Pantagruel (Jarry)/Texte entier

Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Pantagruel (homonymie).
Pantagruel
opéra bouffe en cinq actes et six tableaux, musique de Claude Terrasse
Société d'éditions musicales.


PANTAGRUEL
opéra bouffe en cinq actes et six tableaux
Représenté pour la première fois
au Grand Théâtre de Lyon (Janvier 1911).
Sous la direction de M. H. Valcourt.


ŒUVRES DE CLAUDE TERRASSE

Au Temps des croisades (Franc-Nohain)
1 acte.
La Botte secrète (Franc-Nohain)
1
Cartouche (Hugues Delorme et Gally)
3
Chonchette (R. De Flers, G.-A. de Caillavet)
1
Les deux Augures (Franc-Nohain)
1
La Fiancée du scaphandrier (Franc-Nohain)
1
Godefroy (Courteline)
1
L’Ingénu libertin (Louis Artus)
3
Les Lucioles (Chorégraphie de Mme Mariquita)
1
Le Mariage de Télémaque (Jules Lemaître, Maurice Donnay)
5
La Mariée de la rue Brisemiche, pantomime (Courteline)
2
Monsieur de La Palisse (R. de Flers, G.-A. de Caillavet)
3
Panthéon-Courcelles (Courteline)
Pantagruel (Alfred Jarry, Demolder)
5
Pâris ou le bon juge (R. de Flers, G.-A. de Caillavet)
2
La Petite Femme de Loth (Tristan Bernard)
2
Le Sire de Vergy (R. de Flers, G.-A. de Caillavet)
3
Les Travaux d’Hercule (R. de Flers, G.-A. de Caillavet)
3
Pour paraître prochainement :
Gribouille (Romain Coolus)
3 actes.
Le Juif-Errant (Franc-Nohain)
3
Les Transatlantiques (Abel Hermant, Franc-Nohain)
2
Tartarin de Tarascon (Alph. Daudet, Franc-Nohain)
2


e. grevin — imprimerie de lagny


Alfred JARRY & Eugène DEMOLDER

PANTAGRUEL
OPÉRA BOUFFE EN CINQ ACTES ET SIX TABLEAUX
Musique de Claude TERRASSE

.................
Prix : Un franc.
.................

PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS MUSICALES
7, rue de la pépinière, 7

Tous droits d’exécution, de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, y compris la Suède, la Norvège et le Danemark.
Copyright by Société d’Editions Musicales 1911.


PERSONNAGES
PANURGE
MM.  Fabert.
PANTAGRUEL
Raynal.
FRÈRE JEAN
Rudolf.
PICROCHOLE
Euryale.
DINDENAULT
Mallet.
QUARESMEPRENANT
Van Laer.
PETAULT
Lavarenne.
BRINGUENARILLES
Revaldi.
LE HÉRAUT
Grossen.
Un Pilote
Échenne.
ALLYS
Mlle  Marie Vuillaume.
NANIE
Mmes  Mativa.
DAME LOURPIDON
Rambaud.
LA SORCIÈRE
Delhomme.
Divertissement dansé par :
Mlles Carnèsi, Cornilla, Francine Aubert.
Escholiers, Ribauds, Bourgeois, Truands, Peuple, Dignitaires, Hommes d’armes, Matelots, Moutonniers, Ribaudes, Dames de la Cour, Femmes du peuple, Brodeuses. Lutins.


PANTAGRUEL

ACTE PREMIER

Un carrefour du vieux Paris près de Notre-Dame. — On aperçoit la façade du Palais de Pantagruel.


Scène PREMIÈRE

PANTAGRUEL, RIBAUDS. RIBAUDES, ESCHOLIERS, brandissant des cruches, buvant à des bouteilles, décrochant les enseignes de fer et menant grand charivari.
chœur des ribauds

Tire, baille, tourne, brouille,
Verse-moi sans eau !
Mon âme est une grenouille
De tonneau.
Nos entrailles
Sont futailles :
Hay, mouillons,
Compagnons !
Prenons cailles
Par la taille,
Et troussons
Cotillons.

Tire, baille, tourne, brouille !
Lavons la panse de ce veau,
Que ce matin nous habillâmes.

pantagruel

Pardieu ! Buveurs très précieux,
Me suis-je bien montré digne de mes aïeux ?
De Gaster, Mardi gras à mine rubiconde,
Atlas portant le monde,
Briarée aux cent bras,
Grangousier et Gargantua ?

chœur

Hourra !
Pantagruel, fils de Gargantua !

pantagruel

Pour nous procurer bon festin,
Nous avons commis maint larcin,
Fait gratuites emplettes,
Puis, pour bien fretin fretailler,
Nous avons, dans le poulailler,
Déniché ces poulettes,
Sans souci des pauvres maris
Qui se morfondront cette nuit !
Vivons joyeux !
Rire, grâce à Dieu,
Est le propre de l’homme !

le chœur

Vivons joyeux, etc.

pantagruel

Après ces exploits souverains,
Un petit somme est un grand bien,

Oui, vraiment, sur mon âme !
Pour dormir plus profondément,
J’ai décroché du monument
Les cloches Notre-Dame.
Elles gisent sur le parvis,
Qui du choc encor retentit !
Vivons joyeux !
Rire, grâce à Dieu,
Est le propre de l’homme !

le chœur

Vivons joyeux, etc.

pantagruel

Alors que nous menons cette vie exemplaire,
Devoir de tout homme de bien sur terre,
Dire qu’il est ailleurs de tristes matagots,
Mangeurs de pois chiches et buveurs d’eau.
Conformons-nous aux lois de la bonne nature,
Et dès demain, partons courir les aventures,
Faisant flotter au vent notre fol étendard !
Exaltons la gaîté, le vin et le bel art
Des amours, des ripailles,
Et propageons partout la vaillante godaille !
En attendant, pour être au départ plus dispos,
Je vais goûter quelque repos ;
Battez, si bon vous semble, encore le pavé,
Ô fervents zélateurs de Bacchus, de Noé…

chœur

Evohé ! Evohé !
Hourra !
Pantagruel, fils de Gargantua !

pantagruel

Bonsoir, amis, bonsoir. Mais quoi ? Je ne vois point
Mon féal, mon badin,
Mon diseur de bons mots et mon architriclin
Panurge ?

premier ribaud

Il est allé payer ses dettes !

le chœur

Oh ! Oh ! Oh ! Oh !

deuxième ribaud

Ou faire nouvelles conquêtes !

le chœur

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

pantagruel

J’en suis bien réjoui !
Dans l’un ou l’autre cas, il en a pour la nuit,
Bonsoir !
Amis, bonsoir !
Vivez joyeux !
Rire, grâce à Dieu,
Est le propre de l’homme.


(Pantagruel entre dans son palais.)
le chœur

Lavons la panse de ce veau
Que ce matin nous habillâmes.


(Ils s’éloignent.)

Scène II

PANURGE, seul.
panurge, entrant affolé.

Otto to to to to ti
Voire — te voici hors d’affaire,
Ô Panurge, fils de ta mère !
J’avais quitté mes compagnons
Pour faire mes adieux mignons
À Lison aux gentils frisons,
À Berthon aux petits petons,
À Didon, Goton, Margoton,
Honnestes dames de renom,
Et je m’en revenais seulet,
Pimpant, gai comme un pinsonnet,
Méditant de nouveaux bons tours,
Quand soudain, au premier détour,
Des bourgeois, race rancunière,
Chacun hors de sa chacunière,
M’assaillirent en grand esclandre,
Tenant propos de me pourfendre !…
Avec mon courage, sans doute,
J’aurais pu les mettre en déroute ;
Mais j’aimais mieux, dans ce péril,
User de mon esprit subtil,
M’évanouir,
Tel un zéphir
Vzzzzzzzzz…
Et tu pris ta course légère,
Ô Panurge, fils de ta mère !
Voire… otto to to to to ti !


Scène III

PANURGE, BOURGEOIS, arrivant de tous côtés.
chœur des bourgeois

Par ici !
Et par là !
C’est bien lui !
Le voilà !


(Ils s’emparent de Panurge.)
panurge

Ahi !

le chœur

Ha ! coquin !
Malandrin !
Ha ! faquin !
On te tient !

panurge

Ha ! bonnes gens, quoi ? quoi ? quoi ? quoi ?
Qui cherchez-vous ? Ce n’est pas moi !
Je dois avoir quelque sosie !
Ou si c’est moi, je me renie !

les bourgeois

Nonobstant l’on te reconnaît
Grâce à la forme de ton nez !
À la Hart
Le pendart !


Scène IV

Les Mêmes, FRÈRE JEAN
frère jean

Quel est ce hourvari ? FrèreJean!Leprieur!

chœur des bourgeois

Quelestcehourvari?Frère Jean !Leprieur!

le chœur

Quelestcehourvari?FrèreJean!Le prieur !

un bourgeois, désignant Panurge.

Voici l’âme damnée
Du roi, le boute-en-train des mauvaises menées !

un groupe

L’on enlève nos femmes !

panurge

Calomnie ! Calomnie !

un autre groupe

On pille nos boutiques !

panurge

Voire !

un bourgeois

On vient de décrocher, infamie, infamie,
Les cloches Notre-Dame aux grandes voix bénies !
L’âme de la cité !

panurge

En vérité, en vérité,
Je n’ai point part à l’aventure !

un bourgeois

Moi, je t’ai bien vu, je le jure !

chœur

De par Dieu !
Pendons-le !

frère jean

Eh bien ! Eh bien ! mes frères,
Il n’est péché sur terre
Qui n’ait rémission.

le chœur

Non, non ! point de pardon !

frère jean

Eh bien, alors, mes frères,
Non point sans le secours de mon saint ministère !

panurge

Frère Jean, mon ami, mon bon frère, mon père
Spirituel, mon tout, oh ! sauve-moi !

frère jean

Hé bien !
Hé bien, comment ! Panurge, tu te plains ?
N’as-tu donc point joui de l’existence,
À pleine suffisance ?…
Les plaisirs sont
Chose éphémère,

Et font place à la désillusion
Amère !
Réjouis-toi, tu vas quitter celte vallée
Et de larmes et de misères.
Ton âme prendra sa volée
Au sein des angéliques sphères.
Dis donc merci, si tu m’en crois,
À ces bénévoles bourgeois,
Pour t’ouvrir — de profundis : —
Le Paradis !…

panurge, parodiant Frère Jean.

Eh bien ! Eh bien ! Frère Jean, faux ami,
Faux tout, si par ta faute,
Ta faute, ta très grande faute,
Si je pars le premier
Pour ces sinistres lieux dont Lucifer est l’hôte,
Chaque nuit, chaque nuit,
Mon fantôme viendra te tirer par les pieds !

frère jean

Étant homme d’Église,
Je t’exorcise.
Mais trêve aux paroles vaines !
Que ton esprit se rassérène,
En la sainte contrition,
Reçois ma bénédiction :
Panurge, allez en paix dans l’éternel repos, —
Ego te absolvo !

le chœur

À la Hart
Le pendart !

un bourgeois, habillé en marguillier, sort de la foule, une corde à la main.

Il doit être puni par où il a péché î
La corde qu’il a prise au saint clocher
De Notre-Dame !

chœur, passant la corde sur la potence d’une enseigne décrochée, et empoignant Panurge.

Que justice
S’accomplisse !
Holà hisse !

panurge, la corde au cou.

Ô you you you you !

frère jean

Arrêtez, arrêtez, sacrilèges !
Pendre un chrétien avec la corde vénérée
De nos cloches sacrées :
Profanation, profanation !…
Vous attirez sur vous
Le céleste courroux.
Excommunication ! Excommunication !
Anathème ! Anathème ! À genoux ! À genoux !

le chœur, avec terreur.

Pitié !
Pitié, pitié ! Ha ! Monsieur le prieur,
Épargnez-nous !

frère jean

Non, non !

panurge

Non, non !

le chœur

Ha, Monsieur le prieur ! pardonnez-nous !

frère jean

Non, non !

panurge

Non, non !

le chœur

Pitié, pitié, pitié ! mon père !

frère jean

Eh bien ! eh bien, devant ce repentir sincère,
Mes frères, je me sens fléchir :
Ainsi que le Seigneur a dit à ses apôtres,
Aimez-vous les uns les autres !
Ainsi donc,
Il faut que le pardon appelle le pardon.

panurge

Pardonnons-nous les uns les autres !

frère jean

Pardonnez d’abord à Panurge, votre frère,
Puis, que chacun de vous rentre en sa chacunière,
Et demain avant l’aurore,
Vous entendrez encore
Effaçant l’infamie,
Les cloches Notre-Dame aux grandes voix bénies.


le chœur

Pardonnons-lui, pardonnons-lui.
Rentrons, rentrons en nos logis,
Rentrons, citadins de Paris !

Ensemble.
panurge et frère jean

Rentrez, rentrez en vos logis,
Rentrez, citadins de Paris !


Scène V

Les Mêmes

chœur, lointain des Escholiers, Ribauds et Ribaudes.

Vivons joyeux,
Rire, grâce à Dieu,
Est le propre de l’homme !

Ensemble.
panurge

Ah ! ce sont eux, mes gentils compagnons,
O to to to to to ti.

frère jean

Ô pourceau d’Épicure,
Tu n’es donc pas guéri de par cette aventure ?
Panurge, tu faillis bien changer sans recours,
Ta devise de « courte et bonne » en « haut et court » !
Je ne donnerais pas quatre liards de ta peau,
Si ce départ vraiment n’arrivait à propos
Pour toi, Panurge, et même, j’ose dire,
Pour notre Sire !
Puisse une belle reine, au cours de ce voyage
Du roi Pantagruel fixer l’esprit volage !
Et toi, ne veux-tu pas perpétuer ton nom
Et faire souche un jour de petits Panurgeons ?

panurge

Voire,
J’aime mieux boire !

frère jean

Bois, être impur ! Et moi
Je vais prier pour toi,
Car bientôt de Thélème, abbaye voisine,
Vont tinter les clochettes des matines.
In Domino gaudeamus !


panurge

In vino gaudeamus !

Ensemble.
frère jean

In Domino gaudeamus !


(Panurge se jette sur un banc, tandis que sort Frère Jean, puis il tire un flacon de sa gibecière.)



Scène VI

PANURGE, LA SORCIÈRE, LES TRUANDS, CHŒUR DE MOINES
panurge buvant.

Le vin est frais, le vin est bon,
Mais la bouteille est sa prison,
Il faut le changer de maison,
Viens, mon petit, dans mon bedon.


(Il boit. La Sorcière, accroupie, et jusqu’alors immobile, écarte ses voiles qui la faisaient ressembler à quelque borne de la place.)

la sorcière

Malheur à l’homme qui boit seul.

panurge

Vieille, d’où sors-tu cet oracle ?

la sorcière

De la Cour des Miracles.
Veux-tu connaître ton destin,
Panurge, homme de bien ?
Donne-moi ta main.

panurge

Dis-moi où je serai demain ?

la sorcière

Tu vas voyager loin de ta patrie,
Tu verras la Barbarie.

panurge

La Barbarie ?

la sorcière

La Mésopotamie,
La Lybie.

panurge

La Lybie ?

la sorcière

La Transylvanie,
Les deux Arménies,
Et les trois Arabies.

panurge

Et les trois Arabies,

Hi hi hi,
Ha ha ha.

la sorcière

Tu parviendras enfin
À Salmigondin,
Capitale du pays de Satin.

panurge

Voire !… est-ce loin ?

la sorcière

Aussi loin que le Paradis,
En vérité, je te le dis.

chœur des moines, au lointain.

Benedicamus Domino,
Et in terra et in cælo !

panurge

Benedicamus Domino
Et in terra et in vino !
Oh ! Oh ! Voilà qui est bien.
Mais que ferai-je au pays de Satin ?

la sorcière

Tu verras une belle princesse,
Pantagruel l’épousera.

panurge

Ah, ah, ah, ah !

la sorcière

Et aussitôt, par politesse,
Comme lui, tu te marieras.

panurge

Voire ! voire !

la sorcière

Malheur à l’homme qui vit seul.

panurge

Vieille, d’où sors-tu cet oracle ?

la sorcière

De la Cour des Miracles.


chœur des moines, au lointain.

Pater noster,
Qui es in cælis,
Sanctificetur nomen tuum !
Sed libera nos a malo,
Amen, amen !

Ensemble.
la sorcière

À moi, manants,
Ribauds, truands,
Paraissez, clopins-clopinants,
Cagots et autres bons vivants ;
Dites-lui ce qui l’attend.


(Paraissent les truands, bossus, nabots et culs-de-jatte de la Cour des Miracles.)
panurge

Oui, que serai-je avec le temps ?

les truands

Cocu, cocu, cocu, cocu.

panurge

Les oreilles me cornent !

J’entends tous les diables !
Je n’aime point les diables !
Ils me fâchent et sont mal plaisants !
Allez-vous-en.


(Ils disparaissent.)

Scène VII

PANURGE, PANTAGRUEL
pantagruel

Allons ! Allons ! Panurge, à quoi donc penses-tu ?
N’est-il pas incongru
Que moi, ton non seigneur,
Je doive ici chercher mon serviteur ?

panurge

J’étais ici fort soucieux,
Je rêvais mariage prodigieux.

pantagruel

Tu rêvais mariage ! Ô la grande merveille !

panurge

J’ai la puce à l’oreille :
Ô vous, en gai savoir expert plus que personne,
Et qui fîtes quinauds les docteurs de Sorbonne,
Du mariage je vous prie
Dites-m’en votre avis ?
Si vous croyiez que mieux valût
Pour moi n’y penser plus,
Je finirais au besoin
Par ne me marier point.

pantagruel

Point donc ne vous mariez !

panurge

Voire ! Mais vous savez qu’il est écrit :
Væ soli !
L’homme seul n’a jamais telle joie
Qui se voit entre gens mariés…

pantagruel

Mariez-vous donc, de par Dieu !

panurge

Voire ! Mais si ma femme me trompait.
J’aime bien les maris trompés,
Et les fréquente volontiers,
Mais ne le voudrais être point :
Je serais bien mal en point.

pantagruel

Point donc ne vous mariez !
Car Senèque certifie
Que ce qu’aux autres l’on fit,
Quant à l’ornement du front,
Les autres nous le feront.

panurge

Voire ! Dites-vous cela sans exception ?

pantagruel

Sans exception il est dit.

panurge

Voire ! Mais, puisque de femmes
Je ne peux me passer,
N’est-ce le mieux d’épouser honnête femme,

Pour faire, à ce régime,
Beaux enfants légitimes,
Fils d’homme marié ?

pantagruel

Mariez-vous donc, de par Dieu !

panurge

Voire ! Mais si de la sorte
Ma femme plus forte
Me met à la porte,
Cela m’irait moins !

pantagruel

Point donc ne vous mariez.

panurge

Voire ! Je ne crois pas au célibat
Pour être heureux.

pantagruel

Mariez-vous donc, de par Dieu !

panurge

Voire ! Mais encor
C’est mon or
Qu’elle prend, vous riez ?

pantagruel

Point donc ne vous mariez.

panurge

Voire ! Espoir,
Adieu !

pantagruel

Mariez-vous donc, de par Dieu !

panurge

Voire !

pantagruel

Voire !
Dites-vous que le mariage
A de périlleux apanages,
Tout pareils à ce coquillage
Que nous nommons, que nous nommons,
La corne de Hammon.

panurge

La corne de Hammon ?

pantagruel

C’est, Panurge, écoute bien,
Un coquillage bigorne,
À couleur d’or, et forme d’une corne.

panurge

Corne ?

pantagruel

Corne de bélier, comme est la corne

panurge

Corne ?

pantagruel

Corne de Jupiter Hammonien !
On dit que sont vrais et infaillibles
Les songes qu’il donne :
Comme les oracles divins,
Par la porte d’ivoire
Entrent les songes confus,
Trompeurs et incertains,

Comme à travers l’ivoire
Possible n’est rien voir
Par la porte de corne.

panurge

Corne ?

pantagruel

Corne !
Entrent les songes certains
Vrais et infaillibles,
Comme à travers la corne…

panurge, douloureusement.

Corne !…

pantagruel

Corne — tout apparaît clairement
Et distinctement.

panurge

Mais, mais, mais, mais,
Si telle est la loi de nature,
Vous encourez même aventure.

pantagruel

Voire. — Il faut bien mériter
D’avoir postérité,
Et l’on ne doit se soucier
Que de laisser un héritier !
J’affronterai ces périls vôtres,
Étant homme comme les autres.
Le mal n’est si grand qu’on l’estime,
Et je ne puis que prier Dieu

Qu’il me donne un fils légitime
Comme en ont les gens mariés.

panurge

Mariez-vous donc, de par Dieu !

pantagruel et panurge

Marions-nous donc, de par Dieu !

chœur, au dehors.

Hourra ! Hourra !


Scène VIII

un héraut

Seigneur, le peuple vient
Avant le départ, saluer son souverain.

pantagruel

Hé bien, bien, bien,
Voilà qui est bien !
Officiers, chambellans, courtisans et valets,
Ouvrez à deux battants les portes du Palais !

le peuple

Hourra ! Hourra !

pantagruel

Peuple, je vais partir aux régions lointaines,
Ainsi qu’ont fait jadis mes aïeux les géants ;
Par les paisibles flots de mon fleuve de Seine,
Je m’embarque aujourd’hui vers le vaste Océan !

le peuple

Hourra ! Hourra !

pantagruel

Très illustres buveurs,
Goutteux très précieux,
En l’honneur de nos adieux,
Trinquons de par le bon Bacchus !

tous

Trinc !

pantagruel

Trinquons de par le bon Bacchus !

tous

Trinquons de par le bon Bacchus !

Ronde.
pantagruel

Faites honneur à la dive bouteille,
Prenez bien soin de ce trésor divin !

chœur

Faisons honneur à la dive bouteille,
Prenons bien soin de ce trésor divin !

pantagruel

À mon retour, que vos trognes vermeilles
N’aient rien perdu de leur joyeux carmin !

tous

À son retour, que nos trognes vermeilles
N’aient rien perdu de leur joyeux carmin !

pantagruel

Mes bons amis, autour de la bouteille,
Gaudissez-vous, faites honneur au vin !

tous

Mes bons amis, autour de la bouteille,
Gaudissons-nous, faisons honneur au vin !

panurge, se mêlant à la ronde.

Heureux coquins que je tiens, que je mène,
Heureux coquins que je tiens par la main !

tous

Heureux coquins que tu tiens, que tu mènes,
Heureux coquins que tu tiens par la main !

panurge

Trémoussez-vous, secouez vos bedaines,
Trémoussez-vous, faites honneur au vin !

tous

Trémoussons-nous, secouons nos bedaines,
Trémoussons-nous, faisons honneur au vin !

panurge

Heureux coquins, que je tiens, que je mène,
Heureux coquins que je tiens par la main !

chœur

Heureux coquins que tu tiens, que tu mènes,
Heureux coquins que tu tiens par la main !

matelots

Ohé. ohé !
Le navire est paré !

frère jean

Fasse le Ciel que bientôt vous revienne
En ses États votre bon souverain !

tous

Fasse le ciel que bientôt nous revienne
En ses États notre bon souverain !

frère jean

Que la plus belle des belles des reines
À notre sire ait accordé sa main !

tous

Que la plus belle des belles des reines,
À notre sire ait accordé sa main !

frère jean

À nos santés, buvez à coupes pleines,
À nos santés, buvez soir et matin !

tous

À leurs santés buvons à coupes pleines,
À leurs santés buvons soir et matin !

pantagruel

Vivez joyeux !
Adieu !

tous

Adieu !

rideau

ACTE II

Au pays de Satin.
Une salle du Palais de Picrochole.


Scène PREMIÈRE

DAME LOURPIDON, LES BRODEUSES
chœur des brodeuses

Brodons le manteau magnifique,
D’un tissu sans pareil encor,
Fait de la laine unique
Des béliers de la Toison d’Or.

dame lourpidon

Encore quelques points à peine
Et notre jeune souveraine
Parée de cette broderie
Pourra se rendre à la cérémonie
Où l’un des puissants rois des empires voisins,
Où l’un des puissants rois doit obtenir sa main.

les brodeuses

Lequel sera-ce donc, à votre avis, Nanie,
Espiègle et jolie ?

Nanie notre amie,
Et de la princesse Allys, amie.

nanie, ironiquement.

Sera-ce Quaresmeprenant ?

dame lourpidon, admirativement.

C’est un prétendant séduisant !

nanie

Fort séduisant !

les brodeuses, imitant Nanie.

Fort séduisant !

nanie

Mais d’un éclat sans pareil brille
La race de Bringuenarilles !

dame lourpidon

Bringuenarilles !

les brodeuses

Bringuenarilles !

nanie

Ajoutons que le roi Petault
Est sans reproche et sans défaut.

dame lourpidon

Le roi Petault !

les brodeuses

Le roi Petault !

dame lourpidon, voyant qu’on se moque.

Travaillez, travaillez !

nanie

Travaillons !

les brodeuses

Travaillons !

(Les Brodeuses reprennent le chœur du début : Brodons le manteau magnifique… cependant que Nanie, tout en distribuant des écheveaux aux brodeuses, leur dit :)

Il faut empêcher que le manteau soit fini,
À tout prix.

clotilde, à Dame Lourpidon.

Je n’ai plus d’écheveau, Madame,
Pour la barbe de Priam.

dame lourpidon

Priam en mange tant vraiment
Que c’en est affligeant.

aude

Madame, en revanche,
Moi, je n’ai plus de laine blanche,
Hélas !
Pour les cheveux de Ménélas !

mahaut

Madame ! Et même
Moi non plus, je n’en ai plus pour Mathusalem.

une brodeuse

Madame…

une autre

Madame…

toutes

Madame, nous n’avons plus
De laine !…

dame lourpidon

Quoi, plus de laine ?

toutes

Plus de laine !…

dame lourpidon

Ô ciel, mais ni moi non plus !…
Mais comment, petites vilaines,
Vous n’avez plus du tout de laine ?

nanie

Ne faites pas autant de bruit :
La Princesse entend… La voici !


Scène II

Les Mêmes, ALLYS
allys

Pourquoi crier à perdre haleine ?

nanie

Princesse, nous sommes en peine
Votre manteau n’est pas fini.

dame lourpidon

Ces petites vilaines
Ont gaspillé la laine ;
Nous en avions quenouilles pleines,

Courons les regarnir encore
Au temple de Cypris, aux amours tutélaires,
Qui, dans le sanctuaire,
Garde le doux trésor.
Courons, courons !


Scène III

NANIE, ALLYS
nanie, les suivant du regard.

Vous ne trouverez rien :
Les petits lutins
D’amour sont malins.

allys

Oh ! Nanie,
Si tu m’aimais.
Tu devrais
Montrer quelque mélancolie,
Car aujourd’hui se décide toute ma vie.

nanie

Oh ! Princesse,
Cypris, la bonne déesse,
A guidé la main
D’un petit lutin
Pour qu’il jetât la laine
Dans la caverne souterraine
Que gardent les dragons,
Centaures et griffons :

Plus de laine, plus de laine,
Et le manteau ne sera pas fini.

allys

Ciel ! Qu’as-tu dit ?
Que grâce soit rendue à la bonne déesse
Qui donne aux petits lutins tant de hardiesse !

nanie

Oh ! Princesse !
La beauté, la jeunesse
Appellent le bonheur,
Comme le soleil sur les fleurs.
Le bonheur va fleurir,
Croyez en l’avenir.

(Elle regarde vers le côté par où dame Lourpidon et les brodeuses sont sorties.)

Je vais savoir ce qu’elles font
Et les effrayer des griffons.
Pensez à l’avenir,
Pensez à l’avenir !

allys

L’avenir — je sais trop bien
Que rien de nouveau n’advient
Dans celte île inaccessible,
Et je rêve à l’impossible…
Et pourtant, j’entendis, aux jours de mon enfance,
D’anciennes romances
Qui chantaient que des héros
Traversaient les vastes flots,
Bravaient les tempêtes lointaines,
Pour conquérir le cœur des reines.

L’enchantement
Des anciens temps
Persiste encor :
Ô séduisants
Princes charmants,
Couronnés d’or,
Dans la forêt embaumée,
Vous disiez à la bien-aimée,
De roses parée —
Ô la plus belle des belles, que vous l’aimiez, —
L’enchantement
Des anciens temps
Persiste encor :
Ô séduisants
Princes charmants,
Couronnés d’or, —
Ce sont eux
Qui jadis
Au temple de Cypris
Pendirent la Toison du bélier fabuleux…
Peut-être viendra-t-il, le chevalier vaillant
Comme Roland,
Fort dans les combats
Comme Fier-à-Bras,
Prodige de valeur,
Tel Guillaume-sans-Peur,
Beau comme fut
Le roi Artus ;
Aimant la vie éblouissante,
Tout ce qui luit, tout ce qui chante,
Et tout ce qui festoie
Dans la nature en joie…
Mais hélas ! je sais trop bien

Que rien de nouveau n’advient
Dans cette île inaccessible,
Et je rêve à l’impossible…

(Elle s’endort.)

Scène IV

LES LUTINS, ALLYS, NANIE, Les sculptures de la salle du Palais s’animent et prennent forme de Lutins.
premier lutin

Tin, tin

deuxième lutin, répondant.

Tin, tin

tous les lutins

Tin, tin, tin, tin.
Tes amis, les petits lutins,
Vont te montrer l’avenir prochain,
Douce Princesse,
Parure et liesse
De ce beau pays de Satin ;
Tin, tin, tin, tin,
Regarde avec les yeux du rêve !…
Voici, voici venir les ancêtres fameux
Du vaillant que ton cœur appelle,
De Jason l’intrépide à Lancelot le preux,
Partis pour conquérir la Toison la plus belle.

(Défilé des géants.)

Ici paraît Jason !
Ici paraît Orphée !

Ici paraît Hercule !
Là Castor et Pollux.
À présent Amadis :
À présent Lancelot !
Tout en dormant voyez cette merveille,
Voici le géant le plus fort,
Pour lui sera la Toison d’Or !
Voici le roi de la Dive Bouteille.

allys

C’est le roi du pays de merveille !

(Apparition de Pantagruel suivi de Panurge et de Frère Jean.)
(Trompettes au lointain annonçant les prétendants.)
allys, s’éveillant.

Qu’est-ce donc, j’ai rêvé ?

(La grande porte du fond s’ouvre sur la grande salle du Palais.)
nanie, accourant.

Vos prétendants demandent audience.

allys

Ah ! je ne crains plus leur odieuse présence.
Viens, rieuse Nanie
Écouter mon rêve loin de leur compagnie.

(Elles sortent.)

Scène V

PETAULT, BRINGUENARILLES, QUARESMEPRENANT, HÉRAUT
le héraut

Sa Majesté Quaresmeprenant, roi
De Tapinois !
Sa Majesté Bringuenarilles, roi
De Tohu,
Et de Bohu !
Et Sa Majesté sans reproche et sans défaut,
Le Roi Petault !

les trois rois

Ces beaux habits,
Je le prédis,
Ces habits de cérémonie
Vont plaire à la fille du roi.
À Quaresmeprenant, Petault, Bringuenarilles,
Le Roi ne pourra pas, non, refuser sa fille.
Car nous avons contre lui d’occultes pouvoirs, —
Il en est informé par nos soins, — à savoir :
Nous pouvons déchaîner, sans expliquer comment,
Entre autres mille tourments,
Contre lui, la faim,

petault

Contre lui,la faim,La soif,La peste,

bringuenarilles

Contre lui,la faim,La soifLa peste,

quaresmeprenant

Contre lui, la faim, La soif, La peste, La mort.

petault

Et quoi plus encor ?

bringuenarilles

C’est suffisant
Pour le moment.

quaresmeprenant

Contre male fortune il doit faire bon cœur.

petault

De la princesse Allys, pour avoir les faveurs,
Je vous le dis en confidence,
J’ai corrigé ma corpulence,
Regardez-moi ce torse-ci.

quaresmeprenant

Et moi aussi.Et moi aussi.

bringuenarilles

Et moi aussi.Et moi aussi.

quaresmeprenant

Moi, j’arbore une chevelure,
Qui ne doit rien à la nature :
J’ai déguisé ma calvitie.

bringuenarilles

Et moi aussi.Et moi aussi.

petault

Et moi aussi.Et moi aussi.

bringuenarilles

Tous trois nous avons tout pour plaire :
Entre nous, vraiment quel choix faire ?
Je ne sais quel sera l’élu.

petault

Ni moi non plus.

quaresmeprenant

Ni moi non plus.

petault

Ce moment de sincérité
Dissipe nos rivalités ;
Donnons-nous, donc, chers camarades
Une fraternelle accolade ;
Pour moi, je n’y résiste plus.

quaresmeprenant

Ni moi non plus.

bringuenarilles

Ni moi non plus.

petault

Ni moi non plus.

tous trois

Ni moi non plus.

(Ils se donnent l’accolade.)

Scène VI

Les Mêmes, PICHROCOLE, ALLYS, NANIE, COURTISANS
picrochole, à part.

Que la maie peste emporte
Ces tyrans chez Lucifer,
Je les mettrais à la porte
S’ils n’étaient sorciers d’enfer.

allys

Prenez garde !

picrochole, subitement aimable.

Seigneurs, vous êtes admirables.
Et vos charmes considérables
Sont au-dessus, en vérité,
De la mesquine humanité !

les trois rois

Salut, salut à Votre Majesté,
Salut, salut à la belle princesse.

pichrocole

Salut, salut, illustres souverains !

les rois

Ô roi, dans ce jour de liesse,
Qui décide de nos destins,
De ta fille, Allys, la Princesse,
Nous venons demander la main.

pichrocole

La Princesse, selon une coutume antique,
Doit revêtir d’abord le manteau fatidique.


Scène VII

Les Mêmes, plus DAME LOURPIDON et LES BRODEUSES
lourpidon

Fatalité ! Calamité !

les brodeuses

Fatalité ! Calamité !

dame lourpidon

Le trésor a disparu, le trésor
De la Toison d’or !

picrochole, joyeusement.

Le trésor ? Le trésor ?

tous

Le trésor ? Le trésor ?

dame lourpidon

Hélas, destin ennemi,
Le manteau n’est point fini !

les rois

Est-ce ainsi que Picrochole
Tient sa royale parole ?

Tu laissas dérober ce trésor précieux
Que d’illustres héros, au temps de tes aïeux,
Rapportèrent en ton empire,
Et que, de conserver, cent rois s’enorgueillireni !
Parle, parle, infidèle gardien !

chœur général

Parle !

picrochole, enchanté de ce qui arrive, fait, comiquement dramatique, le récit qui suit.

La laine reposait au fond du sanctuaire,
Ainsi qu’elle y dormait depuis des millénaires
Sous la protection de Cypris tutélaire ;
Au trésor, nul mortel n’eût pu porter la main
Sans être consumé par le pouvoir divin ;
Si la Toison sacrée a disparu soudain,
La déesse Cypris, pour quelque obscur dessein,
L’a fait évanouir au fond de ses mystères.

allys

En cet événement prodigieux, mon père,
Comme vous, je vois un signe divin.
Oui, la déesse veut que j’accorde ma main
Au vaillant qui, selon les illustres exemples
Des antiques héros et des preux paladins,
Saura reconquérir, d’un exploit merveilleux,
Et rependre aux voûtes du Temple
La magique Toison des béliers fabuleux.

pichrocole

Prétendants à la main de ma fille, et mes hôtes,
Sentez-vous en vos cœurs bouillonner le courage

De ces héros des anciens âges
Les légendaires Argonautes ?

les rois

Certes, nous renouvellerons
Le haut fait de Jason.

allys

Ô Ciel ! Le pourraient-ils ?

picrochole

Pour que l’heureux vainqueur ramène des béliers,
Intact et florissant, l’éblouissant troupeau,
Je vous adjoins, ô rois, un digne moutonnier :
Que l’on fasse venir mon berger Dindenault !

tous

Dindenault ! Dindenault !


Scène VIII

Les Mêmes ; plus DINDENAULT. La foule s’écarte pour faire place à Dindenault et à ses aides.
dindenault, accent paysan.

Bonjour, messieurs, bonjour, mesdames,
Bonjour, tretous !
Prospérités infinies
À la noble compagnie !
Que puis-je faire, en mon petit emploi,
Pour le service du roi ?

picrochole

Connais-tu. berger, l’endroit
Où de la Toison d’or se trouvent les moutons ?

dindenault

Sire, c’est, dit-on,
En un lieu fort lointain et des plus dangereux.

les rois

Des plus dangereux ?

dindenault

Une île escarpée et sans bords,
Où des dragons furieux
Jettent du feu par les naseaux.

les trois rois

Vraiment, du feu par les naseaux ?

dindenault

Il est autour du troupeau
Des serpenteaux, des diableteaux !

les trois rois

Des serpenteaux, des diableteaux ?

picrochole

Moutonnier, je t’ai désigné
Afin d’accompagner
Ces très illustres rois
En ces pays remplis d’effroi.

dindenault, à Picrochole.

Je suis prêt, seigneur, à tout affronter, —

(Aux rois.)

Afin de mériter vos générosités.

chœur

Gloire aux exploits fameux
Des nouveaux Argonautes ;
Qui partent, sans terreur, pour la lointaine côte !…
Et feront oublier les plus vaillants des preux.

fin du deuxième acte

ACTE III

PREMIER TABLEAU
Le pont du navire de Pantagruel.


Scène PREMIÈRE

pantagruel

Ô très illustres rois, fêtons
Votre salut, celui de vos moutons,
Sans doute, étiez-vous rois pasteurs ?

les rois

Sans doute, sans doute, seigneur,
Mais sans doute, étions-nous en mauvaise posture,
Vous nous avez tirés de la male aventure.

pantagruel

N’en parlons plus, buvons, buvons,
Ô rois,
Ce plein hanap de bon vin lanternois.

les trois rois

Buvons, buvons, le cœur joyeux,
Le vaisseau n’en ira que mieux !

pantagruel

Ho !… buvons gaillardement
À notre bonheur présent.
Le bonheur dans mon voyage
Est mon précieux bagage.
Sur ma route les délices
Chantent leur ardent éveil,
Les chagrins s’évanouissent
Ainsi que neige au soleil.
Je laisse par delà les vagues irisées
Des îles pavoisées,
Des cités en frairies,
Et je m’en vais, semant de patrie en patrie
Inextinguible et beau le rire tout-puissant,
Comme firent jadis mes aïeux les géants.
Buvons, seigneurs, buvons à la joyeuse chance
De vous avoir sauvés de la mer en démence.


Scène II

Les Mêmes ; entrée de FRÈRE JEAN
frère jean

J’en suis fâché pour vous, mais la mer recommence,
Les flots entrent en danse.

pantagruel

Frère Jean, tu parais triste et mélancolique.

frère jean

N’entendez-vous donc rien murmurer sur les flots ?
Amis, sur cette mer court un frisson tragique,

Et sous ces vagues, couve un réveil de sanglots,
Si c’étaient, ô miracle, et la tête et la lyre
D’Orphée ? — Après que les Ménades en délire
Eurent mis le beau corps du poète en lambeaux,
Elles jetèrent tête et lyre dans les flots.
L’épave surnageante
Éternellement se lamente,
La lyre
Soupire
Et vibre sur la mer.
Écoutez, écoutez au gré des vents mouvants,
Tête et lyre
Harmonieusement exhalent un dernier chant.

pantagruel

On n’entend plus frémir que l’océan profond.
Orphée est endormi dans l’éternelle gloire !

panurge

Voire !
Seigneurs, ces antiques histoires
Me mettent l’âme en désolation,
Fuyons, seigneurs, fuyons.

le pilote

Alerte ! Mousses, matelots et passagers,
Car une tempête est prochaine,
Voiles bas, artimon, misaine,
Notre navire est en danger !

(Coups de tonnerre.)
frère jean

La mer commence à s’enfler

Et gronder.
Du fond du gouffre
J’entends l’ouragan souffler,
L’air est surchargé de soufre,
C’est l’antique chaos,
Éléments confondus !

panurge

Alerte, matelots,
Ou nous sommes perdus !

pantagruel

Je veux rire. Ah ! Ah ! Plus fort que le tonnerre,
Ne craignons rien que l’eau qui peut choir en nos verres.

panurge

Zalas, zalas, bé bé bé bé bou bou bou paisch !
Au secours, au secours ! Frère Jean, es-tu là ?
Sire Pantagruel, ne me quittez pas.
Je vous en prie.

frère jean

Fi, le lâche ! Fi, le pleutre !
Ô sottise !
Ô couardise !
Allons, tiens-toi debout,
Fainéant, aide-nous !

panurge

Ah ! à moi, Dieu sauveur,
Ah ! Ah ! J’ai belle peur,
Voyez cette vague, elle monte, elle monte,
Elle monte, elle est sur nous.

Bou, bou, paisch ! hu hu hu ho !
J’en ai plein le gosier.
Hatch ! Il m’en est entré plus de dix-huit seillaux
Et j’en suis tout bevezinemassé !

pantagruel

Voyons, Panurge, un peu de cœur,
Tu te vantais de ta valeur,
Je suis là, n’aie donc plus peur.

panurge

Bou, bou, bou, bou, je veux
Faire un vœu.
Je vous promets une chapelle
Si vous me tirez de là,
Saint Michel,
Et Saint Nicolas,
Et vous tous, les beaux angelots
Et si les saints
Ne suffisent point,
Je promets un beau sacrifice aux dieux marins.
Ils aimeront mieux, je crois,
Plus grasse victime que moi !
Zalas, zalas,
Otto, to to to ti,
Hatch, Hatch,
Je naye, je naye,
Ô bonnes gens
Je naye.
Oh ! attendez, attendez. Je n’ai pas fait mon testament.
Il n’est plus temps,
Consummatum est ! Tout est fini !

frère jean

Magna, magna,
Gna, gna, gna, gna,
Fi ! Fi ! qu’il est laid, le pleurard,
Fi ! Fi ! le couard, le criard !

panurge

Je donne ma fortune entière
À qui me mettra vite à terre !

(Tonnerre.)
pantagruel

Vertu Dieu, c’est bien tonné,
Tout l’enfer est déchaîné.

panurge

Tous les diables dansent aux sonnettes.

(Cependant la tempête se calme. On entend :)
les moutons

Bé ! Bé ! Bé ! Bé !

panurge

Dans mes transes mortelles, quoi,
J’entends des moutons !

pantagruel

Tu vois, cette mer en furie
Est devenue verte prairie.

les matelots

Ohé ! Ohé !
Nous sommes sauvés !

panurge

Le beau soleil
Qui luit au ciel
S’est fait revoir.
Nous reprenons espoir.
Vilaine mort,
Je puis encor
Rire de toi.
Je suis en joie,
La vie est belle, le ciel est beau, tout est beau !

les matelots

Loué soit Dieu, car le jour est fériau
Nau Nau Nau.

frère jean

Ah ! le gaillard,
Ah ! le vantard,
Courageux sur le tard !

panurge

Ah ! le rempart
De tous les couards,
Et leur porte-étendard !

pantagruel

Ah ! les gaillards,
Braves et couards,
De peur ont eu leur part.

les matelots

Alleluia !


Scène III

DINDENAULT arrive sur le pont, précédé des moutons.
les moutons

Bé, bé, bé, bé, bé !

panurge

Ho ! ho ! ho ! ho ! Tous ces moutons.

pantagruel

Ces animaux innocents
Saluent par leurs bêlements
Le retour du beau temps !

les trois rois, à part.

Et le beau temps et la tempête
Les font crier sur tous les tons.
Les sottes bêtes
Que des moutons !

frère jean

Ingrat, faut-il que des moutons
Te fassent la leçon !

les moutons

Bé ! Bé ! Bé ! Bé !

panurge

Ah ! ces moutons, pour moi, du ciel seront tombés,
Je m’en vais accomplir mon vœu

Aux dieux marins. Vous allez voir beau jeu
Si la corde ne rompt.
Ça, moutonnier, je vous prie de grâce,
Vendez-moi l’un de vos moutons.

petault

N’en vends qu’un, de par Dieu,
À prix avantageux.

dindenault, à Panurge.

Hé bien ! Hé bien !
Notre ami, mon voisin.
Comme vous savez bien railler les pauvres gens,
Que feriez-vous de l’un de mes moutons ?
Mèneriez-vous en champs paître la pauvre bête ?
Ha ! vous êtes plaisant !

panurge

Voire.

dindenault

Vous êtes, je crois,
Le bouffon du roi ?

tous

Ah ! Ah !

panurge

Voire.

dindenault

Vous allez voir le monde ?

panurge

Voire. Qu’en as-tu à faire ?
De quoi te mêles-tu ?
Faut-il tant de questions
Pour vendre un mouton ?

dindenault

Comme je veux, je les vends,
Je suis marchand,
Mes moutons sont à moi,
Chacun vend à sa manière,
Et c’est mon droit assurément.

frère jean

Ne vous courroucez point, bonhomme,
Et passez-lui sa fantaisie,
Vendez-lui un de vos moutons.
Combien ?

dindenault, à Panurge.

Comment l’entendez-vous, notre ami, mon voisin ?
De nos moutons, la belle laine
Vaut quatre fois son pesant d’or.
Croyez-vous qu’elle vous convienne ?
J’en doute fort !

panurge

Et pourquoi ? s’il vous plaît, vendez-m’en un,
Voici l’argent comptant
En écus trébuchants,
Bien sonnants.
Dites la somme. Combien ?

dindenault

Ha notre ami, mon voisin,
Écoutez ça un peu de l’autre oreille.
Mes moutons sont une merveille.
Voyez-moi ce gros mouton-là,
Tous les deux dans une balance,
Il vous enlève avec aisance,
De la même façon qu’un jour
Vous serez pendu haut et court !

panurge

Ne vous échauffez donc point,
S’il vous plaît, vendez m’en un
El je vous le paierai bien.
Combien ?

dindenault

Comment l’entendez-vous, mon voisin, notre ami ?
Je les amène d’un pays où les pourceaux,
(Dieu soit avec vous), sont nourris d’ortolans,
Les truies, (sauf l’honneur de la compagnie),
Les truies n’ont à manger
Que des fleurs d’oranger.

panurge

C’est pourquoi vendez m’en un.
Combien ?

dindenault

Comment l’entendez-vous, notre ami, mon voisin ?
Par tous les champs auxquels ils passent,
Le blé y provient comme si Zeus y eût passé.

De leurs pss pss les quintessantiaux
Tirent le meilleur salpêtre du monde.
De leurs crottes
Les médecins guérissent soixante et dix-huit
Espèces de maladies,
Dont le mal Saint-Eutrope,
Dont Dieu nous sauve et garde.
Qu’en pensez-vous, notre voisin, mon ami ?
Aussi ces moutons
Me coûtent-ils bon !

frère jean

Coûte et vaille, vends-lui si tu veux,
Si non, ne lui vends point,
Mais finissons-en !

dindenault

Soit, pour l’amour de vous, j’acquiesce,
Mais, il les paiera la pièce
Quatre écus d’or, en choisissant.

panurge

C’est beaucoup.

frère jean

Tel qui trop tôt veut riche devenir
Retombe en pauvreté.

panurge

Pourtant, benoît Monsieur,
Voici l’argent.

(Il appelle les moutons pour faire son choix.)

Br br br br…

dindenault

Oh ! qu’il a bien su choisir, le chaland,
Le gaillard s’y entend,
Vraiment le bon, vraiment.

les moutons

Bé, bé, bé !

panurge, tenant un mouton.

Ô la belle voix,
Bien belle et bien harmonieuse,
Ô Neptune ! Ô Néréides !
Dieux de l’élément humide,
Ô tritons,
Je vous offre ce mouton.

(Il le jette à la mer.)
dindenault

Ho ! il l’a jeté à l’eau.
Un autre suit le premier. Oh !
Arrêtez-les, arrêtez-les !

les rois

Arrêtez-les, arrêtez-les !

dindenault

Mais voyons, dépêchez, ils vont tous se noyer,
Ils vont tous se noyer.
Ho ! voyez-les sauter à la file,
Les sots animaux !

un roi

Tous les moutons sont à vau-l’eau,
Arrêtez-les !

pantagruel, frère jean

Ah ! Ah ! Ah !

les rois

Main forte, Robin Thibault !

(Les rois sautent à l’eau à tour de rôle, entraînés par les moutons.)
pantagruel

Oh ! Ah ! Ah ! Oh ! Panurge, qu’as-tu fait ?

panurge

Sire, j’ai fait merveille.
Et vous pourrez à peine en croire vos oreilles.
Vous rendrez grâce à mon adresse.
Ces moutons barraient le chemin
Du pays de Satin.

pantagruel

Ô fol ami, toujours ton rêve.

panurge

Oui, sire, j’y pense sans trêve.

frère jean

À ces trois rois, rencontre advienne
De quelque baleine
À l’exemple de Jonas.

pantagruel

Nous allons toucher terre.

frère jean, à Panurge.

Souviens-toi donc de faire,
Selon ton vœu,
Une chapelle ou deux
À Messieurs
Saint Michel et Saint Nicolas,
Et à tous les beaux angelots.

panurge

Écoute, Frère Jean,
Le péril est passé,
Je n’y veux plus penser.
Et quant à la chapelle,
Je veux la faire au fond de l’eau.
Et comme disait Pasquino :
« Lorsque l’on n’en a plus besoin,
Adieu le saint, adieu le saint ! »

tous

Il veut la faire au fond de l’eau,
Et comme disait Pasquino.
« Lorsque Ton n’en a plus besoin,
Adieu le saint, adieu le saint ! »

frère jean

Tu te damnes comme un vieil diable,
Il est écrit :
Mihi
Vindictam,
Et cætera !

pantagruel, ironiquement.

Matière
De bréviaire.

panurge et le chœur
Je veux
Il veut

la faire au fond de l’eau

Et comme disait Pasquino : je veux
« Lorsque l’on n’en a plus besoin.
Adieu le saint, adieu le saint ! »

les matelots

Terre ! Terre ! Terre !


ACTE III

DEUXIÈME TABLEAU
Chez les Gastrolâtres.

le chœur

Joyeux seigneurs à raine rubiconde,
Qui voyagez de par le monde,
Soyez les bienvenus !

panurge

Les bonnes gens !
Sachez pourquoi nous voyageons
Nous cherchons
Pour calmer le souci de nos âmes,
Nous cherchons femme…
Et nous allons
Pour ce précieux butin
Au pays de Satin !

le chœur

Quelle folie !
Buvez plutôt du vin sans eau
Le coude haut.

Par la coupe d’oubli
Les maux sont abolis.

frère jean

Laissons-Dous donc convaincre
Par l’avis populaire !
Dis, que fais-tu pour vaincre,
Manant, la misère
Et les maléfices ?

le chœur

Je bois, je bois !

pantagruel

Dis-moi comment s’emploie
Dans les jours de joie
Gain et bénéfices ?

le chœur

Je bois, je bois !

panurge

Que fais-tu si ta femme
Te trompe, l’infâme,
Ensuite te raille ?

le chœur

Je bois, je bois !

frère jean

Où prends-tu courage
D’affronter l’orage
Ou bien la bataille ?

le chœur

Je bois, je bois !

frère jean

Dis-moi comment s’endure
Le vent, la froidure
Au fond des cépées ?

le chœur

Je bois, je bois !

pantagruel

Par quelle médecine
Toute humeur chagrine
Vite est dissipée ?

le chœur

Je bois, je bois !

panurge

Comment les épousailles
Et les funérailles
Sont solennisées ?

le chœur

Je bois, je bois !

frère jean

Comment la soif ardente
Dont le feu tourmente
Veut être apaisée ?

le chœur

Je bois, je bois !

Je ris quand je bois,
Ennuis,
Soucis,
Fuyez loin d’ici.
Travers,
Revers
Meurent dans le verre.
Buvez sans eau,
Et le coude haut.
Et maintenant, que tout chagrin s’oublie,
Trouvez en ces beautés, une heure de folie !

frère jean

Je vous retrouverai, je suis homme d’Église :
Ma présence en ces lieux ne serait point de mise.

panurge, pantagruel, le chœur

Trinc ! Trinc !
Trinc ! Trinc !

DIVERTISSEMENT
argument

Chez les Gastrolâtres. — Rôtisserie. — Taverne. — Sur un des côtés, cuves et tonneaux sur lesquels s’installeront Panurge et Pantagruel.

Cortège. — Instruments variés : violons, mandolines, guitares, bassons. — Figuration qui encadrera le ballet ; cuisiniers, gâte-sauces. Rifle-andouilles et Taille-boudins prennent place autour de la salle. Pour charmer Panurge et Pantagruel et leur prouver l’inutilité d’aller si loin chercher femme, des mimes et des danseuses viennent leur montrer que l’amour et la beauté sont au fond des coupes et non pas au pays de Satin.

A

Un premier quadrille entre, portant des amphores. — Ses danseuses entourent l’Amant, cherchent à l’entraîner et le faire boire ; mais il les repousse.

B

Entrée de la danseuse étoile. — Scène de coquetterie avec le travesti ; mais tout à ses chagrins d’amour, il ne répond pas à ses avances. Elle appelle alors ses compagnes pour lui verser du vin. Il finit par vider la coupe qui lui est tendue.

C

Le vin commence à étourdir l’Amant qui esquisse des pas bachiques. La danseuse et les quadrilles l’entraînent dans une ronde de plus en plus mouvementée.

D

Le vin a opéré son œuvre bienfaisante ; scène d’amour. — Cest l’Amant maintenant qui recherche et implore les faveurs de la danseuse.

E

Leur exemple est contagieux. Ce ne sont plus seulement les quadrilles, ce sont tous les personnages en scène qui rythment la danse en choquant leur verre. Puis cette danse devient générale et tout se termine par une bacchanale échevelée.


ACTE IV


Au pied d’une terrasse du palais de Picrochole à laquelle conduit un double escalier. Tombée de la nuit.




Scène PREMIÈRE

PANTAGRUEL, PANURGE, FRÈRE JEAN, déguisés en bergers.
panurge

Ho ! Ho ! Ho ! Ho ! Tout va bien,
Nous conquérons le monde,
Ce pays de Satin en merveilles abonde !
Et n’est-il pas charmant
Notre déguisement
En pastoureaux galants !

frère jean

Mon dévouement conduit mon froc et ma tonsure
En bien scabreuses aventures.

pantagruel

Ô séjour enchanté, ce palais et ces fleurs
En cet étrange empire,
Quel charme m’atlire ?
Jamais je n’ai senti pareille ardeur.


Scène II

Les Mêmes. Paraissent sur la terrasse NANIE, puis ALLYS
panurge

Chut !
C’est elle, l’inconnue annoncée à mes songes,
Ce n’est pas un mensonge.
Non, non,
Je crois à ma sorcière, à sa prédiction,
Je reconnais cette vision,
Sire, je sais dès cet instant
Qu’ici le bonheur nous attend !

nanie

Voici tomber la nuit, et ses senteurs légères
Enivrent la terre,
Le ciel sourit aux yeux charmés,
Princesse, venez respirer l’air embaumé.

allys

L’âme des fleurs s’épanouit
En la sérénité
De cette belle nuit !

pantagruel

Ô divine beauté !

nanie

Permettez que je pose
Sur vos cheveux, ces marjolaines et ces roses.

allys

Ô fleurs, en vous le ciel respire,
Tout son éclat en vous se mire.
Ô fleurs, du ciel divin sourire,
Je veux croire aux tendres présages
De vos mystérieux langages,
Fleurs heureuses,
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.
Vous consolez de toutes peines,
Ô vous, myrtes et marjolaines !

pantagruel

Ô divine beauté !

allys

Langoureusement vers mes yeux se penchent
Vos corolles, ô pervenches !

pantagruel

Ô fleurs, vous enchaînez mon cœur !

panurge, frère jean

Ô fleurs, toute splendeur !

allys

Oui, c’est le bonheur qui se pose
Sur mon front, avec ces roses.

pantagruel, panurge, frère jean, allys

Fleurs heureuses !
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.

allys

Oui, c’est le bonheur qui se pose
Sur mon front, avec ces roses.

pantagruel

Ô fleurs, vous enchaînez mon cœur !

panurge, frère jean

Ô fleurs, toute splendeur !

allys

Oui, c’est le bonheur qui se pose
Sur mon front, avec ces roses.
Fleurs heureuses.
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.

pantagruel, panurge, frère jean, nanie avec allys

Fleurs heureuses,
Fleurs précieuses.

allys

Je veux aller ainsi que chaque soir
Au temple de Cypris,
En qui j’ai mis
Tout mon espoir.

panurge

Oh ! je grille,
Je grésille,
Je la tiens, la voilà.


Scène III

Les Mêmes, moins FRÈRE JEAN
allys, apercevant Pantagruel.

Dindenault !

pantagruel

Ne fuyez pas, divine beauté,
Et daignez m’écouter.

allys

Un inconnu…

pantagruel

J’entendis votre voix
Qui, dans les fleurs, disait aux astres votre émoi,
Et j’ai cru voir soudain de leurs rayons baignée
Une divinité sur la terre enchaînée,
Aux célestes attraits joignant ceux des humains,
Et je veux l’adorer d’hommages souverains.

allys

Quel langage, berger !

pantagruel

Langage d’amoureux,
Pour la première fois épris,
Je voudrais être, Allys,
La brise qui vous frôle,

La robe de brocart qui couvre vos épaules
Autour de votre taille, être votre ceinture,
La fleur épanouie en votre chevelure,
L’air que vous respirez, le parfum qui vous plaît,
Ou cet astre lointain, par vos yeux contemplé.
Je suis dans un enfer brûlant, voluptueux,
Tout mon être frémit, et tremble, je vous veux.

allys

Qu’entends-je ? Audacieux, vous oubliez, je crois,
Qu’un tel discours s’adresse à la fille d’un roi !
Mais, ô vous que je vois sous l’habit d’un berger,
Oh ! qui donc êtes-vous, téméraire étranger ?

pantagruel

Laissant au large sur la mer
Vaisseaux, soldats bardés de fer,
À l’amour seul, à sa douceur
J’ai voulu devoir le bonheur.
Et suivant les sentiers de cette île bénie,
Parmi les fleurs des champs à travers les prairies,
Je suis venu, charmé du doux chant des oiseaux,
Frisselis des buissons, murmure des ruisseaux,
Offrir à la princesse en mon âme choisie,
La couronne de pierreries
Et le cœur enflammé du roi Pantagruel.

allys

Ciel !

allys

En moi s’épanouit
Toute la volupté que recelait la nuit

Ainsi qu’en une tour mon âme prisonnière
Aspirait à la joie, au ciel, à la lumière.

panurge

Ô tendrette,
Mignonnette,
Ô beauté rêvée,
Je t’ai retrouvée.

nanie

Ô messire,
Qu’est-ce à dire,
Il faut qu’on châtie
Votre effronterie.

allys

Et voici l’attendu de mes rêves dorés,
Le chevalier qui vient me délivrer !

panurge

Ô coquette
Joliette,
Ô ma si jolie,
À toi pour la vie !

nanie

Galant muguet,
Badin follet,
Je me sens, je crois,
Un penchant pour toi.

pantagruel

Rendons grâce au destin, ma bien-aimée Allys.

allys

Déesse des amours, sois bénie, ô Cypris !

panurge

Frère Jean, frère Jean ! Ça, béat personnage,
Mariage, mariage !

tous, avec des intonations diverses.

Mariage !

pantagruel

Frère Jean, bénis-nous !

nanie, panurge

Frère Jean, marie-nous !


Scène IV

Les Mêmes, FRÈRE JEAN
allys

Hélas ! affreux oubli, tradition fatale !
Les priucesses, suivant notre coutume antique,
Vêtent, pour prendre époux, un manteau fatidique.
En laine de la Toison d’or.
Mais Dame Lourpidon,
Qui régit les brodeuses,
N’a plus de laine précieuse,
Et Dindenault, berger des magiques moutons,
N’est point de retour encor !

panurge

La Toison d’or !
Ô coquin, misérable, étourneau, malappris,
Les moutons, par ma faute, en la mer ont péri !

nanie

Ô folie imprévoyante, ô sottise sans fond,
Oh ! j’ai jeté la laine en l’antre des griffons.

nanie, panurge

Malheur, malheur sur nous, malheur ! Calamité !

pantagruel

Je braverais mille dangers pour mériter
Un sourire de vous, ma princesse et ma fée,
Je cours reconquérir ce glorieux trophée !

(Il se précipite au dehors.)
allys

Dieux !


Scène V

Les Mêmes, moins PANTAGRUEL



frère jean

Ô saint Treignant, ô saint
Hercule Néméen !

panurge
Ensemble.

Ô saint Huluberlu,
Et vous, saint Goguelu,
Ne me privez pas de mon roi.
Et ne le privez point de moi
Protégez-le. protégez-moi !

allys, nanie

Ô Cypris. protégez-le,
Déesse des amoureux !



Scène VI

Les Mêmes, PANTAGRUEL
pantagruel

L’amour a triomphé.
Les monstres sont étouffés !

allys

L’amour a triomphé !

allys, pantagruel

L’amour a triomphé !

panurge

Victoire ! Victoire !

pantagruel

Panurge et frère Jean, allez chercher la laine.
Afin d’en faire hommage à Cypris, souveraine.

panurge

Voire. — Sont-elles bien mortes, les males bêtes ?
Je reste auprès de ma tendrette

frère jean

Moi, j’obéis, seigneur,
Ainsi qu’un bon pasteur.


Scène VII

Les Mêmes, moins FRÈRE JEAN
pantagruel

Cherchons parmi les fleurs, Allys, ma bien-aimée,
Les secrets de la nuit langoureuse et pâmée.

allys, pantagruel

Fleurs heureuses,
Fleurs d’espérance, fleurs d’amour, fleurs précieuses.

(Ils s'éloignent.)

Scène VIII

PANURGE, NANIE
panurge

Ô victoire, ô Cypris, ô Cypris, ô Nanie ;
Ma jolie,
Panurge, amoureux pastoureau.
Célèbre la victoire aux gais sons du pipeau !

(Tout en jouant joyeusement du pipeau, il entraîne Nanie.)

Scène IX

Les Mêmes, LES BRODEUSES
les brodeuses

Qu’avons-nous entendu ?
Comme un son de pipeau !

les brodeuses

Dans le fond du bois,
Comme en tapinois,
Une flûte légère
Erre.
Ne serait-ce point
Un appel lointain
Du pipeau
De Dindenault ?
Ils sont revenus,
Vite à pas menus
Accourons sur la douce
Mousse,
Vite à pas légers,
Ce sont nos bergers,
Dindenault.
Robin Thibault.

(Elles disparaissent dans les bois. Entrent en même temps frère Jean, rapportant la laine, et Dame Lourpidon sortant du palais.)

Scène X

FRÈRE JEAN, DAME LOURPIDON
frère jean

Tel qui conserve un silence prudent
À moins d’aventures assurément.

dame lourpidon

Hé ! Moutonnier !

frère jean

Ouh là ! Jouons bien notre rôle, salut
De Dindenault imitons la parole.

(À Dame Lourpidon.)

Bonjour, madame, hommage à vous,
Salut à vous.
Prospérités infinies,
Et serviteur pour la vie.

dame lourpidon

Où sont tes compagnons ?
Et toi, quel es-tu donc ?
Je ne te reconnais point.

frère jean

Mais moi, je vous reconnais bien.
Vous êtes Dame Lourpidon.
Voyons, c’est moi Robin Mouton,

Je vous apporte la laine.
J’ai devancé mes compagnons.

dame lourpidon

Quel empressement !
Ah ! je comprends :
Sans doute, quelque bergère ?

frère jean

Je n’ai point de ces passions vulgaires.
Et mon âme,
Belle dame,
D’autres flammes,
À souci.

dame lourpidon

Quel langage !
Dû, je gage,
À l’usage
Des vovages.

frère jean

Le bon pasteur,
Plein de candeur,
Vous apporte la laine,
Le doux fardeau,
Si blanc, si beau,
La laine des agneaux ;
À vos pieds je la dépose,
Belle dame, ingénument.

dame lourpidon

Qu’il dit galamment ces choses,
Ce moutonnier est charmant,

À mes genoux,
Discret et doux,
Il dépose la laine,
Ce bon pasteur,
Plein de candeur,
Voudrait m’offrir son cœur.


Scène XI

FRÈRE JEAN, DAME LOURPIDON, puis PANURGE et NANIE, puis LES BRODEUSES
ensemble, avec Nanie et Panurge.

frère jean dame lourpidon

Dans quel guêpier
Suis-je fourré ?
Esprit malin,
Cœur féminin,
Où le péché
Va-t-il nicher ?
Illusion
Des passions !
Tant de bonté
En vérité,
Tant de faveurs,
Ah ! quelle horreur !
Dieu quel émoi !
Délivrez-moi !
Libera
Me
Domine,
Libera.
Ô triste nuit !
Horrible nuit ! (bis)

Ensemble.

Le moutonnier
S’est déclaré.
L’amour enfin,
L’amour me tient.
Ô doux péché,
Longtemps cherché !
Émotion
Des passions,
Beau moutonnier,
Toi le premier,
Reçois mon cœur,
Sois mon vainqueur !
Ô doux émoi !
Je suis à toi,
Je suis à toi,
Toute à toi !
Ô belle nuit !
Ô douce nuit !
C’est la nuit des fiançailles,
Ami, donne-moi le baiser des
accordailles.

ensemble, avec Frère Jean et Dame Lourpidon.


nanie panurge


Aventure inouïe,
Sous l’habit des bergers,
Cer roi, ces étrangers,
Parvenus jusqu’ici,
L’amour les a conduits,
La petite Nanie
T’appartient pour la vie,
Je suis à toi,
Toute à toi !
Ô belle nuit !
Ô douce nuit !

Ensemble.

Ô Nanie,
Ô ma jolie
Toute ma vie !
L’amour nous a conduits.
Je t’aimais, ô Nanie,
Depuis toute ma vie,
Elle est à moi,
Toute à moi,
Ô belle nuit !
Ô douce nuit !
Donne-moi le baiser d’accordailles,
ô Nanie,
Je t’aime !

les brodeuses

Quel événement !
Un prince charmant !
Sachons protéger
Contre tout danger
Ces beaux étrangers,
Ces galants bergers.
Comme la forêt
Gardons leur secret.

(Les brodeuses se montrent à Dame Lourpidon.)
dame lourpidon

Ouh là !

nanie, panurge

Ahi !

frère jean

Ouf !

dame lourpidon

Fâcheux contre-temps !

nanie

Fâcheux contre-temps !

panurge

Fâcheux contre-temps !

frère jean

Heureux contre-temps !

dame lourpidon, apercevant la laine.

Reprenons nos esprits !
Ah ! rentrons vite,
Petites,
Sans attendre Dindenault.
Vous, Robin Mouton et Thibault,
Suivez-nous dans le temple avec votre fardeau.

dame lourpidon, sincère ; nanie, ironique, et les brodeuses

Les bons pasteurs,
Pleins de candeur,
Nous apportent la laine,
Le doux fardeau,
Si blanc, si beau,
La laine des agneaux.

panurge, frère jean

Voici que grâce à nos habits

panurge

Je vais entrer au Paradis.

frère jean

Je ne vais pas en Paradis.


panurge

Ah ! vraiment, je ne puis y croire !
Ô doux fardeau,
Si blanc, si beau,
L’amour éclot,
Jour fériau,
Nau, nau nau nau,
Ô douce laine des agneaux !

frère jean
Ensemble.

Quand finira ce purgatoire ?
Ah ! Ô lourd fardeau,
De tous mes maux
Puissé-je tôt
Être en repos,
Mais il le faut ;
Maudite laine
Des agneaux.


Scène XII

RETOUR DE PANTAGRUEL et ALLYS
allys

De vous, sans le savoir,
J’avais l’âme occupée,
Et dans mon doux espoir,
Je ne fus point trompée,
Espoir d’amour est infaillible.

pantagruel

Serait il possible ?

allys

Je rêvais,
J’espérais,
Et je vous attendais.

pantagruel

Ô délire,
Félicité suprême !

allys

Ô délire,
Félicité suprême !

pantagruel

Félicité suprême !
Je t’aime !

allys

Je t’aime !

les brodeuses, au lointain.

Brodons le manteau magnifique,
D’un tissu sans pareil encor,
Fait de la laine unique
Des béliers de la Toison d’Or.


ACTE V

PALAIS DE PICROCHOLE


Scène PREMIÈRE

ALLYS, COURTISANS
chœur

Heureux jour ! Heureux jour !
Heureux jour de joie et d’amour,
Les rois ramènent à bon port
Le bélier de la Toison d’Or.
Heureux jour ! Heureux jour !
Heureux jour de joie et d’amour !


Scène II

Les trois rois traînent, accompagnés de valets, un bélier doré et enrubanné.
quaresmeprenant

Après des exploits horrifiques,

bringuenarilles

Après des souffrances épiques,

petault

Luttes contre les éléments,

bringuenarilles

Contre les monstres dévorants !

petault

La faim ! Lasoif !…Lapeste ! Lamort

quaresmeprenant

Lafaim ! La soif !… Lapeste ! Lamort !

bringuenarilles

Lafaim ! Lasoif !…La peste ! Lamort !

tous

Lafaim ! Lasoif !…Lapeste ! La mort !

Nous revenons vainqueurs avec la Toison d’Or !

allys

Ô ciel ! se pourrait-il ?


Scène III

Les Mêmes, DINDENAULT
dindenault

Bonjour, messieurs, bonjour,
Mesdames, bonjour, tretous,

Permettez-moi, Sire,
De m’introduire,
Car le mouton attire
Le moutonnier
Ainsi que la bouteille
Attire le buveur,
Et que l’abeille
Vole vers la fleur.
Mais cette moutonnaille
Ne me dit rien qui vaille,
Ce n’est point l’un des béliers
Que j’ai ramenés, foi de moutonnier.
Et d’ailleurs, jusqu’au dernier,
Les vrais moutons de la Toison d’or sont noyés.

picrochole

Berger, que veux-tu dire ?

dindenault

La vérité… Si vous permettez, Sire…

(Il enlève les fausses cornes du mouton.)
tous

Trahison, trahison !

les rois

Nous sommes perdus, malédiction !

picrochole

Félons, félons !

tous

Hon !

les rois

Le grand maître des trahisons,
C’est toujours Éros, Cupidon !

picrochole

Félons, félons ! Félons, félons !


Scène IV

Les Mêmes, DAME LOURPIDON, NANIE, LES BRODEUSES, apportant le manteau.
les brodeuses

Voici le manteau magnifique,
D’un tissu sans pareil encor,
Fait de la laine unique
Des béliers de la Toison d’Or.

picrochole et les rois

Ô prodige !

tous

Ô prodige !

allys

Ce prodige aujourd’hui s’accomplit,
Par l’amour tout puissant,
Par l’amour et Cypris.
Cypris a suscité le héros valeureux,
Celui qu’elle a choisi va paraître à vos yeux.


Scène V

Les Mêmes, PANTAGRUEL, PANURGE, FRÈRE JEAN, Hommes d’armes, etc.
les trois rois

Ciel ! Le roi Pantagruel !

tous

Le roi Pantagruel !

pantagruel

Ô roi Picrochole, je viens,
De la princesse Allys te demander la main.

picrochole

Ô roi, qui donc es-tu ?
Ton nom, si grand qu’il soit, à moi n’est point venu.

pantagruel

Je suis le roi joyeux du plus beau des royaumes,
Et je l’avais quitté pour esbaudir les hommes
Des riantes couleurs de mon bel oriflamme.
Conquérant glorieux, puis conquis à son tour,
Par le divin amour,
Je m’incline devant la grâce d’une femme.

picrochole

Ta demande m’honore, ô roi Pantagruel,
Mais tel est l’oracle du ciel,

Ma fille doit unir son sort
Au seul conquérant de la Toison d’Or.

allys

Mon père, ce vaillant au temple de Cypris
A porté le trésor, que seul il a conquis.

picrochole

Qu’entends-je, ô joie extrême,
Ô roi Pantagruel, si la princesse t’aime
Vous allez être unis du doux lien éternel.

allys

Mon père, je l’aime !

allys et pantagruel

Nous nous aimons !

picrochole

Devant Cypris
Soyez unis.

panurge

Moi, confident du roi, son féal pour la vie,
Je demande la main de l’aimable Manie.

picrochole

Suis donc ton maître au chemin
De l’hymen !

nanie et panurge

Ô bonheur !

dame lourpidon, à Frère Jean.

Eh bien ? Voire ! Pour moi ce n’est de mise,

frère jean

Eh bien ? Voire ! Pour moi ce n’est de mise,
Étant homme d’église. Mais je vous bénirai.

(Il jette Lourpidon dans les bras de Dindenault.)

Étant homme d’église. Mais je vous bénirai.

dindenault

Voire !

panurge

Voire !

picrochole, aux rois.

Pour oublier votre algarade,
Renouvelez votre accolade.

les rois, heureux d’en être quittes à si bon compte.
bringuenarilles

C’est mon avis.

petault

À moi aussi.

quaresmeprenant

À moi aussi.

tous

À nous aussi.

pantagruel

Favorisé par le destin,
J’ai trouvé bonheur souverain

Dans cet heureux royaume,
Donnons cours à notre gaîté.
Pour ce que rire, en vérité,
Est le propre de l’homme.
Célébrons, en cet heureux jour,
Célébrons le rire et l’amour.

tous

Vivons joyeux,
Rire, grâce à Dieu,
Est le propre de l’homme !

FIN