Parfums aimés (Théodore Hannon)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 163-165).


Parfums aimés


xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxI

Quand par la nuit, comme un voleur,
Désertant l’énervante alcôve,
De tes bras altiers je me sauve
Sans force, sans voix, sans chaleur ;

Quand je me hâte en la nuit froide,
Le front pâle, les yeux rougis,
Fiévreux, regagnant d’un pied roide
Tristement mon triste logis ;

Lorsque je fends l’ombre funèbre
À pas indécis, plein d’émoi,
Doucement je songe à part moi…
L’horreur des minuits m’enténèbre.

Emmitouflé dans ce manteau
D’ombres propice aux songeries,
Je vais savourant le gâteau
Des ressouvenances chéries.


Sans souci des rôdeurs du soir
Me dévisageant d’un air drôle,
Sans voir la brute qui me frôle
Et qu’au ruisseau l’alcool fait choir,

Sans voir la fille qui sautelle
Aux cadences de ses satins,
Sans répondre aux mornes catins
Dont le sourire s’empastelle,

Par ton image protégé,
(Telle une image tutélaire !)
Je fuis, ton souvenir logé
Sur ma peau, — comme un scapulaire.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxII

Aux toits s’encolère le vent ;
Lamentable, la girouette
S’endiable, grince, pirouette,
Sous le ciel noir qui va pleuvant.

Dans sa robe de pénitente,
Là haut la lune a l’œil mauvais.
Que m’importe ! Je vais, je vais
Les nerfs dolents, la chair contente.


Ton arôme vivace et fort
Dans ma chevelure se joue,
L’âme de tes caresses dort
Sur mes lèvres et sur ma joue.

Au sein des brumes, par la nuit,
Sur mes pas ton bouquet s’étale
Et de ta chair, pulpe et pétale,
Le chœur subodorant me suit.

Chœur qui me grise et me protège
De tous ses esprits parfumés ! —
Dans ces senteurs, tendre cortège,
Je m’avance, les yeux fermés,

Et crois encor, sous le ciel d’encre,
Être blotti dans ton chignon,
Au creux de tes seins, port mignon
Où mes désirs ont jeté l’ancre.