Opiniâtre. — Opiniâtre désigne celui qui est attaché outre mesure à son opinion, et est formé d’opinion et de la finale péjorative âtre. Certes ceux qui les premiers conçurent une pareille formation furent de hardis néologistes ; et je ne sais si les plus entreprenants de nos jours s’aviseraient de faire ainsi une jonction qui ne va pas de soi ; car opinion se prête assez mal à entrer en composition. Quoi qu’il en soit, opiniâtre et ses dérivés opiniâtrement, opiniâtrer, opiniâtreté n’appartiennent pas aux temps anciens de la langue ; ils ne se montrent que dans le seizième siècle. C’est un vieux mot pour nous ; mais c’était un néologisme pour Amyot, pour Montaigne, pour d’Aubigné. Il faut les remercier de n’avoir pas repoussé d’une plume dédaigneuse le nouveau venu ; car il est de bonne signification, et figure bien à côté d’obstination, obstinément, obstiner ; ce sont là des termes anciens. Il est heureux qu’opiniâtre ne les ait pas fait tomber en désuétude ; cela arrive maintes fois.
Ordonner. — L’ancienne forme est ordener ; de même on disait ordenance. Cela est régulier ; car le latin ordinare, avec son i bref, n’a pu donner que ordener. Ordonner ne se montre qu’au quatorzième siècle, et aussitôt il supplante tout à fait ordener, qui ne reparaît plus. D’où vient cet o substitué à l’e primitif ? On ne peut y voir qu’une faute de prononciation. Les fautes de ce genre sont faciles à commettre et quelquefois très difficiles à réparer ; témoin ordener, qui en est resté victime, et ordonner, dont l’usage présent ne soupçonne pas la tache originelle.
Ordre. — Dans l’ancienne langue, ordre signifie uniquement arrangement, disposition, et aussi compagnie monastique. Le sens d’injonction, prescription, ne s’y rencontre pas ; on ne le voit apparaître qu’au dix-septième siècle, et alors il est courant parmi les meilleurs auteurs. C’était pourtant un vigoureux néologisme de signification. On comprend comment, d’arrangement, de disposition, ordre en est venu à signifier prescription ; la liaison des deux idées, une fois sentie, s’explique sans difficulté considérable. Mais l’opération mentale qui les trouva mérite qu’on la signale à l’attention, ainsi que l’époque où elle se manifeste et s’établit. Je ne nie pas que je me plais à signaler le dix-septième siècle en délits de néologisme. On lui a fait une réputation de pruderie puriste qu’il ne mérite ni en bien ni en mal.