Patte-en-l’air
monologue en vers
Patte-en-l’air
modifierMonologue en vers dit par Coquelin Cadet, de la Comédie Française.
Non, ce que c’est que la déveine !
J’avais mis mon beau pantalon ;
— Un pantalon de la semaine -
Et m’en allais voir Madelon.
Madelon, c’est un nom de femme ;
Vous avez aisément compris
Que Madelon, c’était la dame
De qui mon cœur était épris.
Faisant cent projets de ménage
J’allais devant moi, tout songeur,
Rêvant un prochain mariage
D’où dépendait tout mon bonheur.
Bref, j’en avais tant dans la tête
Que là, sur le bord du trottoir,
Pour mieux réfléchir je m’arrête
Sans même m’en apercevoir…
Soudain, à la jambe j’éprouve
Une étrange sensation !
Je tâte !… Et qu’est-ce que je trouve ?
Horreur ! une inondation.
Un affreux chien, un chien vulgaire
Ignorant les lois du bon ton,
Pour quelque simple réverbère
Avait pris mon beau pantalon.
C’était comme une cataracte
Qui ruisselait abondamment
Et ce n’était qu’un premier acte
Cela commençait seulement.
En voyant cette immense tâche
Je pousse un cri ! Puis, furieux,
Dans le… dos du chien, je détache
Un coup de botte généreux.
Après quoi, dans une boutique
J’entre afin de faire laver
L’humiliation publique
Dont on venait de m’abreuver.
La chose faite, et tout humide,
Tout mouillé dans mon pantalon,
Je dirige mon pas rapide
Vers la maison de Madelon.
Je n’avais pas tourné la rue
Que tout-à-coup, là, je perçois
Comme une chose qui remue
Et qui renifle près de moi…
Je regarde : Oh ! Ciel ! quelle audace !
Non vous ne devinerez pas !
Des chiens, dix, quinze, vingt, en masse
Sont là, me suivant pas à pas.
Exaspéré, je les repousse,
A coup de pieds, comme je peux ;
Ils reviennent à la rescousse,
Et me suivent à qui mieux, mieux !
En voyant cette immense troupe
Dont je suis tout environné,
Bientôt une foule se groupe ;
Chacun me regarde étonné.
L’on s’interroge ; on se demande
Si je montre des chiens savants ?
Un monsieur, même, me marchande
Un chien ! Oui ! combien je le vends ?
« Ah monsieur, qu’on m’en débarrasse !
» Prenez les tous ! Ils sont à vous !
» Qu’on en extermine la race !
» Au nom du ciel prenez les tous ! »
Et là-dessus, d’un bond je quitte
Tous ces gens décontenancés :
Je me sauve !… mais à ma suite
Tous les chiens se sont élancés.
Chacun me voyant de la sorte
Me croit sorti de Charenton !
Enfin, bref, j’arrive à la porte
Du logis de ma Madelon.
Ouf ! mon supplice a donc un terme !
Je sonne, j’entre, et promptement,
Au nez de tous les chiens je ferme
La lourde porte poliment.
Mais voilà bien une autre affaire !
A peine ai-je vu Madelon,
Qu’elle me montre toute fière
Un tout petit chien de salon.
« Je viens de l’acheter, dit-elle,
» Hein ! n’est-ce pas qu’il est charmant !
— Oui certes, la bête est très belle »
Murmurai-je piteusement.
C’était un animal horrible !
Mais il plaisait à Madelon…
Soudain, j’eus une peur terrible :
Le chien flairait mon pantalon.
« Eh ! voyez donc comme il vous aime ! »
Me dit ma future en riant.
« En effet, oui ! » - J’étais tout blême !
Madelon trouvait ça charmant.
Hélas ! ma crainte était fondée !
Là, tout à coup, en plein salon,
Je sentis ma jambe inondée !
Encore, oui, sur mon pantalon.
C’en est trop ! j’éclate en furie,
Et, comme un fou, subitement,
Aux yeux de la belle ahurie,
Je me lève et sors brusquement.
J’étouffe, j’en ai la berlue,
Je n’en puis plus ; mais, patatras !
Qu’est-ce que je vois dans la rue :
Tous mes chiens m’attendaient en bas.
C’est un crampon, c’est une colle ;
Je ne sais comment les chasser,
Et je pique une course folle
Pour pouvoir m’en débarrasser.
Hélas ! ils courent aussi vite ;
Et, qui pis est, plus nous allons,
Plus cette meute à ma poursuite
S’accroît derrière mes talons !
Déjà, ce n’est plus une troupe,
C’est une révolution
Qui va, court, crie, aboie et coupe
Partout la circulation.
Pas une voiture n’avance !
Les tramways doivent s’arrêter !
Cela fait un désordre immense !
Chacun commence à s’ameuter.
Plus d’un chien que l’on tient en laisse,
Par tous les autres attiré,
Traîne son maître ou sa maîtresse,
Son conducteur tout atterré.
J’ai des enfants, des vieilles femmes,
Des aveugles, des éclopés,
Des bigotes, des jeunes dames,
Tous après moi précipités.
C’est en vain que chacun résiste ;
Il faut bien suivre le courant.
Ils sont tous là, suivant ma piste ;
Roulant, tombant, vociférant.
Plus d’un même - elle est mauvaise !
Crie : « Aux armes ! à l’assassin ! »
Des gens chantent la Marseillaise !
L’épouvante est sur mon chemin !
On parle de guerre civile.
Paris entier est en émoi…
Et moi, je traverse la ville.
Avec cette escorte après moi.
Enfin, tout mouillé, tout en nage,
J’arrive chez moi, tout perclus,
Jurant bien, le cœur plein de rage,
Que l’on ne m’y reprendrait plus.
Et depuis, d’une odeur immonde,
Je m’infecte du haut en bas,
C’est un peu gênant dans le monde,
Mais les chiens ne m’approchent pas.