COMÉDIE EN DEUX ACTES, MÊLÉE DE CHANT,


REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS, SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL, LE 2 MARS 1839.


PERSONNAGES. ACTEURS.
PASCAL (28 ans), } grenadiers. M. Leménil.
CHAMBORD (25 ans), M. Achard.
WILHELMINE DE RANSPACH (22 ans) Mlle Pernon.
MINA, au service de Wilhelmine (20 ans) Mme Leménil.
FRÉDÉRIC DE SPELBERG (18 ans) M. Grassot.
Valets, Soldats français.
La scène se passe en 1795




ACTE PREMIER.

Un salon meublé à l’antique ; deux fenêtres au fond ; deux portes latérales.


Scène PREMIERE.

WILHELMINE, MINA.

Au lever du rideau un roulement de tambour se fait entendre dans le lointain, Mina court à la fenêtre de gauche[1].

MINA, regardant.

Uniforme bleu, plumet rouge ; c’est encore un régiment français.

WILHELMINE, assise à un guéridon à droite.

C’est le troisième qui passe aujourd’hui ; mon pauvre pays !

MINA, revenant sur la scène.

Et on les laisse se promener comme ça, tambour battant, dans notre belle Allemagne ! décidément, nos compatriotes n’ont plus que de la bière dans les veines !

WILHELMINE.

Si la nouvelle que nous a apportée hier Frédéric de Spelberg se confirme, l’armistice qui est signé ne sera que le prélude d’une paix générale.

MINA.

Ah ! madame la baronne, j’en voudrai longtemps aux Français ! je n’oublierai jamais qu’ils ont tué votre mari, ce pauvre baron de Ranspach, et à coups de canon encore ! un homme de soixante-dix ans, qui ne leur disait rien ! qui était tranquillement à dîner chez lui… deux heures de détonation, à une demi-lieue de ses oreilles, ça lui a figé le sang !

WILHELMINE.

Le souvenir de M. de Ranspach me sera toujours cher ! sans famille, sans fortune, je trouvai en lui un appui, un protecteur.

MINA.

M. le baron vous a laissé de grands biens et de gros revenus, c’est vrai ; mais, après vous, tout doit retourner à M. Frédéric de Spelberg, le neveu du défunt.

Air : Parnasse des dames.
––––––Heureusement que de la tante
––––––Le neveu s’ trouve le doyen ;
––––––L’une à vingt ans, l’autre cinquante,
––––––Que le neveu se tienne bien !
––––––Je sais qu’en dépit de son âge,
––––––Il compte rester le dernier,
––––––Mais avant qu’arriv’ l’héritage
––––––On verra partir l’héritier,
––––––Vous hénirez d’ votre héritier.
WILHELMINE, riant.

Ce pauvre Frédéric te déplaît donc bien ?

MINA.

Il me crispe les nerfs avec ses petites mines, ses cajoleries ; avec ça qu’il est toujours pommadé et musqué à en incommoder les gens.

WILHELMINE.

Il a pris les habitudes et les manières de la cour de Louis XV, au milieu de laquelle il a passé sa première jeunesse.

MINA.

Je le déteste au point que, si jamais il arrive à ses fins et qu’il vous épouse, je quitte votre service.

WILHELMINE.

M’épouser, lui !

MINA.

Oh ! il en a grande envie, l’héritage lui reviendrait tout de suite, et il en a besoin… attendu qu’il ne lui reste plus de sa fortune passée qu’un vieux château tout noir, qui ressemble à un affreux pigeonnier.

WILHELMINE.

Tu te trompes, Mina ; mon cousin ne pense pas du tout à moi.

MINA.

Oh ! je m’y connais !

UN DOMESTIQUE, annonçant, du fond.

M. Frédéric de Spelberg.

MINA, faisant un mouvement pour sortir.

Ah !

WILHELMINE.

C’est de l’antipathie !

MINA.

C’est plus fort que moi, M. le baron m’agace comme une pomme verte !


Scène II.

Les Mêmes, FRÉDÉRIC, un peu gris, entrant par le fond.
FRÉDÉRIC, à Mina.

Eh ! eh ! bonjour, petite.

MINA.

Votre servante, monsieur le baron.

Elle sort par le fond.

FRÉDÉRIC[2].

Comment se porte ma chère et belle tante ?… belle, c’est le mot ; car le noir vous sied à ravir ; vous avez ainsi quelque chose de la Dubarry… Permettez, baronne. (Il lui baise la main.) Le roi Louis XV aurait fait bien des folies pour cette petite main-là, et j’en ferais plus encore que le roi Louis XV.

WILHELMINE.

Vous ?

FRÉDÉRIC.

Oui, ma gentille petite tante, je ferais sauter mon château de Spelberg, s’il vous prenait envie de voir danser ses vieilles pierres.

WILHELMINE.

En vérité ?

FRÉDÉRIC.

Oh ! vous n’avez qu’à parler.

WILHELMINE.

Ces paroles, ce regard… qu’avez-vous donc aujourd’hui, mon cher neveu ?

FRÉDÉRIC.

Je suis en belle humeur ; ce matin, j’ai eu quelques réminiscences de mes petits soupers de Paris, le Champagne a pétillé… après le Champagne, la gaîté, l’esprit… oui, ma tante, quand je suis gai, j’ai beaucoup d’esprit… à Paris, quand je m’égayais, je faisais rage… c’était à qui me pousserait à la porte, en disant : Il est insupportable !

WILHELMINE.

Vous êtes, je-crois, dans un de ces momens-là.

FRÉDÉRIC.

Oui, c’est possible… à déjeuner, j’ai été très-folichon… j’ai fait un extra, une petite grisotte, comme disait Dorat, avec une ancienne connaissance, un petit collet, un ex-abbé que j’ai retrouvé capitaine de la république… ah ! ah ! ah ! il a bien changé, il boit moins qu’autrefois !

WILHELMINE.

Vous avez déjeuné avec un capitaine français ?

FRÉDÉRIC.

Sans doute ; il s’est souvenu de moi, et m’est venu faire visite dans mon château, où il s’est installé, avec une quinzaine de grenadiers, qu’il m’a présentés.

WILHELMINE.

Quinze grenadiers !

FRÉDÉRIC.

Des hommes superbes, et bons vivans, je vous jure… Ah ! les farceurs ! ils boivent mon rhum de cent sept ans.

Air : Restez, troupe jolie
––––––Ils ont dévalisé mes caves,
––––––Tué six pigeons que j’élevais,
––––––Ce n’est pas tout, peste ! ils sont braves !
––––––Car, de ma gouvernante, après,
––––––Ils ont assiégé les attraits.
––––––Ne vous effrayez pas, ma tante,
––––––De cet oubli du décorum,
––––––Car, pour l’âge, ma gouvernante
––––––Pourrait lutter avec mon rhum !
WILHELMINE.

Mais, c’est épouvantable ! s’il m’arrivait de pareils hôtes !

FRÉDÉRIC.

Il vous en viendra, mon capitaine doit en distribuer dans tous les manoirs des environs.

WILHELMINE.

Que deviendrai-je ? Vous savez ; que Mina et quelques vieux domestiques habitent seulement avec moi.

FRÉDÉRIC.

Rassurez-vous, baronne, ne suis-je pas là ?

WILHELMINE.

Mais vous n’y serez pas toujours !

FRÉDÉRIC.

Si vous vouliez, je ne vous quitterais plus.

WILHELMINE.

Comment cela ?

FRÉDÉRIC.

Tenez, ma chère Wilhelmine ; car, ce titre de tante donné à un aussi joli visage est un stupide anachronisme… depuis long-temps, je renferme un secret dans mon cœur… mais ce cœur est un volcan, et le jour de l’éruption est venu.

WILHELMINE.

Je ne vous comprends pas.

FRÉDÉRIC.

Baronne, j’ai quarante-huit ans.

WILHELMINE.

Il y a deux ans que je le sais.

FRÉDÉDIC.

Comment me trouvez-vous ? bien, n’est-ce pas ? Wilhelmine, voulez-vous que j’écrive au saint père pour en avoir une dispense ? voulez-vous que votre neveu devienne votre mari ?

WILHELMINE.

Y pensez-vous ?

FRÉDÉRIC.

Je ne pense qu’à cela… dites un mot, je m’installe ici comme votre futur époux ; et, fier de ce titre, je vous défendrai contre toute l’armée française.

WILHELMINE.

Mais ce mariage est impossible !

FRÉDÉRIC.

Oh ! oui, je comprends… vous n’êtes veuve que depuis deux mois… et l’usage veut que… mais ici le délai n’est pas de rigueur… (A part.) Soixante-dix ans, la goutte… un catarrhe… j’accepte les conséquences. (Haut.) Eh bien ?…

WILHELMINE.

Encore une fois, Frédéric !…

FRÉDÉRIC.

Mais quelles raisons donnerez-vous pour justifier ce refus ?

WILHELMINE.

Une seule… je ne vous aime pas.

FRÉDÉRIC.

Tiens, c’est étonnant !… cela vous viendra, baronne, comme cela m’est venu.

WILHELMINE.

Je suis certaine de ne pouvoir jamais répondre à cette flamme si subite et si vive ; il faut donc tout faire pour l’éteindre. Pour cela, cessez, dès à présent, toute visite, l’absence vous guérira.

ENSEMBLE
Air de Bordeaux.
WILHELMINE.
–––––––––Non, pour votre amour,
–––––––––Jamais de retour ;
–––––––––Mais d’un autre cœur
–––––––––Vous serez vainqueur !
–––––––––––Du courage !
–––––––––––A votre âge,
––––––––––Pour se guérir,
––––––––––Il faut partir !
FRÉDÉRIC.
–––––––––Quoi ! pour tant d’amour
–––––––––Jamais de retour !
–––––––––Mais d’un autre cœur
–––––––––Serai-je vainqueur ?
–––––––––––Quel dommage !
–––––––––––Ah ! j’enrage !
––––––––––Sans réussir,
––––––––––Il faut partir !

Wilhelmine salue et sort par la droite.


Scène III.

FRÉDÉRIC ; puis MINA.
FRÉDÉRIC.

L’absence me guérira… je crois que ça veut dire : Faites-moi le plaisir de… Oh ! mais je ne m’en irai pas !… vertudieu !… je veux la forcer à m’épouser, et, pour cela, j’emploierai tous les moyens… je suis amoureux et ruiné ; je mettrai le feu aux quatre coins du château, si ça peut me servir à quelque chose… Richelieu en a fait bien d’autres ?

MINA, accourant[3].

Madame la baronne, madame la baronne !… Ah ! c’est vous, monsieur Frédéric… nous sommes perdus !… si vous saviez…

FRÉDÉRIC.

Quoi donc ?

MINA.

Je viens d’apercevoir, dans l’avenue, des soldats français qui se dirigeaient du côté du château !

FRÉDÉRIC.

Des Français… sont-ils nombreux ?

MINA.

Oh ! je suis sûre que c’est tout un régiment qui vient nous attaquer… pourtant je n’ai bien distingué que deux hommes ; mais ils sont énormes !

FRÉDÉRIC, à part.

Deux grenadiers de la compagnie de mon ami le capitaine, sans doute !… Quelle idéel… ces grenadiers me sont envoyés par le ciel ! (Haut.) Écoute. Mina, aimes-tu bien la baronne ?

MINA.

Je me ferais tuer pour elle.

FRÉDÉRIC.

Tu hais les Français ?

MINA.

Autant que vous… (se reprenant) autant que vous les détestez.

FRÉDÉRIC.

Je comprends. Mina, il faut résister, il faut fermer la grille, d’abord… si ces soldats entrent ici, ils mettront tout à feu et à sang, ils en agiront avec toi comme avec ma gouvernante et mon rhum.

MINA.

Comment ! ils ne respecteraient pas Mme la baronne ?

FRÉDÉRIC.

Pas plus elle que toi.

MINA.

Eh bien, ils n’entreront pas ici, je vous le jure ! je cours fermer la grille ; il y a ici des fusils de chasse ; je vas mettre sous les armes Hermann, Fritz et Robert, sans oublier Bug et Bog, les deux chiens de garde… Oh ! nous serons en force, et ils n’entreront pas !

Elle sort par le fond, en criant : Aux armes !


Scène IV.

FRÉDÉRIC ; puis WILHELMINE.
FRÉDÉRIC, riant.

Ah ! ah ! ah !… délicieux ! divin ! le tour est assez coquet, palsambleu !… Ah ! petite baronne, vous me chassez ; patience, mon orgueilleuse, tout-à-l’heure, vous demanderez à capituler. Mina aura beau faire… ces diables de Français entreront… mais, furieux, exaspérés… et alors je me pose en héros, en protecteur de Wilhelmine ; je la sauve, et, modeste après la victoire, je ne mets aucun prix au service rendu… mais ma chère tante n’est pas de marbre, et, à défaut d’amour, la reconnaissance attendrit son cœur. Ah ! voilà mes soldats qui carillonnent. (Il s’approche d’une croisée à gauche.) Ils escaladent la grille… bravo ! les deux chiens de garde se précipitent sur eux !… bravissimo ! (Un coup de feu se fait entendre.) Un coup de feu ! ça marche admirablement !…

WILHELMINE, entrant par la droite, effrayée.

Pourquoi ce bruit ? que se passe-t-il ?

FRÉDÉRIC[4].

Pardonnez-moi, ma chère tante !… soumis à vos désirs, j’aurais dû quitter ce château d’où vous m’avez exilé ; mais un danger vous menace, et j’ai cru…

WILHELMINE.

Un danger, dites-vous ?

FRÉDÉRIC.

Ne vous effrayez pas trop, ma chère Wilhelmine… ils sont arrivés…

WILHELMINE.

De qui parlez-vous donc ?

FRÉDÉRIC.

Des Français.

MINA.

Des Français !

FRÉDÉRIC.

Ils sont dans votre château… ils ont brisé les grilles…

WILHELMINE.

Brisé les grilles !

FRÉDÉRIC.

Rassurez-vous, ils vous respecteront, je l’espère… pourtant, quand ils vous verront si jeune, si belle…

WILHELMINE.

Mais ce coup de feu ?…

FRÉDÉRIC.

Ils l’ont tiré sur vos gens.

WILHELMINE.

Ah ! mon Dieu !… Frédéric, vous aurez pitié de moi… vous ne m’abandonnerez pas.

FRÉDÉRIC.

Vous ne m’exilez donc plus ?

WILHELMINE.

Je vous supplie de rester, au contraire… sans vous, que deviendrais-je !

FRÉDÉRIC, à part.

J’ai réussi !…

WILHELMINE.

Vous allez renvoyer ces Français, n’est-ce pas ?

FRÉDÉRIC, à part.

Les renvoyer… non pas ! (Haut.) Il me sera impossible de leur refuser l’entrée de ce château s’ils ont un billet de logement.

WILHELMINE.

Des billets de logement !… je serai forcée de les recevoir ?…

FRÉDÉRIC.

Pendant un mois, peut-être ; c’est le temps qu’ils doivent rester dans ce pays.

WILHELMINE.

Un mois !… oh ! pendant tout ce mois, Frédéric… vous resterez ici…

FRÉDÉRIC, à part.

Allons donc… elle y vient.

WILHELMINE.

Je ne vous laisserai pas partir.

FRÉDÉRIC, à part.

Peste ! elle me mettrait dans du coton, à présent. (Haut.) Allons, je cède… que peut-on vous refuser, baronne… mais ma gouvernante, mon capitaine, qui m’attendent ?…

WILHELMINE.

Écrivez un mot, Hermann le portera… Tenez, là, dans cette chambre… et revenez vite !

FRÉDÉRIC.
Dans une seconde… charmante baronne… (Il lui baise la main ; à part, en sortant.) Oh ! Richelieu, ce tour-là vaut tous les tiens !

Scène V.

CHAMBORD, PASCAL, WILHELMINE ; puis MINA, poursuivie par Chambord.
WILHELMINE.

Je n’ai plus rien à redouter… ce bon Frédéric ! j’avais méconnu la noblesse de ses sentimens.

MINA, en dehors.

Au secours ! au secours !

WILHELMINE.

C’est la voix de Mina !

MINA, entrant.

Oh ! ma bonne maîtresse, nous touchons à notre dernier moment ; les voilà ! les voilà !

CHAMBORD.

Par ici ! par mille tonnerres !

PASCAL.

Pas de quartier, mille z’yeux !… Oùs qu’il est ? nom d’un nom !… Halte-là !…

Il arrête Chambord[5].

WILHELMINE.

Je me meurs !

PASCAL.

Il n’y a que des femmes ici !

MINA, à part.

Qu’est-ce qu’ils vont donc nous faire… mon Dieu !

CHAMBORD.

Des jupons entièrement occupés !… Oh ! oh !… deux petites mères… physique flambard… pommadé… astiqué… prunelles en jais… bouche en cœur, nez pareil… suffit !… Armes, repos !

WILHELMINE.

Comme ils nous regardent !

MINA.

Du courage, madame.

CHAMBORD, à Pascal.

Attention, Pascal, la beauté nous passe en revue ; les cinq doigts et le pouce sur le liséré de la culotte, parade soignée, et balançons la gracieuse.

Il tourne la tête.

MINA, à part.

C’est qu’ils sont très-beaux hommes, ces monstres-là !… Je commence à me rassurer, madame la baronne.

CHAMBORD.

Baronne, excusez… nous sommes donc chez de la noblesse !… Dis donc, Pascal, c’te dame est écussonnée.

PASCAL.

Une aristocrate ! c’est donc ça qu’il y avait tant de sans cérémonie dans la réception !

WILHELMINE.

Croyez bien…

CHAMBORD.

Soignée l’introduction ! des boule-dogues de dix-huit pouces qui s’attaquent au bas de la giberne… merci !

PASCAL.

Les quadrupèdes, passe encore… mais des bales de fusil !

WILHELMINE.

Comment ! ce coup de feu, ce n’est pas vous qui l’avez tiré ?

CHAMBORD.

Nous autres ! joli !

PASCAL.

Tenez, citoyenne, v’là le petit noyau de plomb, je l’ai ramassé dans mon chapeau.

WILHELMINE.

Grand Dieu !

PASCAL.

Un peu plus bas, bonsoir la compagnie… à un autre !

MINA, à part.

J’avais bien visé tout de même.

CHAMBORD.

Aussi, mille tonnerres ! ça ne filera pas en conversation, y aura du grabuge !

PASCAL.

Chambord, pas de gestes, pas de vengeance… ça ferait peut-être pleurer madame, et j’aime pas voir pleurer les femmes, moi.

WILHELMINE.

Bon jeune homme !

CHAMBORD.

Et tu crois que je t’écouterai ! oh je débusquerai le sournois qui t’a envoyé le fruit ci-dessus, et si j’attrape l’indigène, je lui apprendrai le baragouin du sabre, ou la mélodie de la clarinette… Crédieu ! quelle leçon de danse et le cachet gratis !

MINA, s’avançant[6].

Arrêtez ! la personne que vous cherchez, c’est moi !

WILHELMINE.

Mina !

CHAMBORD et PASCAL.

Vous ?

MINA.

Oui, c’est moi qui ai fermé la grille, et c’est encore moi qui ai tiré sur votre camarade.

WILHELMINE.

Ah ! Mina !

CHAMBORD.

En v’là une, d’amazone !

PASCAL, à part.

Pauvre petite ! elle aurait pu se faire du mal !

MINA.

Je n’ai pensé qu’à vous, madame ; mais à présent, j’avoue que je suis contente d’avoir ajusté trop haut.

PASCAL.

Vous aviez donc bien peur de nous ?

CHAMBORD.

Vous croyiez peut-être que nous venons ici pour mettre tout à l’envers… erreur ! nous nous conduirons chez vous comme chez les autres particuliers qui ont déjà eu l’avantage de loger leurs vainqueurs… une place au feu, idem à la chandelle, de la paille pour édredon, le grand air pour brûler le caporal, et voilà !

WILHELMINE, à Mina.

Que nous disait donc Frédéric ?

MINA, à Wilhelmine.

Ils sont doux comme des agneaux… (Haut.) Excusez-nous, messieurs les Français, c’est qu’on nous avait dit de vous des choses… vous ne mettez donc pas tout à feu et à sang ? vous ne videz donc pas toutes les caves ; et vous n’embrassez donc pas de force toutes les femmes ?

CHAMBORD.

Belle Allemande aux yeux châtains, nous ne prenons que les bouteilles et que les baisers qu’on nous donne… encore faut-il que le vin soit bon, et les femmes jolies… comme vous.

MINA.

Il a l’air aimable, ce gros là-bas.

WILHELMINE.

Frédéric nous a trompées.

PASCAL[7].

Vous n’êtes pas encore bien tranquille, madame, je vois ça… si nous pouvions changer de caserne, nous vous débarrasserions de nous… mais pas moyen… cloués ici pour un mois, la valeur de trente jours, mesure de France… v’là les billets de logement.

CHAMBORD.

Où faut-il claquemurer nos individus, bourgeoise ? parlez… obéissance au doigt et à l’œil ; vous êtes not’ chef de file.

PASCAL.

Moins que rien ; un petit taudis, une suspente ; ça nous ira.

WILHELMINE, à part.

Oh ! je n’ai rien à redouter de ces gens-là ! (Haut.) Demeurez ici, je vais vous faire préparer un logement convenable. Mina, tu disposeras le pavillon du jardin.

CHAMBORD.

Un pavillon, rien que ça de monnaie !

WILHELMINE.

Messieurs les Français, vous serez traités au château de Ranspach comme des hôtes, comme des amis.

Elle sort par la droite.

CHAMBORD et PASCAL.

Des amis !

MINA, à part.

Pour commencer, je veux leur faire des lits comme ils n’en ont jamais eu.

Fausse sortie.

PASCAL, à part.

Elle a de ça, cette baronne-là !

Ils ôtent leurs sacs.

MINA, revenant, à Pascal.

Monsieur le troupier, si j’avais mieux visé où vous aurais-je attrapé ?

PASCAL.

Là, juste au milieu du front… mais c’est oublié, mon enfant.

MINA, plus timidement.
Air d’Arwed.
––––Si vous vouliez…
PASCAL.
––––Si vous vouliez… Quoi donc ?…
MINA, encore plus timidement.
––––Si vous vouliez… Quoi donc ?… Hélas ! je n’ose…
PASCAL.
––––Dites toujours, allez, n’y a pas d’affront.
MINA, hésitant.
––––Je veux… je veux… tenez, voilà la chose,
––––Vous embrasser, juste au milieu du front.

Elle l’embrasse.

PASCAL.
––––Charmante enfant !
CHAMBORD, stupéfait.
––––Charmante enfant ! Reine des créatures !…
––––Est-il heureux c’ Pascal ! quel coup d’ soleil !…
––––J’ me f’rais ouvrir sur toutes les coutures
––––Pour qu’on m’ reprise avec du fil pareil !
––––Oui, qu’on m’ déchir’ sur toutes les coutures,
––––Mais qu’on m’ racc’mode avec du fil pareil !
MINA.

Je suis sûre, à présent, que vous ne m’en voudrez plus ; adieu !

CHAMBORD.

Un instant ! et moi, pas un petit… avant la fin de la distribution.

MINA, se sauvant.

Est-ce que je vous ai visé à la tête, vous ?

CHAMBORD, courant après Mina.

Mais tu m’as attrapé au cœur, enchanteresse ! Psit ! glissée dans les doigts comme une anguille !


Scène VI.

CHAMBORD, PASCAL ; puis FRÉDÉRIC.
CHAMBORD, à lui-même[8].

A toi, belle Allemande, à toi met amours… Crédié, Pascal, il me semble que j’ai du trois-six dans les veines, du charbon dans les muscles !

PASCAL.

Assez, assez, Chambord. A compter du quantième ci-inclus, plus de folies… nourris-toi de limonade, bavaroise et autres eaux rougies, à l’effet de battre en brèche ton tempérament de tropique.

CHAMBORD.

Que je me glace, que je me gèle le baromètre ! j’ai de la poudre à canon dans l’estomac, la canicule dans les veines, depuis le baiser qu’elle ne m’a pas donné.

PASCAL.

C’est pas ma faute s’il est tombé là.

FRÉDÉRIC, sortant de la chambre à gauche[9].
Ma lettre est achevée… Le laquais la portera… Ah ! voici les deux soldats, mes auxiliaires.
PASCAL.

Hein !… d’où sort-il donc celui là ?

CHAMBORD.

Dis donc, c’est peut-être le mari de la baronne ?

PASCAL.

Son mari !

FRÉDÉRIC.

Eh bien ! vous avez donc pénétré dans la place, malgré la résistance ?… Je vous félicite, grenadiers !

CHAMBORD.

Est-ce que vous en étiez, de la résistance ?

FRÉDÉRIC.

Moi, l’ennemi des Français !… Mais je suis presque un compatriote… J’ai vécu dix ans à Versailles, à Paris…

PASCAL, avec émotion.

Est-ce que vous êtes l’époux du château ?

FRÉDÉRIC.

Non.

PASCAL, à part.

Ah ! pauvre petite femme, je la plaignais déjà !

FRÉDÉRIC.

Je ne suis que le neveu de la baronne.

CHAMBORD, à part.

Son neveu !… Je l’aurais pris pour son grand-oncle.

FRÉDÉRIC.

Eh bien ! vous l’avez vue, la baronne… Elle vous a fait une singulière réception ; qu’en pensez-vous, mes braves ?

PASCAL.

Si la baronne a eu peur de nous, monsieur, elle est complètement rassurée ; la preuve, c’est qu’elle nous donne pour bivouac un pavillon, rien que ça… au milieu du jardin, avec de l’air autour… un logement de chef de brigade enfin !

FRÉDÉRIC, à part.

Ah ! diable ! ça ne fait pas mon affaire. (Haut.) Oui, le petit pavillon, je le connais… près de l’habitation des lapins.

CHAMBORD.

Hein ?… nous succéderions à de la gibelotte !

FRÉDÉRIC.

Ce prétendu pavillon n’est autre chose que l’ancienne écurie.

CHAMBORD, à Pascal.

Ah çà, mais dis donc…

PASCAL.

Eh ! non… t’as bien entendu tout-à-l’heure, elle nous a appelés ses amis.

FRÉDÉRIC.

Pauvre garçon ! qui ajoute foi au langage d’une grande dame, qui cache sous des paroles doucereuses sa frayeur ou son mépris.

PASCAL et CHAMBORD.

Son mépris !

PASCAL.

Mais cependant elle a recommandé qu’on nous traitât avec toutes sortes d’égards.

FREDERIC.

Oh ! rien ne vous manquera… On vous servira d’excellent vin ; mais il faudra le boire à l’office avec les valets.

PASCAL et CHAMBORD.

Des valets !

FRÉDÉRIC.

C’est oublier un peu trop que vous êtes des héros, et surtout des vainqueurs… La baronne s’expose ainsi à ce que vous l’en fassiez souvenir… Vous en avez le droit ; vous nous avez conquis… tout est à vous, ce château-ci, comme le mien.

CHAMBORD.

C’est vrai, au fait, nous pourrions nous faire servir en maîtres par c’ te baronne qui nous traite comme ses palefreniers.

PASCAL.

Certainement… oui ; mais s’attaquer à une femme qui n’a pour toute garnison que trois invalides et deux caniches… Oh ! ça serait une lâcheté, Chambord.

FRÉDÉRIC.

Et de plus, un mauvais calcul peut-être.

CHAMBORD et PASCAL.

Hein ! que voulez-vous dire ?

FRÉDÉRIC.

Si la baronne est fière et hautaine, elle est riche, très-riche… et, si vous êtes bien sages, bien humbles, elle vous fera peut-être jeter quelques pièces d’or par sa camériste.

PASCAL.

De l’or, à nous !… Vous nous insultez, monsieur.

FRÉDÉRIC.

Je vous ai déjà dit que j’agissais tout autrement… Je déjeune avec mes vainqueurs, moi… je ne les envoie pas à la cuisine.

CHAMBORD.

Décidément, Pascal, c’te grande dame veut nous mécaniser !

PASCAL.

Ça en a tout l’air.

FRÉDÉRIC, à part.

Les voilà bien préparés, employons mon dernier argument.

CHAMBORD.

Il n’est pas permis, quand on est baronne et jolie, de ravaler des hommes au point de…

Frédéric jette une bourse dans un chapeau.

FRÉDÉRIC, à part.

Ou je me trompe fort, ou nous allons voir un beau tapage tout-à-l’heure.

Il sort par le fond.


Scène VII.

CHAMBORD, PASCAL[10].
CHAMBORD.

Mille z’yeux ! nous allons nous en donner !… (Il prend son chapeau, et fait tomber une bourse.) Qu’est-ce que c’est que ça ?… un boursicot

PASCAL.
De l’or !
CHAMBORD, l’ouvrant.

Oh ! quel rassemblement de noyaux de pêches ! Ah çà, mais… c’ te bourse n’est pas tenue là toute seule dans mon chapeau.

PASCAL.

Attends… si c’était…

CHAMBORD.

Le squelette de tout-à-l’heure… pus souvent !

PASCAL.

Cette petite Allemande qui est restée après la baronne… c’est ça… c’est ça même !… Le vieux sec avait raison… Cette bourse, vois-tu, c’est une aumône pour nous deux… Oh ! c’est une insulte !

CHAMBORD.

Si c’est pour nous faire rester tranquilles, le moyen est fameux… Mille tonnerres ! le château n’a qu’à ben se tenir… et la petite Allemande aussi !… Je me vengerai sur tous les deux… Je vas commencer par la petite Allemande… Donne-moi le magot.

PASCAL.

Non, laisse-moi cette bourse… Je veux dire moi-même à c’te baronne tout ce que j’ai sur le cœur.

CHAMBORD[11].

Justement… v’là son altesse qui vient par ici… Allons, de l’énergie, Pascal… détaille-lui son fait… Moi, j’ vas chanter une gamme à la Bavaroise qui a fait la commission.

Air du Prodige de la Chimie.
––––Pas de piquet, de pipe, ni de drogue,
––––Avant d’avoir rendu cet or maudit !…
––––Invite-la surtout par ton dialogue
––––A respecter désormais notre habit.
–––––––––Je file au pas d’ course,
–––––––––Campe-lui sa bourse,
–––––––––Faut la savonner !
––––––Elle a voulu nous écorner !
–––––––––Au soldat un’ femme
––––––––Donner de l’or !… j’ la blâme !
–––––––––Quand ell’ peut offrir
––––––Tant d’aut’s choses qui f’raient plus d’ plaisir !
TOUS DEUX.

Pas de piquet, de pipe, etc.

Chambord sort par le fond.


Scène VIII.

PASCAL, WILHELMINE, entrant par la droite[12].
PASCAL.

La voici… A nous deux !

WILHELMINE.

Monsieur, j’ai donné l’ordre qu’on vous servit quelques flacons de Johannisberg, que vous viderez, j’espère, en buvant à ma santé.

PASCAL, à part.

C’est ça… à l’office. (Haut.) Baronne, faites excuse ; mais nous n’acceptons pas.

WILHELMINE.

Un refus !… et pourquoi ?

PASCAL.

Pardon, madame ; mais je suis un soldat de la république, et je ne peux pas souffrir…

WILHELMINE.

Ah ! je comprends… votre fierté plébéienne se révolte à la pensée de répondre à une offre faite par une femme titrée… Mais que vous ont donc fait à vous ces nobles que vous haïssez tant ?

PASCAL.

Ce qu’ils m’ont fait ?…

WILHELMINE.

Oh ! vous êtes égaré comme tant d’autres ; mais cette noblesse proscrite, persécutée, ou l’accable, on la calomnie.

PASCAL.

La calomnier !… Oh ! ne dites pas cela !

WILHELMINE.

Ce trouble… cette émotion…

PASCAL.

Ne faites pas attention, madame… Sans le vouloir, vous avez réveillé là un ancien souvenir !…

WILHELMINE.

Et ce souvenir ?…

PASCAL.

Ah ! c’est bien ordinaire, bien commun… Ça vous ferait peut-être rire, vous qui êtes baronne.

WILHELMINE.

Dites-moi…

PASCAL.

Pourquoi m’interrogez-vous ?… Quel intérêt une grande dame peut-elle prendre à un soldat ?… Il y a tant de distance entre nous !

WILHELMINE

Ah !…

PASCAL.

Après tout, madame je vous remercie de m’avoir adressé cette question… Je vais y répondre tout au long… et peut-être qu’après m’avoir entendu, vous aurez regret de ce que vous avez fait.

WILHELMINE.

Moi ?…

PASCAL.

En 1767… ça remonte un peu haut… il y avait à Paris une pauvre jeune fille, orpheline de père et de mère… Elle était sans appui, sans protecteur… et, pour son malheur, elle était jolie…

WILHELMINE.

Continuez.

PASCAL.

C’était une ouvrière… mais cette ouvrière avait le cœur d’un ange… Un jour… un grand seigneur, avec des titres, des écussons, aperçut la pauvre petite, la trouva pas mal, et l’enleva… Le lendemain, il la fit reporter dans sa mansarde par ses valets… Il lui envoya de l’or… La jeune fille le refusa… Puis, se trouvant seule avec sa misère et son déshonneur, la pensée lui vint d’en finir avec le chagrin… Mais elle vécut encore, madame.

WILHELMINE.

Elle vécut !

PASCAL.

Elle le devait : elle était mère !… Quelque temps après, elle prit le chemin de l’hôtel du grand soigneur, avec son pauvre innocent dans ses bras… Le grand seigneur la fit chasser !

WILHELMINE.

Oh !

PASCAL.

Elle écrivit… jamais de réponse… Alors elle se sacrifia pour son fils, qu’elle voulait élever. Pas de fêtes, pas de dimanches… le travail le jour, le travail la nuit… Il fallait bien qu’elle trouvât du pain, et c’était tout ce qu’elle pouvait donner à son enfant… Pas d’éducation ; car l’éducation, ça coûte cher !… Enfin des années s’écoulèrent ; puis ce fut le tour du fils à aider sa mère… Souvent l’ouvrage n’arrivait pas ; l’hiver était rude… et alors, quand il faisait bien nuit, le cœur gros, le front rouge, il mendiait !…

WILHELMINE.

Ah !…

PASCAL.

Un jour, que le fils et la mère étaient réunis, un grand remue-ménage eut lieu dans la rue… On était en 93… un homme s’élance dans la petite chambre… c’était un noble, un proscrit… et ce jour-là, le grand seigneur, l’ouvrière et son fils se trouvèrent ensemble pour la première fois.

WILHELMINE.

Que fit-elle ?… Elle se vengea peut-être ?

PASCAL.

Oui, madame, elle se vengea… en lui donnant un asile, la moitié de son pain… et elle travailla encore plus fort ; car elle lui avait pardonné, la pauvre femme !

WILHELMINE.

Oh ! c’est beau, cela !

PASCAL.

Quinze jours après, il y avait foule au tribunal révolutionnaire… On devait juger, en vertu de je ne sais quelle loi, un noble et une femme qui avaient donné asile à l’émigré.

WILHELMINE.

Grand Dieu !… mais elle fut acquittée ?

PASCAL.

Le même soir, madame, un pauvre jeune homme suivait la charrette en silence… Il accompagnait sa mère, qui ranimait encore le courage du grand seigneur.

WILHELMINE.
Air : Soldats Français né d’obscurs laboureurs.
––––Quoi ! l’échafaud, la mort pour tous les deux
PASCAL.
––––Le fils voulait, dans sa douleur amère,
––––Mourir aussi… mais on fit à ses yeux
––––Briller une arme…
WILHELMINE.
––––Briller une arme… Il put venger sa mère ?
PASCAL.
––––Un cri soudain arriva jusqu’à lui,
––––Il dut, madame, oublier sa vengeance,
––––Une autre mère implorait son appui,
––––D’autres bourreaux la menaçaient aussi….
WILHELMINE.
––––Et cette mère ?…
PASCAL.
––––Et cette mère ?… Était la France :
––––Ma mère, à présent, c’est la France !
WILHELMINE.

Quoi ! vous seriez… ?

PASCAL.

Je croyais que vous l’aviez deviné, l’enfant de l’ouvrière et du grand seigneur.

WILHELMINE.

Brave jeune homme !… Ah ! que ne puis-je vous prouver tout mon intérêt, toute mon estime….

PASCAL.

Vot’ estime… Il y a un moyen… et le v’là… C’est de reprendre cette bourse que vous avez oubliée ce matin.

WILHELMINE.

Cette bourse… que voulez-vous dire ?

PASCAL.

Que vous nous avez mal jugés, madame.

WILHELMINE.

Vous donner de l’or !… jamais une telle pensée…

PASCAL.

C’est pas vous ?… ah ! tant mieux !… Mais qui donc s’est avisé… ?

WILHELMINE.

Voyons cette bourse… Elle est brodée aux armes de Frédéric de Spelberg.

PASCAL.

Un petit mince, c’est ça… Il voulait nous monter la tête, nous pousser au bruit… à l’oubli de nos devoirs.

WILHELMINE.

Il voulait ainsi m’obliger à réclamer son appui, et je l’eusse acheté au prix de ma main.

PASCAL.

Comment ! vous vouliez épouser… ?

WILHELMINE.

Oh ! je ne serai jamais à lui !

PASCAL.

Bien sûr ?… (À part.) Je ne sais pas pourquoi ; mais ça me fait plaisir !

WILHELMINE.

Il sortira du château aujourd’hui… tout-à-l’heure…

PASCAL.

Vous ne nous craignez donc plus ?

WILHELMINE.

Oh ! c’est vous qui me protégerez, à présent !

Elle lui tend la main et la baise.

PASCAL.

Ah ! madame !…

WILHELMINE.

Le voici !


Scène IX.

PASCAL, WILHELMINE, FRÉDÉRIC[13].
FRÉDÉRIC.
Ah ! charmante petite tante !… (À part.) Elle va me sauter au cou.
WILHELMINE.

Encore vous, monsieur ?

FRÉDÉRIC, surprit.

Plaît-il ?

WILHELMINE.

Je suis surprise, monsieur, de vous retrouver ici.

FRÉDÉRIC.

Hein !… Ah çà, voyons donc, baronne… faisons-nous une charade… un logogriphe ?

WILHELMINE.

L’heure s’avance, monsieur… il y a quelque distance d’ici à votre château.

FRÉDÉRIC.

Hein !… mon château !… Mais c’est le vôtre qui est le mien, du moins pour quelque temps ; vous l’avez voulu.

WILHELMINE.

J’en conviens… Mais pourquoi vous ai-je fait cette prière ?

FRÉDÉRIC.

Vous vous le rappelez parfaitement, et il est inutile de vous répéter…

WILHELMINE.

Puisque vous vous taisez, je parlerai, moi… Vous êtes resté pour me protéger contre les insultes des soldats français.

PASCAL.

Il a dit cela ?

FRÉDÉRIC[14].

Non, non, pas précisément.

WILHELMINE.

Ce sont vos propres paroles… Vous avez flétri le noble caractère de mes hôtes en leur prêtant des pensées que vous seul avez pu concevoir.

FRÉDÉRIC, à part.

Elle sait tout !

WILHELMINE.

Et comme la loyauté de ces braves gens allait renverser vos projets, vous avez cherché à les corrompre.

FRÉDÉRIC.

Madame…

WILHELMINE.

Voici votre bourse, monsieur ; elle est brodée à vos armes et à votre chiffre.

FRÉDÉRIC.

Eh bien ! oui, baronne, j’avoue ma faute, mon crime, si vous voulez ; mais ne pardonnerez-vous rien à l’excès de mon amour ?

WILHELMINE.

Votre amour… ce matin, je vous voyais avec indifférence… à présent…

FRÉDÉRIC.

Baronne…

WILHELMINE.

Une plus longue explication serait inutile.

FRÉDÉRIC, à part.

Un moment !… nous ne nous quitterons pas ainsi !

WILHELMINE, sonnant ; un valet parait au fond.

Monsieur Frédéric avait renvoyé sa voiture mais une affaire indispensable le rappelle à Spelberg, faites à l’intant seller un de mes chevaux.

FRÉDÉRIC.

Mais…

WILHELMINE.

Robert, conduisez M. le baron.

FRÉDÉRIC.

Mais, baronne, je ne m’en irai pas comme ça.

PASCAL.

Monsieur le baron veut-il que je l’accompagne ?

FRÉDÉRIC.

Eh ! monsieur ! (A part.) Oh ! pardieu, ma belle tante, je ne passerai pas cette nuit sur la route. (Ici Frédéric jetant un coup d’œil sur la porte de droite s’empare de la clef, tandis que Wilhelmine adresse quelques mots, bas, à Pascal. Haut.) Au revoir donc, baronne. (A part.) O Richelieu, inspire-moi !

Il sort.

PASCAL.

Tenez, madame, les épaulettes de capitaine ne me feraient pas autant de plaisir que le départ de ce sournois-là !

WILHELMINE.

Monsieur Pascal, je vous ai dit tout-à-l’heure que je vous chargerais de veiller sur moi. Cette nuit, vous occuperez avec votre ami cette chambre qui est voisine de mon appartement.

PASCAL.

Loger là !… si près de vous !… mais vous nous traitez comme des généraux en chef !

WILHELMINE.

Entrez, examinez vous-même si rien ne vous manque…Bonsoir, monsieur Pascal, à demain.

Wilhelmine entre dans la chambre à droite et, Pascal dans la sienne, à gauche.

PASCAL, en sortant.

C’est un ange que cette baronne-là !


Scène X.

PASCAL ; puis CHAMBORD, entrant par le fond.
CHAMBORD.

Ah ! ah ! ah !… enlevé d’assaut !… une, deux, la taille dans les index… puis le baiser militaire, en appuyant… mais rien qu’un, pas plus… filée comme une étoile qu’a fait son temps. Oh ! c’est fini, je suis amorcé, harponné… je passe aux Allemandes… enfoncée Margoton, cantinière de la demi-brigade… pour le mois courant, je me désabonne.

Air nouveau de M. Hoffenbach :
–––––––––––Margoton,
–––––––––––Ma Junon,
–––––––––––N, i, ni,
–––––––––––Ton fifi
––––––––––Bat en retraite,
––––––––––Plus d’amourette :
––––––––––Tout est fini.
––––––Mon cœur danse la galopade
––––––Quand je pense au minois all’mand
––––––Qu’a roussi tout mon fourniment,
––––––Et mon grand r’ssort bat la chamade !
––––––Pour toi, ma sultane, ma biche,
––––––J’ f’rais une grand’ compot’ d’Autrichiens,
––––––J’avalerais dix-huit Prussiens,
––––––D’ la vieille choucroûte et du stokfiche
–––––––––––Margoton, etc.
––––––––Pour ton œil colossal
––––––––Mon cœur s’ra de métal,
––––––––Ton tonneau, grand bocal,
––––––––De trois six pectoral,
–––––––Peut chercher, ça m’est égal,
–––––––––––Un autre local
–––––––Que mon estomac frugal,
––––––Qui dit : Bernique au cordial !

Sur la fin du couplet, Pascal est sorti de sa chambre.

PASCAL[15].

Ah ! pardieu ! c’te baronne est la meilleure comme la plus belle des femmes !

CHAMBORD.

Ah ! te voilà, Pascal… touche là, mon vieux ! j’ai eu mon baiser, nous sommes manche à manche. D’où viens-tu ?

PASCAL.

De visiter notre chambre à coucher.

CHAMBORD.

Ça n’est donc pas l’écurie ?

PASCAL.

Ah ! bah ! la baronne nous estime pour ce que nous valons… cet or ne venait pas d’elle, mais du bavard de tout-à-l’heure.

CHAMBORD.

Lui ! c’t’oiseau !

PASCAL.

Et, c’t’or-là, c’était pour payer le tapage que nous aurions fait ici.

CHAMBORD.

Jour de Dieu !

PASCAL.

Afin d’avoir l’air de la protéger contre nous, et d’arriver en douceur à épouser.

CHAMBORD.

Lui ! ce sapajou-là !… qui pourrait faire la fortune d’un marchand de curiosités… Où est-il ? je vas le casser.

PASCAL.

Chut ! et l’ordre du jour !

CHAMBORD.

Fichtre ! c’est vrai, fusillé en deux temps, pour une taloche adressée par un militaire à un indigène.

PASCAL.

Tiens, ne pensons plus à cet animal-là : songeons à elle, si bonne, si jolie ; elle est là, dans sa chambre… et dis donc Chambord, voici la nôtre.

CHAMBORD[16].

Vrai ! (Poussant la porte de la chambre.) Dieu ! l’amour de local !… et c’est là notre chambre ? on devrait fabriquer toutes les casernes sur ce modèle-là. Oh ! eh ! Pascal !… mais reluque donc, mon bon homme ; est-ce que t’oseras poser ton crâne sur ce lit-là, toi ?… Soigné le portefeuille… une pyramide, un vrai belvéder ; faut monter à l’assaut pour se coucher.

PASCAL, avec émotion.

C’est à la baronne que nous devons tout cela, Chambord.

CHAMBORD.

Oh ! baronne des baronnes !… je te suis dévoué, ainsi que tout mon fourniment, et si jamais je repasse par ici, je te prouverai mon estime en venant reloger chez toi… Approuvée la motion, n’est-ce pas, Pascal ?

PASCAL.

Oh ! quant à moi, j’aurais peut-être été ben heureux de ne jamais mettre les pieds ici.

CHAMBORD.

Hein ! qu’est-ce qui te passe donc dans la boule à toi ? Oh ! fameux ! v’là ma bergère !


Scène XI.

Les Mêmes, MINA, un panier de vin à la main et un flambeau.

Chambord court à elle et lui prend la taille.

MINA, se débattant.

Eh bien ! finirez-vous ?

Elle lève la main.

CHAMBORD.

Allez toujours ! v’là l’enclume… je rendrai ça aux Allemands avec les intérêts.

MINA, portant les bouteilles sur la table à gauche.

Vous allez me faire casser mes bouteilles ! et je ne redescendrais pas à la cave.

CHAMBORD.

Nous irions ensemble, biche des bois.

MINA.

Merci ; bonsoir, messieurs, bonne nuit !

CHAMBORD[17]. Est-ce qu’on peut dormir quand on est amoureux ?

Il lui prend la taille.

Air d’une Vengeance de modistes.
–––––––––––Ton œil noir
––––––––––Est de mon cœur
–––––––Le grand maître et le seigneur ;
–––––––––––Douce amie,
–––––––––––En Turquie,
––––––Je te jetterais le mouchoir.
––––––––Un baiser, bayadère,
––––––De toi je veux un souvenir.

Il la presse vivement.

MINA, lui donnant un soufflet.
––––––––Tenez, beau militaire,
––––Voici tout c’ que j’peux vous offrir.
CHAMBORD, tenant sa joue.
––––––Oh ! très-bonne la giroflée !
ENSEMBLE.
–––––––––––Ton œil noir, etc.
MINA.
–––––––––––Mon œil noir
––––––––––Est de son cœur
–––––––Le grand maître et le seigneur !
–––––––––––Qu’il expie
–––––––––––La folie
––––––D’oublier ainsi son devoir.

Elle sort par le fond.


Scène XII.

CHAMBORD, PASCAL[18].
CHAMBORD.

Oh ! elle a de la poudre dans les jambes et au bout des doigts, la Bavaroise… Enfin, taisez-vous, peines de l’ame… et en avant le petit-lait consolateur. (Il prend plusieurs bouteilles, les met sur la table avec des verres.) Hum ! quel fumet !… Pascal, goûte-moi ça, mon lapin !

PASCAL.

Merci, Chambord, merci, j’ai pas soif.

CHAMBORD.

Pas soif, en v’là une maladie méprisable !

Il boit.

PASCAL, à part.

Une fois que je serai parti, elle ne pensera plus moi.

CHAMBORD.

Hum ! il a un goût allemand ce vin-là ; il vous échauffe drôlement les parois du bâtiment : fais donc sa connaissance, Pascal.

PASCAL.

Non, laisse-moi tranquille.

CHAMBORD. Je te taquine, monsieur belle-humeur… ça t’indispose de choquer avec l’amitié : suffit… je lampe tout seul. (Il boit.) Ah ça, voyons, qué qu’t’as, Pascal ? t’es pas dans ton écuelle de tous les jours.

PASCAL, avec effort, s’approchant de la table à gauche.

J’ai… tiens, donne-moi à boire.

Il s’assied.

CHAMBORD, s’asseyant.

Allons donc, une aune de velours non épinglé, servi bonne mesure : voilà !

PASCAL.

Mon bon Chambord, j’ai…

CHAMBORD.

Quoi ?

PASCAL.

J’ai… que je suis pris !

CHAMBORD.

Ah ! bah ! comme moi !

PASCAL.

Oh ! pas légèrement, vois-tu ? mais d’aplomb, solidement !

CHAMBORD.

Quelle idée ! pauvre Pascal, j’y suis ! la petite Allemande… et moi, sans cœur, je traînais mes guêtres sur tes amours… mais sois tranquille, ni une, ni trois, je m’immole, je m’exécute ; ami, sans toi, au passage du Rhin, je filais l’arme à gauche… service pour service ; touche-là ! c’est fini, j’enraie !

PASCAL.

Merci ! mais ce n’est pas celle-là !

CHAMBORD.

Laquelle donc ?

PASCAL.

Tu vas me croire fou ; celle que j’aime pour la vie, entends-tu bien, c’est…

CHAMBORD.

C’est ? (Pascal, sans rien dire, montre la chambre de la Baronne. Chambord, laissant tomber son verre.) La baronne !

PASCAL.

Oui, c’est elle ! Oh ! je sais qu’autant vaudrait être amoureux de la reine de Prusse ; mais que veux-tu ? ça n’est pas ma faute : ce matin elle m’a plu tout de suite, et depuis, j’en perds la tête !

CHAMBORD.

Un instant, pas de bêtises, Pascal ; faut donner congé du château avant le terme ; adieu, la belle Allemande, la bonne choucroûte, le bon vin et les lits mollets. Il faut sauver le moral avant de soigner le physique ; prends ton sac, partons !

Il se lève.

PASCAL, se levant et faisant rasseoir Chambord.

Partir ! non ! je veux rester. (Il s’assied.) Je sais bien que c’est de la folie, un soldat aimer une baronne ! et encore un soldat pas beau du tout !

CHAMBORD.

Ah ! si le physique pouvait se prêter.

PASCAL.

De plus, je parle mal, j’ai mauvais genre ; je sais lire et écrire, et v’là tout… mais ce n’est pas là une éducation… oh ! je ne veux pas qu’elle se’ moque de moi ; je ne lui dirai rien, je cacherai ct’amour que le diable m’a envoyé ; je n’en parlerai qu’à toi, à toi seul.

CHAMBORD.

C’est ça, à moi seul, jamais à elle.

PASCAL.

Pourtant je lui dirai un jour.

CHAMBORD.

Un jour… oui, faudra lui dire un jour.

PASCAL.

Le jour où je serai nommé général.

Il se lève.

CHAMBORD.

Général ! Ah ! malheureux ami, il est toqué !

PASCAL.

Un général, Chambord, ça vaut mieux qu’un noble… car c’est à la bouche du canon qu’il gagne ses épaulettes ; c’est là que j’irai chercher les miennes.

Air : Vaudeville de Préville.
––––Je veux aller sous les feux ennemis
––––Chercher la mort ou conquérir un grade.
CHAMBORD, se levant.
––––Eh ! bien, Pascal, nous n’sommes donc plus amis ?
––––Tu n’me planteras pas là, moi, ton vieux camarade,
––––Je te suivrai, comme on suit son drapeau,
––––Et si l’brutal veut une de nos têtes,
––––Nous partagerons entre nous le gâteau,
––––J’prendrai l’ boulet, t’auras les épaulettes ;
––––A moi l’boulet, pour toi les épaulettes.

L’arrangement te va, n’est-ce pas ? Eh ben, c’est entendu ; mais ne te monte pas la coloquinte comme ça, et viens te coucher.

PASCAL, sans l’écouter.

Vois-tu, Chambord, je reviendrai avec mon titre, ma gloire, mon amour, et je lui dirai : V’là bien long-temps que je vous aime, en dedans, pour moi tout seul ; je n’ai voulu revenir que quand je serais digne de vous, me v’là ! et si elle trouve que ce n’est pas assez… eh bien, je retournerai là-bas, gagner quelque chose de plus.

CHAMBORD, à part.

Encore quelque petite chose de plus ! comme il y va ! ça ne lui coûte rien du tout !

PASCAL.

Et elle m’épousera, Chambord, elle m’épousera ! si t’étais baronne, toi, t’épouserais bien un général, n’est-ce pas ?

CHAMBORD.

Moi ! j’épouserais même un caporal, s’il était bel homme ! Viens te coucher.

PASCAL.

Non, je veux rester ici, je suis encore plus près d’elle.

CHAMBORD.

Puisque tu ne veux pas taper de l’œil moi, de mon côté, je vas me livrer à une passion désordonnée, je vas fumer ma pipe, là, dans le jardin, pour ne pas trop encenser ta baronne. Je suis sûr que la petite Allemande aime l’odeur du tabac : si je pouvais la rencontrer, si elle pouvait être somnambule, cré coquin ! quel réveil je lui ménagerais !

Il sort par le fond en chantant :

––––Margoton, etc.

Scène XIII.

PASCAL ; puis FRÉDÉRIC.
PASCAL.

Il me croit fou, il a raison : la gloire, les honneurs à moi ! Est-ce que je deviendrai jamais quelque chose ? Où sont mes amis, mes protecteurs ? je n’ai que mon courage, et quand même j’arriverais à un grand échelon, il faut du temps ; les généraux, ça ne pousse pas comme des champignons, et pendant que je me battrai, peut-être qu’un autre… oh ! non, non, elle n’épousera personne ! elle m’attendra, je me dépêcherai… Allons, rentrons !

Il entre dans sa chambre à gauche en emportant le flambeau. Obscurité.

FRÉDÉRIC, poussant la fenêtre de droite.

Ah t enfin ! tout le monde dort ; je me suis rappelé que ce balcon était peu élevé.

PASCAL, sortant de sa chambre.

Non ! je ne peux pas tenir en place.

FRÉDÉRIC.

Allons, il faut brusquer ce mariage, ou je suis ruiné !

PASCAL.

J’entends du bruit.

FRÉDÉRIC, allant à la porte de droite.

L’obscurité me favorise ; heureux mortel ! m’y voici !

PASCAL, le saisissant.

Pas encore !

FRÉDÉRIC.

Un de mes soldats !

PASCAL.

Le baron !… misérable !

FRÉDÉRIC.

Ne serrez pas si fort !… j’étouffe, je désire descendre.

PASCAL.

Oh ! tu descendras plus vite que tu n’es monté !

FRÉDÉRIC.

Pas de plaisanterie.

PASCAL.

Quinze pieds de haut, tu ne te tueras pas.

FRÉDÉRIC.

Au secours !

PASCAL, le poussant.

Infâme !…

La sonnette de la grille s’agite, le bruit va crescendo.


Scène XIV.

PASCAL, WILHELMINE, puis CHAMBORD[19].
WILHELMINE, sortant de sa chambre.

Ces cris… ce bruit… ce tumulte… qu’y a-t-il ? qu’avez-vous fait ?

PASCAL.

Rien, madame, rien !

WILHELMINE.

Expliquez-vous !

PASCAL.

Un homme allait s’introduire dans votre appartement à l’aide de cette clef ; je la lui ai arrachée… la voilà. Cet homme était entré par cette fenêtre ; je lui ai fait reprendre le même chemin pour sortir… voilà tout.

WILHELMINE.

Oh ! mon Dieu !

CHAMBORD, accourant par le fond[20].

Pascal ! Pascal !…

WILHELMINE.

Qu’y a-t-il ?

CHAMBORD.

T’entends donc pas ce bruit ?… ces crosses de fusil !

PASCAL.

Eh bien ?

CHAMBORD.

C’est la ronde du capitaine ; il passait devant le château, a entendu les cris du petit maigre, et l’a vu faire le saut périlleux !

WILHELMINE.
Qui donc était-ce ?
CHAMBORD.

Eh ! pardieu ! vot’ neveu, vot’ oncle, vot’ grand-père !…

WILHELMINE.

Frédéric !… il s’est tué !…

CHAMBORD.

Eh non… il en sera quitte pour deux douzaines de bosses entourées de cataplasmes… mais en se relevant il a tout dit au capitaine ; il a demandé justice, et l’ordre du jour est formel, tu le sais… voies de fait… fusillé !

WILHELMINE.

Fusillé !… lui, Pascal !… à cause de moi ! CHAMBORD, allant à la fenêtre de droite. Une sentinelle ! plus moyen de jouer des jambes !

PASCAL, allant à la fenêtre.

Grand Dieu !

CHAMBORD.

Ah !… cette chambre !…

WILHELMINE.

C’est la mienne.

PASCAL, s’arrêtant.

La vôtre ?

WILHELMINE.

Entrez ! entrez ! et cachez-vous !… (Pascal entre à droite.) A tout prix, je veux le sauver !


Scène XV.

CHAMBORD, WILHELMINE, FRÉDÉRIC, MINA, LE CAPITAINE, Soldats.
FINAL de M. Offenbach.
ENSEMBLE.
CHAMBORD.
––––––––––Que faire ? hélas !
––––––––––Quel embarras !
–––––––En tous lieux ils vont sur l’heure
–––––––Visiter cette demeure ;
––––––––––A nos soldats
–––––––Pascal n’échappera pas !
LE CAPITAINE et FRÉDÉRIC.
––––––––––Soldats, soldats,
––––––––––Suivez mes pas.
–––––––En tous lieux il faut sur l’heure
–––––––Visiter cette demeure ;
––––––––––Allons, soldats,
–––––––Qu’il ne vous échappe pas !
WILHELMINE et MINA.
––––––––––Que faire ? hélas !
––––––––––Quel embarras !…
–––––––En tous lieux ils vont sur l’heure
–––––––Visiter cette demeure ;
––––––––––À ces soldats
–––––––Pascal n’échappera pas !
FRÉDÉRIC, au capitaine.
––––Le scélérat ne peut s’être échappé !
––––Vous vengerez un seigneur écloppé…
WILHELMINE, à part.
––––Il est perdu !…
CHAMBORD, à part.
––––Il est perdu !… Perdu Pascal…
WILHELMINE, à part.
––––Il est perdu !… Perdu Pascal… Que faire ?…
CHAMBORD, à part.
––––Mais je suis là, moi, son ami, son frère…

Haut et s’avançant près du capitaine.

––––Celui qui cause aujourd’hui tant d’émoi
––––Est devant vous !
WILHELMINE.
––––Est devant vous ! Que dit-il ?…
CHAMBORD.
––––Est devant vous ! Que dit-il ?… Oui, c’est moi…
WILHELMINE, bas à Chambord.
––––––––––Que faites-vous ?
CHAMBORD, de même.
––––––––––Trompons-les tous,
––––––––J’lui dois mes jours à lui,
––––––––Je m’acquitte aujourd’hui ;
––––––––Vous lui direz demain
––––––Qu’ je m’ suis souv’nu des bords du Rhin.
FRÉDÉRIC.
––––––Capitaine, il me faut sa tête.
LE CAPITAINE.
––––––Emmenez-le.
MINA.
––––––Emmenez-le. Ciel ! on l’arrête.
CHAMBORD, aux soldats qui s’approchent pour l’arrêter.
––––––Emmenez-le.Inutile, je vous suivrai.
––––Adieu, vous tous, adieu, France chérie.
WILHELMINE, à Mina.
––––Quoi ! pour Pascal il va donner sa vie.
MINA, à Wilhelmine.
––––––––Moi, je le sauverai.
REPRISE.
CHAMBORD.
––––––––––Partons, soldats.
––––––––––Je suis vos pas…
–––––––Marchons vite, il faut sur l’heure
–––––––Sortir de cette demeure ;
––––––––––Chambord là-bas
–––––––D’vant la mort n’ tremblera pas !
FRÉDÉRIC et LE CAPITAINE.
––––––––––Partons, soldats,
––––––––––Suivez mes pas…
–––––––Sortons de cette demeure,
–––––––Il faut l’emmener sur l’heure ;
––––––––––Allons, soldats ;
–––––––Qu’il ne vous échappe pas !
WILHEMINE, à Mina.
––––––––––À ces soldats
––––––––––Chambord, hélas !
–––––––Se livre, et de ma demeure,
–––––––On veut l’arracher sur l’heure ;
––––––––––Va, suis ses pas,
–––––––Que Chambord ne meure pas !
MINA.
––––––––––À ces soldats
––––––––––Chambord, hélas !
–––––––Se livre, et d’ cette demeure,
–––––––On va l’entraîner sur l’heure ;
––––––––––Mais j’ suis ses pas,
–––––––Et je l’ jure, il n’ mourra pas.
FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME.

Le théâtre représente la même salle qu’au premier acte ; mais l’ameublement est renouvelé.

PERSONNAGES. ACTEURS.
CHAMBORD (44 ans), M. Achard.
PASCAL (48 ans), M. Leménil.
FRÉDÉRIC DE SPELBERG (68 ans) M Grassot.
WHILHELM DE RANSPACH (18 ans) Mlle Pernon.
MINA (35 ans) Mme Leménil.
LEHNA DE SPELBERG Mlle Joséphine.
Invités, Valets, etc.

Scène PREMIERE.

SEIGNEURS, puis FRÉDÉRIC et WILHELM, LEHNA, LE BARON.
CHŒUR.
Air du Fidèle Berger.
––––––La noblesse du voisinage
––––––Vient assister au mariage ;
––––––En ces lieux nous accourons tous,
––––––Pour fêter les jeunes époux.
LE BARON[21].

Merci, mes chers amis… merci mille fois de vous être rendus à mon invitation… Permettez-moi de vous présenter l’unique rejeton de la noble famille de Ranspach… le fils de cette pauvre Wilhelmine, qui n’a pas même reçu les premières caresses de son enfant ; vous le voyez, c’est tout le portrait de sa mère… vous savez tous que c’est mon futur gendre.

WILHELM, lui prenant la main[22].

Mon bon tuteur, je vous devrai le bonheur de ma vie.

LE BARON.

Nous ne me devrez rien… ce mariage ne comble-t-il pas tous les vœux de ma petite Lehna, qui sera toute heureuse et toute fière lorsque ce soir on l’appellera baronne de Ranspach !…

LEHNA.

Excellent père !…

LE BARON.

Mme de Spelberg, ma femme, désirait aussi ce mariage… la première, elle s’est aperçue de votre amour pour ma chère Lehna et, malgré l’indisposition qui la retient à Spelberg… elle a voulu que le jour de votre sortie du collége de Munich fût celui de la célébration de votre mariage… La signature du contrat aura donc lieu dans quelques heures, et nous quitterons demain votre château pour retourner à Spelberg… Ainsi, Wilhelm, vous avez toute cette journée pour faire connaissance avec le manoir de vos ancêtres… Maintenant, mes amis, liberté toute entière… en attendant l’heure du déjeuner… la bibliothèque et le parc sont à votre disposition.

REPRISE DU CHŒUR.

Ils sortent.


Scène II.

FRÉDÉRIC, WILHELM.
WILHELM.

Me voici donc enfin dans le château de ma mère !

FRÉDÉRIC.

Oui, mon ami, vous y êtes. Mais qu’avez-vous donc ? ce trouble… cette agitation… je ne vous comprends pas.

WILHELM.

Puis-je revoir sans émotion… ces lieux autrefois habités par elle ?… Rien n’est changé dans le parc, n’est-ce pas ?… rien n’est changé ?

FRÉDÉRIC.

Les arbres sont intacts, ils n’ont fait que croître et embellir… le château, qui depuis dix-huit ans n’avait pour hôte que le concierge, vient d’être restauré sur toutes ses faces, sauf une seule pièce.

WILHELM.

Laquelle !

FRÉDÉRIC.

La chambre de votre mère.

WILHELM.

La chambre de ma mère merci, mon cousin, merci pour la bonne pensée que vous avez eue de respecter cette chambre. Je vous étonne, n’est-ce pas ? vous ne pouvez concevoir un tel amour pour celle que je n’ai jamais connue… ah ! c’est qu’au collége de Munich, quand j’entendais mes camarades parler de leur mère, quand je les voyais si heureux de leur amour, je reprochais à Dieu de m’avoir enlevé la mienne.

FRÉDÉRIC.

Le ciel ne vous pas donné en moi un bon parent, un excellent tuteur ?… Quand arrivaient les vacances, je vous les faisais passer ou dans une de vos fermes, ou bien encore chez moi, où vous aviez pour seconde mère Mme de Spelberg, et pour compagne ma petite Lehna… qui ce soir deviendra votre femme.

WILHELM.

Tant de bonheur à moi, dont la fortune est loin d’égaler la vôtre, sans doute !

FRÉDÉRIC.

Oh ! vous ne connaissez pas votre fortune : vous avez une masse de châteaux, de fermes et de pâturages… ah ! je la sais par cœur votre fortune, j’en ai fait autrefois une étude toute particulière.


Scène III.

Les Mêmes, UN DOMESTIQUE, au fond.
LE DOMESTIQUE.
Le déjeuner est servi ; on n’attend plus que ces messieurs pour se mettre à table.
FRÉDÉRIC.

Allons, Wilhelm.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur le baron, il y a dans l’antichambre un paysan et sa femme qui désirent vous parler.

FRÉDÉRIC.

Ils se nomment ?

LE DOMESTIQUE.

M. et Mme Chambord.

FRÉDÉRIC.

Ah ! ah ! fort bien, qu’ils attendent ici… je leur donnerai audience après déjeuner… Ce Chambord exploitait, gratis, depuis dix-huit ans, votre ferme de Volbrag… ce bail inconcevable a été fait par votre mère ; c’est une erreur qu’elle a commise, et dont il profite… mais je la réparerai amplement. Je l’ai mandé, et il paiera double loyer, s’il veut un nouveau bail.

WILHELM.

Ne sommes-nous pas assez riches ?

FRÉDÉRIC.

On ne l’est jamais assez… laissez-moi soigner vos propriétés dans votre intérêt (à part) et dans celui de ma fille.

ENSEMBLE.
Air : Marche de Sard.
––––––––––Dans ce manoir,
–––––––––––Jusqu’au soir,
––––––––––––Buvons,
––––––––––––Rions,
––––––––––––Chantons !
–––––––––Avec du Champagne,
––––––––––––Fêtons
–––––––––––L’Allemagne,
–––––––––––Et trinquons,
–––––––––––De tout cœur,
–––––––––––Au bonheur
–––––––––Du nouveau seigneur.

Ils sortent.


Scène IV.

CHAMBORD, MINA, LE DOMESTIQUE.
LE DOMESTIQUE.

Vous pouvez entrer.

CHAMBORD, prenant le bras de aa femme.

Confie-moi ton bras droit, petite femme… grand alignement !… pas accéléré jusqu’au châtelain !… halte !

MINA.

Il n’y a personne.

CHAMBORD.

Néant ! rien du tout ! subtilisé ! pas plus de baron que dessus mon pouce !

LE DOMESTIQUE.

M. le baron de Spelberg déjeune, il m’a chargé de vous dire de l’attendre ici.

CHAMBORD.

Suffit !

MINA[23].

Voyons, mon homme, assieds-toi là, à côté de moi, et causons.

CHAMBORD.

Je veux pas m’asseoir, je veux pas causer ; j’ai de l’humeur ; je grogne comme un ours blanc, je marronne comme un castor… je fume comme un Allemand ; je fais la mine, la moue, la lippe… je suis très-laid, je ne veux pas me faire voir.

MINA.

Ah ! ah ! ah ! est-il drôle avec sa tristesse !

CHAMBORD.

Sans cœur, tu oses batifoler, gaudrioler, et tu veux que j’en fasse autant, que je jasotte, que je chante, que je jette mon feutre par-dessus les monumens, quand nous sommes à la veille d’être ruinés, dégommés, désarrondis !… Allons donc !

MINA.

Comme tu y vas ! ruinés ! nous ne le sommes pas encore. Ne t’inquiète pas, Chambord, ne t’inquiète pas !

CHAMBORD.

Que je ne m’inquiète pas ! en v’là du gentil ! de la constance, de la température à couvrir les abricots !… et ce papier-là, hein ! tu l’as donc oublié ?

MINA.

Oublié ? non pas ; je sais par cœur ce qu’il y a dessus.

CHAMBORD.

Un bail… criminelle invention !… deux mille florins ! plus que ça de monnaie ! quel avaloir ! et j’y déposerais mon seing, ma paraphe, ma griffe, tout l’a b c d de mon extrait de baptême ! Jamais des jamais ! je te foule aux pieds, je te déchire en vingt-sept loques !

MINA.

Un instant ! ne le déchire pas.

CHAMBORD, le foulant aux pieds.

Laisse donc tranquille, il n’est bon à rien… je ne connais que l’autre, moi, l’ancien, celui que Mme Wilhelmine a signé le jour de notre mariage. En v’là un modèle de bail ! je l’ai apporté pour le montrer au baron. Pourquoi qu’il ne le continuerait pas ? est-ce que je ne l’ai pas exécuté dans toutes ses conditions ?

Air de Julie.
––––Quand j’ai signé le bail de notre ferme,
––––Je savais bien à quoi je m’engageais,
––––Car des paiemens on avait fixé l’ terme,
––––Rien à l’avance, et rien de plus après.
––––Ma probité n’a pas d’égratignure ;
––––Si la baronn’ quittait les noirs séjours,
––––Elle pourrait dire que j’ai toujours
––––––Fait honneur à ma signature.
MINA.

Allons, tu ne t’entends pas aux affaires, mon homme, j’arrangerai ça mieux que toi. Dis donc, Chambord, te reconnais-tu ?

CHAMBORD.

Attends ; je ne me trompe pas ; c’est ici que tu m’as conquis, c’est dans cette chambre que je t’ai apparu pour la première fois ; j’avais mon grand uniforme, ce jour-là… Oh ! mon uniforme ! il est au croc depuis ce quantième… et Pascal, ce pauvre Pascal ! dire que je ne le verrai plus ! mon vieux camarade… sous terre, bien sûr, ou sous la neige !

MINA.

Pascal… Il n’a répondu à aucune de mes lettres.

CHAMBORD.

Pardi tu les adressais à M. Pascal, grenadier, à Puis, rue ignorée, numéro inconnu. A Paris !… Est-ce qu’il a perdu sa poudre à Paris, lui ?… il fallait lui écrire en Égypte, en Prusse, en Autriche, en Russie… c’était là le domicile des anciens comme lui, leur habitation, leur lit de camp… Mais finie la promenade, arme au bras ! rentrez chez vous, ceux qui restent… Oh ! Pascal ! Pascal ! j’étais pas là quand t’as reçu ton dernier biscayen… mais je prononce tous les soirs ton nom avant de m’endormir, comme tu as dû prononcer le mien avant de commencer ton dernier somme.

MINA.

Allons, mon pauvre homme, ne pense plus à ces choses-là, et en attendant que le baron arrive, tu vas t’asseoir, ne plus t’agiter et te bichonner un peu ; car il faut que tu aies l’air de quelque chose… Allons, je le veux. Voyez un peu, il est tout en sueur.

Elle tire son mouchoir de sa poche pour essuyer le front de Chambord, une clef y est attachée.

CHAMBORD.

Laisse-moi donc tranquille, tu me déranges le nez… tiens ! tu me caresses avec une clef !

Il s’en empare.

MINA.

Ah ! c’est à moi… donne.

CHAMBORD.

Hein ? des passe-partout inconnus !… oui, il me semble que je l’ai rencontrée plusieurs fois attachée à votre col… Madame Chambord, quéque ça ouvre ? quéque ça ferme ? hein ?

MINA.

Rends-moi cette clef !

CHAMBORD.

Je veux savoir avant…

MINA.

Chambord, cette clef m’a été remise par Wilhelmine, ma bonne maîtresse. Elle ouvre une cassette qui renferme un souvenir, un dernier adieu à une personne qu’elle m’a nommée. Voilà dix-huit années que j’attends celui auquel je dois la remettre. La cassette est cachée dans la chambre de la baronne, et, maintenant que M. Wilhelm vient habiter ce château, maintenant que ce n’est plus un enfant, je veux confier au fils le secret de la mère, lui remettre cette clef et lui nommer celui auquel il devra la donner. Me la rendras-tu, Chambord ?

CHAMBORD.

Tout de suite. Et je te soupçonnais, toi, la reine des épouses, la crème de la fidélité ! (Il l’embrasse.) La paix, ma petite femme, mon gros ange !… tu m’aimes toujours, n’est-ce pas, mon bichon ? Ah ça, je trouve la faction un peu longue. Si nous allions faire un tour dans le parc… Attends, je vas prendre men chapeau.


Scène V.

Les Mêmes, PASCAL.

Il porte l’uniforme usé des grenadiers de l’empire ; il est couvert de poussière ; un bâton à la main ; il est sans armes.

PASCAL.

Oui… c’est bien ici… j’ai tout reconnu… la grille, le parc, cet escalier… Les domestiques n’ont pas fait attention à moi ; tant mieux ! Si je pouvais la voir sans être annoncé !

MINA.

Tiens ! un étranger…

CHAMBORD.

Un uniforme de mon pays !

MINA.

Qui demandez-vous, monsieur ?

PASCAL.

La baronne de Ranspach.

MINA, à part.

La baronne ? il ne sait donc pas…

PASCAL, à part.

Comme ils me regardent !

CHAMBORD.

Grand Dieu ! est-ce que j’ai des bluettes !… il me semble… non, c’est impossible ! (S’approchant vivement.) Militaire ? militaire[24] ?

PASCAL.

Que me voulez-vous ?

CHAMBORD.

Oh ! cette voix, ce regard… tu ne me… vous ne me reconnaissez pas, militaire ?

PASCAL.

Non, monsieur.

CHAMBORD.

Mais, regardez-moi donc… là, entre les deux yeux…

PASCAL.

Attendez !…

CHAMBORD.

Mon nom… tu l’as oublié… ah ! tu le prononçais pourtant bien souvent, mon nom, à la chambrée, au bivouac, à la gamelle, au passage du Rhin !

PASCAL.

Chambord !

CHAMBORD.

Pascal !

Ils s’embrassent[25].

ENSEMBLE.
PASCAL et CHAMBORD.
Air de Rosita.
–––––––––Moment plein d’ivresse !
––––––––––Plus de tristesse,
––––––––––Mon chagrin cesse…
––––––––––Ah ! de bonheur
––––––––––Je vers’ des larmes !
––––––––––Mon frère d’armes,
–––––––––Il est là, sur mon cœur !
MINA.
–––––––––Moment plein d’ivresse !
––––––––––Plus de tristesse,
––––––––––Mon chagrin cesse…
––––––––––Ah ! de bonheur
––––––––––Je vers’ des larmes !…
––––––––––Son frère d’armes,
–––––––––Le vent sur son cœur.
PASCAL.

Mon ami, mon sauveur !

CHAMBORD.

Laisse-moi toucher ton uniforme… Oh ! il sent encore la poudre, Mina !

PASCAL.

Mina !

CHAMBORD.

Oh ! tu la connais aussi… c’est la petite au coup de fusil… c’est ma femme.

PASCAL.

Ta femme… Mina… oh ! je me souviens, elle était près d’elle… toujours près d’elle, autrefois. (Il l’embrasse.) Chambord, viens ici, à côté de moi, tout près, là… Chambord, tu as pris ma place quand il s’agissait de marcher à la mort… Oh ! je l’ai su… trop tard.

CHAMBORD.

Le fait est qu’une demi-heure de plus, et fini… on m’envoyait quinze noyaux de pèche dans la poitrine ou ailleurs, fallait les loger.

PASCAL.

Ah !

CHAMBORD.

Je devais être fusillé à la fraîche, j’en avais fait mon deuil, et je me disais : Pascal à ma place eût agi comme moi. Avant que le jour fût venu, j’entendis du bruit à la porte de ma prison. Allons, que je me dis, on ne veut pas me faire les honneurs du soleil ; et je bâclais ma dernière toilette, on ouvre la porte… et une femme, un ange, madame, que tu vois, me saisit par le bras, me fait traverser tous les camarades qui dormaient…

PASCAL.

Ils dormaient ?

CHAMBORD.

C’est-à-dire, ils fermaient les yeux de bonne amitié, à mon intention. Mina me jette en voiture, et ait galop, disparu, éclipsé !

PASCAL.

Ah ! Mina ! vous m’avez épargné un grand remords !

CHAMBORD.

D’un seul trait, nous allons dans le fin fond de l’Allemagne…. V’là une ferme à exploiter, qu’on me dit… à bas l’uniforme, place au sarreau de paysan. Je grillais de retourner au feu avec vous autres ; mais, pas moyen !… aussitôt pris… escofié !… Alors je me casernai dans la ferme avec Mina, qui essaya de me faire oublier mon pays et mon régiment. Forcé de manier la charrue au lieu du fusil, je coupai mes moustaches, je cachai mon vieil habit, et, un beau jour, je me surpris sortant de l’église, avec une femme à mon bras, j’étais marié !

Air : Honneur…
––––Je v’nais d’ changer de drapeau, d’ fourniment.
––––Dans les maris j’ prenais mes invalides,
––––V’là dix-sept ans que j’ suis dans c’ régiment,
––––Pour mes servic’s, je m’ dis, les yeux humides :
––––La France au bras m’aurait mis trois chevrons,
––––Madam’ Chambord m’a donné six garçons !
––––Pour m’empêcher de r’gretter mes chevrons,
––––Ell’ m’a donné six énormes garçons !
PASCAL.

Marié… il s’est marié, lui !…

CHAMBORD.

Mais, quoique Allemand par force, j’était toujours Français… je parle toujours français, ma femme aussi, mes enfans aussi ; quand ils disent mein herr, je leur donne le fouet… Oh ! je pensais bien à toi, aux camarades ; au pays, à Paris ; à la rue aux Ours, où je vis le jour… et le soir donc en famille, je lisais les gazettes. A chaque victoire, oh ! que j’étais fier ! il me prenait des idées de courir après vous et de vous crier : Ne prenez pas tout ! laissez-m’en un peu !… Ces jours-là je me couchais en fureur, je rêvais batailles, chevaux, pyramides ; mais le lendemain, au réveil, en embrassant ma femme, mes mioches, j’étais bien forcé de dire : Je suis bourgeois, plus de troupier !… et pour en finir une bonne fois, j’ai brûlé mon vieil uniforme… oui, je l’ai brûlé… je n’en ai gardé que les boutons… ils sont là, tiens.

Il montre sa poitrine.

PASCAL.

Et c’est moi, Chambord, qui suis cause…

CHAMBORD.

Dis donc ? on t’a fait là une fameuse gravure tout de même ?

PASCAL.

Oh ! oui, c’est un coup de sabre qui m’a valu… deux mois d’hôpital.

CHAMBORD.

A-t-il de la chance ! Pauvre vieux !… tu ne pourras plus en envoyer maintenant des coups de moulinet… 1814 a donné le bal à 1800… Scélérate d’année, va !… et le Petit… il est là-bas, n’est-ce pas, à la demi-solde ?

PASCAL.

Oui, avec les fidèles.

CHAMBORD.

Seulement, t’as pas été heureux, Pascal… tu n’es pas revenu général, mon garçon.

PASCAL.

Après le licenciement de la Loire, j’ai demandé une feuille de route… et, seul… j’ai traversé la France, l’Allemagne ; je ne me suis arrêté que ce matin, devant ce château… Oh ! je l’ai reconnu tout de suite !

CHAMBORD.

Ah çà, qui donc que tu venais chercher ici ?

PASCAL.

Elle…

CHAMBORD.

Qui, elle ?

PASCAL.

Mais, elle… Wilhelmine.

CHAMBORD.

Wilhelmine !

MINA, à part.
Oh ! mon Dieu ! il ignore…
PASCAL.

Ah ! je l’aimais bien, vois-tu ?… elle seule m’a fait supporter les fatigues, la misère ; je serais mille fois mort sans son souvenir !

Air du Château perdu.
Tant qu’ la victoire, à nos drapeaux fidèle,
Ouvrait d’vant nous un glorieux avenir,
Je me disais : Elle est noble, elle est belle,
Pauvre soldat ! tâche de t’anoblir.
Puis, dans nos r’vers, au plus fort du carnage,
Quand d’ désespoir j’étais près d’en finir,
Je me disais : Allons, vieux, du courage !
Elle t’attend, il ne faut pas mourir.

J’ai tenu ferme, et me voilà sur pied, à peu près guéri.

MINA, à part.

Pauvre homme ! comment lui apprendre… ?

PASCAL.

Elle sera bien contente, va ; car, je peux vous le dire à vous, elle m’aime ! elle a tout fait pour moi. Après toi, Chambord, c’est elle qui m’a sauvé la vie ; je suis resté un mois seul avec elle, caché dans une de ses terres ; là, elle m’a juré de ne pas se marier. Tiens, voilà son anneau qu’elle m’a envoyé quelque temps après mon départ, avec un billet, dans lequel elle me disait : Pascal, maintenant, devant Dieu je suis ta femme.

CHAMBORD et MINA.

Sa femme !

PASCAL.

Et, pour gage de ma foi, je t’envoie cet anneau ; mais ce billet, cet anneau, ne me sont parvenus que bien long-temps après mon départ… impossible de quitter un drapeau toujours en face de l’ennemi ; et puis, je voulais revenir digne d’elle. Ah çà, pourquoi pleurez-vous donc, Mina ?

MINA.

Bien, rien… la surprise, le bonheur de vous revoir…

PASCAL.

Toi aussi, Chambord ?

CHAMBORD.

Du tout ! par exemple, mon… un homme !… je ne pleure pas, je ris ; tu vois bien que je ris… que je ris très-fort !

PASCAL.

Elle ne vient pas… Mina, ne pourriez-vous…

MINA, à part[26].

Je n’ose lui apprendre. (À Chambord.) Dis-lui donc…

CHAMBORD.

Moi ! jamais des jamais !

PASCAL.

Pourquoi hésitez-vous ? Pourquoi restez-vous cloués sur place ?… Mina, Chambord, répondez-moi donc ! Ah ! je vais appeler, interroger tout le monde !

Il va pour tirer une sonnette ; Chambord l’arrête.

CHAMBORD[27].

Eh bien ! si elle n’était plus ici !

PASCAL.

Comment ?

MINA, bas à Chambord.

Prends garde !

CHAMBORD.

Si elle était en voyage.

PASCAL, le regardant.

En voyage ; pourquoi ne me l’aurais-tu pas dit tout de suite ? Oh ! mais, je te devine, tu sais que je l’aime ; tu ne veux pas m’avouer…

CHAMBORD.

Est-ce qu’il aurait compris ?

PASCAL.

Oh ! c’est impossible ! Chambord, Mina, parlez ! j’ai du courage !… Wilhelmine est mariée peut-être !

MINA.

Mariée.

CHAMBORD, saisissant le bras de sa femme.

Juste !

PASCAL.

Mariée !

MINA, bas à Chambord.

Pourquoi lui laisser croire ?

CHAMBORD, bas.

Motus !… je coupe la pilule en deux, pour qu’elle passe sans accrocher.

PASCAL.

Elle s’est mariée ! au mépris de ses promesses, de ses serment. Oh ! c’est affreux !… Chambord, je ne dois plus la revoir ; elle rirait de moi, de mon amour… je ne resterai pas une heure de plus dans ce château.

CHAMBORD.

Où vas-tu ?

PASCAL.

Je ne sais ; mais emmène-moi, Chambord, emmène-moi !

CHAMBORD.

Il veut partir !… vive l’empereur !

PASCAL.

J’aurais encore la lâcheté de l’attendre, de pleurer devant elle ! J’irai où tu voudras ; mais emmène-moi.

CHAMBORD.

C’est ça, mon vieux… faut avoir du cœur… tu viendras à notre ferme. (Bas à Mina.) Tu vois… avalée la moitié de la pilule. (Haut.) Femme, un coup de pied à la carriole… en mouvement le coupé d’osier… au galop le poulet-d’Inde… dépêchons le picotin… mâchons double, ma mère…

Mina sort par le fond en courant ; Pascal est resté debout devant la chambre de Wilhelmine.


Scène VI.

PASCAL, CHAMBORD, puis FRÉDÉRIC[28].
PASCAL.
Trompé par elle ! Et son mari, quel est-il ? son nom ? Oh ! tu me diras son nom, Chambord !
CHAMBORD, à part.

Diable ! je n’avais pas songé à ça !

PASCAL.

Oh ! je ne sortirai pas d’ici sans savoir…

FRÉDÉRIC, en dehors.

Attendez-moi, Wilhelm, laissez partir les équipages ; nous rejoindrons nos amis dans la forêt, avec notre calèche.

PASCAL, apercevant Frédéric.

Qui vient là ? Chambord, quel est cet homme ?

CHAMBORD, à part.

Ah ! mon Dieu ! il va le reconnaître ! (À Pascal.) Ça… c’est un particulier qui veut me poser un bail sur les quatre veines, à l’instar de quatre-vingt-quinze sangsues… Allons-nous-en.

PASCAL.

Attends ! je me souviens… c’est…

CHAMBORD.

C’est un vieux singe… allons-nous-en.

FRÉDÉRIC, entrant.

Ah ! ah ! vous voilà, paysan ! (Il cherche des papiers sur un guéridon.) Après le Champagne, les affaires. Nous allons causer un peu du bail de notre ferme.

PASCAL, bas.

Il a dit notre ferme ; mais la ferme que tu exploites appartient à Wilhelmine.

CHAMBORD.

Sans doute.

PASCAL, avançant d’un pas et passant entre Chambord et Frédéric.

C’est lui ! alors…

FRÉDÉRIC.

Que me veut ce soldat ?

CHAMBORD.

Qu’est-ce qui te prend donc, Pascal ?

PASCAL, à Frédéric.

Me reconnaissez-vous, monsieur ?

FRÉDÉRIC.

Vous ?… pas le moins du monde !

PASCAL.

Regardez-moi bien.

FRÉDÉRIC.

Ah ! attendez donc !… n’êtes-vous pas le soldat que j’ai vu ici, il y a… ?

PASCAL.

Il y a dix-huit ans… c’est cela… Vous vous êtes donc marié, monsieur ?

CHAMBORD, à part.

Pourquoi diable lui demande-t-il ça ?

FRÉDÉRIC.

Oui, soldat, oui, je me suis marié à peu près à la même époque.

PASCAL, à part.

C’est cela, après mon départ… (Haut.) Et vous l’aimez bien, votre femme ?… elle vous aime aussi, sans doute ?

FRÉDÉRIC.

Je me flatte d’avoir seul fait battre son cœur.

PASCAL.

Elle vous l’a dit ?

FRÉDÉRIC.

Très-souvent !

PASCAL.

Eh bien, elle vous a trompé !

FRÉDÉRIC.

Hein ?

CHAMBORD.

Qu’est-ce qu’il dit ?

FRÉDÉRIC.

Ma femme !…

PASCAL.

En a aimé un autre…

FRÉDÉRIC.

Un autre que moi ?…

CHAMBORD, à part.

Miséricorde !… j’y suis à présent !… cacophonie des cacophonies !

PASCAL.

Elle ne vous a donc rien avoué votre femme ?

CHAMBORD, à part.

Qu’est-ce que j’ai fait là !… (Haut.) En v’là assez, Pascal !

FRÉDÉRIC.

Mais qu’avait-elle donc à m’avouer, monsieur ?

CHAMBORD.

Rien du tout !

PASCAL.

Elle avait à vous dire qu’elle avait donné son cœur à un soldat qui lui avait consacré sa vie toute entière, l’insensé !… et pour mieux le tromper, elle lui avait envoyé un gage de cet amour menteur !

FRÉDÉRIC.

Qu’est-ce que j’apprends-là ?

CHAMBORD.

Ne faites pas attention, monsieur le baron. Pascal, la cariole est prête… en route !

FRÉDÉRIC.

Pas encore ; je veux savoir au juste…


Scène VII.

Les Mêmes, WILHELM.
PASCAL, à Chambord.

Laisse-moi donc rassurer cet homme… laisse-moi lui dire que je ne verrai plus celle qui m’a trompé ; laisse-moi lui dire que la haine et le mépris ont remplacé l’amour que j’avais gardé dans mon cœur… (Wilhelm entre par la droite.[29]) Oui, il n’y a plus là que de la haine et du mépris pour Wilhelmine !

WILHELM et FRÉDÉRIC.

Wilhelmine !

CHAMBORD.

Oh ! tais-toi, Pascal, tais-toi !

FRÉDÉRIC.

Wilhelmine… mais ma femme s’appelle Gertrude.

WILHELM.
Vous venez de prononcer le nom de Wilhelmine, monsieur ?
PASCAL.

Oui, de Wilhelmine de Ranspach, qui m’a aimé et qui m’a lâchement trahi !

WILHELM.

Mme la baronne de Ranspach vous a aimé, vous !… ah ! vous en avez menti !

CHAMBORD.

Mille z’yeux !

PASCAL.

Menti !… (Se contenant.) Ah ! vous ne voyez donc pas mon uniforme ?… vous ne savez donc pas ce qu’il faut pour laver l’insulte que vous venez de me faire ?

WILHELM.

Vous avez jeté le mépris sur une tombe, monsieur, et cette conduite est indigne d’un soldat !

PASCAL.

Une tombe ! une tombe ! Wilhelmine est morte !… morte !… ah !…

Il tombe sur un siége.

CHAMBORD.

V’là de la belle ouvrage !… nom d’une pipe !… v’là qu’il descend la garde !

ENSEMBLE.
Air : C’en est trop, mon honneur (Philippe).
––––––––Ah ! je sens dans mon cœur
––––––––Bouillonner la colère !
––––––––C’ démenti, sur l’honneur,
––––––––Vous portera malheur !
––––––––Vous r’cevrez votre affaire
––––––––Dans le prochain combat,
––––––––Vous apprendrez j’espère,
––––––––A craindre le soldat.
WILHELM.
––––––––Ah ! je sens dans mon cœur
––––––––Le dépit, la colère !
––––––––Je dois avec ardeur
––––––––Défendre mon honneur !
––––––––Mon bras saura, j’espère,
––––––––Venger dans un combat
––––––––Celle que je révère,
––––––––Et punir ce soldat !
FRÉDÉRIC.
––––––––Ah ! je sens dans mon cœur
––––––––La crainte et la colère !
––––––––Il a pour son malheur
––––––––Provoqué l’imposteur !
––––––––Jamais ici, j’espère,
––––––––N’aura lieu ce combat.
––––––––Hélas ! comment donc faire
––––––––Pour chasser ce soldat ?
WILHELM, à Frédéric.

Vous serez mon témoin.

CHAMBORD, montrant Pascal.

J’ suis l’ sien, ça va sans dire.

CHAMBORD, à part, se frottant le front.

Six dragons vont mettre ordre à tout ceci !

WILHELM, à Chambord.

Je reviens avec des armes.

CHAMBORD, montrant Frédéric.

J’ vas choisir le terrain avec monsieur.

REPRISE, ENSEMBLE.
––––––––Ah ! je sens dans mon cœur, etc.
MINA, qui a entendu la fin de la scène.
––––––––Ah ! je sens dans mon cœur
––––––––Une douleur amère !…
––––––––En voyant leur fureur,
––––––––Je redoute un malheur !
––––––––Il vient, dans sa colère,
––––––––D’insulter un soldat !
––––––––Jamais ici, j’espère,
––––––––N’aura lieu ce combat !
CHAMBORD, au fond, en sortant.

Si en route je tapais sur la tête au vieux, ça le vexerait, et nous ferions partie carrée… je vas y penser.

Wilhehn, Frédéric et Chambord sortent par le fond.


Scène VIII.

MINA, PASCAL[30].
MINA.

Pascal, j’ai tout entendu ; vous ne vous battrez pas !

PASCAL, toujours assis et à voix basse.

Je me battrai, Mina.

MINA.

Vous ne vous battrez pas, vous dis-je !

PASCAL, même jeu.

Vous ne savez donc pas qu’il m’a insulté ?

MINA.

Vous ne savez donc pas, vous, que c’est l’enfant de Wilhelmine ?

PASCAL, se levant.

Hein !… son fils… vous me trompez encore ; vous voulez sauver la vie de ce jeune homme.

MINA.

Il est le fils de Wilhelmine, je vous le jure.

PASCAL.

Son fils… il est donc vrai ! j’ai été oublié… par elle… oh !… oublié !…

MINA.

Oublié !… mais vous avez eu sa dernière pensée ; elle a laissé ici, pour vous, un souvenir, un adieu dont je suis dépositaire.

PASCAL.

Un souvenir… un adieu pour moi ?

MINA.

Oui, là, dans sa chambre.

PASCAL, passant.

Dans sa chambre !…

MINA.
Silence, on vient !

Scène IX.

Les Mêmes, CHAMBORD ; puis WILHELM et FRÉDÉRIC.
CHAMBORD.

Pascal, le lien est choisi, un amour de terrain ; quelle partie tu vas faire là-dessus !

WILHELM[31].

Me voici, monsieur.

FRÉDÉRIC, à part.

Mes dragons sont en embuscade.

PASCAL, à part.

C’est son fils !

CHAMBORD.

Partons !

WILHELM.

Vous hésitez ?

PASCAL.

Non !… je refuse.

TOUS.

Il refuse !

CHAMBORD.

Est-ce qu’il a perdu la boule ?

WILHELM.

Me forcerez-vous à douter de votre courage ?

PASCAL, à Mina.

Oh ! c’est son fils, n’est-ce pas ?

WILHELM.

Me forcerez-vous à vous refuser le titre d’homme de cœur ?

PASCAL, à Mina.

Ah ! c’est bien son fils, tu me l’as juré ?

WILHELM.

Allons, monsieur, suivez-moi !

PASCAL.

Jamais ! (A Mina.) Ce souvenir, cet adieu de Wilhelmine… Ah ! il me le faut !

Il sort à droite en entraînant Mina.

CHAMBORD.

Il s’en va !

WILHELM.

Il refuse, lui, un soldat !

CHAMBORD.

Ah ! nom d’une citadelle ! il aura bu quelque chose de froid !


Scène X.

FRÉDÉRIC, WILHELM, CHAMBORD[32].
FRÉDÉRIC, à part.

Est-ce que notre allure guerrière l’aurait intimidé ?

CHAMBORD, à part.

Pascal, le brave des braves !… il file !… Il canne…

FRÉDÉRIC.

Ah ! Wilhelm, mon très-cher, votre conduite a été superbe !… digne de vous et de moi.

WILHELM.

Après ce qui vient de se passer, cet homme ne peut rester plus long-temps au château… Monsieur le baron, donnez, je vous prie, les ordres nécessaires pour qu’il en sorte à l’instant.

Il sort par la gauche.

FRÉDÉRIC, le reconduisant.

Soyez tranquille… je me charge de l’éconduire, et ça ne sera pas long. (A lui-même, en regardant la porte par laquelle Pascal est parti.) Ah ! tu ne te bats pas, toi !…

CHAMBORD.

Hein !…

FRÉDÉRIC.

Ah ! tu as peur !

CHAMBORD.

Je n’avalerai jamais tout ça…

FRÉDÉRIC.

Je vais te traiter en conséquence, mon drôle !

CHAMBORD, à part.

Et d’abord, toi, vieux parchemin, je vas te dépoudrer. (Haut.) Pardon, faites excuse… vous dites que Pascal, mon ami, a eu peur… il y a erreur, monseigneur !

FRÉDÉRIC.

Hein ?… que veut cet homme ?

CHAMBORD.

Cet homme veut rabattre vos fanfaronnades et vous dire vot’ fait ; voilà ce qu’il vous veut, cet homme.

FRÉDÉRIC.

Vous oubliez que vous n’êtes qu’un fermier, et que je pourrais…

CHAMBORD.

Je ne suis le fermier de personne, je suis le mien. Je suis libre, je suis mon maître, je suis ma propriété, entends-tu ? vilain vieux !

FRÉDÉRIC.

Drôle ! je te ferai perdre tes revenus !

CHAMBORD.

Mes revenus, je m’en moque pas mal ! je m’en bats feuil, de mes revenus ; j’ai encore des mains au bout des bras, y aura toujours de la terre sous mes pieds et du soleil là-haut.

FRÉDÉRIC.

Mais, décidément, tu m’insultes !… je vais te faire arrêter ; te faire donner la schlagg.

CHAMBORD.

La schlagg à moi !… Est-ce que je suis Allemand ? est-ce que je suis né dans ton pays de choucroutes et de têtes carrées ? Je suis Français, toujours Français ! A bas le sarreau de vassal. Tiens, je foule aux pieds tes habits allemands, ton chapeau allemand, toute la friperie de ton pays !… Ah ! voilà dix-huit ans que je soupirais après ce bonheur-là… J’avais renié ma terre natale, j’avais contenu ma fierté de Parisien, je viens d’avouer ma patrie, je suis content, je suis heureux : vive l’empereur !

FRÉDÉRIC.

Je vais te faire jeter dehors par mes gens !…

Il va pour sortir.

CHAMBORD, l’arrêtant.

Oh ! ne joue pas des jambes, ou je te colle sur la muraille, que t’en sortiras à l’état de feuille de papier… immobile, figure de cire ; ne bronche pas d’une semelle, te dis-je !… T’as insulté mes compatriotes, toi… t’as dit qu’on avait fait peur à Pascal… mais c’est un lapin solide… qui a travaillé plus de casaquins dans sa vie que tu ne t’es caché de fois dans la tienne.

Air des Frères de lait.
––––Tu mécanise ici mon camarade
––––De son honneur tu t’ permets de douter !…
––––Il te tuerait, s’il n’était pas malade ;
––––Mais j’ai l’ bonheur, moi, de me bien porter,
––––Et nous allons un peu nous becquoter.
––––En p’tits morceaux il faut que je t’arrange,
––––Apprête-toi, vieux baron vermoulu !
––––D’puis l’ régiment, ah ! la main me démange
––––J’ vas m’en donner pour tout l’ temps qu’ j’ai perdu !

Il s’avance sur Frédéric, qui recule.

FRÉDÉRIC.

Au secours ! au meurtre ! au feu !

D’un côté paraissent Wilbelm, qui court à Frédéric, et de l’autre Pascal, qui retient Chambord.

WILHELM, passant entre Frédéric et Chambord.

Monsieur le baron !…

PASCAL, retenant Chambord.

Chambord !

CHAMBORD.

Laisse-moi, Pascal, faut que je te venge, faut que je démolisse ce vieux monument-là !

PASCAL.

Je ne te laisserai pas toujours prendre ma place, Chambord. (Passant entre Chambord et Wilhelm[33].) Tout n’est pas fini d’ailleurs entre ce jeune homme et moi.

CHAMBORD.

A la bonne heure. (A part.) Le sang lui sera remonté.

PASCAL, avec douceur à Wilhelm.

Je veux vous parler… mais à vous seul.

FRÉDÉRIC.

Eh ! Wilhelm, laissez là cet homme, et rentrons au salon, où ma fille et nos amis nous attendent.

WILHELM.

Je vous rejoindrai, monsieur le baron.

Frédéric sort par la gauche, Chambord par le fond

CHAMBORD, en sortant.

Pascal, je suis là.


Scène XI.

WILHELM, PASCAL.
WILHELM, froidement ; il s’est assis.

Que voulez-vous de moi, monsieur ?

PASCAL, avec émotion.

Oh ! vous pouvez me regarder, et me regarder en face ; je ne suis pas un lâche !… Si j’ai souffert l’insulte, c’est qu’elle partait d’un enfant, c’est que cet enfant était celui de Wilhelmine ; pourtant cette insulte a imprimé sur mon front une tache que vous allez vous-même effacer tout-à-l’heure… car je puis vous prouver maintenant que je ne suis pas un calomniateur ; oui, je puis vous le prouver, grâce à votre mère.

WILHELM, se levant.

Ma mère !

PASCAL.

Aujourd’hui, comme il y a dix-huit ans, elle vient en aide au pauvre soldat. Il y a dix-huit ans, on en voulait à sa vie, elle la lui conserva ; aujourd’hui on en veut à son honneur, elle va le lui rendre… Je vous ai dit que votre mère m’avait aimé.

WILHELM.

Monsieur…

PASCAL.

Eh bien ! si cet amour lui avait survécu, si, son lit de mort, votre mère avait pensé au pauvre Pascal… elle était bien sûre qu’il reviendrait.. il le lui avait promis… si elle avait voulu lui laisser un dernier adieu, un souvenir ?

WILHELM.

Un souvenir !

PASCAL.

Cette lettre vient de m’être remise par Mina, la compagne, la suivante fidèle de votre mère ; je n’ai voulu l’ouvrir que devant vous.

WILHELM.

C’est l’écriture de ma mère.

PASCAL.

Oui, oui, cette lettre est bien d’elle ! lisez, lisez vous-même.

WILHELM, lisant.

« Mon ami, lorsque je t’ai envoyé mon anneau, lorsque je t’ai répété que je ne serais jamais qu’a toi, un lien sacré nous unissait. A ton retour ici, tu trouveras, je l’espère, un nouveau gage de notre amour ; tu trouvera à la place de Wilhelmine, qui va mourir, un enfant que chacun saluera du titre de baron de Ranspach. Pascal, je te lègue mon fils… le tien… »

PASCAL.
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! (Il arrache la lettre à Wilhelm.) Mon fils ! j’aurais un fils, moi… et ce serait…
WILHELM, s’avançant.

Mon père !

PASCAL, l’arrêtant.

Wilhelm, ce secret est à nous deux… et, si tu le voulais…

Il fait le geste de déchirer la lettre.

WILHELM, s’élançant dans ses bras.

Mon père !

PASCAL.
Air : Vous craignez de rompre une chaîne.
––––Quoi, cher enfant, ce nom si doux de père,
––––Tu me le donn’s, et du fond de ton cœur ?…
––––Pourquoi faut-il qu’une pensée amère
––––Vienne à présent troubler tout mon bonheur !
––––Titre, fortun’, v’là c’ que t’ coût’ mon bonheur !
WILHELM.
––––Ah ! nul regret ici ne m’importune ;
––––L’honneur m’a dit : Efface ton blason.
––––––Votre amour sera ma fortune,
––––––Et pour titre j’aurai votre nom ;
––––––Oui, mon père, j’aurai votre nom.

Scène XII.

PASCAL, WILHELM, UN DOMESTIQUE.
LE DOMESTIQUE.

Monsieur le baron, le notaire vient d’arriver, tout le monde est réuni au salon ; on n’attend plus que vous pour la signature du contrat.

PASCAL.

Un contrat… un mariage !…

WILHELM.

Ah ! sortons, mon père, sortons… je mourrais si je la revoyais, je l’aime tant !

PASCAL.

Tu aimes, toi ? Qui donc ?

WILHELM.

La fille de mon tuteur ; mais à présent que je ne suis plus baron, que je ne suis plus riche, je ne suis plus digne d’elle ; partons.

PASCAL, le retenant.

Pas encore.

WILHELM.

Pourquoi me retenir ? ne les entendez-vous pas ? ils viennent !… Oh ! sortons !

PASCAL, le retenant encore.

Demeure.


Scène XIII.

Les Mêmes, FRÉDÉRIC, LEHNA, LE NOTAIRE, les Invités[34].
CHŒUR.
Air de Norma.
––––––––Quelle heureuse journée !
––––––––De ce bel hyménée
––––––––L’heure est enfin sonnée ;
–––––––––––Venons tous
––––––––––Au rendez-vous ![35]
FRÉDÉRIC.

Ah çà ! Wilhelm, vous êtes inexcusable. Comment ! nous vous attendons depuis une heure… nous sommes obligés de vous venir chercher.

WILHELM, embarrassé.

Monsieur…

FRÉDÉRIC.

Encore ce soldat !… (A Pascal.) J’espère, mon cher monsieur, que nous nous sommes assez longtemps occupés de vos affaires, vous nous permettrez de songer un peu aux nôtres… je ne vous retiens pas, mon brave.

WILHELM, vivement.

Monsieur le baron…

FRÉDÉRIC.

Placez-vous là, monsieur le notaire. (Apercevant Pascal qui regarde attentivement Lehna. A part.) Eh bien, il reste… Enfin, je ne peux pas faire de scandale.

LE NOTAIRE, lisant.

« Par-devant… »

FRÉDÉRIC.

Non, non, un instant, monsieur le notaire ; avant que vous lisiez ce contrat, je veux donner à mon gendre un témoignage éclatant de mon amitié. Wilhelm ! je suis votre seul parent, et à ce titre, je vous dois un cadeau de noces ; cet acte est une donation en bonne forme de mon domaine de Rumberg en Illyrie.

WILHELM.

Monsieur le baron, je ne puis…

FRÉDÉRIC.

Son revenu est de quarante mille florins.

PASCAL, prenant le contrat.

Nous acceptons.

FRÉDÉRIC.

Comment, vous acceptez !… Mais de quoi donc se mêle-t-il ?… Cet homme me fera prendre les soldats, en aversion.

PASCAL.

Seulement, en échange de ce don généreux, M. Wilhelm vous doit faire connaître un secret qui vient de lui être révélé… car il faut que vous sachiez bien à qui vous faites un si magnifique présent.

Il passe près de Frédéric.

FRÉDÉRIC.

Je voudrais savoir d’abord de quel droit vous…

PASCAL.

Lisez, monsieur le baron.

FRÉDÉRIC.

Comment, lisez !…

Il prend la lettre. Chambord et sa femme entrent au fond.
PASCAL.

Je vous en prie !

FRÉDÉRIC.

Que vois-je !… un mariage secrets… « Wilhelm n’est pas le fils du baron de Ranspach ; son père… »

WILHELM.

Mon père, le voilà !

CHAMBORD, au fond.

Qu’est-ce que j’entends là ?

Il descend avec sa femme à l’extrême gauche.

WILHELM.

Ce titre, cette fortune ne me conteront pas un regret.

FRÉDÉRIC.

Pascal… En effet, il y a dix-huit ans… Ah ! mais ceci change tout-à-fait l’état des choses… Je donnais ma fille et mon domaine de Rumberg au fils du baron de Ranspach ; je ne donne rien du tout au fils de M. Pascal.

PASCAL.

Excepté votre beau domaine d’Illyrie, dont le revenu est de quarante mille florins.

FRÉDÉRIC.

Cette donation est nulle.

PASCAL.

Elle est pourtant en bonne forme ; vous l’avez dit.

FRÉDÉRIC.

Mais enfin, vous prétendez donc abuser… ?

WILHELM, déchirant la donation.

Nom, monsieur.

PASCAL.

Bien, mon fils !… (A Frédéric.) Vous le voyez, monsieur… il était digne d’entrer dans une noble famille… Partons, mon enfant.

WILHELM, regardant Lehna.

Mon père !…

CHAMBORD.

Eh bien ! est-ce que ça va finir comme ça ?

PASCAL, revenant, après une fausse sortie.

Mais cependant, voyons… Puisque ce mariage était arrêté, et qu’il assurait le bonheur de ces deux enfans, pourquoi ne se ferait-il pas ?

WILHELM.

Que dites-vous ?

FRÉDÉRIC.

Il est fort amusant, ce soldat, avec son pourquoi… Vous ne trouvez pas, mesdames ?

PASCAL.

Je parle sérieusement, monsieur ; répondez-moi de même…. Pourquoi rejetez-vous si loin notre alliance ?…

FRÉDÉRIC.

Je suis vraiment trop bon de répondre. Pourquoi ! Je suis chevalier de l’éperon d’or.

PASCAL.

Diable !

CHAMBORD, à part.

Il a servi dans les soldats du pape… fameux !

PASCAL.

Moi, je suis officier de la Légion-d’Honneur.

CHAMBORD.

Il a le joujou !

FRÉDÉRIC.

Je suis colonel.

CHAMBORD.

Toujours dans les soldats du pape… beaux hommes !

PASCAL.

Vous êtes mon inférieur alors ; car je suis général.

TOUS.

Général !

CHAMBORD.

C’est ça, il l’avait dit.

FRÉDÉRIC.

Enfin, je suis baron, monsieur.

PASCAL.

Eh bien, monsieur le baron, à la cour de votre empereur j’aurais encore le pas sur vous, car je suis comte.

TOUS.

Comte !

CHAMBORD, à Mina.

Pince-moi, femme, je crois que je rêve.

PASCAL.

A l’égard de votre domaine d’Illyrie, il pourrait, je crois, s’échanger contre celui que je tiens des bontés de l’empereur. Et maintenant trouves-tu, mon garçon, que cette noblesse vaille celle que tu viens de perdre ?

WILHELM.

Ah ! mon père, je n’ai rien perdu !

FRÉDÉRIC, à part.

Diable ! (Haut.) Monsieur le comte, nous pourrons nous entendre.

WILHELM.

Mon père, si j’épouse Lehna, rien ne manquera à mon bonheur[36] !

FRÉDÉRIC, serrant la main de Pascal.

Mon brave général !

CHAMBORD.

Général ! et je t’ai tutoyé I je t’ai tapé sur l’épaule ! Ah ! mon général, monsieur le comte…

PASCAL.

Ton ami, ton frère toujours !

CHAMBORD.
Ah çà, tu m’emmènes à Paris, n’est-ce pas, mon général[37] ?
PASCAL.

Tu ne me quitteras plus !

MINA.

Et ta femme, Chambord ?

CHAMBORD.

Emballée avec toute la marmaille. France, France, je vas donc rebattre ton pavé, r’humecter ta poussière… Femme, tu vas connaître Paris, le pays des fées ! je te ferai admirer en arrivant la Colonne et la rue aux Ours.

CHŒUR.
Air : Final du Bon Garçon.
PASCAL.
–––––––––Faisons diligence,
–––––––––Partons pour la France !
–––––––––Ayons l’espérance
–––––––––De quelques beaux jours !
–––––––––Quittons, pour la vie,
–––––––––La terre ennemie !
–––––––––Dans notre patrie
–––––––––Rentrons pour toujours.
CHAMBORD.
–––––––––Faisons diligence,
–––––––––Filons vers la France,
–––––––––Pays d’ la bombance,
–––––––––Du vin, des amours !
–––––––––Adieu, terre enn’mie !
–––––––––A moi ma patrie !
–––––––––J’ m’install’ pour la vie
–––––––––Dans la rue aux Ours.
WILHELM.
–––––––––Faisons diligence,
–––––––––Partons pour la France !
–––––––––Ayons l’espérance
–––––––––De quelques beaux jours
–––––––––O terre ennemie,
–––––––––Adieu, pour la vie !…
–––––––––France, ma patrie,
–––––––––A toi, pour toujours !
FRÉDÉRIC.
–––––––––Avec eux, je pense,
–––––––––J’irai voir la France,
–––––––––Dont la souvenance
–––––––––M’égaie toujours !…
–––––––––Plaisirs et folie,
–––––––––En vous je me fie,
–––––––––Pour finir ma vie
–––––––––Par quelques beaux jours
MINA.
–––––––––Faisons diligence,
–––––––––Partons pour la France !
–––––––––Ayons l’espérance
–––––––––De quelques beaux jours !…
–––––––––J’ vais passer ma vie
–––––––––Sur un’ terre amie !
–––––––––Adieu, ma patrie,
–––––––––Adieu, pour toujours !
CHŒUR DES SEIGNEURS.
–––––––––Non, plus de souffrance,
–––––––––Ils vont pour la France…
–––––––––O douce espérance !
–––––––––Partir pour toujours !…
–––––––––La France chérie
–––––––––Devient leur patrie ;
–––––––––Sur la terre amie,
–––––––––Pour eux quels beaux jours !
FIN.
  1. Mina, Wilhelmine.
  2. Mina, Frédéric, Wilhelmine. Frédéric. Wilhelmine.
  3. Mina, Frédéric.
  4. Fridéric, Wilhelmine.
  5. Chambord, Pascal, Wilhelmine, Mina.
  6. Chambord, Mina, Wilhelmine.
  7. Chambord, Pascal, Wilhelmine, Mina.
  8. Pascal, Chambord.
  9. Frédéric, Pascal, Chambord.
  10. Chambord, Pascal.
  11. Pascal, Chambord.
  12. Pascal, Wilhemine
  13. Pascal, Wilhelmine, Frédéric.
  14. Pascal, Wilhelmine, Frédéric.
  15. Chambord, Pascal.
  16. Chambord, Pacal.
  17. Chambord, Mina, Pascal.
  18. Chambord, Pascal.
  19. Pascal, Wilhelmine.
  20. Chambord, Pascal, Wilhelmine.
  21. Lehna, le Baron, Wilhelm.
  22. Lehna, Wilhelm, le Baron.
  23. Chambord, Mina.
  24. Mina, Chambord, Pascal.
  25. Chambord, Pascal, Mina.
  26. Chambord, Mina, Pascal.
  27. Mina, Chambord, Pascal.
  28. Pascal, Chambord, Frédéric.
  29. Chambord, Pascal, Wiilhem, Frédéric
  30. Pascal, Mina.
  31. Frédéric, Wilhelm, Chambord, Pascal, Mina.
  32. Frédéric, Wilhelm, Chambord.
  33. Frédéric, Wilhelm, Pascal, Chambord.
  34. Mina, Chambord, Wilhelm, Pascal, Frédéric, Lehna.
  35. Pascal, Wilhelm, Frédéric, le Notaire, au deuxième plan ; Lehna.
  36. Mina, Chambord, Pascal, Frédéric, Wilhelm, Lehna.
  37. Mina, Chambord, Pascal, Wilhelm, Frédéric, Lehna.