Calmann Lévy, éditeur (p. 173-178).


PROLOGUE
AU PHORMION DE TÉRENCE




Dit par Mlle Marie Dumas, aux Matinées Internationales du théâtre de la Gaité.





Ô spectateurs, prêtez une oreille attentive !
Voici que tout à coup, dans sa forme native
L’antique Comédie, au propos relevé,
Renaît sur cette scène et vous dit le Salve !
La pièce dont s’agit aujourd’hui, qui se nomme
Le Phormion, naquit vers l’an six cent de Rome.


Marcus Valérius et Caïus Fannius
Étant, — parlons un peu latin, — consulibus.
Térence, son auteur, la prit d’Apollodore,
Poète athénien, mais l’embellit encore,
La fit sienne, en un mot, de son adroite main
Sur la trame du Grec semant l’esprit romain.

Maintenant, d’un seul trait, établissons d’avance
La situation, quand la pièce commence.
Alors que leurs parents sont tous les deux absents,
Antiphon, Phédria, jeunes adolescents,
Deviennent amoureux : usant de stratagème,
L’un épouse Phanie, orpheline qu’il aime ;
Mais l’autre, moins heureux, ne peut, faute d’argent,
Arracher au pouvoir d’un marchand exigeant
L’esclave Pamphila, dont son âme est éprise.

Tout à coup les parents reviennent… double crise :
Reproches, désespoirs, lutte, discussion,

Tout éclate à la fois : mais, menant l’action,
Voici venir Géta, l’adroit valet, — grand-père,
À ce que l’on prétend, du Scapin de Molière ; —
Et voici Phormion, le chicanous, le roi
Des hardis crocs-en-jambe allongés à la loi,
Ayant, de bons dîners et de procès avide,
Le cerveau toujours plein, l’estomac toujours vide !

Grâce à ces deux lurons, comme vous devinez,
Les vieillards, déjoués, bafoués et bernés,
Dans un piège subtil donnent à l’étourdie…
Puis, dénoûment forcé de toute comédie,
D’une double union les nœuds sont consacrés :
Et tout cela, comment ? C’est ce que vous verrez !

Plus que deux mots encore et mon discours s’achève.
Laissez, ô spectateurs, sur les ailes du rêve
S’envoler votre esprit, grisé d’illusion,
Vers les temps et les lieux où notre Phormion

Eut, la première fois, les honneurs de la scène.
Pour le Tibre au flot jaune abandonnez la Seine ;
Oubliez un moment Paris, votre cité
Pour Rome, pour ses dieux et son éternité.
Et tenez… nous voilà dans le théâtre antique…
Sur le proscenium couronné d’un portique,
Faisant naître le rire ou les pleurs tour à tour,
Les acteurs vont bientôt apparaître en plein jour ;
Au lieu d’un dôme en plâtre et d’un ciel en peinture,
Le grand ciel bleu tapisse une large ouverture ;
Le soleil verse à flots ses rayons tamisés
Par des velums de soie, artistement posés ;
Sur les gradins de pierre une foule idolâtre
Inonde les contours d’un vaste amphithéâtre,
Et, préférant Térence à ses nombreux rivaux,
Prodigue à pleines mains d’unanimes bravos !

Or, mollement assis dans vos fauteuils… curules
N’allez pas sur nos doigts appliquer vos férules,

Ni d’un accueil glacé nous infliger l’ennui :
Comme on le fut jadis, soyez bons aujourd’hui ;
Prouvez que pour l’esprit et l’indulgence, en somme,
Le moderne Paris vaut bien l’antique Rome !