Imprimé au Devoir (p. 65-67).

AUX ANCÊTRES MARINS


I

Ancêtres ne soyez pas surpris si je chante,
Si je chante aujourd’hui le Saint-Laurent amer,
Ce fleuve — un océan dont la fureur enchante —
Ce fleuve merveilleux que nous nommons « la mer » !…


Ne me demandez pas pourquoi j’aime la houle
Que le reflux ramène aux lieux accoutumés ;
Ne me demandez pas pourquoi, loin de la foule,
J’aime revoir ces flots dans lesquels vous dormez !…



Car, plusieurs d’entre vous, ô rudes capitaines,
Partis, l’âme joyeuse et le cœur plein d’amour,
Se sont couchés au fond de ces ondes lointaines,
Et dorment du sommeil qui doit durer toujours !…


Et, pourtant, vous étiez les fils de la colline,
Et vous aviez connu les champs de vos aïeux ;
Mais l’onde vous parla : sa parole câline
Mit le rêve en votre âme, et l’azur en vos yeux !…


Et vous avez quitté cette terre féconde,
Ô fils du soi, chercheurs de domaines plus beaux,
Et vous êtes allés, dans la vague profonde,
Laboureurs de la mer, labourer vos tombeaux !…

II

Maintenant vous dormez au sein des algues vertes,
Ô mes rudes aïeux, ô sublimes marins !
Et seul le vent qui vient des montagnes désertes,
Trouble vos soirs sereins !…



Quand la brise du large ouvre ses grandes ailes,
Quand, le long des récifs, la mer vient se heurter,
Comme jadis, quand vous étiez sur vos nacelles,
On vous entend chanter !…


Mais quand le ciel se voile, et quand l’eau devient trouble,
Quand l’orage se fait menaçant dans les airs,
Quand le vent déchaîné rôde, là-bas, et trouble
Vos grands tombeaux déserts ;


Quand le flot, comme un bras qui frappe sur l’enclume,
À grands coups, vient s’abattre aux rivages altiers ;
Quand le doigt de la nuit vient sillonner d’écume
Vos sinistres sentiers ;


Quand terrassé, soudain, par la brise trop forte,
Quelque navire errant, au loin vient de sombrer,
À travers les sanglots que l’ombre nous apporte.
On vous entend pleurer !…