Par la harpe et par le cor de guerre/Le Retour du Barde



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LE RETOUR DU BARDE


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Né sur la terre des landes et des collines, — Au bord de la mer sauvage du nord, — Quand j’étais dans mon premier âge, — Le sang de mes veines était d’un rouge généreux.

Il bouillonnait à l’air de la côte ; — Mais maintenant mes joues sont décolorées ; — Hélas ! je vais par les pays, — Une fleur d’absinthe aux lèvres.

Mes ancêtres, vivants ou morts, — Étaient grandement honorés dans leur patrie… — Hélas ! et moi, sur le déclin de l’âge, — Je suis comme une herbe dans le pré.

Au-dessus de leur tête brillait le soleil, — Les regards du peuple vers eux se levaient. — Qui peut savoir si je suis bon ou mauvais ? — Je ne dépasse point le niveau des autres.

Les anciens savaient vivre — Sages et sans compromissions en ce monde ; — Ils cultivaient leur petit jardin ; — Et, parmi leurs fleurs, des saints grandissaient,

Mais les jardins sont abandonnés, — Les fleurs sont étouffées par les ronces ; — Dans le manoir sans toit ni porte — Vient hurler le vent de la mer.

La lumière va disparaître, — La Grande Nuit vient, épouvantable ; — La face rouge, comme le sang, le soleil pleure, — Avant de mourir, au bord de l’horizon.

Et toi, ma colombe ! oh ! quelle vie — T’ai-je faite jusqu’aujourd’hui, — À toi toujours la seule joie de mon logis, — Ton cœur battant contre le mien !

Le cœur glacé et oppressé, — Dans le deuil et dans l’effroi, — Je marche sur les ruines, — Une fleur d’absinthe à la bouche.


ii


Mais voici qu’un nouveau soleil, — Large, rayonnant, se montre dans les arbres ; — Un beau pays s’étend, — Sur le bord de la mer, au bout du monde.

On entend le cœur de la terre — Bouillonner au sein de ses profondeurs ; — Les nuages noirs fuient dans les cieux ; — Dans les champs s’épanouissent les fleurs. L’ombre est chassée, — La joie est dans les yeux de l’homme ; — Les frères enfin se reconnaissent, — Et, la main dans la main, appellent l’avenir.

Arrière, ruines mille fois maudites, — Où mon cœur était navré ; — Où, sur la terre, je versais — Mon sang et les larmes de ma douleur !

Salut à toi, terre charmante ! — Ton aspect me récon- forte : — Chaque langage, chaque fête, chaque souvenir, chaque coutume, — Tu as tout ressuscité, tout rajeuni !

Ayant secoué la poussière de mes talons, — Avec un cœur joyeux, je vais à toi ; — Me voici de retour et pour chanter, — Parmi les meilleurs de tes fils.

J’ai jeté la plante amère — Et cueilli sur le bord du sillon, — Au milieu des fleurs de la terre labourée, — Une petite marguerite de neige et d’or.

Et maintenant, si Dieu m’en fait la grâce, — Je vais, pendant le reste de ma vie, — Tresser des couronnes — Avec des rameaux de laurier et de chêne.