Imprimé au Devoir (p. 151-152).

LE LIEN


Quand le jour brille dans la plaine,
Au-dessus des larges sillons.
Et dans la lumière sereine,
Palpitent de blancs papillons.

Ils vont, viennent, passent, voltigent
Sans bruit, autour des blés mouvants ;
Puis, ils s’arrêtent sur la tige
Des longs épis, livrés aux vents.

« Ô blonds épis, sachez nous suivre,
« Disent-ils, venez dans l’azur,
« Où la liberté nous enivre,
« Où les parfums baignent l’air pur !


« Pourquoi, sur ces terres rebelles,
« Pourquoi demeurez-vous bannis ?…
« N’avez-vous pas aussi des ailes,
« Pour voler vers les infinis ? »…

Et les tiges, fines et blondes,
S’élancent pour prendre leur vol ;
Mais leurs racines trop profondes
Les tiennent lourdement au sol !



Ah ! pauvres humains que nous sommes,
Livrés au monde, sans merci !
Combien d’hommes parmi les hommes,
Ont voulu s’élancer ainsi !

Combien d’âmes, belles et pures,
Ont fait ce rêve de monter,
De monter loin des flétrissures,
Dans l’azur et dans la beauté !…

Mais, hélas ! quand nous ouvrons l’aile,
Nous sentons un infâme lien :
Plus le céleste nous appelle,
Plus le terrestre nous retient !…