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Marâtre. — Marâtre n’a plus aujourd’hui qu’un sens péjoratif et injurieux. Mais il n’en était pas ainsi dans l’ancienne langue ; il signifiait simplement ce que nous nommons dans la langue actuelle belle-mère. Comme les belles-mères ne sont pas toujours tendres pour les enfants d’un premier lit et que le vers du trouvère


De mauvaise marastre est l’amour moult petite,


a souvent lieu de se vérifier, il n’est pas étonnant que marâtre soit devenu synonyme de mauvaise belle-mère. Pourtant il convient d’exprimer ici un regret. Rien n’empêchait, tout en donnant à marâtre son acception nouvelle et particulière, de conserver l’usage propre du mot. Il figurerait très bien à côté de parastre, perdu, lui, tout à fait, qui signifiait beau-père. C’est dommage de sacrifier des mots simples et expressifs pour leur substituer des termes composés, lourds et malaisés à manier.

Marionnette. — Ce mot est un assez joli mot, et sa descendance est assez jolie aussi. L’ancienne langue avait mariole, diminutif de Marie, et désignant de petites figures de la Sainte Vierge. Le diminutif mariolette se corrompit en marionnette ; et, par un procédé qui n’est pas rare, l’usage transporta le nom de ces effigies sacrées à une autre espèce de figures, mais celles-là profanes. En même temps le sens ancien s’oblitéra complètement ; car, autrement, comment aurait-on commis l’impiété d’appliquer le nom des figures de la Sainte Vierge à des figures de spectacle et d’amusement ? La dégradation du sens s’est ici compliquée d’une offense aux bienséances catholiques.

Méchant. — Le quatorzième siècle a inauguré (du moins on n’en voit pas d’exemple auparavant) la fortune d’un mot aujourd’hui d’un usage fort étendu : ce mot est méchant. C’est le participe présent du verbe vieilli méchoir, et d’abord il n’a désigné que celui qui a mauvaise chance. Il a passé de là aux choses de peu de valeur : un méchant livre ; et finalement, entrant dans le domaine moral, il s’est appliqué aux hommes d’un naturel pervers. Il y a satisfaction à suivre ainsi la logique secrète de l’usage, qui dérive les significations l’une de l’autre ; il est intéressant aussi d’étudier comment il se crée des doublets sans qu’on le veuille. La langue avait mauvais, et méchant au sens moral ne lui était pas nécessaire. Mais méchant s’établit ; il n’a d’abord aucune rivalité avec mauvais. Il n’en est plus de même quand il passe au sens moral ; et dès lors les auteurs de synonymes ont à chercher en quoi méchant et mauvais s’accordent et diffèrent. L’usage, dans ses actes d’un despotisme qui est loin d’être toujours éclairé, s’inquiète peu des soucis qu’il prépare aux grammairiens.

Merci. — La pathologie en ce mot affecte le genre, qui, féminin selon l’étymologie en don d’amoureuse merci, est masculin dans un grand merci. L’usage n’aime guère les casse-tête grammaticaux, et il s’en tire d’ordinaire fort mal. Le casse-tête gît ici dans le mot grand : cet adjectif est, selon la vieille langue, très correctement masculin et féminin, comme le latin grandis ; mais, suivant la moderne, il a les deux genres, grand, grande. L’usage, quand il reçut la locution toute faite grand merci, a pris grand avec son air apparent, et du tout il a fait un grand merci. La signification n’est pas non plus sans quelque pathologie. Le sens primitif, qui est faveur, récompense, grâce (du latin mercedem), s’est rétréci de manière à ne plus figurer que dans quelques locutions toutes faites : don d’amoureuse merci, Dieu merci. Puis le sens de miséricorde qui épargne se développe amplement, et atrophie l’acception primitive. La miséricorde n’est point dans le latin merces ; mais elle est, on peut le dire, une sorte de faveur ; et la langue n’a pas failli à la liaison des idées, même subtile, quand elle a ainsi détourné à son profit le vocable latin.

Mesquin. — Mesquin présente un singulier accident ; il vient de l’espagnol mezquino, qui a le même sens. Même sens aussi en provençal, mesquin, et en italien, meschino. Mais, dans tout le moyen âge jusqu’au seizième siècle inclusivement, meschin, meschine, signifient jeune garçon, jeune fille, avec cette nuance pourtant que le féminin meschine a le plus souvent l’acception de jeune fille qui est en service ; acception qu’a aussi l’italien meschina. Il faut, ce semble, admettre que du sens de chétif on s’est élevé à l’idée de jeune garçon, de jeune fille, considérés comme faibles par l’âge, et qu’ennoblissant ainsi l’idée primitive du mot, on n’en a pas effacé pourtant tout ce qui était défavorable. Ce fut un anoblissement que mesquin reçut alors ; mais cet anoblissement fut passager ; et le mot, secouant ce sens comme un oripeau, n’a plus parmi nous que son acception originelle.

Moyen. — L’adjectif veut dire qui occupe une position intermédiaire ; le substantif, entremise, ce qui sert à obtenir une certaine fin. On comprend comment l’idée d’intermédiaire a suggéré celle de manière de procéder pour obtenir un résultat. C’est certainement un bon exemple de l’art ingénieux de déduire des significations l’une de l’autre. Ce mot n’a pas toujours existé dans notre langue ; et moyen substantif est un néologisme. N’allez pas vous récrier ; c’est un néologisme d’une antiquité déjà respectable ; il remonte au quatorzième siècle. Il faut savoir gré au populaire de ce temps d’avoir créé un substantif si bon et si commode.