Parapilla, poëme en cinq chants, (éd. 1776)/01
PARAPILLA
CHANT PREMIER.
’Autres pourront chanter le Labarum,
Le bouclier de l’Amant d’Egérie,
Ou l’Oriflamme, ou le Palladium,
Ou des Rhémois l’Ampoule ſi chérie,
Préſents ſacrés, tous deſcendus des Cieux,
Des Rois dévots merveilleuſes étrennes :
Je veux chanter un don plus précieux,
Ce bijou-ci plairoit beaucoup aux Reines ;
Il eſt céleſte, unique, plein d’attraits :
Mais par malheur, ſur les traces d’Aſtrée,
Il remonta là-haut dans l’Empirée ;
Le Ciel jaloux a repris ſes bienfaits.
Tendre Vénus, & vous Minerve même,
Guidez mes chants, inſpirez tous mes Vers ;
Vous m’aiderez à charmer l’univers ;
Et mon Héros, par ſa beauté ſuprême,
Tiendra ſur lui vos yeux toujours ouverts.
Grace à ma muſe, Emule de Virgile,
J’ai fait l’exorde ; & c’eſt beaucoup dit-on ;
Parler des Dieux, n’eſt pas choſe facile :
Or ſus, ma lyre, il faut baiſſer d’un ton.
J’adis vivoit dans les murs de Florence
Un beau Gallant, d’une haute naiſſance,
Nommé Rodric ; hélas ! trop généreux.
Car de la Blonde allant droit à la Brune,
En beaux feſtins, cadeaux, plaiſirs & jeux,
Il eut bientôt diſſipé ſa fortune.
Que devenir en cette extrêmité ?
Sage il devint, grace à l’adverſité.
Fuyant ſa honte, & cachant ſa miſere,
L’infortuné, d’un peu d’argent comptant
Qui lui reſtoit, achete une chaumiere,
Et tout auprès un petit bout de champ.
Là, tout penſif, ſans valets ni ſervantes,
Il travailloit, ayant parmi ces ſoins
Un peu d’humeur : on en auroit à moins.
L’aurore ouvroit ſes portes éclatantes
Quand tout-à-coup un beau jeune Garçon
Vint l’aborder, & lui dit ſans façon :
» Holà, l’ami, dis-moi ce que tu plantes ?
Rodric, peu fait à ces tons élevés,
Lui répondit : » c’eſt ce que vous ſavez.
Jeunes Beautés, ce ne ſont pas ſes termes :
Il ſe ſervit de mots un peu plus fermes,
Diſant tout haut les choſes par leur nom,
Que je tairai, ſi vous le trouvez bon.
Vous connoiſſez cette plante ſi belle ;
De vos beaux yeux un doux regard ſuffit,
Un ſeul regard, c’eſt le ſoleil pour elle,
Mais reprenons le fil de mon récit.
Lorsque Rodric, ayant martel en tête,
Eut proféré ce diſcours malhonnête,
Le beau Garçon froidement déclara :
» Vous en plantez, eh bien, il en viendra. »
Soudain il fuit comme une ombre légere,
Et de ſon pied touche à peine la terre.
Rodric alors reſta pétrifié,
Lui qui parloit en tout tems comme un livre :
Avoir ainſi manqué de ſavoir-vivre,
Brutalement avoit congédié,
O Ciel ! & qui ?… c’eſt un Age… ſans doute,
C’eſt Gabriël de la céleſte voûte
Exprès pour lui deſcendu par pitié.
Un tel ſoupçon n’a rien de fort étrange.
Durant le cours de ſes plaiſirs mondains,
Toujours Rodric honora ce bel Ange,
Beau meſſager du Maître des deſtins.
Car à Florence on brûle plus de cierges
Aux Chérubins, qu’aux onze mille Vierges ;
Informez-vous, chacun vous le dira.
Mais quel remords, & quelle étourderie !
Comme il gémit & ſe déſeſpéra !
Si de l’effet la menace eſt ſuivie,
Plus de reſſource ; & comment ſe nourrir :
Pauvre Rodric, tu n’as plus qu’à mourir.
L’astre du jour, durant cette élégie,
De ſes rayons prodiguant les bienfaits,
Lançoit par-tout la chaleur & la vie :
Soir & matin Rodric eſt aux aguets.
Finalement, ô douleurs ! ô regrets !
Le fruit fatal s’élevant ſur la terre,
Nouvel Œdipe, eſt vainqueur de ſa mere.
Fille qui trouve un ſerpent ſous ſes pieds
En folâtrant ſur la verte prairie,
De plus d’effroi ne peut être ſaiſie.
Point de pécheurs qui ne ſoient châtiés.
Rodric puni ſe ſigne, s’agenouille,
De pleurs amers ſon viſage ſe mouille :
Ecoutez bien, mes vers ſont un ſermon.
Le Gabriël eſt né plaiſant, mais bon ;
Il pardonna. Les aîles étendues,
Je l’apperçois, qui, d’un air triomphant,
Paré de pourpre & porté ſur des nues,
Dit à Rodric : » Calme-toi, mon enfant ;
» Tu viens de voir un ſingulier prodige,
» Mais ce n’eſt rien : prends la plus belle tige :
» Dans un panier alors tu la mettras ;
» Cours à la Ville, & là tu la vendras
» Cent mille écus ; c’eſt le prix, & pour cauſe ;
» Car auſſi-tôt que l’on verra la choſe,
» Femme ni fille, à tous ne manquera
» De s’étonner, & de crier ah ! ah !
» Or, dans l’inſtant la divine merveille,
» Chez celle-là qui pouſſera ce cri,
» S’introduira, mais non pas par l’oreille ;
» Et là ſans ceſſe, un doux charivari
» Excitera volupté ſans pareille,
» Si l’on ne dit ce mot, Parapilla.
» Adieu, Rodric ; retiens bien tout cela.
L’Ange s’envole, & Rodric s’humilie.
Il s’en va donc cueillir le fruit de vie,
Bien proprement le place en un panier,
D’un tas de fleurs lui fait un oreiller,
Le tout couvert de belle mouſſeline :
Le Pain béni n’a pas meilleure mine.
Quant au ſurplus des fruits de ce jardin,
Vous le dirai-je ? il diſparut ſoudain.
Le cher Rodric cependant s’achemine ;
Il va bientôt revoir ces lieux chéris,
Temple des Arts, enfans des Médicis.
Tout s’embellit ſous leurs mains ſouveraines ;
Nobles Tyrans, & modeles des Rois,
Les Muſes même avoient dicté leurs loix
Et leur Palais eſt l’aſyle d’Athenes.
Avec tranſport Rodric hâta ſes pas ;
Et le voilà, criant ſa marchandiſe,
Et par ſon nom, de crainte de mépriſe,
Sans quoi les gens ne devineroient pas.
Car liſez bien fable, Roman, Hiſtoire,
Interrogez Sorciers & Loup-garoux,
Point ne verrez que jamais à la foire
On ait vendu de ſemblables bijoux.
Contes en l’air, me diront cent critiques ;
Tant pis pour eux : c’eſt un homme de bien
Qui nous tranſmit tous ces faits authentiques ;
Si l’on en doute, on ne croira plus rien.
Gens indévots, grands faiſeurs d’Epigrammes,
Exercez-vous, j’en prends peu de ſouci ;
Moi, je ſuis ſimple, & c’eſt aux bonnes ames
Que je veux plaire en écrivant ceci.
Or, prêparez vos yeux & vos oreilles.
O Gabriël ! que ton bras eſt puiſſant !
Vous allez voir d’étonnantes merveilles ;
Mais laiſſez-moi reſpirer un moment.