Imprimé au Devoir (p. 123-124).

SA FILLE


Elle était son amour, il n’avait qu’elle au monde,
Car sa femme au tombeau dormait depuis longtemps.
Seule elle lui restait ; l’or de sa tresse blonde
Mettait, sur son hiver, un reflet de printemps…

Elle était son appui, son orgueil et sa joie,
En elle, il réchauffait son pauvre cœur glacé ;
Le soir, elle allumait le bon feu qui rougeoie,
Et sa voix éveillait les ombres du passé !…


Elle savait tenir la maison belle et nette.
De la joie et de l’ordre, elle avait le secret.
Elle trempait la soupe, et, de sa voix fluette,
Disait : « Père, viens-tu, notre repas est prêt ? »

Un jour, elle s’éprit d’un jeune fonctionnaire.
Ils se voyaient souvent et se parlaient tout bas.
Elle devint sa femme et quitta son vieux père,
Car l’amour est, parfois, bien cruel ici-bas !…

Et, maintenant, brisé d’un mal qui le déchire,
Il pleure cette enfant au regard virginal
Dont le rire chantait, et dont le clair sourire
Brillait comme un rayon de soleil matinal !…

Et quand il va, coiffé d’un grand chapeau de paille,
Dans la plaine où, jadis, il aimait la revoir,
Il croit voir se dresser partout sa jeune taille,
Svelte comme les blés que le vent fait mouvoir !…