Ramage. — Ramage est un mot de l’ancienne langue, où il est adjectif, non substantif. Et, de droit, il ne peut être qu’adjectif. De fait, il est devenu substantif ; et c’est ce fait qui appartient à notre pathologie. Quelqu’un, que je ne supposerai ni très lettré ni très ignorant, entend parler d’étoffe à ramage, de velours à ramage, et il sait qu’en cet emploi ramage signifie branches d’arbre, rameaux. D’un autre côté, il a chez lui en cage des serins dont le ramage lui plaît et le distrait. Ce ramage-ci désigne le chant des oiseaux. S’il a quelque tendance à réfléchir sur les mots, il pourra se demander d’où vient qu’un même mot ait des sens si différents, et s’il ne faut pas chercher pour le second ramage un radical qui contienne l’idée de chant. Ce serait une erreur. Quelque dissemblables de signification que soient ces deux ramages, ils sont semblables de formation. Dans l’ancienne langue ramage signifiait de rameau, branchier, et venait du latin ramus, branche, par le latin barbare ramaticus : oiseau ramage, oiseau sauvage, branchier ; chant ramage, chant des rameaux, des bois, des oiseaux qui logent dans les bois. C’est de la sorte que ramage, devenant substantif, a pu exprimer très naturellement des figures de rameaux et le chant des oiseaux.
Regarder. — La lutte entre la latinité et le germanisme appartient à la pathologie, car notre langue est essentiellement latine. De cette lutte regarder est un témoin des plus dignes d’être entendu. Les mots latins qui signifient porter l’œil sur, n’avaient point trouvé accueil ; respeitre, de respicere, ne s’était pas formé, et respectus avait fourni respict, avec un tout autre sens ; aspicere aurait pu donner aspeitre et ne l’avait pas donné. Dans cette défaite de la latinité, le germanisme offrit ses ressources ; il fallait, il est vrai, détourner les sens ; mais l’usage, on le sait, est habile à pratiquer ces opérations. Le haut allemand a un verbe, warten, qui est entré dans le français sous la forme de garder. Outre ce sens, warten signifie aussi faire attention, prendre garde ; et c’est là l’acception qui s’est prêtée à devenir celle de jeter l’œil sur. Non pas que la langue ait pris garder purement et simplement ; elle le pourvut d’un préfixe ; et, ainsi armé, garder s’employa pour exprimer certaines directions de la vue. Ce préfixe est double, es ou re, qui sont également anciens. L’ancienne langue disait esgarder, qui est tombé en désuétude, mais non le substantif esgard (égard) ; elle disait aussi regarder, qui est notre mot actuel, avec son substantif regard. Égard et regard, outre leur acception quant à la vue, ont aussi celle de soin, d’attention, qui appartient au radical warten, et qui est la primitive. Ils sont à mettre parmi les exemples où l’on passe d’un sens moral à un sens physique. Cela est plus rare que l’inverse.