Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 93-95).

MÉDITATION


Au village voisin, adossée à l’église,
Ma tombe est préparée entre deux arcs-boutants ;
Une croix irlandaise, obscure, en pierre grise,
Dira seule mon nom et mon âge aux passants.

L’âge, quel sera-t-il ? Comment deviner l’heure
À laquelle, fixant à chacun son destin,
Le Maître de la vie a voulu que l’on meure
Et d’une encre invisible a marqué notre fin ?

Le nombre de mes ans, ma démarche incertaine.
Les battements d’un cœur trop prompt à s’émouvoir,
Tout m’avertit pourtant qu’elle n’est pas lointaine,
Cette heure inexorable et qu’on ne peut savoir.

Que ma course ici-bas rapide ou non s’achève,
J’aurai vécu des jours du vulgaire incompris ;
J’aurai reçu du Ciel, parmi les dons qu’on rêve,
Des bienfaits sans pareils et des grâces sans prix.

« Dès l’aurore ceignant ses reins, la Femme forte
» Ouvre son âme à Dieu, sa main à l’indigent,
» Trésor plus précieux que les biens qu’on apporte
» Des confins de la terre, et que l’or et l’argent. »

Telle est celle qu’on loue en des stances mystiques,
Ferme dans le conseil et portant sans ployer
Le grave et doux fardeau des devoirs domestiques ;
Telle est la femme aimée, orgueil de mon foyer.

En elle j’ai trouvé la lampe et la boussole
Qui, me montrant la route, ont affermi ma foi, —
Le baume qui guérit et le mot qui console
Au jour où la souffrance a visité mon toit.

Tout ce qui vaut qu’on vive, au Travail qu’on s’entraîne,
Ce qui fait du Combat et l’honneur et le prix,
Ce qui donne à l’Effort sa beauté souveraine,
Nos filles et nos fils d’elle encor l’ont appris.

Plusieurs d’entre eux, par elle, ont découvert la joie
Qu’on goûte à cultiver la Vigne du Seigneur,
Et, comme à Béthanie, à marcher dans Sa Voie,
Empressés de choisir des deux lots le meilleur.


Soyez loué d’avoir soutenu ma faiblesse,
De m’avoir, ô mon Dieu, comblé de tant de biens,
De m’avoir entouré, jusque dans ma vieillesse,
Du bataillon sacré de ces Anges Gardiens.

Au transept de l’Église où dormira ma cendre,
Ils viendront à leur tour, comme aujourd’hui je vins,
Orner de fleurs la tombe où j’entendrai descendre
Leur prière mêlée aux cantiques divins.


2 novembre 1918.