Parlons peinture (2)


De Stijlannée 4, numéro 1 (p. 5-8).
PARLONS PEINTURE ....
PAR LÉONCE ROSENBERG.

Au XVIe siècle l’humanité connut la renaissance d’une forme, aujourd’hui elle connaît celle de l’Esprit. Comme le Cubisme, tout en enrichissant, l’Art d’un aspect nouveau, ramène à ses principes essentiels lui seul représente véritablement „la Renaissance”.

Il n’y a donc pas „Esprit nouveau” mais forme nouvelle.

Dans sa préface à „Des Principes de la Guerre”, le Maréchal Foch conclut ainsi:

...... Tel, à de certaines époques, l’art de la construction s’élance parfois dans un style particulier, à portées plus grandes, que lui permettent de réaliser des matériaux nouveaux, ainsi qu’un travail plus fini, sans que se trouvent modifiés, pour cela, des principes de statique qui régissent l’architecture de tous les temps. Il en est de même de l’art de la guerre, même après les dernières campagnes.
Les formes évoluent, les principes directeurs subsistent.”

L’artiste doit d’abord créer de beaux matériaux, construire ensuite suivant la Loi, enfin parer l’œuvre de toutes les richesses de son amour.

L’individualisme exaspéré conduit au pillage. Le besoin de se glorifier vite eux-mêmes, empêche certains artistes de tirer spontanément des lois fondamentales la forme de leur art et les incite par conséquent à chercher dans l’œuvre des autres — ce qui est plus facile et plus expéditif — le genre utile.
Ils s’attribuent ainsi une ou successivement plusieurs de ces manières qu’on a pris la vaine habitude d’affliger d’un nom. Et c’est cette continuité dans le pillage que les individualistes osent appeler „la Tradition”.
Certain critique anglais notoire reprochait aux Egyptiens d’avoir fait de l’art „en série”. Opinion d’individualiste incorrigible. Qu’importe le tempérament, l’émotion, la petite aventure et autres causes personnelles, fugitives et accidentelles de l’état d’âme ou de la vie de l’ouvrier. On ne lui demande rien d’autre que de matérialiser définitivement suivant la règle et de toutes les forces de son amour, ce qui existe en dehors de lui, le dépasse et lui survivra : l’esprit d’une race ou d’une civilisation.

L’artiste qui se sépare de l’Universel, s’écarte ainsi de la Vérité.

Les œuvres des purs constructeurs sont pour les peintres-cuisiniers autant de „j’accuse” qu’ils fuient avec colère et crainte.

Le XIXe siècle qui annonçait déjà un monde nouveau fut vers sa fin trop généreux. Il commit d’étranges erreurs: Puvis de Chavannes, Carrière, Gauguin, Degas.

Aucun pays au monde n’a, au cours d’un siècle environ, fourni un effort aussi continu, aussi heureux et aussi important que la France, et nulle part ailleurs on ne compte autant de témoignages d’affranchissement ni de tels espoirs de réalisation :

Académisme: David
Classicisme: Ingres
Romantisme: Delacroix
Rèalisme: Conventionnel Millet
Sensuel Courbet
Dramatique Daumier
Poétique Corot
Subtil Renoir
Constructif Cézanne
Idealisme: Empirique Objectif: Henri Rousseau
Subjectif: G. Braque
Rationel Objectif: Seurat
Subjectif: Fernand Léger
Absolu Auguste Herbin

Quelque raffinée et séduisante qu’elle puisse être, toute peinture qui ne peut se décomposer ni se reconstituer comme un moteur, une cathédrale ou un temple n’est que de la „cuisine”.

Le vrai peintre part de la toile pour aboutir à la surface, le bon critique, lui, doit aller de la surface vers la toile.

Une peinture s’évaluant en profondeur, et non en surface, l’importance du sujet devient tout relative.

Pour les constructeurs les nécessités de l’organisation du tableau règlent les attitudes, pour les analystes les attitudes déterminent la composition.

Aime les œuvres d’art sous leur soleil, mais fuis ces charniers qu’on nomme les collections d’antiquités.

Repousse ce qui est uniquement basé sur l’instinct et n’a d’autre règle que celle du hasard.

La richesse est dans l’esprit et non dans les yeux. Mais ceux qui entendent afficher leur richesse matérielle, ne se résignent pas facilement aux matières simples.

Certaines peintures rappellent ces chapeaux de femmes, admirés aujourd’hui, demain trouvés ridicules, parce que les plus savantes combinaisons d’oiseaux empaillés et de fleurs artificielles ne peuvent tout de même pas entrer dans la Vie.

Ceux qui, dans la douleur de leur désillusion, se plaignent avec trop d’amertume d’avoir été socialement déçus par certains artistes, devraient se rémémorer la parole de Locke : „Dieu, en faisant le prophète, ne défait pas l’homme”.

On s’apercevra un jour, peut-être très proche, que le fait Cézanne avait infiniment plus d’importance que l’œuvre même de l’artiste.

Rien n’est plus mystérieux que le secret de ceux qui ne savent rien. N’essaye jamais d’ouvrir le coffre de fer, si compliqué, où ils prétendent l’avoir enfermé, ils ne vous pardonneraient jamais d’avoir découvert le vide absolu de leur cachette.

(à suivre).