L'IDÉE DE LOI 235
Aul n'aura plus contribué que Sully Prud- homme à réduire, sinon à supprimer, un préjugé redoutable sur la Poésie. On oppose volontiers la Poésie et la Science. On dit que la science élimine le prestige de l'ombre et de la nuit, et que le rôle de la poésie est de chanter nos émotions devant l'inconnu. On craint que le charme du rêve ne s'efface devant les décisions de la pensée et la lumière du savoir. On reproduit le geste empha- tique et puéril du poète Keats maudissant la mémoire de Newton dont les découvertes ont détruit la poésie de l'arc-en-ciel. On redoute l'œuvre de la science qui dissout nos plus nobles désirs en déchirant tous les voiles et qui supprime la beauté en chassant le mystère. Sully Prud- homme, qui savait que la philosophie ne des- sèche pas l'émotion parce que la pensée humaine sera toujours pleine d'ombres émouvantes, n'igno- rait pas davantage que la science fait reculer le mystère, mais ne le supprime pas : elle le rend au contraire plus attirant et elle accroît ainsi le pouvoir invincible de son étreinte. Le désir du poète se rattache d'ailleurs aux aveux des savants, de Kepler et de Pascal, de Laplaceet de lîerthelot. Peu de science détourne de la poésie, mais beau-