UNE VISITE A SULLY PRUDHOMME 267
souvenirs. Elle est traversée aujourd'hui par trop de routes, mais elle garde encore, au déclin du jour, sa douceur et son harmonie. J'ai gravi ce coteau boisé. J'ai pénétré dans la forêt séculaire qui monte vers la demeure où M" 10 Récamier fit souffrir Chateaubriand. A cette heure émouvante du crépuscule j'évoquai l'ombre du grand René, et spontanément je comparai le sage pacifique que je venais de quitter et le romantique insatiable qui fait encore sentir sa présence sur ce paysage mélancolique. Je voyais d'une part le grand poète philosophe, le frère de Lucrèce et de Vigny, qu fut capable d'apaiser dans une philosophie large et sereine les ardeurs d'une âme tendue par l'aspira- tion. Je voyais d'autre part ce Chateaubriand chi- mérique, le grand ennuyé, le solitaire toujours en tumulte dont la vie intérieure ressemblait au déchaînement d'une rafale. La destinée de Cha- teaubriand me parut trouble et incertaine, et j'admirai davantage l'âme de Sully Prudhomme dans sa puissance d'ascension vers la lumière. Car le déroulement de son œuvre suit le rythme de la sagesse, et nous apporte, au lieu des agitations qui nous brûlent, ces vérités fortes qui nous per- mettent d'accepter notre destin.