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264 SULLY PRUDHOMME

dans toute sa complexité, son œuvre pure et hardie, mélancolique et soulevée par les plus nobles espé- rances. Les contemporains ont plutôt senti sa tendresse : je crois que l'avenir admirera davantage l'air décisif de son âme affranchie de la crainte par l'exactitude. Car Sully Prudhomme avait le don des puissants : il savait unir le charme à la force. Ce grand sincère voulut aller au bout de son dessein, mais il dédaignait d'étaler son audace et il la laissait sortir comme un aveu involontaire et frappant. Sa manière nuancée recouvrait sou- vent une pensée âpre. Sa douceur assourdie était une énergie repliée et profonde, et redoutable. Sa main fine n'était pas molle : elle était capable d'étreindre de grands sujets.

La vue de l'homme confirmait la conclusion apportée par l'oeuvre. J'ai eu l'avantage de passer auprès de lui, en décembre 1905, quelques heures émouvantes, par un jour lumineux d'hiver. J'ai entendu, dans la petite maison blanche de Châtenay, le vieillard infiniment doux dont la noblesse était rehaussée par la grâce de la voix et du sourire. Je lui ai parlé de mon effort pour prolonger, parmi la jeunesse qui pense, l'action de son œuvre qui écarte ce qui divise les hommes