Pastorales
Revue des Deux Mondes, période initialetome 13 (p. 738-739).
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ORSO.


« Cette chanson sauvage et cette voix lointaine,
Ma chère, c’est Orso qui revient dans la plaine,
Orso qui m’a vue hier et me verra demain ;
Suivant de la montagne une dernière pente,
Il guide lestement son troupeau lourd, et chante
Parmi les pieds pesans des bœufs sur le chemin.

« Quand il passe le soir, la belle paysanne
Qui vient de récolter ses blés mûrs et qui vanne,
Pour mieux le voir passer, pour mieux ouïr son chant,
Monte sur les degrés écornés de sa porte,
Et dit qu’il est plus beau le soir, et qu’il emporte
Dans ses cheveux dorés un rayon du couchant.
« S’il voulait, il n’aurait qu’à choisir, car les filles
Suspendent la moisson et posent leurs faucilles
Lorsque leur mère entame un récit merveilleux
Des gobelets d’argent qu’il gagna dans les joûtes,
Des rencontres qu’il eut vers le soir sur les routes,
Et des seigneurs auxquels il fit baisser les yeux.

« Mais le pâtre a le cœur plus haut que sa fortune ;
Et sans s’inquiéter s’il est aimé d’aucune,

Si les filles des champs rougissent à son nom,
Et, faisant leur travail au cri de la cigale,
Songent à mieux garder leur figure du hâle,
Pour disputer son cœur ; Orso prend le plus long,

« Orso prend le plus long de deux milles peut-être,
Pour voir flotter un pan de voile à ma fenêtre.
Mais c’est là que finit son audace d’amour !
Et moi, pour consoler sa tendresse muette,
A ses yeux tous les soirs j’accorde cette fête,
Et lui laisse emporter du bonheur pour un jour !

Ainsi parlait Stella, fille noble de Sienne.
Le pâtre, insouciant de la patricienne,
Avait une maîtresse au village voisin
Et ne l’eût pas troquée avec une marquise ;
Car elle avait l’œil noir et la taille bien prise,
Et jamais cœur plus doux n’habita plus beau sein.


EMILE AUGIER.