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LE BONHEl/K ET LE DESTIN DES HOMMES 223

raient guère admis l'intervention de la poésie dans un domaine occupé et gouverné par la foi. La religion, qui résolvait pour eux les essentiels problèmes, prévenait les drames de la pensée. Sully Prudliomme ouvre la poésie à l'expression des drames intellectuels. Je ne voudrais pas oublier les tentatives des prédécesseurs qui furent ici ses maîtres. Les poèmes de Vigny sont brefs et obscurs, mais puissants et d'une substance intellectuelle inépuisable. Lamartine a chanté des méditations où il atteint à la philosophie par la beauté même de son grand geste élégiaque. Hugo n'est pas seulement le maître du Verbe : ses métaphores sont animées d'une vie si profonde et si directement rattachées aux forces de la nature que le jeu des images entraîne des rapprochements d'idées d'où jaillissent des fulgurations intellec- tuelles. L'œuvre de Leconte de Lisle exprime la pensée darwinienne et fournit l'illustration mor- celée et magnifique de la vie religieuse de l'huma- nité. Mais le poème de Sully offre le précieux avan- tage d'être consacré à l'exposition développée et à la discussion diversifiée d'une doctrine. Ce petit livre renoue la chaîne des grands poèmes philo- sophiques.