Parapilla, poëme en cinq chants, (éd. 1776)/04

A Florence, chez Cupidon. M. DCC. LXXVI (p. 35-44).


Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre


CHANT IV.


RIen ne me charme autant que la morale,
Noble aliment fait pour l’eſprit humain ;
Voilà pourquoi ce Poëme en eſt plein :
Malheur pourtant à celui qui l’étale
Sans la parer, ſans la couvrir de fleurs,
Car il fera bâiller tous les Lecteurs.
L’ame eſt rebelle auſſi-tôt qu’on l’ennuye.
Maſſillon même a ſa coquetterie,
Et Fénelon daigna peindre Eucharis.
Que ſi je trace aux Belles de Paris
Des voluptés dignes du Paradis,
Triſtes Docteurs, Cenſeurs atrabilaires,
Quel eſt mon but ? Cela ne doit-il pas
Les détacher des choſes d’ici-bas ?

Chérira-t-on de ſemblables miſeres ?
Galant, de Cour ſi beaux, ſi bien tournés,
Faites les fiers, on va vous rire au nez.

 En ce tems-là vous ſaurez que la ville
Fut diviſée en différents partis,
Et qu’on craignoit une guerre civile.
Les plus ſuſpects, étoient les Capponis.
Le Barigel courroit toutes les nuits,
Eſpionnant, faiſant par-tout la ronde,
Interrogeant & fouillant tout le monde,
Et pour un rien les menant en priſon.
Il rencontra cheminant dans la rue,
L’homme au coffret : l’heure étoit très-indue ;
Et la livrée excitant le ſoupçon :
Arrête-là… Dis-moi ce que tu portes ? —
» Je n’en ſais rien. — La clef ? — Je ne l’ai pas…
» Allons, coquin, au cachot de ce pas.
L’autre entendant ces paroles trop fortes,

Jette la boîte, objet du démêlé,
Et court, & fuit, & tout honteux arrive
A la maiſon, diſant : on m’a volé.
Mais la caſſette ? hélas ! elle eſt captive.
Ce cher tréſor, par quel arrêt du Ciel
Va-t-il tomber aux mains d’un Barigel ?
Belles, pleurez, mais ſachez vous ſoumettre ;
Suivons toujours notre hiſtoire à la lettre.

 Au point du jour le Prévôt haraſſé,
Rentrant chez lui, n’eut rien de plus preſſé
Que de forcer la boîte & la ſerrure.
Les gens fort ſots ne s’étonnent de rien :
Comme il n’étoit du tout Phyſicien,
Il dédaigna ſon étrange capture ;
Et laiſſant-là le tout à l’aventure,
Entre deux draps il ſe met promptement,
Et bâille, & ronfle, & dort profondément.


 Ce jour-là même il marioit ſa fille,
Fort ingénue, au reſte aſſez gentille.
A l’heure dite on va la réveiller.
Tous les parents venoient de s’aſſembler ;
Chacun s’embraſſe & l’on court à l’Egliſe ;
Le Prêtre dit : Ego, vos conjungo.
Puis l’on s’en vient, & l’on dîne à gogo,
Tout en diſant mainte & mainte ſottiſe.
On rit, on boit, & chacun prophétiſe
Le ſiecle d’or aux deux nouveaux conjoints :
C’eſt fort bien fait ; mais gare les adjoints.

 En nous chargeant d’une chaîne ſi dure,
Avons-nous bien conſulté la nature ?
Se condamner à ſe plaire, toujours !
Enchaîne-t-on les Graces, les Amours ?
Ces petits Dieux n’ont-ils pas tous des aîles !
Hymen ſe trompe, il en fait des rebelles.
Tyran farouche, impérieux, jaloux,

Comme un Vautour, le ſoupçon le déchire :
Il eſt puni ; l’Amour tombe aux genoux
De la Beauté, la conſole, l’admire ;
Par ſon reſpect, il veut tout mériter :
Elle eſt eſclave, il en fait une Reine,
Une Déeſſe ; on me peut réſiſter.
Vous le croyez… Mais c’eſt trop m’écarter
De mon ſujet, Gabriël m’y ramene…

 L’après-midi, ſans-trop ſavoir pourquoi,
La mariée a quitté la cohue,
Toute inquiete, & rêvant à part ſoi,
En attendant que la nuit ſoit venue.
Dire comment la Belle eſt parvenue
A cette chambre où ſon pere couchoit,
Je n’en ſais rien ; mais enfin c’eſt un fait,
Et l’y voilà. Quoi, dit-elle, un coffret
De bois de roſe en belle mozaïque ?
Sachons un peu quel eſt ce beau ſecret.

Ainſi penſoit Eve, Pſyché, Pandore,
Madame Loth, & bien d’autres encore.
Inceſſamment vous jugez qu’elle ouvrit ;
Vous devinez comment l’autre s’y prit,
Comme il accourt, comme il entre en ménage ?
Si que la Belle, à ſon apprentiſſage,
Croit que c’eſt-là la fin du Sacrement
Qu’elle ignoroit, & ſe pâme d’autant.

 L’époux ſurvient, qui, la trouvant précoce :
Parbleu, dit-il, ne vous preſſez pas tant,
Vous allez voir un beau préſent de noce.
Non, mon ami, non, je le tiens… Hélas !
C’eſt bien en vain qu’il ſe jette en ſes bras,
Ivre d’amour, impatient ſuperbe ;
On lui crioit, vous nous importunés :
Notre homme reſte avec un pied de nez,
Et c’eſt de-là que nous vient le proverbe.


 Du haut des Cieux Gabriël a ſouri :
Que voulez-vous ? tel eſt ſon caractere,
Il ne craint pas de berner un mari.

 Le voilà donc fixé dans la carriere,
Bravant l’hymen, étonnant les Amours,
Ce fier athlete, & triomphant toujours.
Mortels heureux, on vante l’Eliſée ;
Il étoit-là ! mais quoi, dans ce bas lieu
Du plus grand bien il ne nous faut qu’un peu,
Et toujours feindre & choſe mal-aiſée.

 La chere Enfant, ſi l’on veut le ſavoir,
Fuyoit le monde, & ſur-tout les voiſines :
Chacun diſoit : elle fait trop de mines.
Vous qui riez, je voudrois vous y voir.

 Mais tout prend fin parmi l’eſpece humaine ;
Car un beau jour que ſon pere mourut,

Que les parents, amis, tout accourut :
Ah ! diſoit-elle ; en reſpirant à peine.
Chaque ſoupir trompoit, encourageoit
Notre Héros ; plus elle s’affligeoit,
Plus ſon aſpect vous ſéduit, vous enchante.
Baignés de pleurs, ſes regards ſont divins,
C’eſt Médicis, des crayons de Rubens.
Bref, ſa douleur parut ſi raviſſante,
Que le ſcandale en fut univerſel.
Toute éperdue & le cœur plein d’angoiſſe,
Elle s’échappe & vole à ſa paroiſſe,
Et ſe proſterne, & dit : Pouvoir du Ciel,
Rendez la paix à ces ſombres demeures !
Ce Memento n’étoit pas dans ſes heures ;
Elles ſont-là, près d’elle, à l’abandon.
Une dévote à coëffe rabattue,
A ſes côtés faiſant le cou de grue,
Prioit auſſi, mais ſur un autre ton.
L’autre reprit ſon livre de prieres,

Et tout-à-coup à ſes regards brilla
Un beau billet en très-gros caracteres,
En lettres d’or : dites, Parapilla.
Ne doutant point de quelques grands myſteres,
Elle obéit : Meſdames, plaignez-la.
Triſte miracle ; & peu digne d’envie !
Elle ne fit de mines de ſa vie.

 Mais l’habitude a de puiſſants appas.
Bien que l’Epoux obtint mainte victoire,
Qu’elle eût par fois qu’elqu’Amant dans ſes bras,
Toujours pleurant les beaux jours de ſa gloire,
Elle diſoit, non, vous ne m’aimez pas.

 Or maintenant, quelle ſut la retraite
Du fugitif ? La dévote en prit ſoin.
C’étoit Marton : il n’alla pas fort loin.
Du grand Laquais porteur de la caſſette,
Elle a tiré l’aveu le plus complet ;

Delà, ſuivant le gibier à la piſte,
Grace au ſoupçon, bon phyſionomiſte,
Elle connut quel lieu le recéloit.
Mais il s’agit d’en être l’exorciſte,
Sans ſe commettre ; & le plan bien conçu,
Le mot du guet, placé juſte en meſure,
A mis à fin cette belle aventure.
Encor un Chant, tout vous ſera connu.




Parapilla, poème érotique Français, illustration