avait été chargé de l’intérim précisément pour ne créer aucun préjugé en faveur de l’un des candidats éventuels, et parce qu’il ne saurait être question de lui. Pourtant, quand Gaston Boissier succomba à la fin du printemps de 1908, ce fut à Thureau-Dangin que pensèrent presque tous ses confrères pour occuper une succession qui n’était échue à aucun historien depuis Duclos, au milieu du XVIIIe siècle : encore Duclos avait-il été non seulement un annaliste, mais encore un philosophe, un « moraliste » à la mode de son temps, je veux dire un conteur de badinages immoraux ; tandis que dans l’œuvre considérable de Thureau-Dangin il n’y avait, grâce au ciel, rien qui de près ou de loin pût se comparer à Acajou et Zirphile.

Il commença par décliner les premières ouvertures ; comme on insistait, il déclara n’accepter la candidature que si son élection devait manifester le vœu général de la Compagnie, et ne pas constituer une victoire de parti. Élu en effet, le 25 juin 1908, par 20 voix sur 27 (des morts nombreuses avaient alors éclairci les rangs de l’Académie), il tint à affirmer, dans son bref remerciement, qu’il se considérait investi de ce poste d’honneur et de confiance « non pour servir ses idées particulières, mais pour servir l’Académie. »

Comme toujours, il tint scrupuleusement parole. L’ancien rédacteur du Français, qui s’était ardemment mêlé à tant de vives et parfois de rudes polémiques, l’écrivain auquel on avait pu reprocher son âpreté dans la discussion, fut le secrétaire perpétuel le plus impartial, le plus soigneux de ménager les sentimens de tous ses confrères ; très différente de la méridionale expansion de son prédécesseur, sa discrète aménité fit merveille, comme aussi son esprit d’administration. Ses rapports publics annuels sur les prix, rédigés avec l’atticisme de langage dont il ne s’était jamais départi, même dans les besognes hâtives du journalisme, étaient également exempts de tout exclusivisme. Sans déguiser ses préférences esthétiques ni surtout ses convictions intimes, il se plaisait à rendre justice au mérite des œuvres qui procédaient d’une école ou d’une inspiration différente. Fidèle à sa prédilection pour l’histoire et les livres d’histoire, il n’avait garde de s’y cantonner ; tel de ses rapports se termine sur un vibrant appel aux jeunes poètes ; c’est lui, d’autre part, qui prit l’initiative de la fondation du grand prix littéraire, destiné à assurer aux œuvres d’imagination l’équivalent du prix Gobert.

S’il avait renoncé à écrire désormais des livres de longue haleine, son activité demeurait inlassable, au secrétariat perpétuel, à la commission administrative de l’Institut, au Correspondant, à Saint-Gobain, dans toutes les œuvres qui réclamaient son concours. Passionné de vieille date pour les voyages, pour les courses alpestres, il s’était pris sur le tard d’un goût très vif pour les longues excursions en -automobile, réchauffant par exemple sur les routes d’Ombrie les enthousiasmes de sa jeunesse et les communiquant à ses enfans. Une brusque atteinte de pneumonie, qui l’avait, à l’automne de 1909, frappé à Athènes et contraint d’interrompre une croisière archéologique en Orient, ne semblait point avoir altéré ses forces ni ébranlé sa sérénité. Il n’avait jamais eu l’apparence robuste, et les années avaient légèrement infléchi sa haute taille, assourdi davantage le timbre de sa voix, qui était devenu plus pénétrant encore ; mais, à le voir marcher d’une allure rapide, dépouiller son courrier d’un coup d’œil investigateur, entretenir avec ses visiteurs cette conversation toujours si alerte, si pleine d’idées et de faits, on avait la sensation plutôt d’une maturité prolongée que d’une verte vieillesse.

En novembre 1912, un refroidissement insignifiant dégénéra en grippe tenace. Il lui fallut renoncer à donner lui-même lecture de son cinquième rapport sur les prix académiques, le plus éloquent, le plus personnel peut-être qu’il ait composé. Puis, comme les forces ne revenaient point, il dut s’imposer le dur sacrifice d’abandonner un article ébauché pour le prochain centenaire d’Ozanam, Ozanam l’ami et le compagnon d’œuvres de son père, Ozanam que lui-même s’était souvent proposé pour modèle.

Cependant la maladie, officiellement terminée, avait fait place à un état de langueur plus préoccupant. Le convalescent se flattait de recouvrer sa vigueur sous le climat du Midi, qui naguère, en plus d’une circonstance, l’avait moralement et physiquement réconforté ; il était dans les mêmes dispositions que lorsque, trente années plus tôt, il écrivait à un ami : « Je suis pris d’une véritable nostalgie de beau soleil, de belle lumière, de beaux horizons. J’ai soif de la Californie, de Saint-Honorat, de la Croix des Gardes ! » Il se réjouit en effet de retrouver le paysage de Cannes, et fit même quelques promenades en voiture. Mais bientôt les symptômes alarmans se succédèrent : averti de la gravité de son état, le malade s’acquitta de ses derniers devoirs avec la sereine simplicité qui avait toujours présidé à sa vie religieuse intime. Après une crise redoutable, le mal paraissait enrayé, sinon tout à fait vaincu, et les siens se reprenaient à l’espoir, quand une faiblesse soudaine l’emporta dans la matinée du 24 février 1913, au soixante-cinquième anniversaire de la chute du régime dont il s’était fait l’historien.

Ses obsèques, présidées par le cardinal-archevêque de Paris, réunirent à Saint-Sulpice le représentant du président de la République, un petit-fils du roi Louis-Philippe, presque tous les membres de l’Institut, ses collaborateurs dans les œuvres de bienfaisance, et surtout la foule innombrable de ceux qu’il avait obligés, réconfortés, assistés : littérateurs, journalistes, historiens, employés de Saint-Gobain, jardiniers de Bellevue, indigens de la Glacière. Oh avait la fugitive vision d’une France pacifiée, réconciliée, recueillie ; respectueuse du passé historique ; vaillamment et gravement appliquée à la tâche intellectuelle et sociale de l’heure présente ; dominée par le permanent souci de l’au-delà ; telle en un mot que Thureau-Dangin l’avait rêvée, telle que ses écrits et sa vie en ont peut-être préparé l’éclosion pour un meilleur avenir.


DE LANZAC DE LABORIE.

  1. Mme Thureau-Dangin m’a fait l’honneur de me donner communication de ce qui subsiste des notes et correspondances de son mari. J’ai utilisé aussi les lettres adressées par ce dernier à son ami d’enfance Albert d’Herbelot, mon beau-père.
  2. Les dénonciations, adressées à Napoléon et conservées dans un carton des Archives Nationales, émanent surtout d’un futur doyen de la Faculté des lettres de Paris.
  3. Sur Edouard Thureau, mort en 1893 doyen du barreau de Paris et ancien membre du Conseil de l’Ordre, on peut consulter une des plus exquises notices biographiques d’Edmond Rousse.
  4. Il se déroba en janvier 1870 aux ouvertures assez vagues qui avaient pour objet le secrétariat général du ministère de l’Instruction publique ; il refusa en 1871 la préfecture de la Loire, et en 1875 celle de Meurthe-et-Moselle.
  5. Les événemens de 1870-1871 amenèrent d’assez sensibles modifications dans ce personnel : tandis que les uns entraient dans la politique ou l’administration, d’autres désapprouvèrent la ligne de conduite adoptée par le journal en matière constitutionnelle.
  6. Les points de suspension figurent dans le texte original.
  7. Cette dernière erreur, quoique très répandue, est d’autant plus singulière sous la plume de Thureau-Dangin que, six ans auparavant, il avait incidemment porté sur le ministère Martignac un jugeaient beaucoup plus exact historiquement : « Après la chute du ministère Villèle, le Roi ne voulut point appeler ceux qui étaient alors les hommes de l’opinion, les chefs du parti vainqueur à la Chambre, M. de Chateaubriand, M. Casimir Perier, M. Royer-Collard : il s’arrêta à cette combinaison hybride et non viable que le charme personnel de M. de Martignac et les bonnes intentions de ses collègues ont fait peut-être juger avec trop de faveur ; il remit le pouvoir à des hommes inspirant défiance et rancune à la fois à la droite et à la gauche. » (Français, 16 juillet 1869.)
  8. Voyez, dans la Revue du 15 juin 1892 : Un historien de la monarchie de Juillet, M. Thureau-Dangin, par le vicomte E.-M. de Vogüé
  9. Voyez, dans la Revue du 15 septembre 1906, la Renaissance catholique en Angleterre, par M. Georges Goyau.
  10. Il s’en est, expliqué avec émotion à la fin du second volume de la Renaissance catholique, à propos du conservatisme étroit que Pusey apportait à la discussion des questions bibliques.