Pascal Œuvres complètes Hachette, tome 2/Lettres/01

Hachette (tome 2p. 101).


I. Fragment.


Les grâces que Dieu fait en cette vie sont la mesure de la gloire qu’il prépare en l’autre. Aussi, quand je prévois la fin et le couronnement de son ouvrage, par les commencemens qui en paroissent dans les personnes de piété, j’entre dans une vénération qui me transit de respect envers ceux qu’il semble avoir choisis pour ses élus. Il me paroît que je les vois déjà dans un de ces trônes où ceux qui auront tout quitté, jugeront le monde avec Jésus-Christ, selon la promesse qu’il en a faite. Mais quand je viens à penser que ces personnes peuvent tomber, et être au contraire au nombre malheureux des jugés, et qu’il y en aura tant qui tomberont de leur gloire, et qui laisseront prendre à d’autres, par leur négligence, la couronne que Dieu leur avoit offerte, je ne puis souffrir cette pensée : et l’effroi que j’aurois de les voir en cet état éternel de misère, après les avoir imaginés, avec tant de raison, dans l’autre état, me fait détourner l’esprit de cette idée, et revenir à Dieu pour le prier de ne pas abandonner les foibles créatures qu’il s’est acquises, et lui dire avec saint Paul : « Seigneur, achevez vous-même l’ouvrage que vous-même avez commencé. » Saint Paul se considéroit souvent en ces deux états ; et c’est ce qui lui fait dire ailleurs : « Je châtie mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. » (I Cor., ix 27.)