Calmann Lévy, éditeur (p. 3-10).

FIN DE SAISON





Octobre vient : de nos plages,
Comme des oiseaux surpris,
Les Parisiens volages
S’en retournent vers Paris.

Sur la grève, en longues files,
Veuves des baigneurs mouillés,
Les cabines immobiles
Ont des airs apitoyés ;


Au Casino, qui naguère
S’emplissait de gais flonflons,
À peine si quelqu’un erre
Dans le vide des salons ;

Sur la table de lecture
Le journal tant retenu
S’offre, — vulgaire pâture, —
Au premier passant venu ;

Les affiches pendent, tristes :
Le vrai « Chocolat Ibled »
S’accole aux grands noms d’artistes,
Mesdames X, Y, Z ;

Avec un regret sonore
Dans les galets entassés
Le flot glisse, et cherche encore
Les beaux corps qu’il a bercés ;


À l’hôtel, chacun vous aime :
L’hôtelier, discret et doux,
Tient à vous servir lui-même
Un beefsteak choisi pour vous,

Et, soignant votre pratique,
Vous donne, pour très peu cher,
La chambre, la chambre unique
Avec balcon sur la mer.

Ô mer, éternelle amie !
Par cet automne éclatant,
Rêveuse et presque endormie,
Jamais je ne t’aimai tant !

Loin des foules affolées
Qui chaque été, mêmement,
Sur tes plages violées
Jettent leur encombrement ;


Loin du bruit qui vous obsède,
Loin du monde qui fait loi,
À soi seul on te possède,
On t’a tout entière à soi !

Aussi prends-tu pour leur plaire,
À ces derniers amoureux,
La toilette la plus claire,
Et les tons les plus heureux.

Sous cette brume ténue
Que met sur toi le matin,
Tu leur dis la bienvenue
D’un air discret et mutin ;

Quand, par les midis splendides,
Tu t’étales au soleil,
Pour les fêter, tu te rides
D’un beau sourire vermeil ;


Et, quand le couchant te grise
De flots d’ocre et de carmin,
Tu sembles, coquette exquise,
Leur murmurer : « À demain ! »

Mais en vain ta voix supplie,
En vain tu fais les yeux doux :
Alors même qu’on l’oublie,
Paris vit toujours en nous.

La grand’ville nous appelle :
Trop faibles pour résister,
Ô mer, compagne fidèle,
Nous t’allons bientôt quitter !

Nous allons quitter tes plages,
Tes grèves de sable uni,
Tes grands ciels, où les nuages
S’entassent à l’infini ;


Ta brise aux senteurs salées
Dont le poumon se gonfla,
Tes grandes vagues perlées…
Nous quitterons tout cela

Pour ces plaisirs qu’on renomme,
Ces beaux plaisirs de l’hiver :
Le vieux whist qui vous assomme
En face d’un vieux partner ;

Le théâtre où l’on s’installe
Pour humer l’air éthéré
Par deux gros voisins de stalle
Plus qu’à moitié respiré ;

Les grands dîners d’étiquette
Avec des gens inconnus,
Où la gastrite vous guette
Sous les roses des menus ;


Le bal, — supplice canaque ! —
Où chacun vient s’entasser,
Et cire un parquet qui craque,
Sous prétexte de danser ;

Les raouts de toute sorte,
Et les fêtes de haut goût
Où, serré contre une porte,
Tenant à peine debout,

On entend l’artiste en vogue
Qui, folâtre ou bien fatal,
Vous récite un monologue…
Mais n’en disons pas de mal !

Oui ! c’est pour toutes ces joies
Que nous te quittons, ô mer,
Jusqu’à ce que tu nous voies
Revenir vers ton flot clair,


Sur tes belles grèves roses
À l’impalpable gravier
Soigner nos folles névroses
Et nos rhumes de janvier !