Page:Zyromski - Sully Prudhomme, 1907.djvu/88

Cette page n’a pas encore été corrigée

74 SULLY PRUDHOMME

le message d'Eva. Moïse dictait des oracles, de très haut et de très loin, à la foule qui le comprend à peine et l'abandonne dans la solitude : Eva se penche vers les humains. Moïse, c'est la pensée clairvoyante, mais dure pour la tendresse : Eva c'est le cœur lucide et vibrant autour des souf- frances humaines. Le génie de Moïse s'impose par la soudaineté et l'éclat de ses manifestations ; le génie d'Eva se donne en élans triomphants. Ainsi la poésie nouvelle ajoutera à la force de Moïse l'ardeur d'Eva.

Mais Eva n'incarne pas seulement la ten- dresse. Il ne lui suffit pas de répandre sur les tableaux humains le déroulement des rêveries compatissantes. Le temps des paroles qui bercent est passé. Eva exprime ce qu'il y a d'irrésistible dans une pensée héroïque et pressentant l'ave- nir :

Ta pensée a des bonds comme ceux des gazelles...

Mais aussi lu n'as rien de nos lâches prudences : Ton cœur vibre et raisonne au cri de l'opprimé Comme dans une église aux austères silences L'orgue entend un soupir et soupire alarmé.

Ainsi s'élargit et se complète la pensée du poète. Moïse se plaint dans le sentiment de son