Pages mêlées/Dors en paix !

DORS EN PAIX !


La politique est un gouffre ; elle engloutit ceux qui l’abordent.

… Il carcere duro,… la morte…

(Maroncelli, Confalonieri, Andryane, Silvio Pellico, etc., etc.)



Le vent des passions a dévoré ton âme,
Comme l’ardent simoun à la lèvre de flamme
Dévore nos déserts ;
Et ton corps, la sentant défaillir sous son aile,
Mourut, comme un flambeau d’où fuit l’huile infidèle…
Dors en paix, jeune ami, dors sous tes gazons verts !

Que jusqu’à ton cercueil descende la rosée ;
Que du sol et des fleurs quelque haleine arrosée
T’arrive sous les plis du linceul étouffant,
Comme on voit d’une mère inquiète et chagrine
Le souffle bienfaisant tomber de sa poitrine
Sur le sommeil de son enfant !

La terre te doit bien ces dernières caresses,
À toi qu’elle a porté sans te donner d’ivresses
Que deux baisers d’amour :
L’un d’une mère, hélas ! que tu n’as pas connue ;
Et l’autre… de l’épouse à ton appel venue,
Et que tu connus un seul jour !

Aussi qu’as-tu voulu, dans ces temps noirs d’orage,
Aux coups de la tourmente opposer ton courage ?
Assez d’autres sans toi veillaient de l’œil au camp.
Que fait un cri de plus dans cent voix qui s’élèvent ?
Le bras contre l’esquif que mille vents soulèvent ?
La goutte d’eau sur le volcan ?

C’était te soutenir par un fil sur l’abîme ;
C’était jouer ta vie, et te voilà victime !…
Qui t’enverra les pleurs de quelques repentirs ?
Tu marchais dans la lice où nul sort ne s’achève ;
Mer qui jette toujours inconnus sur sa grève
Les cadavres de ses martyrs.

Malheureux ceux que Dieu fait dépasser la foule
Pour ouvrir les chemins d’un siècle, qui s’écoule
En ravageant son lit comme un ardent ruisseau !
Chacun y souffre et meurt sans hâter les phalanges
Du peuple, vieil enfant qui végète en ses langes
Et traîne après lui son berceau.

Mieux t’eût valu le cours d’une vie ignorée,
Les douceurs du foyer, une enfance égarée
Dans ces beaux rêves d’or qui bercent nos vingt ans ;
Les courses dans les bois, les soirs au clair de lune,
Les contemplations sur la rive, à la brune…
Un automne sans doute eût suivi ton printemps !

Mais un destin fatal avait marqué ta tête ;
Tu devais sous ses coups la dresser comme un faîte…
Il t’a battu, miné, roc aux flancs entr’ouverts :
La chaîne des longs jours ne te fut point donnée ;
À ses premiers anneaux tes maux l’ont terminée…
Dors en paix, jeune ami, dors sous tes gazons verts !