Page:Zyromski - Sully Prudhomme, 1907.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

LA PENSÉE DE VIGNY 71

Devant ces poèmes de désespoir et d'ivresse on évoque tantôt un Titan vaincu qui avoue sa défaite et son goût du silence :

Seul le silence est grand : et le reste est faiblesse. Gémir, pleurer, prier est également lâche...

Tantôt c'est un héros ivre d'action qui chante la pitié créatrice et sonne le tocsin des révolu- tions :

Tes paroles de feu meuvent les multitudes;

Tes pleurs lavent l'injure et les ingratitudes :

Tu pousses par le bras l'homme... il se lève armé!

Paroles éclatantes mais brèves! Ebauches sur- prenantes qui prolongent la surprise dans l'amer- tume! Et nos regrets s'avivent devant certaines parties de l'édifice, ciselées avec un art sobre par une main qu'on sent fine, irréprochable. Par exemple, dans un décor harmonieux à souhait, j'aperçois une statue de femme, étrange et com- plexe, qui attire comme la beauté, émeut comme un cri lyrique et déchaîne nos fièvres comme la soudaine apparition du destin ; c'est Eva, la Muse du poète, à la fois douce et orageuse, parce qu'elle unit sa tendresse aux audaces de la pensée. Puis sur une éminence que gravissent de grands bois pacifiques, se dresse la maison svelte et blanche,