Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 63-64).

ΡΟΟΗ, ΡΙΙΟΗ, ΙΟΗ,

LE DIEU-LUNE, DIRECTEUR DES AMES.
Planche 14 (C)

L’esprit des peuples les plus civilisés de l’ancien continent, éminemment porté vers les idées religieuses, s’efforça, soutenu par des méthodes plus ou moins perfectionnées, de rechercher la nature des choses ; et non content d’étudier et de systématiser le monde physique, il voulut même pénétrer tous les secrets du monde intellectuel. L’Égypte proclama, la première, le dogme sublime de l’immortalité de l’ame[1] ; mais à cette vérité, source pure de toute morale, et fondement nécessaire de l’ordre social, les premiers législateurs ne purent lier que de simples hypothèses lorsque, établissant un corps de doctrine religieuse, ils voulurent expliquer aux hommes l’origine, l’état présent et le sort futur de cette portion de vie et de raison qui nous anime et qui nous dirige.

Les Égyptiens pensaient que les ames de tous les êtres qui peuplent l’univers, n’étaient que des émanations directes de l’Ame par excellence, de l’Esprit éternel et incompréhensible qui créa, maintient et gouverne les mondes[2]. Ils croyaient aussi que, sujettes à diverses transmigrations, les ames devaient successivement passer, en expiation d’une faute primordiale, dans les corps d’êtres de différents ordres, avant de rentrer dans le sein de la grande Ame dont elles sont émanées. La croyance vulgaire voulait enfin que, dans l’intervalle d’une transmigration à une autre, les ames errassent pendant un certain temps, dégagées des liens corporels, dans cet espace du ciel compris entre la Terre et la Lune[3], zone à laquelle le Dieu-lune, Pooh, présidait spécialement.

Ainsi, cette divinité jouait un rôle important dans le système psychologique des Égyptiens ; et parmi les peintures qui ornent les manuscrits découverts dans les cercueils ou sous les bandelettes des momies, il en est plusieurs qui sont relatives aux ames habitant la zone céleste soumise au dieu Pooh. Ces manuscrits renferment le Rituel funéraire plus ou moins complet ; et ce rituel, composé de prières adressées, en faveur de l’ame d’un défunt, à toutes les divinités présidant soit à la direction des ames pendant leur union et après la séparation du corps, soit aux différentes régions célestes dans lesquelles l’ame peut être envoyée, se divise en trois parties principales, ordinairement séparées par de grandes scènes peintes occupant toute la hauteur du manuscrit. La scène qui se trouve figurée entre la première et la seconde partie du Rituel funéraire[4], est divisée en trois bandes horizontales ; la bande supérieure représente la haute région du ciel occupée par l’image du Soleil répandant ses rayons sur les régions d’en-bas ; la troisième bande, est la région inférieure, la terre, et offre l’image du défunt assis, et recevant, pour l’ordinaire, les hommages de sa famille ; la bande intermédiaire est la partie du ciel située entre la Lune et la Terre, la demeure des ames, Ψυχῶν οἰκητήριον[5] ; on y a peint le dieu Pooh (la Lune) sous une forme humaine, élevant ses bras comme pour soutenir le disque lunaire placé sur sa tête. Cette divinité est toujours accompagnée de cynocephales, dont la posture indique le lever de la Lune[6], et souvent aussi d’oiseaux à tête et à bras humains dans une attitude de respect et d’adoration.

Ces oiseaux symboliques, formés d’un corps d’épervier et d’une tête d’homme ou de femme, étaient, chez les Égyptiens, les images sous lesquelles ils représentaient habituellement les ames dans les peintures emblématiques. Les témoignages de l’antiquité sont formels à cet égard[7] ; et s’il était besoin de nouvelles preuves, on pourrait citer le beau manuscrit hiéroglyphique acquis de M. Thédenat pour le cabinet des antiques de la Bibliothèque du Roi, manuscrit dans lequel on voit un de ces éperviers à tête humaine non barbue, perché sur un grand tas de blé devant de riches offrandes, et accompagné de la légende suivante en caractères sacrés Ⲃⲁⲓ (ⲟⲛϩ) ⲛ (ⲟⲩⲥⲓⲣⲑ) ⲧⲛⲧⲇⲙⲛ (ϩⲓⲙⲑ), Bai onh nousire tntamen l’Ame vivante de l’Osirienne Tentamon. On retrouve dans cette légende le mot bai qui, selon Horapollon, est le mot même dont se servaient les Égyptiens pour exprimer l’idée Ame[7].

Notre planche 14 (C), tirée de l’un des papyrus hiératiques publiés par la Commission d’Égypte, et reproduite avec les couleurs propres à chaque objet dans une foule d’autres manuscrits, nous offre donc les Ames adorant le dieu Pooh dans la zône céleste soumise à sa puissance.


Notes
  1. Hérodote, liv. II, § xxiii.
  2. Voyez ci-dessus l’article Ammon-Cnouphis.
  3. Dialogue d’Isis, voy. Stobæi, Eclogar. Physicar., lib. I, cap. LII, p. 1076 ; Iamblique, de Anima, ap. Euseb., Præp, evangelic.
  4. Voy. le grand mss. hiéroglyphique gravé dans la Descrip. de l’Égypte, Ant., vol. II, pl. 72.
  5. Dialogue d’Isis, déja cité.
  6. Voyez l’explication de notre planche précédente.
  7. a et b Horapollon, Hieroglyph., lib. I, cap. VII.

——— Planche 14 (C) ———